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Risques climatiques : les tarifs des assurances sont-ils condamnés à augmenter ?

Pierre-Charles Pradier, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Les incendies de forêt du mois de juillet encadrés par des séries d’inondations ont marqué les esprits comme un signe des temps : cette fois, c’est sûr, le climat change, et pas pour le meilleur. Si les dommages liés aux feux sont couverts par la garantie incendie des contrats multirisques habitation, les inondations exigent pour leur part des arrêtés de catastrophe naturelle pour être prises en charge par les assureurs.

À la fin de cet été particulièrement pourri, Franck Le Vallois, directeur général de France Assureurs affirmait dans le Journal du Dimanche du 28 août, que les sept premiers mois de l’année avaient entrainé 1,2 million de déclarations de sinistres pour un montant total de 4,3 milliards d’euros, contre 3,5 en moyenne annuelle au cours des cinq dernières années. Arnaud Chneiweiss, dans le rapport 2021 de la médiation de l’assurance, rapporte aussi une forte augmentation des saisines liées aux événements climatiques, en particulier relatifs à la sécheresse.

À l’échelle de la planète, l'étude Sigma de l'assureur Swiss Re compile tous les ans au début du printemps un bilan des catastrophes naturelles de l’année, et malheureusement la livraison 2022 confirme une tendance croissante quant au nombre et au coût des catastrophes naturelles, qui semble donc liée au changement climatique.

Des milliards en plus d’ici 2050

Au-delà des événements climatiques de ces derniers mois, quand on prend en compte la concentration de la population mondiale, notamment dans les zones littorales, et l’effet richesse lié à la croissance, alors le risque agrégé augmente à l’échelle de la planète. Les études menées sur la France entière montrent que cela devrait continuer : ces dernières années, la Caisse centrale de réassurance (CCR), l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) et la fédération France Assureurs ont mené une série de travaux qui établissent un ordre de grandeur de l’aggravation du risque.

Malgré les différences de périmètre, de scénarios envisagés et de méthodologie, les études convergent vers une forte hausse des sinistres liés au risque climatique : +50 % à prix constants dans l’étude CCR, +174 % pour le test de résistance climatique mené par l’ACPR auprès de 22 entreprises d’assurance, +93 % dans la projection de France Assureurs réalisée à partir d’une maquette statistique. Il conviendra d’ajouter à ce chiffre le différentiel d’inflation et l’excédent de richesse non anticipés par les hypothèses des études.

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Si maintenant on considère que les indemnités versées au titre de ces risques ont été de l’ordre de deux milliards et demi par an au cours des trente dernières années, on table donc sur une augmentation de l’ordre d’un gros milliard, à quatre milliards par an.

À la question « les tarifs sont-ils condamnés à augmenter ? » la réponse est donc bien évidemment oui en valeur absolue ; en valeur relative, on peut toutefois penser que les prix de l’énergie et des aliments carnés augmenteront plus fortement. Mais on peut aussi agir sur les risques qu’on connaît, c’est pourquoi une description plus précise est nécessaire pour envisager des remédiations.

Une prime moyenne de 26 euros par habitation

Une étude réalisée pour la Fondapol en 2020, menée par José Bardaji et Arnaud Chneiweiss, décrit avec précision les trois catégories de risque climatique correspondant à trois régimes d’indemnisation : par ordre décroissant d’importance, il s’agit (1.) des catastrophes naturelles, (2.) des garanties « tempête, grêle, neige » (TGN) et (3.) des assurances agricoles.

Depuis la loi de 1982 sur les « cat nat », celles-ci sont prises en charge en supplément des assurances de dommages (par exemple des contrats multirisques habitation). La différence entre ces deux dispositifs est que le premier (cat nat) est entièrement régi par la réglementation, tant pour le tarif que pour les modalités d’indemnisation, tandis que le deuxième (dommages) l’est par le contrat.

Enfin, les assurances agricoles ne concernent que les professionnels qui souhaitent s’assurer contre la grêle et/ou les autres périls pouvant porter préjudice à leur activité. En moyenne, la prime « catastrophe naturelle » est de 26 euros par habitation, comme la prime TGN des ménages, tandis que les primes des professionnels sont plus élevées. Les montants payés par les particuliers sont donc raisonnables, et une augmentation, si elle est proportionnée au risque, ne paraîtrait pas démesurée.

Toutefois, on ne peut pas se satisfaire de raisonner en termes de moyenne. L’étude de la Fondapol montre ainsi que les différents régimes organisent « une redistribution massive de la très grande majorité des départements métropolitains » vers certains d’entre eux car la cotisation varie faiblement d’une région à l’autre alors que la sinistralité est très contrastée.

Un risque pour la solidarité nationale

Ainsi, au cours des trente dernières années, par exemple, l’Aude a reçu 318 % du montant de sa cotisation aux « cat nat », tandis que la Charente a payé seize fois ce qu’elle a reçu ; pour la garantie TGN, les Landes ont perçu 338 % des sommes cotisées tandis que l’ensemble de l’Île-de-France ne récupérait que 21 % de sa mise.

« La mutualisation est l’essence de l’assurance », pense-t-on à raison : mais un déséquilibre permanent pourrait menacer « l’assurabilité » de certains risques. Pensons au cas de Saint-Barthélemy, ravagé en 2017 par l’ouragan Irma, avec un coût moyen du sinistre de 91 000 euros, soit plus de trente ans de cotisations, moins, hélas, que le temps de retour probable du prochain ouragan.

Il n’est donc pas faux de dire que si nous ne faisons rien en termes de lutte contre le changement climatique, le fardeau des catastrophes naturelles pourrait devenir insupportable, avec le risque d’entrainer une érosion de la solidarité nationale, soit que les habitants de régions les moins exposées refusent de payer pour les autres, soit que la hausse des tarifs rende l’assurance inabordable pour certains ménages.

Les assureurs n’ignorent pas ce défi : les chercheurs Arthur Charpentier, Laurence Barry et Molly James montrent notamment que la composition de la justice actuarielle (qui consiste à faire payer le vrai prix du risque) avec la solidarité n’est pas simple puisque la solution optimale à court terme (c’est-à-dire la redistribution) produit des effets pervers à moyen-long terme (dans la mesure où elle n’incite pas à la prévention).

C’est donc en pleine conscience des enjeux que les assureurs proposent des remédiations. Il faut comprendre que celles-ci engagent notre organisation économique et sociale qui doit changer pour atténuer les effets du changement climatique : de même qu’on ne réglera pas le problème des transports en remplaçant simplement les voitures thermiques par des véhicules électriques, mais en repensant l’ensemble des mobilités dans leurs interactions, de même on ne diminuera pas l’exposition au risque en rendant étanche la maison engloutie par la submersion marine !

Éduquer sur les risques naturels

On peut certainement améliorer les normes et les procédés constructifs afin d’éviter que les risques naturels, notamment la sécheresse, aggravent les effets d’éventuels défauts de construction : le rapport 2021 de la médiation de l’assurance montre l’acuité de ce problème.

Toutefois, la prévention exige une prise en compte plus générale des risques naturels : comprendre les périls autour de nos habitations c’est aussi les repérer, éviter d’y exposer les nouvelles constructions, avoir les bons réflexes quand la catastrophe arrive. Mieux encore : réaménager les villes (quand les maisons sont régulièrement inondées par le fleuve qui déborde), limiter l’artificialisation des sols, comme certaines communes ont déjà commencé à le faire.

La culture du risque naturel représente un investissement considérable, d’abord en capital humain et dans l’organisation collective. Une journée nationale annuelle devrait avoir pour objet d’éduquer sur les risques naturels locaux, sur les bons réflexes à avoir (ne pas descendre au sous-sol tenter de sauver sa voiture d’une inondation, au risque de perdre la vie), sur les travaux et mesures de prévention engagés par l’État et les collectivités locales. C’est un préalable pour que les investissements physiques soient les plus efficaces.

Il est également essentiel que tous les acteurs, publics (État, collectivité locale, EDF, Météo France, etc.) et privés (assureurs, opérateurs de téléphonie, etc.), partagent mieux leurs informations et retours d’expérience. Les entreprises d’assurance peuvent accompagner les parties prenantes pour réduire les risques au niveau individuel, c’est-à-dire dans le conseil au client, comme collectif : c’est précisément l’utilité des études qu’elles ont diligentées de nous permettre d’entrevoir, au-delà de l’éco-anxiété, comment nous pouvons prévenir les risques pour continuer à indemniser leurs conséquences.


Arnaud Chneiweiss, médiateur de l’assurance, a participé à la rédaction de cet article.

Pierre-Charles Pradier, Maître de conférences en Sciences économiques, LabEx RéFi, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Les réunions en visioconférences se sont imposées dans le quotidien banques depuis le début du printemps 2020. Pexels, CC BY-SA

Secteur bancaire et financier : les salariés en télétravail subissent de nouvelles formes de contrôle

Les réunions en visioconférences se sont imposées dans le quotidien banques depuis le début du printemps 2020. Pexels, CC BY-SA
Vincent Meyer, EM Normandie et Caroline Diard, ESC Amiens

Pour les salariés du secteur bancaire et financier, un « monde d’après » Covid est bien apparu. Cependant, il ne semble pas à la hauteur des promesses d’une meilleure qualité de vie au travail (QVT) qui ont émergé pendant la pandémie et les périodes de télétravail subi. En effet, comme nous le relevons dans un article de recherche publié en septembre 2022, les télétravailleurs sont désormais exposés à de nouvelles formes de contrôle managérial qui traduisent un manque de confiance lorsque les salariés exercent leurs tâches à distance.

Avant la crise de la Covid-19, dans « l’ancien monde », le télétravail s’accompagnait d’une hausse du contrôle par les résultats. Les managers n’ayant plus leurs collaborateurs sous les yeux, ils ne pouvaient plus contrôler ni leurs horaires ni leur comportement (les visioconférences étant encore peu répandues) et augmentaient les objectifs quantitatifs et, en conséquence, le nombre de livrables. Les salariés l’acceptaient en contrepartie d’une plus grande liberté et d’une plus grande autonomie de travail chez soi.

Or, pendant la crise de la Covid-19, nous avons observé une baisse du contrôle par les résultats et l’émergence de nouvelles formes de contrôle, notamment du comportement des équipes à distance. Nous avons en outre observé le renforcement d’une forme d’« autocontrôle » au sein des organisations, déplaçant la responsabilité du contrôle de l’activité des managers vers les collaborateurs eux-mêmes.

« On pensait qu’ils n’étaient pas occupés »

Tout d’abord, les entreprises du secteur bancaire et financier que nous avons étudiées ont eu recours à de nouveaux modules de formation pour occuper leurs collaborateurs et contrôler ainsi leur temps. Un manager intermédiaire que nous avons interrogé reconnaît ainsi que son entreprise a clairement cherché à « occuper » leurs salariés :

« On pensait qu’ils les [salariés] n’étaient pas trop occupés et qu’il y avait un impact sur le business. On leur a donc organisé beaucoup de formations toutes les semaines. Nous, les managers de proximité, on leur a également proposé des ateliers. On a multiplié les formats, qui se sont additionnés. En conséquence, les plannings étaient plus chargés que d’habitude. À la charge mentale est venue s’ajouter cette masse de connexion, ce qui était un tort ».

Outre les modules de formation, le rythme et le format des réunions ont changé. De nouveaux outils collaboratifs ont pu être utilisés à des fins de contrôle. Un manager en témoigne :

« On a créé un fil WhatsApp pour échanger de manière informelle et on a organisé plus de réunions avec les directeurs de Paris pour faire le point en visioconférence. »

Ces nouveaux outils technologiques ont rendu les collaborateurs beaucoup plus disponibles. La charge de travail a augmenté et les plages horaires se sont allongées. Les collaborateurs ont donc eu de plus en plus de difficultés à tracer une frontière entre leur vie professionnelle et leur vie privée.

En effet, les sollicitations liées aux technologies génèrent une hyperconnectivité faite d’injonctions officieuses. Un salarié le regrette :

« Courriels, appels téléphoniques en dehors des horaires de travail… C’est rapidement devenu ingérable. Parfois, je suis obligé de répondre aux sollicitations le midi, le soir et le week-end. »

Cette hyperconnectivité a pu conduire à l’apparition de risques psychosociaux renforcés et a révélé une nouvelle forme de pression managériale, voire dans certains cas de harcèlement.

Une relation managériale bouleversée

La littérature sur le télétravail indique traditionnellement un renforcement du contrôle par les résultats en contrepartie d’une plus grande autonomie quand les collaborateurs passent en télétravail. Mais la crise de la Covid-19 semble avoir remis en cause cet équilibre. D’un côté, nous avons effectivement observé une baisse du contrôle par les résultats dans les entreprises que nous avons étudiées ; de l’autre, nous avons constaté l’apparition de nouvelles formes de contrôle par les comportements (micromanagement, multiplications des réunions) et par les « inputs » (multiplications des formations).

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Si la baisse du contrôle par les résultats peut s’expliquer en partie par le contexte singulier de la crise de la Covid-19, ces nouvelles formes de contrôlent mettent aussi en avant un nouveau mode d’organisation au travail. Il semble que la journée de travail au bureau soit aujourd’hui tout simplement dupliquée en télétravail chez soi, venant brouiller les frontières entre la vie privée et la vie professionnelle comme rarement auparavant.

Cette tendance semble s’être installée après la crise. Désormais, les points d’équipe hebdomadaires se font en mode hybride, avec des collaborateurs en présentiel et d’autres en distanciel. Les managers et les autres collaborateurs n’hésitent plus à solliciter les salariés en télétravail chez eux, non seulement par téléphone et par visioconférence, mais aussi via des outils de messagerie comme Slack ou WhatsApp. Si ces évolutions semblent être la contrepartie d’une hausse du nombre de jours télétravaillés, elles viennent remettent en cause la relation managériale classique en télétravail fondée sur la confiance et l’autonomie.

Cela ne va pas sans conséquence. Ces pratiques ainsi que l’émergence d’une forme d’autocontrôle plus diffus ont contribué à la co-construction d’une culture d’entreprise fondée sur l’urgence, l’hyperréactivité et un fort sentiment de redevabilité. Or, la surveillance par les pairs n’est pas sans risque.

Les conclusions de nos recherches semblent d’autant plus inquiétantes que la banque fait partie des secteurs qui se sont historiquement montrés en pointe en termes de déploiement du télétravail.

Afin de se prémunir contre les conséquences d’un management déviant et de cultures organisationnelles sans garde-fou en télétravail, il est donc plus que jamais nécessaire de mettre en œuvre de véritables politiques de télétravail raisonnées et coconstruites avec l’ensemble des collaborateurs et des partenaires sociaux.

Vincent Meyer, Professeur assistant en gestion des ressources humaines et théorie des organisations, EM Normandie et Caroline Diard, Professeur associé en management des ressources humaines, ESC Amiens

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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En 15 ans, les tireuses BrewDog sont apparues dans de nombreux établissements comme ici à Londres. Bernt Rostad / FlickR, CC BY-SA

BrewDog, succès d’une bière artisanale et amertumes managériales

En 15 ans, les tireuses BrewDog sont apparues dans de nombreux établissements comme ici à Londres. Bernt Rostad / FlickR, CC BY-SA
Malu Villela, University of Bristol

Le brassage de la bière artisanale a vu le jour dans les années 1980. Les débuts ont été lents, mais l’activité est depuis devenue un marché relativement important. Parmi les histoires à succès dans ce milieu, il y a celle de l’entreprise écossaise BrewDog, fondée en 2007 par James Watt et Martin Dickie.

Quinze ans après avoir servi leur première pinte, ils ont fait de BrewDog l’un des leaders du secteur. En 2020, le chiffre d’affaires global de l’entreprise a augmenté de 10 %, les ventes en ligne de 900 % et la marge bénéficiaire brute de 48 %. Tout cela malgré la pandémie et le fait que la majorité des 100 bars possédés par l’entreprise ont été fermés pendant de longues périodes au cours de l’année. L’entreprise, actuellement évaluée à près de 2 milliards de livres sterling, emploie désormais plus de 1 600 personnes dans le monde.

BrewDog s’est développée grâce au crowdfunding (« financement par la foule » en français) et à la participation de milliers de petits investisseurs, convaincu par sa réputation de faire des affaires avec à cœur des valeurs sociales et environnementales. Souhaitant se distinguer des entreprises traditionnelles, la société a cherché à devenir « le meilleur employeur du monde » et parle de ses employés comme « le cœur battant de notre entreprise » et « la raison de notre existence ».

Malgré cette rhétorique, 2021 a été une année turbulente pour l’entreprise, à la suite d’allégations d’anciens employés selon lesquels il existait tout un système d’intimidation en interne. Dans une lettre ouverte datant de juin 2021, plus de 300 travailleurs anciens et actuels accusent l’entreprise d’avoir créé une « culture pourrie », au sein de laquelle la croissance est recherchée à tout prix et où les employés se sentent épuisés, misérables et ont peur de s’exprimer.

Une certification en trompe-l’œil ?

Ironiquement, la lettre a été publiée quatre mois seulement après que l’entreprise a été certifiée B Corp. Cette certification s’adresse aux entreprises qui répondent à des normes élevées de performance sociale et environnementale, de transparence et de responsabilité en vue de générer un impact positif sur leurs parties prenantes, travailleurs, communautés, clients, fournisseurs et environnement. BrewDog a reçu la note la plus élevée pour la dimension travailleurs.

Ces accusations, couplées à la décision de l’entreprise d’offrir des conditions financières attrayantes à des groupes de capital-investissement, ont suscité une vive inquiétude chez les 18 000 personnes qui avaient participé à la campagne de financement de BrewDog. B Lab, l’organisation qui gère la certification B Corp, a également fait part de ses préoccupations.

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En réponse, la société a présenté ses excuses et a annoncé son intention de mener une enquête indépendante pour vérifier le bien-fondé des allégations. Celle-ci a conclu que des erreurs avaient été commises et que la société allait prendre des mesures pour y remédier. Mais c’était trop peu, trop tard.

Un mois après l’annonce, les accusations font même la une des journaux après la diffusion d’un documentaire de la BBC, « The Truth about BrewDog » (en français, « la vérité sur BrewDog »). Le dirigeant et cofondateur de l’entreprise, James Watt, se trouve particulièrement ciblé : il aurait tenté de faire pression sur d’anciens employés pour qu’ils n’apparaissent pas dans le documentaire.

« The Truth about Brewdog », BBC.

Ce dernier, en mai 2022, annonce faire don d’un cinquième de ses actions personnelles à 750 de ses 2 200 employés via des options d’achat. Bien qu’il s’agisse d’une forme limitée d’actionnariat salarié, il a décrit ce geste comme étant « radical » et « fortement lié à la volonté de créer un nouveau type d’entreprise et de rendre à ceux qui se donnent pour elle ».

Le leadership et ses limites

Le cas de BrewDog soulève des questions importantes sur les limites des systèmes de certification comme sur le potentiel de l’actionnariat salarié. Ma thèse doctorale a comparé de manière approfondie quatre B Corps brésiliens de premier plan au cours de l’année 2015. Elle combine 57 entretiens de dirigeants et d’employés, des observations de terrain et une analyse de documents, notamment les rapports d’évaluation rédigés par B Lab.

L’enquête a révélé trois points essentiels : le rôle des dirigeants est décisif pour façonner la culture de ces entreprises ; cependant, la certification n’est pas toujours suivie de plans visant à combler les lacunes critiques restantes, notamment en ce qui concerne les processus de gouvernance des entreprises et les relations avec les travailleurs ; la gouvernance d’entreprise est un point clé pour trouver un équilibre entre objectifs et profits.

Suffit-il d’améliorer le leadership ou bien, est-ce en plaçant les travailleurs au centre du processus décisionnel que l’on fera la différence ? Des recherches menées auprès d’un groupe de petites et moyennes entreprises montrent que celles qui avaient une forme de propriété et/ou un modèle de gouvernance partagé avec les employés présentaient des niveaux d’engagement plus élevés avec les parties prenantes externes. En ayant une participation dans l’entreprise, les employés se sentent plus investis et intéressés par le développement de relations positives avec les clients, les fournisseurs, les communautés et l’environnement.

L’importance de l’actionnariat salarié pour renforcer la mission sociale est peut-être un aspect sur lequel le mouvement B Corp pourrait être plus explicite. Quant à BrewDog, c’est encore un pas timide, mais le brasseur semble aller dans la bonne direction pour privilégier la démocratie collective au leadership individuel sur le lieu de travail.


Créé en 2007 pour aider à accélérer et à partager les recherches scientifiques sur des enjeux sociaux majeurs, le Fonds d’Axa pour la recherche soutient près de 700 projets dans le monde mené par des chercheurs issus de 38 pays. Pour en savoir plus, visiter le site ou bien suivre sur Twitter @AXAResearchFund.

L’abus d’alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération. L’alcool ne doit pas être consommé par des femmes enceintes.

Malu Villela, Senior Research Associate at the School of Management, University of Bristol

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Image par Gerd Altmann de Pixabay

Chauffage, les plus aisés sont aussi ceux qui réalisent le moins d’économies d’énergie

Dorothée Charlier, Université Savoie Mont Blanc

Canicule, feux de forêt, guerre en Ukraine… Après un été 2022 marqué par une actualité énergétique intense, il est temps de s’interroger sur la conduite à tenir pour faire face au changement climatique. À ce sujet, le Laboratoire sur les inégalités mondiales souligne que :

« 10 % des plus fortunés sont responsables de 48 % de toutes les émissions de gaz à effet de serre mondiales, tandis que les 50 % les plus pauvres ne sont responsables que de 12 % au total. »

Face à ce constat et à l’hiver qui se rapproche, on peut donc s’interroger sur les comportements de consommation des ménages les plus aisés, alors qu'une polémique a déjà éclaté ces dernières semaines au sujet de l’utilisation des jets privés.

Entre 8 % et 10 % en plus

Si on se base sur une abondante littérature en économie, on a tendance à trouver une relation positive entre le niveau de revenu et la consommation d’énergie. Cette relation positive peut être associée à plusieurs phénomènes, qui va d’une augmentation de la température de confort en hiver à l’achat de nouveaux équipements consommateurs d’électricité.

Par exemple, des études ont montré qu’une préférence déclarée pour le confort thermique pouvait se traduire par une hausse de la consommation d’énergie entre 8 % et 10 % selon les différentes estimations. Le niveau de revenu pourrait ainsi être perçu comme un indicateur pour évaluer un niveau spécifique de confort et de taux d’équipement.

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De plus, les ménages les plus aisés, qui vivent souvent dans des maisons individuelles récentes et qui peuvent ajuster leur température de chauffage, ont tendance à consommer plus que ce que leur diagnostic de performance énergétique indique, comme nous l’avons relevé dans un article de recherche publié en 2021.

En approfondissant cette relation entre niveau de revenu et poids de la consommation énergétique (en se basant sur des données françaises récentes récoltées dans le cadre du projet de recherche PEPSI), nous obtenons que ceux qui déclarent préférer le confort thermique plutôt que de réaliser des économies d’énergie gagnent 7 965 euros de plus par an que la moyenne des ménages.

Taux d’équipement en hausse

Si on regarde plus en détail, le lien entre la température moyenne de chauffage en hiver dans les pièces à vivre et le niveau de revenu (Figure 1), on constate que les ménages qui se chauffent en dessous de 19 °C gagnent relativement moins que les ménages qui peuvent maintenir une température adéquate.

Il en va de même pour ceux qui se chauffent à plus de 25 °C, mais ces derniers sont parfois dans l’incapacité de pouvoir ajuster leur température (en général, les ménages qui ne sont pas en mesure de pouvoir régler leur température de chauffage vivent dans des logements plus anciens et gagnent 4016 euros de moins par an).

En outre, parmi les ménages qui se chauffent à moins de 19 °C en hiver, ils sont plus des trois quarts à déclarer se restreindre.

Par ailleurs, si on considère que les ménages vivant dans les logements dotés de la meilleure étiquette énergétique (et qui ont donc moins besoin d’énergie pour se chauffer), notés A, ont un revenu moyen supérieur de 13 000 euros par rapport à ceux qui vivent dans des logements notés G, on remarque également que les ménages les plus aisés dépensent nettement plus en facture d’électricité et de chauffage, ce qui semble réaffirmer une préférence avérée pour le confort thermique et l’utilisation d’appareils électroménagers (Figure 2).

Après « le deuxième été le plus chaud observé en France depuis au moins 1900 avec un écart de +2,3 °C par rapport à la moyenne 1991-2020 » en 2022 selon Météo France, on peut donc s’interroger sur l’évolution des dépenses d’électricité des ménages français dans les années à venir.

En effet, d’une façon générale, le taux d’équipement des ménages en système de rafraichissement augmente depuis 2020. Ce sont particulièrement les ménages propriétaires (75 % des détenteurs de système de refroidissement en 2020), souvent chef d’entreprise, indépendant ou cadre et résidants en maison individuelle qui entretiennent cette hausse (60 %).

Cette tendance risque désormais de s’accentuer si l’on veut pouvoir assurer le confort thermique et le bien-être de chacun. Il va donc être plus que nécessaire de trouver des solutions pérennes pour assurer le confort thermique d’hiver et d’été en veillant à ne pas creuser les inégalités.

Si les innovations technologiques permettront probablement de limiter le poids des consommations sur le climat, une solution consiste également à poursuivre les efforts dans l’amélioration de l’efficacité énergétique des bâtiments tout en veillant à informer les ménages les plus aisés du poids de leur consommation sur le climat.

Dorothée Charlier, Maîtresse de conférences en économie de l’énergie et de l’environnement, Université Savoie Mont Blanc

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.