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Selon l’Insee, le bouclier tarifaire a permis une réduction de l’inflation d’environ un point entre février 2021 et février 2022. Alexandr Podvalny/Pixabay, CC BY-SA

Pouvoir d’achat : le bouclier tarifaire, un soutien de 100 euros par trimestre

Selon l’Insee, le bouclier tarifaire a permis une réduction de l’inflation d’environ un point entre février 2021 et février 2022. Alexandr Podvalny/Pixabay, CC BY-SA
François Langot, Le Mans Université

La forte reprise amorcée à la fin de la crise sanitaire a été stoppée par la guerre en Ukraine. L’arrêt des importations en provenance de Russie et d’Ukraine créée un risque de stagflation, c’est-à-dire un moment de faible de croissance accompagné d’une forte inflation.

Ce contexte nourrit les préoccupations de recul du pouvoir d’achat. Alors que les prix de vente augmentent, une activité au ralenti ne peut générer que de faibles progressions de revenu, rendant donc les fins de mois plus difficiles. Ces problèmes touchant tous les pays du monde, les baisses de pouvoir d’achat seraient alors partagées par tous.

Toutefois, les chiffres montrent que certains pays résistent mieux que d’autres. C’est en particulier de cas de la France.

Avant l’invasion russe de l’Ukraine, les prévisions de croissance française étaient de 4 % pour 2022 et 2 % pour 2023 ; selon la Banque de France, elles pourraient chuter à 2,8 % pour 2022 et 1,3 % pour 2023. Du côté de l’inflation, le scénario s’inverse : les prévisions étaient de 1,2 % pour 2022 et 2023, elles seraient maintenant de 4 % et 2,5 % pour 2022 et 2023 (prix à la production mesurés pas le déflateur du PIB). Cette dégradation de la situation en France contraste avec ce que l’on observe ailleurs.

En Allemagne, selon les chiffres de la Banque centrale allemande (Bundesbank), la prévision de croissance pour 2022 passe de 4,9 % à 1,9 % et celle de l’inflation passerait de 3,6 % à 7,1 % (indice des prix à la consommation). Aux États-Unis pour l’année 2022, les prévisions de croissance ont été révisées de 3,7 % à 2,5 %, alors que les dernières prévisions de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) feraient passer l’inflation de 4,6 % à 5,9 %.

Le choc économique étant lié à la forte hausse des prix de l’énergie, la meilleure résilience de l’économie française peut s’expliquer, en partie, par le bouclier tarifaire mis en place en octobre 2021 par le gouvernement français.

Un point d’inflation en moins

Ce bouclier tarifaire fige les tarifs réglementés de vente du gaz à leur niveau d’octobre 2021 et limite à 4 % la revalorisation de ceux de l’électricité de février 2022. Ces tarifs réglementés concernent près de 70 % de la consommation d’électricité des ménages et 30 % de celle de gaz. La Commission de régulation de l’énergie (CRE) a calculé que, sans le bouclier tarifaire, les prix auraient progressé de 66,5 % entre octobre 2021 et février 2022. Quant à ceux de l’électricité, ils auraient augmenté de 35,4 % le 1er février 2022.

Face à l’envol des prix de l’énergie, l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) indique que l’inflation aurait été de 5,1 % entre février 2021 et février 2022 « sans bouclier tarifaire », alors qu’elle n’a été que de 3,6 % dans les faits, soit 1,5 point d’inflation en moins grâce au bouclier tarifaire. Si le gouvernement, comme il l’a annoncé, étend sur l’année 2022 ce bouclier, alors nous pouvons anticiper, en restant mesurés, une réduction d’un point de l’inflation sur l’année à venir.

Inflation contrefactuelle estimée sans bouclier tarifaire et inflation d’ensemble finalement observée

Inflation en glissement annuel, en %, contributions en points. Lecture : sans mesures limitant les hausses des prix énergétiques, l’inflation d’ensemble aurait été de 5,1 % sur un an en février, contre 3,6 % observé en réalité. L’énergie aurait contribué à hauteur de 3,2 points à cette inflation contrefactuelle, contre 1,6 point dans l’inflation réalisée. Insee (mars 2022)

Pour évaluer l’impact de la hausse des prix de l’énergie sur le pouvoir d’achat des Français, nous sommes partis de prévisions de prix du baril de pétrole pour les années 2022 à 2024. Le pétrole est généralement retenu comme indicateur du prix des énergies, les contrats de vente de gaz incluant des clauses d’indexation sur le cours du baril de pétrole, le prix de l’électricité étant quant à lui fortement dépendant de celui du gaz.

Trois scénarios sont comparés afin d’apprécier l’effet de la hausse des prix de l’énergie et d’évaluer l’impact du bouclier tarifaire :

  • le premier retrace l’évolution de l’économie française avec un prix du pétrole se stabilisant 98 % de son prix du quatrième trimestre 2019, qui correspond aux prévisions économiques avant l’invasion russe de l’Ukraine ;

  • le second intègre un doublement du prix du baril à l’horizon du premier trimestre 2024 ;

  • et un troisième où le doublement des prix de l’énergie est partiellement amorti par le bouclier tarifaire. Ce dernier scénario est calibré pour que l’inflation soit réduite de 1 point de pourcentage par rapport au scénario sans bouclier tarifaire.

Bien entendu, face à ces très fortes hausses des prix des produits énergétiques, les entreprises adaptent leurs politiques tarifaires pour ne pas perdre trop de clients. Les baisses de marges estimées sont de 12 points de pourcentage en moyenne entre fin 2021 et début 2024.

Un point de PIB par tête en plus

Avec ces ajustements de marge, les prédictions d’inflation sont en accord avec celles de la Banque de France jusqu’au premier trimestre 2024, soit 4 % par an en moyenne sur ces deux années à venir, ce qui est beaucoup plus élevé que ce qui était prévu avant l’invasion russe de l’Ukraine (2,5 % par an en moyenne). Sans le bouclier tarifaire, le taux d’inflation aurait été de 5 % par an. À court terme, cette inflation réduit la demande et donc la production.

Nos estimations indiquent que la France perdra chaque trimestre, entre début 2022 et début 2024, une richesse de l’ordre de 1,6 % du PIB par habitant par rapport à fin 2019. Ceci représente une perte de 221 euros par trimestre et par habitant. Sans bouclier tarifaire, les baisses de pouvoir d’achat étant plus importantes, la perte trimestrielle serait de 2,5 %, soit 345 euros par trimestre et par habitant. C’est donc 1 point de PIB par tête qui est gagné grâce au bouclier tarifaire, soit plus de 220 euros par trimestre.

Toutefois, la production totale qui représente l’ensemble des revenus, qu’ils soient issus du travail ou des placements financiers, peut sembler être un mauvais indicateur du pouvoir d’achat, le plus souvent entendu comme une mesure de la capacité de consommation des salariés. Il est alors préférable de mesurer les gains de pouvoir d’achat en se limitant aux variations des revenus du travail.

Sans bouclier tarifaire, la réduction des revenus du travail aurait été de 2,1 % par trimestre par rapport à ceux de fin 2019, soit 148 euros par trimestre et par personne. Le bouclier tarifaire permet de limiter ces pertes à 0,6 %, soit 42 euros par trimestre. Ce sont donc un peu plus de 100 euros par trimestre de pouvoir d’achat qui sont gagnés grâce au bouclier tarifaire.

François Langot, Professeur d'économie, Chercheur à l'Observatoire Macro du CEPREMAP, Le Mans Université

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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À quel prix devriez-vous acheter vos vins ? Demandez à l'algorithme !

Philippe Masset, Haute école spécialisée de Suisse occidentale (HES-SO); Jean-Marie Cardebat, Université de Bordeaux et Jean-Philippe Weisskopf, Haute école spécialisée de Suisse occidentale (HES-SO)

Tous les ans, entre avril et juin, Bordeaux entre en effervescence. C’est la campagne des Primeurs. Ce moment où les vins, encore en élevage dans leurs fûts de chêne, sont goûtés par les professionnels, les journalistes et les grands experts. Tous pourront se faire une opinion sur la qualité des vins présentés.

Les grands experts donneront des notes pour chaque château, tandis que les châteaux annonceront les prix en primeur de leurs vins. Ce prix auquel les négociants pourront immédiatement acheter les vins et les revendre dans la foulée aux professionnels comme aux particuliers. La livraison effective des vins n’aura lieu que l’année suivante, lorsque le vin aura terminé son élevage et aura été mis en bouteille.

Lorsque les premiers prix « sortent », une grande fébrilité s’empare de la filière. Quelle va être la tendance du marché ? Quel château va se montrer raisonnable ou, au contraire, déraisonnable en augmentant fortement ses prix au risque de mal vendre ses vins ? Quelles sont les « bonnes affaires » ?

La sortie des prix primeurs est commentée abondamment sur toute la planète vin. Les acheteurs et les vendeurs s’entendent finalement rarement sur la notion de juste prix.

C’est ici que les économistes interviennent.

Définir le « juste prix »

La notion de « juste prix » est une des plus anciennes questions économiques. Introduite par Aristote, développée par Saint-Thomas d’Aquin, elle sera au centre des ouvrages économiques d’Adam Smith, de David Ricardo et de biens d’autres encore. En dehors de sa dimension morale, elle renvoie à un prix qui reflète les déterminants économiques fondamentaux et qui, par définition, ne doit être ni sur ni sous-évalué, ne lésant ainsi ni l’acheteur, ni le vendeur.

Décomposer le prix d’un vin en fonction de l’ensemble de ses caractéristiques, tout en prenant en compte les cycles du marché et les déterminants économiques de la demande, permet d’évaluer précisément le juste prix d’un vin. Ce juste prix est donc issu de facteurs idiosyncratiques et de facteurs communs influençant le marché du vin.

Dans une étude à paraître, nous nous sommes livrés à cet exercice. Nous avons cherché à estimer le « juste prix » des primeurs bordelais de ce printemps 2022 sur la base de la dynamique des prix depuis le milieu des années 2000 sur le marché secondaire, sur lequel s’organise la revente des bouteilles, les variables économiques influençant la demande. Partant du fait que les marchés primaires et secondaires sont forcément reliés, nous avons construit un modèle d’estimation du prix des vins sur le marché secondaire que nous appliquons ensuite aux vins sortant sur le marché primeur.

Ainsi, le prix d’un vin va dépendre de sa réputation (la prime liée à la marque telle que repérée sur le marché secondaire), de son âge (un an de plus/moins donne un prix plus élevé/moins élevé de 3 %), de la qualité du millésime (repérée par les grands experts) et de la qualité intrinsèque du vin (issue des grands experts également sous la forme de notes). Ce modèle a un pouvoir explicatif très fort avec 98 % de la variance des prix expliqués.

Appliqué aux primeurs, il fonctionne très bien. Les premières sorties révèlent que la plupart des châteaux (au moment où nous écrivons) sortent à un prix conforme à leurs fondamentaux issus du modèle. À titre d’exemples, le célèbre château Cheval Blanc a été lancé au prix de 390 euros quand le modèle donnait un prix fondamental de 384 euros ; le cinquième cru classé 1855 de Médoc, Château Cantemerle, est sorti à 18 euros pour un prix fondamental de 18,90 euros. En moyenne, le taux de divergence entre le modèle et les dix premières sorties est de 2,27 %.

Trois châteaux seulement s’écartent significativement de leur prix fondamental (en les excluant, le taux de divergence du modèle passe à 0,41 %), à la hausse comme à la baisse. Cette différence peut s’expliquer par des stratégies commerciales particulières avec des arbitrages opposés entre la création de valeur liée à un prix élevé et l’écoulement rapide des volumes lié à un prix mesuré. Cet écart peut aussi s’expliquer par une lecture particulière de l’évolution à venir du marché ou encore une volonté de positionnement différent du vin (volonté de montée en gamme par exemple).

Bientôt des sommeliers virtuels ?

Mais l’enjeu est ailleurs. Pour intéressante que soit l’étude des prix des primeurs bordelais, c’est l’extension de cette étude aux vins « grand public » disponibles dans les canaux de distribution standards qui pourrait impacter le marché de masse (mass market).

Au regard de l’ampleur des bases de données disponibles sur le web concernant le vin, cette méthodologie peut en effet être étendue à des dizaines de milliers d’autres vins. Rappelons que la seule application Vivino revendique plus de 50 millions d’utilisateurs et compile de l’information (y compris des notes sur les vins données par les utilisateurs) pour, justement, plusieurs dizaines de milliers de vins. Modéliser le juste prix de ces vins apparaît donc possible, toute l’information étant disponible.

Un chercheur australien a d’ailleurs déjà créé un petit algorithme permettant de sortir le « juste » prix d’un vin en fonction des caractéristiques rentrées par l’utilisateur.

Nul doute que de nouveaux algorithmes, plus performants et, surtout, brassant beaucoup plus de vins, vont fleurir. Le développement des notes et des commentaires issus des consommateurs eux-mêmes sur les applications dédiés aux vins enrichira en données ces algorithmes qui délivreront des prix « fondamentaux » ou « juste prix » pour éclairer les consommateurs dans leurs choix.

De la même façon que l’intelligence artificielle est largement utilisée dans le conseil pour le choix des vins (en fonction de vos, goûts, de vos achats précédents, de ce que vous aimez manger, etc.), les sommeliers virtuels seront certainement capables très bientôt de vous dire à quel prix acheter un vin.

Devant un rayonnage, il vous suffira sans doute de scanner des prix et des bouteilles pour que le sommelier virtuel vous dise si vous faites une affaire ou s’il vaut mieux passer son chemin.

Cet outil d’aide à la décision, amené à se développer, conduira à une meilleure efficience du marché en réduisant l’asymétrie d’information qui pèse sur le consommateur confronté à un choix délicat face à des centaines de vins. On ne peut que s’en réjouir.


L’abus d’alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération. L’alcool ne doit pas être consommé par des femmes enceintes.

Philippe Masset, Professeur associé, Haute école spécialisée de Suisse occidentale (HES-SO); Jean-Marie Cardebat, Professeur d'économie à l'Université de Bordeaux et Prof. affilié à l'INSEEC Grande Ecole, Université de Bordeaux et Jean-Philippe Weisskopf, Associate Professor of Finance, École hôtelière de Lausanne, Haute école spécialisée de Suisse occidentale (HES-SO)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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RSA : le non-recours à l’allocation, un problème bien plus important que la fraude

Le RSA constituait en 2020 un socle de revenus pour 2,1 millions de foyers. ArnoD27/Wikimedia commons, CC BY-SA
Yannick L’Horty, Université Gustave Eiffel; Rémi Le Gall, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC) et Sylvain Chareyron, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)

Au printemps 2022, le président candidat Emmanuel Macron créait la polémique en proposant de réformer les droits et devoirs des allocataires du revenu de solidarité active (RSA). Le chef de l’État, réélu depuis, avait souhaité instaurer une « obligation de travailler quinze à vingt heures par semaine » afin de favoriser leur insertion professionnelle.

Pour les uns, il est indécent d’alourdir la culpabilité des victimes de la crise. Menacées par la pauvreté, elles doivent faire face plus que toute autre au recul de leur pouvoir d’achat et il faut les soutenir par des aides automatiques et inconditionnelles. Pour les autres, l’accès à l’emploi doit être prioritaire et il importe de réformer le volet non monétaire du RSA, de renforcer l’accompagnement et aussi les contrôles…

Emmanuel Macron propose une réforme du RSA avec « 15 à 20 heures » d’activité hebdomadaire (Public Sénat, 17 mars 2022).

Ce débat comporte incontestablement une dimension idéologique, voire même politicienne. Il s’agit pourtant d’un sujet important, à la fois du point de vue de la recherche et de celui des politiques publiques.

Suspicion montante

Comme l’a rappelé en début d’année le rapport de la Cour des comptes, le nombre d’allocataires progresse de façon irrésistible d’année en année depuis la mise en place du RSA en 2009, comme le faisait déjà celui des bénéficiaires du revenu minimum d’insertion (RMI) qu’il a remplacé (voir le graphique). La crise sanitaire a ajouté à la série temporelle une bosse, aujourd’hui en voie de résorption, mais la tendance est toujours là, parallèle à celle de la progression de la durée du chômage. Si cette tendance n’est pas soutenable, ce n’est principalement pas sur un plan budgétaire.

Le RSA constituait en 2020 un socle de revenus pour 2,1 millions de foyers, soit plus de 4 millions de personnes avec les conjoints et les enfants à charge, pour une dépense publique annuelle de 15 milliards d’euros en ajoutant la prime d’activité et l’accompagnement, soit moins de trois quarts de point de PIB. Son montant moyen avoisine les 7000 euros par an et par ménage bénéficiaire, ce qui en fait l’une des aides publiques les moins coûteuses par rapport à son impact social.

En parallèle de la hausse du nombre de bénéficiaires, le regard de l’opinion publique a évolué vis-à-vis des minima sociaux. De multiples indices convergents confirment notamment la suspicion croissante envers les bénéficiaires des aides sociales.

Une enquête du Crédoc publiée en 2018 indiquait ainsi qu’une grande majorité de Français souscrit à l’idée selon laquelle les Caisse d’allocations familiales (Caf) ne contrôlent pas suffisamment les situations des allocataires. Ils étaient plus de 80 % en 2018 à partager ce sentiment, contre 64 % vingt ans plus tôt.

Selon une enquête plus récente de l’Unédic, une majorité de Français estime que les demandeurs d’emploi ont des difficultés à trouver du travail car ils ne font pas de concession dans leur recherche d’emploi. De plus, pour 55 % des sondés, les chômeurs ne travaillent pas parce qu’ils risqueraient de perdre leur allocation chômage.

Comment les Français perçoivent le chômage et les chômeurs ? (unedictv, février 2022).

Enfin, les politistes Vincent Dubois et Marion Lieutaud ont étudié les occurrences sur la fraude sociale en exploitant un corpus de 1 108 questions parlementaires posées entre 1986 et 2017. De rares, voire inexistantes au début de la période, elles ont progressivement augmenté jusqu’à devenir une thématique à part entière du débat politique. Leur formulation révèle un durcissement progressif des prises de position, plus particulièrement à l’égard des fractions les plus démunies de l’espace social, et un affaiblissement concomitant des discours critiques à l’égard de telles tendances.

La fraude reste l’exception

Le contraste apparaît donc très net entre ce sentiment montant et les résultats des actions de contrôle opérées par les institutions en charge du suivi des bénéficiaires. Ces derniers montrent que les fraudes sont concentrées sur une très petite minorité de bénéficiaires et qu’elles sont surtout le fait de certains réseaux organisés. Selon la Cour des comptes, le montant cumulé des aides indues représenterait 3,2 % des prestations sociales. Des cas existent et ils sont largement relayés par les médias, mais ils forment toujours l’exception. S’il importe de lutter contre ces délits, le rôle de la puissance publique n’est pas d’entretenir le climat de suspicion qui prévaut à l’encontre de la très grande majorité des allocataires respectant les règles.

En complet contre-pied, la recherche en sciences sociales sur le RSA montre au contraire que le fait dominant est celui de la permanence et de la généralité d’un non-recours massif aux prestations sociales destinées à soutenir les ménages à bas revenus. Ainsi, une part importante des ménages ayant droits aux aides sociales n’en bénéficient pas, en réalité. Cela provient principalement d’une absence de demande de leur part.

Les raisons sont multiples mais font intervenir des difficultés à effectuer les démarches administratives et la stigmatisation qu’entraîne la demande de l’aide : en 2018, un tiers des foyers éligibles au RSA sont ainsi en situation de non-recours chaque trimestre ; 1 foyer sur 5 est en situation de non-recours pérenne toute l’année. Le non-recours touche, par ailleurs, les populations les plus vulnérables du public ciblé comme les personnes sans domicile fixe.

Des contrôles aux effets inattendus

La suspicion croissante envers les allocataires a cependant conduit à une intensification de leur surveillance et à l’encadrement de leurs démarches d’insertion professionnelle et sociale. En contrepartie de leurs droits, les allocataires ont des devoirs qui se matérialisent par différentes étapes, comme la signature d’un contrat d’engagement ou d’un projet personnalisé, puis la participation à des démarches d’insertion (sociale ou professionnelle). La participation à ces démarches reste cependant elle-même faible pour des raisons qui tiennent en partie aux difficultés rencontrées par les départements pour organiser l’accompagnement de façon satisfaisante.

Pour augmenter la participation, certains départements ont modifié leur politique d’action sociale. Une expérience contrôlée a ainsi été mise en œuvre en Seine-et-Marne. Celle-ci consistait à faire varier le contenu des courriers invitant les allocataires à s’inscrire dans l’accompagnement. La simplification des courriers et l’ajout d’éléments incitatifs n’a cependant pas permis d’augmenter substantiellement la participation aux démarches d’insertion.

Un autre département a fait le choix d’une action plus coercitive consistant à contrôler la situation de l’ensemble des allocataires et à envoyer un message d’avertissement, suivi d’une sanction sous forme de réduction de l’allocation si la situation ne change pas. Ces courriers d’avertissement ont fortement augmenté la participation aux premières étapes du parcours d’insertion. Mais ces notifications ont également accru les sorties du RSA.

L’étude ne permet pas d’identifier si les sorties vont vers l’emploi ou si elles correspondent à un arrêt de la perception de l’allocation par des individus toujours éligibles. Cependant, il apparaît vraisemblable que ces contrôles découragent les allocataires et accroissent leur non-recours. Une plus grande intensité de contrôle augmente les coûts supportés par les allocataires pour accéder à l’allocation, ce qui peut les conduire à renoncer à l’allocation et à leurs démarches d’insertion, soit l’exact inverse de l’objectif poursuivi.

L’épidémie de Covid-19 a rappelé avec force la résilience du modèle de protection sociale français, en capacité de faire face à une crise économique et sociale de très grande ampleur. La crise sanitaire a montré que les risques de perdre son emploi et de tomber dans la pauvreté concernent l’ensemble de la population et qu’il est nécessaire de disposer d’un mécanisme d’assurance et d’assistance collective. Dans le débat actuel, ce n’est pas seulement le volet monétaire qu’il faut réformer, mais plutôt la manière dont l’accompagnement se déploie et les moyens qui lui sont alloués pour mieux résorber les vulnérabilités sociales.

Yannick L’Horty, Économiste, professeur des universités, Université Gustave Eiffel; Rémi Le Gall, Chercheur (post-doctorat), Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC) et Sylvain Chareyron, Maître de conférences en Sciences économiques, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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En 2020, le marché du vrac pesait environ 1,3 milliard d’euros, contre 100 millions en 2013. Fourni par l'auteur

Le passage à la vente en vrac oblige les distributeurs à revoir leurs pratiques

En 2020, le marché du vrac pesait environ 1,3 milliard d’euros, contre 100 millions en 2013. Fourni par l'auteur
Fanny Reniou, Université de Rennes 1; Elisa Monnot, CY Cergy Paris Université; Lucie Sirieix, Montpellier SupAgro et Maud Daniel-Chever, Université de Rennes 1

D’ici 2030, les magasins de plus de 400m2 devront consacrer « au moins 20 % de leur surface de vente de produits de grande consommation… à la vente de produits présentés sans emballage primaire » pour se mettre en conformité avec l’article 11 du projet de loi Climat et résilience. Cette loi vise à accélérer la vente en vrac, c’est-à-dire « la vente de produits présentés sans emballage, en quantité choisie par le consommateur, dans des contenants réemployables ou réutilisables », comme le définit le code de la consommation.

Avec un chiffre d’affaires en France de 1,3 milliard d’euros en 2020 contre 100 millions en 2013, le marché du vrac a gagné du terrain, c’est indéniable. Ceci est la preuve d’un engouement fort des consommateurs qui voient dans le vrac un moyen de faire des économies et un geste pour l’environnement. En effet, l’une des raisons majeures pour les consommateurs de se mettre au vrac est de limiter la génération de déchets.

Pour autant, malgré cet engouement constaté, de nombreux freins limitent encore le développement du vrac. Ils sont nombreux, bien connus et relayés dans les médias et observatoires qui s’intéressent au sujet : la non-accessibilité des produits, l’organisation logistique qu’il faut mettre en place (prévoir des sachets, apporter des bocaux, y penser), le prix (l’impression de ne pas le maîtriser) ou encore la perception d’un manque d’hygiène.

Évolution du nombre d’ouvertures de commerces spécialisés dans la vente en vrac. Reseauvrac.org

Problème majeur : ces réticences ont été exacerbées avec la crise sanitaire. Cette dernière n’a en effet pas épargné le secteur de la vente en vrac, qui, étant pourtant passé d’une vingtaine de magasins proposant du vrac en 2015 à environ 900 aujourd’hui, a vu ses consommateurs s’en détourner et des magasins fermer ces derniers temps.

Dans ce contexte, comment les distributeurs de vrac, qui peinent encore à convertir et fidéliser les consommateurs, doivent-ils adapter leurs pratiques afin de développer ce mode de consommation ? C’est la question à laquelle nous avons cherché à répondre dans un récent article de recherche.

Matériel adapté, compétences renouvelées

Les évolutions législatives citées plus haut impactent inévitablement les grands distributeurs. En effet, la vente en vrac est radicalement différente de la vente des produits emballés, et ce à bien des égards. Il faut revoir la manière de stocker les produits et de les présenter en rayon, la manière de diffuser les informations aux clients, celles-ci ayant disparu en même temps que l’emballage ; il faut adapter la relation client car ce sont eux qui se servent et font la pesée.

Ces exemples de pratiques renvoient à ce que l’on nomme traditionnellement le « retailing mix », c’est-à-dire la combinaison des facteurs que les distributeurs utilisent pour satisfaire les besoins des consommateurs et qui influencent leurs décisions d’achat. Elle comprend le mix produits-services, incluant l’assortiment et le prix, le mix distribution physique, comprenant l’aménagement du point de vente et le merchandising et, enfin, le mix communication, regroupant les publicités et promotions mais également le rôle du personnel de vente. Dans le vrac, le retailing mix, tel qu’appliqué traditionnellement, doit ainsi inéluctablement être adapté.

Le code de la consommation définit le vrac comme « la vente de produits présentés sans emballage, en quantité choisie par le consommateur, dans des contenants réemployables ou réutilisables ». Fourni par l'auteur

Dans la recherche que nous avons menée, visant à questionner l’adaptation de ce retailing mix, nous avons eu recours à plusieurs collectes de données – entretiens avec des distributeurs (responsables de rayons, gérants de magasins proposant du vrac), observations en magasin et prises de photographies, revue de presse – pour comprendre les pratiques aujourd’hui mises en place par les distributeurs pour s’adapter.

Nous avons analysé les données recueillies à la lumière des théories des pratiques sociales, c’est-à-dire en nous focalisant sur ce qui constitue les « pratiques » de vrac : les matériels nécessaires, les compétences mobilisées et les significations associées. Cette analyse conduit à la proposition d’un retailing mix adapté au cas du vrac et, ainsi, à formuler des recommandations managériales pour faciliter la distribution en vrac, notamment pour guider les managers dans l’adaptation de leur mix produits/services, distribution et communication.

Concernant le mix produits/services, c’est le triptyque matériel « produit/emballage/prix » qui est au cœur des adaptations. La vente en vrac nécessite, pour la construction de l’assortiment, de prendre en compte de nombreuses contraintes matérielles, contraintes guidées par les significations données au vrac.

En effet, une des difficultés majeures aujourd’hui dans le développement du vrac reste la non-disponibilité de certains produits, ceux-ci présentant des caractéristiques parfois difficilement compatibles avec une vente en vrac (certains sont friables, collants…). Un matériel adapté est donc nécessaire, des silos et des bacs, mais ceux-ci ne sont pas toujours adaptés pour la conservation des produits.

L’emballage constitue l’autre sujet phare en vrac. Celui-ci n’est en effet plus du ressort de l’industriel, mais du distributeur, qui en met, ou non, à disposition, et du consommateur, qui choisit ses contenants pour les adapter à ses usages (alléger le transport, réutiliser, mieux doser…). Enfin, la fixation du prix se voit bouleversée par rapport aux habitudes car la quantité de vente est non prédéfinie et « co-construite », au moyen de la balance, matériel au cœur du processus de vente.

L’emballage, le sujet phare du vrac. Fourni par l'auteur
La fixation du prix dans le vrac bouleverse les habitudes car la quantité est non prédéfinie et le prix de vente généralement affiché au kilo. Fourni par l'auteur

Concernant le mix distribution physique, il s’agit pour les distributeurs d’aménager le point de vente avec une présentation (merchandising) repensée à la lumière de la nécessaire ergonomie des dispositifs matériels, mais aussi de leur esthétisme. La mise en rayon, elle, nécessite des compétences physiques et logistiques pour assurer manutention et traçabilité des produits et garantir, notamment, l’hygiène et la sécurité sanitaire attendues par les clients.

Concernant le mix communication, le but des distributeurs est de délivrer l’information produit en rayon. Le support matériel de l’étiquette et celui de l’information sur le lieu de vente (ILV) sont de première importance quand l’emballage, ou vendeur muet, disparaît. Enfin, éduquer les clients est primordial ; ceci passe par la mise à profit des compétences de conseil et la pédagogie du personnel de vente tout au long du parcours client.

Quête de cohérence

D’un point de vue managérial, il est possible de conclure qu’une mise en œuvre efficace du vrac sur les trois piliers du retailing mix passe par une cohérence entre le positionnement de l’enseigne (niveau méso) et les significations que le personnel associe au vrac (niveau micro), car, souvent, on observe une incohérence entre ces niveaux.

La vente en vrac impose aux distributeurs de repenser la manière dont ils délivrent l’information produit. Fourni par l'auteur

S’il est facile d’identifier les compétences et matériels spécifiques au retailing mix du vrac, les significations, comprenant les émotions et motivations du personnel, plus diffuses, intangibles et difficilement observables, restent moins évidentes à intégrer dans cet outil opérationnel du retailing mix. Pourtant, elles constituent des clés dans le développement du vrac.

S’agissant des émotions, les discours des acteurs du vrac montrent un panorama large, allant d’émotions positives, comme la fierté de changer profondément les habitudes de consommation à des émotions plus négatives, comme le découragement par rapport à un investissement dans le vrac qui ne produit pas toujours les effets attendus et des contextes concurrentiel et législatif pas toujours favorables.

S’agissant des motivations à « vendre du vrac », elles demeurent également essentielles. Le vrac, comme mode de vente en rupture avec le mode de distribution dominant, revêt plusieurs « sens » selon les acteurs sur lesquels ils doivent être au clair : la nécessité d’être présent sur un marché en croissance et à la mode, en valorisant la dimension accessible du vrac ; la volonté de commercialiser des produits locaux, en favorisant la dimension sociale et, notamment, la proximité avec les fournisseurs ; l’envie de s’engager dans la protection de l’environnement, en privilégiant la dimension écologique, rendue concrète par la limitation des emballages.

Ainsi, un des enjeux pour les distributeurs de vrac est de veiller à la cohérence entre le positionnement voulu par l’enseigne et les significations des pratiques des acteurs de terrain afin d’éviter des paradoxes ou contradictions au sein du point de vente, voire entre points de vente d’une même enseigne.

Fanny Reniou, Maître de conférences HDR, Université de Rennes 1; Elisa Monnot, Maître de conférences HDR, CY Cergy Paris Université; Lucie Sirieix, Professeur, Montpellier SupAgro et Maud Daniel-Chever, Maître de conférences, Université de Rennes 1

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.