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Il y aurait actuellement près de 80 millions d’animaux de compagnie en France. Publicdomainpictures.net
La France est l’un des pays industrialisés au monde totalisant le plus d’animaux de compagnie, c’est-à-dire un animal qui n’a pas d’intérêt productif. En 2022, il semblerait que près de 80 millions d’animaux de compagnie soient présents en France. Bien souvent, il s’agit d’un chien, d’un chat, de poissons, d’oiseaux mais aussi de nouveaux animaux de compagnie tels que des rats ou des gerbilles, etc. Il s’avère ainsi qu’un foyer sur deux possèderait un animal de compagnie.
Du côté de l’entreprise, la présence de l’animal de compagnie reste aujourd’hui cependant marginale et concerne bien souvent des start-up. Pourtant, ces compagnons peuvent parfois s’avérer indispensables. C’est le cas pour certaines personnes atteintes de handicap. Par exemple, l’accès des chiens guides ou d’assistance accompagnant un travailleur, qu’il soit salarié ou stagiaire, aux locaux de l’entreprise affectés à l’ensemble du personnel (accueil, réception, locaux de restauration, espaces de repos, lieux de passage, etc.), aux locaux de travail, aux salles de réunion ou de formation ne peut être interdit par l’employeur.
Par ailleurs, la crise du Covid-19 a bouleversé l’organisation du travail. Le travail hybride invite les salariés à s’approprier de nouveaux espaces de travail permettant plus facilement la présence et la garde de l’animal de compagnie. D’après la direction de l’animation, de la recherche, des études et des statistiques (Dares), 27 % des salariés pratiquaient le télétravail en France en 2021, contre 4 % en 2019. De surcroit, 8 télétravailleurs sur 10 souhaitaient le poursuivre. De son côté, l’Association nationale des directeurs des ressources humaines (ANDRH) estime que le travail hybride deviendra bientôt la norme et que le télétravail se stabiliserait autour de deux jours par semaine en moyenne d’ici 2025.
Ainsi, aujourd’hui, il apparaît légitime de se repencher sur la question de l’intérêt et de la place de l’animal de compagnie dans le cadre du travail.
Depuis longtemps, de nombreuses études essentiellement anglo-saxonnes se sont attachées à analyser l’intérêt de l’animal de compagnie dans des lieux et des problématiques totalement étrangers à l’entreprise. À notre connaissance, notre recherche se présente ainsi comme atypique puisque dans le cadre d’une recherche qualitative et quantitative, nous avons questionné 133 salariés qui disposaient d’un chien sur leur lieu de travail dans le but d’en mesurer les éventuelles conséquences en termes d’implication et de réduction du stress.
Concernant le premier volet de l’enquête, il a été question d’analyser la notion d’implication. La recherche témoigne que les jeunes salariés (moins de 25 ans) sont plus impliqués que le reste des individus lorsqu’ils sont accompagnés d’un animal. Cet attachement est également plus marqué chez les femmes que chez les hommes. Par ailleurs, la recherche relève que moins le salaire est élevé, plus l’attachement à l’entreprise est important pour le salarié exerçant au côté de l’animal. Ainsi, en termes d’implication managériale, si l’entreprise opère avec des salariées jeunes ayant un faible revenu, elle peut compter avoir une plus forte implication de son personnel, voire fidéliser cette main-d’œuvre.
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Concernant la variable « stress », il s’est avéré que l’animal a une forte influence concernant les troubles de l’humeur (anxiété, irritabilité, découragement) et les troubles de la tension (maux de tête, nervosité, etc.). L’animal contribue à améliorer un cadre de vie. L’entreprise s’avère plus vivante, plus familière. Les salariés les moins rémunérés, qui plus est, les femmes, semblent les plus attirés par cet environnement.
D’une façon générale, au sein de l’entreprise, il nous est apparu que l’animal de compagnie ne laisse à aucun moment indifférent ni le salarié ni l’entourage proche ou éloigné de ce dernier (fournisseur, client, patient, etc.). Il peut se révéler un instrument précieux pour réinventer de nouveaux rapports sociaux. Paradoxalement, dans certaines situations, il contribue à humaniser les relations humaines.
Pour finir, il nous semble important de préciser que bien que cette recherche exploratoire nous semble prometteuse, la présence de l’animal de compagnie s’avère impossible dans certains secteurs d’activités ayant de fortes contraintes d’hygiène ou de sécurité.
Par ailleurs, la présence d’un animal de compagnie ne s’improvise pas et demande une véritable réflexion collective pour plusieurs raisons. Tout d’abord, l’employeur est soumis à une obligation de sécurité à l’égard de la santé physique et mentale de l’ensemble de ses salariés. Or, la santé physique et mentale de certains salariés peut être affectée si ces derniers révèlent une véritable phobie ou présentent des signes allergiques à un animal.
Par ailleurs, un animal de compagnie même éduqué et sociable peut se révéler agressif, mordre, aboyer ou transmettre à l’homme certaines maladies telles que la teigne ou le ver solitaire. Enfin, la multiplication d’animaux de compagnie au sein d’un espace réduit peut s’avérer compliquée à gérer. C’est donc à l’employeur, au regard de son pouvoir de direction, d’accepter ou de refuser la présence d’animaux dans ses locaux.
Si la présence d’un animal de compagnie peut présenter de nombreux atouts et peut laisser présager d’un succès partagé, l’autorisation de sa présence nécessite donc sans aucun doute une discussion et l’adhésion d’un collectif.
Pierre Chaudat, Maitre de Conférences HDR, IAE Clermont Auvergne - School of Management, Université Clermont Auvergne (UCA)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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Depuis l’effondrement du mur de Berlin, le monde a vécu dans la conviction qu’il n’y avait pas d’alternative au « technologisme » de notre temps. Flickr/Christopher Dombres
Lors du conseil des ministres du 24 août dernier, le président de la République Emanuel Macron a évoqué « la fin de l’abondance », « la fin de l’évidence » et « la fin de l’insouciance ». Ces propos ont suscité de vives indignations, bien évidemment en particulier de la part de ceux qui représentent les parties de la population les plus démunies.
Il y a en effet de quoi éprouver un sentiment de scandale voire de naïveté à une telle annonce : qui vit de nos jours dans l’abondance, dans l’insouciance, dans l’évidence, à part les classes sociales les plus riches, de plus en plus riches, et de moins en moins nombreuses (dans un contexte où disparaissent les classes moyennes) ?
Le propos du chef de l’État n’est cependant pas dénué de sens. Mais c’est au terme d’« évidence » plutôt qu’à ceux d’« abondance » et d’« insouciance » qu’il faut s’arrêter pour y réfléchir à deux fois.
Depuis l’effondrement du mur de Berlin, le monde a en effet vécu dans la conviction de plus en plus dominante qu’il n’y avait pas d’alternative au libéralisme, au capitalisme, au « technologisme » de notre temps. Et l’arrière-plan fondamental de cette présupposition est que nous – les humains – allions mettre sous contrôle la nature – humaine et non humaine. Et la mise sous contrôle, disons du monde entier, allait garantir notre sécurité et notre paix civiles.
Nous pourrions enfin jouir de tout dans l’insouciance et une abondance généralisée. Cela avait été annoncé par l’usage incantatoire qu’avait fait en son temps la première ministre britannique Margaret Thatcher de l’acronyme « TINA » : « il n’y a pas d’alternative » (« There Is No Alternative »). Un seul monde est viable, le monde libre du capitalisme libéral adossé aux sciences et aux technologies.
Or, nous n’avons pas fini de croire à ce monde-là. Malgré la crise du Covid-19, l’on ne cesse d’entendre que nous allons revenir à la « normale » – c’est-à-dire au monde d’« avant ». Au monde d’avant le Covid. Laquelle pandémie a été la seule à même de nous faire un peu lever le nez du guidon ou sortir la tête de dessous la terre.
Jusque-là, depuis 1989, le monde entier faisait l’autruche, malgré les crises gravissimes dont il était affecté. Les attentats du 11-Septembre et leurs suites, la crise financière de 2008, la catastrophe de Fukushima, et j’en passe. Non pas qu’une partie toujours insupportablement importante de la population mondiale ne souffrît pas de faim, de précarité, d’exil et de violences. Mais l’on continuait de faire « comme si » on allait mettre un terme à tout cela, en mettant tout sous contrôle et maîtriser.
Il a fallu les confinements pour que l’on se réveille de la torpeur post-guerre froide, mais nous persistons à rêver que le monde d’« avant » revienne sur scène, comme si de rien n’avait été.
Confronté à un été catastrophique sur le plan climatique, sur le fond de la guerre plus du tout froide imposée par la Russie à l’Ukraine, avec en arrière-plan la crise du Covid qui menace et menacera de reprendre à chaque changement de saison, le président Emmanuel Macron a sans doute raison d’attirer notre attention sur la fin peut-être pas de l’abondance, mais en tout cas de l’insouciance et des évidences.
Le monde n’est plus « évident ». Il ne se « dévide » plus comme si de rien n’était. Nous ne le tenons pas sous contrôle. Quoi qu’on en ait, notre paix et notre sécurité civiles ne sont pas garanties. On ne peut plus, on ne peut en rien les tenir pour acquises.
Cela a-t-il cependant jamais été le cas ? Les guerres et les crises se sont-elles vraiment arrêtées depuis l’effondrement du mur de Berlin ? Avons-nous lucidement vécu les quelques décennies passées ? Fascinés par les nouvelles technologies et les potentiels gigantesques qu’elles laissent imaginer, obnubilés par les start-up, frénétiquement accrochés au profit et à la surconsommation, souhaitant oublier que la mort est toujours le lot de notre humanité mortelle et potentiellement malade, avons-nous vraiment cultivé notre conscience du monde où nous vivons ? Il faut sans doute reconnaître que non.
Nous avons voulu faire comme si nous pouvions vivre dans l’insouciance, dans l’abondance, dans les évidences de notre monde. Y compris les classes sociales les plus démunies, dont le but principal est toujours, si l’on en croit les analyses les plus averties de la vie sociale et politique comme le sont celle d’un Alexis de Tocqueville, de se hausser au niveau de possessions, de richesse, d’abondance, des classes sociales les plus nanties. La pauvreté est toujours relative, au sens où manquer de ce dont les autres jouissent augmente significativement le sentiment de dénuement.
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Les affirmations de notre président ont quelque chose d’indéniable : l’évidence, ou les évidences, sur le fond desquelles nous vivions ou voulions vivre ne sont plus de mise. Il nous faut tout remettre sur le métier. Il nous faut interroger ce que nous voulons, pourquoi nous le voulons, comment nous le voulons.
Par exemple – et c’est symptomatique – faut-il vraiment vouloir un nouvel iPhone, la 5G, de nouveaux logiciels, qui ont pour condition de leur mise en œuvre la fabrication de nouveaux ordinateurs, téléphones, tablettes, etc, rendant les précédents caducs, et conduisant à l’épuisement des ressources comme les métaux rares ? Nous devons bien évidemment nous demander de manière générale vers quoi et pourquoi nous courons. C’est ça la mise en question des évidences, de l’insouciance, de l’abondance.
Pour bien l’entendre, il faut interpréter le propos d’Emmanuel Macron sur le plan fondamentalement humain de notre capacité à interroger le réel et à nous mettre en question. Or, nous savons toutes et tous interroger le réel et nous-mêmes. Nous savons toutes et tous faire un pas de côté. On pourrait dire que c’est même le propre de ce qui fait notre commune humanité. Voyons en quoi et à quoi cela nous engage au quotidien.
Depuis que nous nous sommes mis debout, nous humains, sommes faits à la fois d’une capacité et d’un désir de contrôle de notre monde à proportion de ce que la verticalisation a rendu possible : une vue au loin, une maîtrise de notre environnement, la prévention contre les prédateurs, l’identification de nos proies, etc. De l’autre côté, la position debout nous rend significativement plus vulnérables à la chute que lorsque nous vivions à quatre pattes.
La dynamique de la marche le signale clairement : marcher c’est commencer par tomber en avançant le pied, et rattraper le déséquilibre en reposant le pied au sol. La marche n’est pas seulement une image utile. Elle est à la fois une métaphore et la réalité de nos vies lorsque nous vivons des vies véritablement humaines. Se tenir debout sur un sol stable symbolise parfaitement le fait d’être posé sur des évidences que nous n’interrogeons pas.
Insouciance et abondance.
Elles sont ce que l’on tient pour acquis, à partir de quoi nous pouvons nous élancer vers des tas d’autres choses – à partir de quoi nous levons le pied pour aller « ailleurs ». Le problème est que nous avons une sérieuse tendance à rester immobiles sur le sol stable sur lequel nous sommes posés, dans nos « zones de confort ». Tous les humains, président ou pas.
Depuis 1989, notre sol stable était symbolisable par l’acronyme « TINA ». Aucun autre monde n’était possible ni même imaginable. Voilà qu’au travers de crises aussi radicales et graves que celle du Covid-19, du climat, et des guerres, nous sommes mis en demeure de nous mettre à marcher. À lever le pied de nos évidences.
Nous l’avons suggéré plus haut : l’abondance (relative), l’insouciance et les évidences tiennent du même registre. Être posé sur des évidences que l’on n’interroge jamais, c’est à proprement parler de l’insouciance. C’est n’avoir en vue que de jouir de l’abondance qui nous est accessible, quelle que soit la classe sociale à laquelle on appartient. Alors que notre humanité est faite d’une tension constitutive entre évidence – se tenir debout immobile sur un sol solide et stable – et mise en question – ou élan vers autre chose toujours d’abord inconnu. Marcher, c’est d’abord prendre le risque de tomber dans l’inconnu.
Si elle est entière, notre humanité est faite à la fois d’évidences, de désirs d’abondance et d’insouciance, et de mises en question du réel, de pauvreté, de « souci ». Et vouloir n’être que l’un – qu’évidences, abondance (encore une fois, toujours strictement relative) insouciance – ou n’être que dans l’autre – n’être que dans le doute, la pauvreté, le souci – nous déshumanise ou nous rend fou.
Nous étions en train de nous déshumaniser depuis « TINA ». Il ne s’agit en aucun cas de se réjouir de la situation dramatique actuelle. Mais si cette situation est propre à nous faire sortir nos têtes de sous la terre, c’est une chance pour notre humanité. Se tenir immobile debout sur un sol solide dont on ne démord jamais tient de la plus grande bêtise voire de la plus profonde brutalité.
Comme le dit le dicton, « il n’y a que les c… qui ne changent jamais d’avis ». Gardons cependant clairement à l’esprit que si le monde n’est que mise en doute, qu’interrogations, que soucis, que pauvreté ou manque, ce n’est plus un « monde ». Cela devient, comme le dit si clairement le mot, « immonde ». C’est le chaos et c’est invivable.
Comment faire alors ? Comment vivre dans une crise permanente ? Cela revient à ne faire que tomber, à ne plus avoir de sol. C’est à proprement parler invivable.
La bonne nouvelle est que tant qu’on n’est pas mort, on a toujours un sol. Le sol minimum que nous ne voyons pas parce que nous sommes posés dessus, le plus souvent exclusivement poussés par nos envies et nos désirs, est la vie même. Infinie richesse si l’on y prend garde. Car la vie est toujours faite d’un minimum d’évidences, de choses que l’on tient pour acquises, et qui restent possibles.
Ces choses que nous tenons pour acquises et qui restent possibles tiennent des apprentissages les plus archaïques que nous faisons dès l’enfance : celui d’une langue que l’on parle, celui de la manière de se vêtir, de parler, d’échanger avec les autres, de faire communauté. Notre appui fondamental, c’est tout ce que l’on a appris à faire depuis l’enfance.
Ce que nous avons appris à faire depuis l’enfance, qu’il faut sur certains plans, à certains moments, remettre en question, constitue tout autant le sol solide sur lequel nous sommes posés. Encore faut-il, pour vivre de manière pleinement humaine, sans cesse trier entre ce que nous pouvons – voire que nous devons – garder et qui restera sol solide – et ce qu’il faut quitter, abandonner, changer.
À ce compte, vivre en acceptant l’idée que c’est la fin de la (seule) évidence, de la (seule) abondance, de la (seule) insouciance, c’est sans cesse remettre sur le métier de séparer le grain de l’ivraie. L’ivraie est faite de ce qu’il faut quitter. Le grain, de ce qu’il faut garder. Plus, qu’il faut aider à germer.
Cela demande du courage, de la détermination, de la lucidité, d’une aide qui s’appelle éducation. Nous avions simplement oublié de le faire. Depuis trente ans. Il est temps de s’y remettre tous ensemble, dûment aidés par celles et ceux qui ont déjà appris à le faire, ou qui l’ont jamais oublié de le faire.
Laurent Bibard, Professeur en management, titulaire de la chaire Edgar Morin de la complexité, ESSEC
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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Depuis l’effondrement du mur de Berlin, le monde a vécu dans la conviction qu’il n’y avait pas d’alternative au « technologisme » de notre temps. Flickr/Christopher Dombres
Lors du conseil des ministres du 24 août dernier, le président de la République Emanuel Macron a évoqué « la fin de l’abondance », « la fin de l’évidence » et « la fin de l’insouciance ». Ces propos ont suscité de vives indignations, bien évidemment en particulier de la part de ceux qui représentent les parties de la population les plus démunies.
Il y a en effet de quoi éprouver un sentiment de scandale voire de naïveté à une telle annonce : qui vit de nos jours dans l’abondance, dans l’insouciance, dans l’évidence, à part les classes sociales les plus riches, de plus en plus riches, et de moins en moins nombreuses (dans un contexte où disparaissent les classes moyennes) ?
Le propos du chef de l’État n’est cependant pas dénué de sens. Mais c’est au terme d’« évidence » plutôt qu’à ceux d’« abondance » et d’« insouciance » qu’il faut s’arrêter pour y réfléchir à deux fois.
Depuis l’effondrement du mur de Berlin, le monde a en effet vécu dans la conviction de plus en plus dominante qu’il n’y avait pas d’alternative au libéralisme, au capitalisme, au « technologisme » de notre temps. Et l’arrière-plan fondamental de cette présupposition est que nous – les humains – allions mettre sous contrôle la nature – humaine et non humaine. Et la mise sous contrôle, disons du monde entier, allait garantir notre sécurité et notre paix civiles.
Nous pourrions enfin jouir de tout dans l’insouciance et une abondance généralisée. Cela avait été annoncé par l’usage incantatoire qu’avait fait en son temps la première ministre britannique Margaret Thatcher de l’acronyme « TINA » : « il n’y a pas d’alternative » (« There Is No Alternative »). Un seul monde est viable, le monde libre du capitalisme libéral adossé aux sciences et aux technologies.
Or, nous n’avons pas fini de croire à ce monde-là. Malgré la crise du Covid-19, l’on ne cesse d’entendre que nous allons revenir à la « normale » – c’est-à-dire au monde d’« avant ». Au monde d’avant le Covid. Laquelle pandémie a été la seule à même de nous faire un peu lever le nez du guidon ou sortir la tête de dessous la terre.
Jusque-là, depuis 1989, le monde entier faisait l’autruche, malgré les crises gravissimes dont il était affecté. Les attentats du 11-Septembre et leurs suites, la crise financière de 2008, la catastrophe de Fukushima, et j’en passe. Non pas qu’une partie toujours insupportablement importante de la population mondiale ne souffrît pas de faim, de précarité, d’exil et de violences. Mais l’on continuait de faire « comme si » on allait mettre un terme à tout cela, en mettant tout sous contrôle et maîtriser.
Il a fallu les confinements pour que l’on se réveille de la torpeur post-guerre froide, mais nous persistons à rêver que le monde d’« avant » revienne sur scène, comme si de rien n’avait été.
Confronté à un été catastrophique sur le plan climatique, sur le fond de la guerre plus du tout froide imposée par la Russie à l’Ukraine, avec en arrière-plan la crise du Covid qui menace et menacera de reprendre à chaque changement de saison, le président Emmanuel Macron a sans doute raison d’attirer notre attention sur la fin peut-être pas de l’abondance, mais en tout cas de l’insouciance et des évidences.
Le monde n’est plus « évident ». Il ne se « dévide » plus comme si de rien n’était. Nous ne le tenons pas sous contrôle. Quoi qu’on en ait, notre paix et notre sécurité civiles ne sont pas garanties. On ne peut plus, on ne peut en rien les tenir pour acquises.
Cela a-t-il cependant jamais été le cas ? Les guerres et les crises se sont-elles vraiment arrêtées depuis l’effondrement du mur de Berlin ? Avons-nous lucidement vécu les quelques décennies passées ? Fascinés par les nouvelles technologies et les potentiels gigantesques qu’elles laissent imaginer, obnubilés par les start-up, frénétiquement accrochés au profit et à la surconsommation, souhaitant oublier que la mort est toujours le lot de notre humanité mortelle et potentiellement malade, avons-nous vraiment cultivé notre conscience du monde où nous vivons ? Il faut sans doute reconnaître que non.
Nous avons voulu faire comme si nous pouvions vivre dans l’insouciance, dans l’abondance, dans les évidences de notre monde. Y compris les classes sociales les plus démunies, dont le but principal est toujours, si l’on en croit les analyses les plus averties de la vie sociale et politique comme le sont celle d’un Alexis de Tocqueville, de se hausser au niveau de possessions, de richesse, d’abondance, des classes sociales les plus nanties. La pauvreté est toujours relative, au sens où manquer de ce dont les autres jouissent augmente significativement le sentiment de dénuement.
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Les affirmations de notre président ont quelque chose d’indéniable : l’évidence, ou les évidences, sur le fond desquelles nous vivions ou voulions vivre ne sont plus de mise. Il nous faut tout remettre sur le métier. Il nous faut interroger ce que nous voulons, pourquoi nous le voulons, comment nous le voulons.
Par exemple – et c’est symptomatique – faut-il vraiment vouloir un nouvel iPhone, la 5G, de nouveaux logiciels, qui ont pour condition de leur mise en œuvre la fabrication de nouveaux ordinateurs, téléphones, tablettes, etc, rendant les précédents caducs, et conduisant à l’épuisement des ressources comme les métaux rares ? Nous devons bien évidemment nous demander de manière générale vers quoi et pourquoi nous courons. C’est ça la mise en question des évidences, de l’insouciance, de l’abondance.
Pour bien l’entendre, il faut interpréter le propos d’Emmanuel Macron sur le plan fondamentalement humain de notre capacité à interroger le réel et à nous mettre en question. Or, nous savons toutes et tous interroger le réel et nous-mêmes. Nous savons toutes et tous faire un pas de côté. On pourrait dire que c’est même le propre de ce qui fait notre commune humanité. Voyons en quoi et à quoi cela nous engage au quotidien.
Depuis que nous nous sommes mis debout, nous humains, sommes faits à la fois d’une capacité et d’un désir de contrôle de notre monde à proportion de ce que la verticalisation a rendu possible : une vue au loin, une maîtrise de notre environnement, la prévention contre les prédateurs, l’identification de nos proies, etc. De l’autre côté, la position debout nous rend significativement plus vulnérables à la chute que lorsque nous vivions à quatre pattes.
La dynamique de la marche le signale clairement : marcher c’est commencer par tomber en avançant le pied, et rattraper le déséquilibre en reposant le pied au sol. La marche n’est pas seulement une image utile. Elle est à la fois une métaphore et la réalité de nos vies lorsque nous vivons des vies véritablement humaines. Se tenir debout sur un sol stable symbolise parfaitement le fait d’être posé sur des évidences que nous n’interrogeons pas.
Insouciance et abondance.
Elles sont ce que l’on tient pour acquis, à partir de quoi nous pouvons nous élancer vers des tas d’autres choses – à partir de quoi nous levons le pied pour aller « ailleurs ». Le problème est que nous avons une sérieuse tendance à rester immobiles sur le sol stable sur lequel nous sommes posés, dans nos « zones de confort ». Tous les humains, président ou pas.
Depuis 1989, notre sol stable était symbolisable par l’acronyme « TINA ». Aucun autre monde n’était possible ni même imaginable. Voilà qu’au travers de crises aussi radicales et graves que celle du Covid-19, du climat, et des guerres, nous sommes mis en demeure de nous mettre à marcher. À lever le pied de nos évidences.
Nous l’avons suggéré plus haut : l’abondance (relative), l’insouciance et les évidences tiennent du même registre. Être posé sur des évidences que l’on n’interroge jamais, c’est à proprement parler de l’insouciance. C’est n’avoir en vue que de jouir de l’abondance qui nous est accessible, quelle que soit la classe sociale à laquelle on appartient. Alors que notre humanité est faite d’une tension constitutive entre évidence – se tenir debout immobile sur un sol solide et stable – et mise en question – ou élan vers autre chose toujours d’abord inconnu. Marcher, c’est d’abord prendre le risque de tomber dans l’inconnu.
Si elle est entière, notre humanité est faite à la fois d’évidences, de désirs d’abondance et d’insouciance, et de mises en question du réel, de pauvreté, de « souci ». Et vouloir n’être que l’un – qu’évidences, abondance (encore une fois, toujours strictement relative) insouciance – ou n’être que dans l’autre – n’être que dans le doute, la pauvreté, le souci – nous déshumanise ou nous rend fou.
Nous étions en train de nous déshumaniser depuis « TINA ». Il ne s’agit en aucun cas de se réjouir de la situation dramatique actuelle. Mais si cette situation est propre à nous faire sortir nos têtes de sous la terre, c’est une chance pour notre humanité. Se tenir immobile debout sur un sol solide dont on ne démord jamais tient de la plus grande bêtise voire de la plus profonde brutalité.
Comme le dit le dicton, « il n’y a que les c… qui ne changent jamais d’avis ». Gardons cependant clairement à l’esprit que si le monde n’est que mise en doute, qu’interrogations, que soucis, que pauvreté ou manque, ce n’est plus un « monde ». Cela devient, comme le dit si clairement le mot, « immonde ». C’est le chaos et c’est invivable.
Comment faire alors ? Comment vivre dans une crise permanente ? Cela revient à ne faire que tomber, à ne plus avoir de sol. C’est à proprement parler invivable.
La bonne nouvelle est que tant qu’on n’est pas mort, on a toujours un sol. Le sol minimum que nous ne voyons pas parce que nous sommes posés dessus, le plus souvent exclusivement poussés par nos envies et nos désirs, est la vie même. Infinie richesse si l’on y prend garde. Car la vie est toujours faite d’un minimum d’évidences, de choses que l’on tient pour acquises, et qui restent possibles.
Ces choses que nous tenons pour acquises et qui restent possibles tiennent des apprentissages les plus archaïques que nous faisons dès l’enfance : celui d’une langue que l’on parle, celui de la manière de se vêtir, de parler, d’échanger avec les autres, de faire communauté. Notre appui fondamental, c’est tout ce que l’on a appris à faire depuis l’enfance.
Ce que nous avons appris à faire depuis l’enfance, qu’il faut sur certains plans, à certains moments, remettre en question, constitue tout autant le sol solide sur lequel nous sommes posés. Encore faut-il, pour vivre de manière pleinement humaine, sans cesse trier entre ce que nous pouvons – voire que nous devons – garder et qui restera sol solide – et ce qu’il faut quitter, abandonner, changer.
À ce compte, vivre en acceptant l’idée que c’est la fin de la (seule) évidence, de la (seule) abondance, de la (seule) insouciance, c’est sans cesse remettre sur le métier de séparer le grain de l’ivraie. L’ivraie est faite de ce qu’il faut quitter. Le grain, de ce qu’il faut garder. Plus, qu’il faut aider à germer.
Cela demande du courage, de la détermination, de la lucidité, d’une aide qui s’appelle éducation. Nous avions simplement oublié de le faire. Depuis trente ans. Il est temps de s’y remettre tous ensemble, dûment aidés par celles et ceux qui ont déjà appris à le faire, ou qui l’ont jamais oublié de le faire.
Laurent Bibard, Professeur en management, titulaire de la chaire Edgar Morin de la complexité, ESSEC
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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Il est maintenant possible de promener son avatar au Metaverse Festival. Duncan Rawlinson / FlickR, CC BY-SA
Alerte ! Depuis janvier, les prix de l’immobilier sont en chute de 85 %. Les acheteurs qui – comme le rappeur Snoop Dog – se pressaient hier pour acquérir des propriétés en vue, se sont envolés. La crise, liée aux fluctuations des cryptomonnaies, ne touche pas New York, Paris ou aucune autre ville, mais un espace virtuel, The Sandbox.
Ce monde en ligne, où marques et célébrités se pressent, fait partie d’un nouvel univers en gestation. Le métavers promet d’ajouter une troisième dimension à l’Internet. Certains y voient un cauchemar dystopique. D’autres imaginent un futur paradis entrepreneurial, à la source d’une nouvelle révolution industrielle. Mark Zuckerberg figure parmi les plus enthousiastes : Facebook, l’entreprise qu’il dirige, a entamé sa mue en Meta l’an passé et se voit en leader du secteur. À ce stade, l’économie de ce « méta-univers » en construction reste cependant davantage une promesse qu’une réalité.
La galaxie Meta/Facebook n’est qu’une composante de ce que pourrait devenir cet univers virtuel. Google et Microsoft, entre autres, y ont annoncé des plans d’investissement massifs. Il se murmure qu’Apple aurait aussi des projets dans ce domaine.
Les développeurs de jeux vidéo n’ont, eux, pas attendu les géants du secteur technologique : Roblox, Decentraland et Epic Games (le studio qui développe Fortnite) proposent déjà des mondes virtuels comparables à The Sandbox, où l’on peut se retrouver, créer, jouer, assister à un concert et, demain peut-être, travailler, collaborer et s’instruire. Ils s’appuient sur des « équipementiers », comme Nvidia et Unity Software, qui en développent l’infrastructure technique, matérielle et logicielle.
Mais qu’est-ce que le métavers ? Faute d’une définition qui fasse référence, on peut tenter d’en esquisser a minima les contours. Le métavers offre à ses utilisateurs une expérience incarnée, en temps réel, dans des mondes virtuels persistants en trois dimensions. Chacun de ces mondes accueille des visiteurs, habituellement représentés sous la forme d’avatars qui peuvent interagir avec d’autres participants et des intelligences artificielles.
La nature de ces mondes permet l’émergence de droits de propriété, sécurisés par des protocoles de chaînes de blocs (blockchain). On peut ainsi y acheter des objets, comme des vêtements de marques pour habiller ses avatars, des terrains pour y construire des habitations et des œuvres d’art pour les décorer. Des bureaux et espaces commerciaux y sont déjà ouverts. Les grandes marques y expérimentent de nouvelles offres. Certains estiment que ces nouveaux territoires, aussi vierges que virtuels, pourraient à terme donner naissance à une nouvelle économie dont les revenus se chiffreraient en trillions d’euros.
Il est encore trop tôt pour accorder du crédit à ces estimations : l’économie du métavers n’a guère dépassé le stade du prototype. Le potentiel est néanmoins suffisant pour attiser toutes les convoitises. À commencer par les acteurs du capital-risque qui ont investi en 2021 plus de 10 milliards de dollars dans des entreprises du secteur.
Ce projet démiurgique suscite en effet les espoirs entrepreneuriaux les plus fous et fascine les technophiles. Les amateurs de science-fiction se souviennent toutefois que le terme « metaverse » est né en 1992 de la plume de Neal Stephenson dans un roman d’anticipation dystopique, Snow Crash. Nombreux sont ceux qui expriment la crainte de potentielles dérives et addictions. Alors qu’Internet a été pensé dès l’origine comme un réseau ouvert, le métavers émerge aujourd’hui sous la forme de mondes propriétaires qui s’autorégulent. Les modes de gouvernance de ces nouveaux espaces d’interactions sociales et d’échanges économiques restent à définir.
Il incombe aux architectes du métavers de démontrer son utilité. La tâche est d’autant plus délicate que l’expérience demeure aujourd’hui inaccessible au plus grand nombre. Il faut aujourd’hui, pour faire ses premiers « pas » dans le métavers, un casque de réalité virtuelle, aussi coûteux qu’encombrant. Un Meta Quest 2, le leader actuel du marché, coûte à ce jour autour de 450 euros. Un obstacle pratique et financier considérable pour le consommateur moyen.
D’autres pistes sont cependant explorées, comme l’interaction holographique (voir, par exemple, le projet Starline de Google). Demain, d’autres interfaces permettront peut-être d’accéder au métavers. Souvenons-nous qu’Internet a pris une autre dimension quand les écrans tactiles des smartphones ont supplanté les souris et les claviers.
Autre obstacle de taille, les quelques mondes virtuels accessibles à ce jour sont hermétiquement clos. Un avatar Meta ne peut voyager chez Roblox – et vice versa. Pour émerger, un métavers unifié requiert une forme d’interopérabilité entre les galaxies qui le composent. L’enjeu est majeur : une paire de Nike en pixels a une tout autre valeur si votre avatar peut l’emporter d’un monde virtuel à l’autre. Nul ne sait exactement comment cela pourrait se matérialiser mais les discussions visant à définir les standards du métavers ont commencé.
À l’échelle mondiale, c’est ainsi une course à l’innovation tous azimuts qui est lancée. Malmenée par les marchés financiers, l’industrie technologique a trouvé dans le métavers un nouveau narratif de croissance. Dans les grandes entreprises, les stratèges sont sur le qui-vive, à l’affût d’opportunités nouvelles mais aussi de potentielles innovations de rupture qui pourraient bouleverser leurs métiers.
Les plus audacieux ont d’ores et déjà commencé l’exploration, participant de fait à la construction du métavers. De grands noms comme Adidas, Carrefour, Gucci et Samsung ont ainsi annoncé avoir acquis des espaces dans The Sandbox. Pour ces pionniers, l’aventure promet d’être aussi excitante qu’incertaine.
Julien Jourdan, Professeur Associé, HEC Paris Business School
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.