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Le patron infiltré dans ses entrepôts. M6 / Capture d'écran
Carine Farias, IÉSEG School of ManagementLe lancement sur M6 de la nouvelle saison de l’émission de télé-réalité Patron incognito, a fait beaucoup réagir les internautes sur les réseaux sociaux. Dans chaque épisode, un patron prétendant être un nouvel employé s’immerge dans son entreprise auprès de ses salariés afin de (re)découvrir la réalité de l’organisation de la production. À la fin de l’épisode, le patron dévoile son identité à ses employés et tire des leçons de ses observations, notamment en prenant des décisions concernant leurs contrats et salaires.
Contrairement à la fiction, les émissions de « télé-réalité » promettent un accès direct à des échanges pris sur le vif. Cette promesse cache cependant toute une série de filtres et de choix éditoriaux qui façonnent les interactions et les scènes représentées. La télé-réalité produit donc des représentations de phénomènes sociaux, et notamment de l’organisation et du travail, qui sont loin d’être neutres. Elles sont au contraire imprégnées de discours moraux qui façonnent et valorisent une certaine éthique du travail. En gratifiant – intentionnellement ou non – un discours moral particulier, les émissions de télé-réalité annihilent les interprétations alternatives et les questionnements éthiques des interactions sociales pourtant complexes qui sont représentées.
Dans un article académique publié récemment dans Journal of Business Ethics, nous montrons, avec mes coauteurs, comment les pratiques éditoriales de la télé-réalité participent intentionnellement ou non, à la construction de représentations sociales imprégnées d’une moralité pervasive. Partant de ces résultats, voici quelques pistes de réflexion qui peuvent mettre en lumière ce qui, dans l’émission Patron incognito, représente et construit une image particulière de ce qu’est un « bon patron » et de ce que sont de « bons employés ».
Tout d’abord, la structure narrative des épisodes révèle le sujet central de l’émission et la construction de personnages clés autour desquels vont se former une certaine représentation morale. Dans la nouvelle saison de Patron incognito, deux catégories de personnages sont construites : le « patron » et les « employés ». Si dans la version originale de cette émission (Undercover Boss) le but affiché était de réduire un fossé perçu entre patrons et employés en créant les conditions d’une plus grande empathie des patrons envers leurs salariés, les personnages de Patron Incognito semblent construits dans une relation d’opposition. Il y a d’un côté un patron déguisé, qui connaît le but réel de l’émission, et de l’autre les employés observés par leur patron sans le savoir, étant ainsi mis à défaut.
Cette relation de dupe reprend par ailleurs un thème classique de l’imaginaire collectif, celui du dominant qui se déguise en subalterne afin d’observer ces derniers à leur insu. Ce subterfuge nourrit parfois l’empathie (comme dans La Chronique de l’histoire d’Henri Cinquième de Shakespeare) mais aussi la fureur (comme dans le mythe de Lycaon) du dominant.
Le côté cocasse de la situation fait écho à des codes classiques du théâtre comique, où les personnages dupés sont mis par avance en échec. Ainsi, le « patron » et « les employés » sont mis dans une relation de pouvoir asymétrique qui accentue la scission entre les deux catégories socioprofessionnelles représentées et renforce une relation de subordination déjà existante. Tout comme dans Le Jeu de l’amour et du hasard, les subterfuges du déguisement, où les dominants se travestissent en subalternes (en se donnant parfois une allure comique et ridicule), ne suffisent pas à effacer les déterminismes sociaux, mais ont plutôt tendance à essentialiser les rapports de domination.
En fin d’émission, l’occasion est donnée au « patron » de dévoiler son identité face à ses salariés et il/elle a la possibilité de prendre des décisions qui auront un impact fort et direct sur la vie de ces derniers. Cette possibilité, ainsi que la structure de ce dernier échange, accentuent encore la relation de subordination entre ces deux catégories de personnages. En outre, cet échange final est souvent l’occasion pour le patron de se montrer empathique et amical, en prenant une décision favorable aux employés. L’image du patron paternaliste et bienveillant peut alors être véhiculée et valorisée par l’émission. Cette représentation est d’ailleurs parfois directement acclamée par la presse et les médias.
Un autre filtre majeur dans la construction d’un discours moral particulier est révélé par la prise de parole. Qui prend la parole, dans quel contexte et pendant combien de temps ? Certains personnages-clés bénéficient d’un accès plus régulier et plus long à la parole, ce qui donne plus de poids et de corps à leurs opinions. La parole face caméra est particulièrement significative : elle permet de donner du sens à des scènes qui sont proposées à l’écran, de justifier points de vue et ressenti, dans un discours directement adressé au public. Ce faisant, les personnages ayant davantage accès à la parole face caméra ont le pouvoir de façonner l’interprétation de ce qui est vu.
Outre les personnages prenant part aux interactions, les émissions de télé-réalité utilisent souvent la voix d’un narrateur. Bien qu’invisible, le narrateur apparaît comme un personnage omnipotent, détaché des interactions observées et donc « objectif ». Par cette position privilégiée, il guide le public dans l’interprétation des scènes avec ses commentaires.
La parole du narrateur est particulièrement importante dans la construction de représentations morales. Par exemple, lorsque le narrateur explique qu’un employé est perdu alors que l’image montre ledit employé en train de travailler, il ne laisse plus le choix au téléspectateur d’interpréter la scène autrement. Le narrateur donne du sens (ou impose un sens) aux interactions représentées. Sa position lui permet de clore le débat : les éventuelles ambiguïtés et interprétations alternatives des scènes présentées disparaissent. Il construit et valorise ainsi une interprétation, souvent imprégnée d’une vision morale particulière.
La valorisation d’un point de vue à travers la structure narrative, le déséquilibre de la prise de parole et la narration permettent de passer sous silence les interprétations alternatives et les questionnements éthiques que pourraient soulever les scènes et interactions représentées. S’ajoutent à cela de nombreux filtres qui participent à la construction d’un certain discours moral : le montage, le ton utilisé par le narrateur, l’angle de la caméra, les effets sonores et musicaux, etc. Les émissions de télé-réalité mettent donc leurs spectateurs face à une ambiguïté : elles montrent des interactions reflétant des relations sociales et des jeux de pouvoir complexes tout en simplifiant leur interprétation en valorisant un point de vue particulier. Certaines questions éthiques passent ainsi complètement sous silence.
Dans la nouvelle saison de Patron incognito, on s’aperçoit vite que le patron est à l’honneur. Il occupe la place centrale du narratif de l’émission. L’épisode démarre par son histoire, on suit sa transformation physique pour ne pas être reconnu de ses employés, il bénéficie d’un accès privilégié à la parole, et il dirige l’échange final. C’est encore le patron que les médias interrogent a posteriori pour parler de leurs employés. L’émission construit l’image d’un patron super-héros et plein d’empathie, dont l’intervention miraculeuse permet à quelques employés triés sur le volet d’obtenir un meilleur contrat ou une augmentation de salaire. Les possibles dysfonctionnements organisationnels plus larges de l’entreprise ne sont pas questionnés.
Les employés sont quant à eux découverts dans le feu de l’action, on filme leurs moments d’égarement, de confusion et leurs potentielles erreurs et maladresses. Ils continuent de former une masse peu distincte et fluctuante « d’incognitos » dont on ne sait que peu de choses. La distance entre patron et employés est ainsi renforcée et essentialisée. Bien que le subterfuge soit central pour le récit, les filtres et choix éditoriaux passent sous silence les questionnements éthiques liés au fait que les employés sont dupés, sur leur lieu de travail, et par leur patron. Le lien de subordination leur permet-il de refuser facilement que leur image soit utilisée dans le cadre de l’émission ? Auraient-ils eu envie de partager des éléments de leur vie privée à leur employeur s’ils en avaient eu le choix ? On peut se poser la question.
Carine Farias, Associate Professor in Entrepreneurship and Business Ethics, IÉSEG School of Management
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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L’argent reste généralement, dans l’idéal collectif, décorrélé du sujet de l’amour. Pourtant, comme le soulignait le poète Charles Baudelaire :
« Il est malheureusement bien vrai que, sans le loisir et l’argent, l’amour ne peut être qu’une orgie de roturier ou l’accomplissement d’un devoir conjugal. »
La gestion des finances dans le couple apparaît comme un sujet délicat, probablement parce qu’il s’agit d’un aspect directement lié à l’intimité de la relation. Selon la sociologue Janine Mossuz-Lavau, en France « l’argent est encore plus tabou que la sexualité ».
Dans nos travaux, nous avons voulu aborder cette boîte noire de la prise de décision des conjoints en identifiant les facteurs d’influence qui expliquent les modes de fonctionnement des couples en matière de gestion des finances. Le thème est loin d’être anecdotique dans la mesure où des conflits liés à l’argent émergent souvent dans les couples, pouvant déboucher sur des séparations et des divorces.
La gestion financière du couple touche en effet à différentes décisions quotidiennes ayant trait à l’argent comme l’épargne, les investissements et les dépenses courantes. Dès le premier rendez-vous d’un couple, des règles commencent à s’établir entre les partenaires qui vont poser les premières pierres à l’édifice de la relation : l’addition est-elle partagée ou payée par l’un d’eux ? Puis, les routines mises en place dès la première cohabitation façonnent le mode de gestion de l’argent du couple qui s’inscrit dans le temps.
Un aspect important concerne le choix du mode d’organisation des comptes bancaires. Selon l’Insee, seulement 3 couples sur 5 environ optent pour un fonctionnement en compte commun uniquement, acceptant ainsi que toutes les entrées d’argent soient partagées au sein du ménage. Parmi les nombreux couples qui rejettent ce mode de fonctionnement en commun en matière d’argent, environ la moitié utilisent des comptes séparés, et l’autre moitié optent pour un mode mixte combinant des comptes individuels avec un compte joint. Mais qu’est-ce qui pousse les couples à privilégier une organisation plutôt qu’une autre ?
Dans une étude en cours, nous montrons que la façon dont les couples organisent leurs comptes bancaires et leurs dépenses est le reflet de leur conception d’une relation amoureuse. Les motivations des individus concernant leur choix de gestion de l’argent peuvent se traduire, en écho à la devise de la République française, par le triptyque « liberté, égalité, fraternité ».
Les couples qui optent pour un compte commun sont le plus souvent dans une logique d’idéal fusionnel et refusent d’adopter une logique comptable au sein de leur relation avec leur partenaire. Ainsi, un des répondants interrogés explique :
« Quand on s’est mis ensemble, on a décidé de tout penser à deux et de tout partager et de ne pas commencer à compter chaque petit centime. Pour moi, s’aimer c’est tout mettre en commun dont l’argent ! »
Les couples qui optent pour des comptes individuels cherchent généralement à garder leur indépendance financière, à s’offrir une certaine autonomie décisionnelle, et à limiter les difficultés en cas de séparation future. À ce dernier sujet, une répondante indique d’ailleurs :
« Mon compte personnel me permet de penser à moi, de faire des achats que j’aime et que mon partenaire n’aime pas forcément. Et puis finalement, de ne pas discuter pour un oui ou pour un non pour la moindre petite chose dont j’ai envie. »
Le mode de gestion des comptes bancaires retenu reflète donc les valeurs qui caractérisent chaque couple. Les comptes individuels sont fréquemment associés à des notions d’indépendance et de liberté, alors que les comptes communs sont liés à la recherche de solidarité et de partage, faisant écho à la fraternité. Enfin, la quête d’égalité guide vers une répartition proportionnelle des dépenses, en intégrant des disparités de revenus.
La prise de décision du couple en matière de gestion des finances peut refléter l’exercice de relations de pouvoir entre conjoints et générer des sentiments d’insatisfaction. Plusieurs répondants ont évoqué ainsi un sentiment d’injustice ou un système imposé par leur conjoint qui ne leur convient pas.
De façon surprenante, le mode de gestion financière évolue relativement peu au cours du temps au sein du couple, même si un des partenaires le demande explicitement. Cette tendance peut s’expliquer par la difficulté de remettre en cause le contrat de départ, tacite ou officiellement discuté entre les conjoints. En conséquence, les partenaires doivent veiller à ce que leur point de vue soit pris en compte sur le plan financier dès les premières phases de leur relation amoureuse.
Des échanges formels entre les conjoints, visant à prendre en compte les valeurs de chacun et trouver un terrain d’entente bénéfique pour le couple, apparaissent donc être une condition sine qua non pour une relation équilibrée.
Mieux comprendre les modes d’organisation des couples autour de l’argent peut aider à proposer des solutions visant à améliorer le bien-être, à accompagner le bien vieillir et à renforcer les compétences individuelles en matière de gestion financière pour les partenaires les plus vulnérables lors de périodes difficiles (maladie ou décès du conjoint, chômage, divorce, etc.).
À ce dernier sujet, le « non directeur financier » d’un ménage, c’est-à-dire le partenaire qui préfère se décharger des décisions relatives à l’argent sur son conjoint, va être particulièrement exposé lors de ces étapes de vie délicates. Aussi, des entreprises spécialisées en gestion de patrimoine, comme Quintésens, proposent aux couples d’analyser leur situation financière afin d’identifier la solution d’accompagnement la plus adaptée pour préparer la retraite et protéger le conjoint survivant. Le secteur bancaire, à l’instar de Fortuneo, fournit également des conseils personnalisés pour épargner à deux en fonction du statut matrimonial.
La gestion des finances des couples peut aussi se caractériser par de l’infidélité financière, lorsqu’un des partenaires cache volontairement des informations financières à son conjoint. Si cet aspect est associé à des comportements à risque, comme, par exemple, les jeux d’argent, il apparaît important que des solutions réglementaires d’accompagnement soient proposées afin d’éviter que le ménage se retrouve dans une situation financière trop délicate et nuisible au bien-être des partenaires. Des mesures d’urgence légales, à la demande d’un des époux, comme interdire de vider un compte bancaire, restent ainsi possibles.
Appréhender les différents contours de l’organisation pratique des couples français permet, par ailleurs, de nourrir le débat public en matière de politiques sociales. Le débat sur la déconjugalisation de l’allocation aux adultes handicapés (AAH) à l’Assemblée nationale à l’automne 2021 en est un exemple frappant. Une députée membre de la Commission des affaires sociales, sous-entendant une conception du couple où une mise en commun totale des ressources s’opère, a ainsi expliqué :
« Nous pensons que l’individualisation de l’AAH remettrait en cause l’ensemble de notre système socio-fiscal qui est fondé sur la solidarité familiale, conjugale et nationale. »
Or, la prise en considération de l’hétérogénéité des modalités de gestion des finances par les couples apparaît centrale pour les accompagner de façon réaliste et pertinente au cours du temps et selon les différents challenges de vie possibles.
Sarah Benmoyal Bouzaglo, Maitre de conférences, Université de Paris; Corina Paraschiv, Professeur en sciences de gestion, Université de Paris et Maïva Ropaul, Maître de conférences en sciences de gestion, Université de Paris
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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Parmi les dépenses qui prennent de plus en plus d'importance il y a tous les services liés à internet, au téléphone ou encore ce que nous coute notre compte bancaire : les frais bancaires. Un sujet qui ne laisse personne indifférent. Les frais sont parfois illisibles ou assez élevés et les banques ne font l'unanimité, voila pourquoi les banques ont décidé de jouer à fond la carte de la transparence : ce sont les banques en ligne. Il y en a une dizaine aujourd'hui en France. Sont elles réellement aussi intéressantes qu'elles le paraissent ?
Réalisateur : Claire OUDINOT
Source Youtube :
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Malgré la pandémie et les besoins croissants en matière de prise en charge, plus de 5 700 lits d’hospitalisation complète ont été fermés en 2020 dans les établissements de santé français. La Fédération française hospitalière fait également état d’un taux d’absentéisme du personnel hospitalier élevé, entre 2 à 5 % de postes vacants et un taux d’absentéisme à 10 %.
À cela s’ajoute une crise des vocations. À titre d’exemple, 1 300 démissions d’élèves infirmiers ont été recensées entre 2018 et 2021, tandis que la profession est toujours sous tension. Ces chiffres plaident pour une insatisfaction chronique des soignants à l’hôpital, insatisfaction liée aux rémunérations mais aussi aux conditions de travail. Dans un contexte de manque de personnel et de charges administratives croissantes, les soignants deviennent en effet des techniciens du soin, au détriment de la relation avec les patients et de la qualité de la prise en charge.
Le Ségur de la santé, qui s’est déroulé du 25 mai 2020 et le 10 juillet 2020 au ministère de la Santé et des Solidarités, a débouché sur la mise en place d’un cycle de consultation et de concertation des acteurs du système de soin. L’objectif affiché de ces rencontres était d’améliorer le quotidien des soignants et l’accueil des malades à l’hôpital.
Il aura débouché sur une augmentation de 183 euros nets par mois accordée à 1,5 million de professionnels des hôpitaux et des Établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) publics, mais aussi sur de nouvelles majorations pour les heures supplémentaires et le travail de nuit. Les sages-femmes qui travaillent à l’hôpital public ont en outre obtenu une revalorisation de 520 euros net par mois à la suite de leur mouvement de grève de novembre 2021.
Pour autant, l’hôpital rencontre toujours des difficultés pour attirer et recruter des soignants et le mécontentement est encore perceptible. Des soignants ont ainsi manifesté samedi 4 décembre 2021, dans toute la France, pour soutenir l’hôpital public, et continuer de dénoncer le manque de personnel, les problèmes de rémunération et les conditions de travail dégradées.
La hausse de rémunération comme politique de reconnaissance du travail semble s’avérer insuffisante pour l’hôpital public, à bout de souffle. A contrario, il apparaît aujourd’hui incontournable de mettre en place une véritable politique de reconnaissance du personnel hospitalier qui dépasse la seule question de la rémunération.
En effet, nos recherches portant sur les politiques de ressources humaines en milieu hospitalier montrent qu’une politique de reconnaissance au travail efficace comprend trois dimensions.
On y retrouve la reconnaissance financière, qui se traduit par des augmentations de salaire, des éléments de rémunération dits « périphériques », tels que les primes, et des conditions de travail satisfaisantes (effectifs et moyens suffisants).
Une politique de reconnaissance des métiers et des compétences des agents hospitaliers qui fait référence à une gestion plus souple du temps de travail, à la possibilité de participer aux décisions du service, ou encore aux opportunités d’évolution professionnelle et de développement des compétences.
Enfin, une politique de reconnaissance managériale qui se caractérise par des pratiques verbales de feedback (par exemple des félicitations ou des remerciements adressés par les cadres et les médecins au personnel paramédical).
Les études scientifiques ont montré que les différentes facettes de la reconnaissance au travail du personnel hospitalier diminuent le stress au travail de ces derniers, tout en incitant le personnel à rester en poste à l’hôpital.
Dans la continuité, notre étude terrain menée auprès de 214 infirmiers démontre qu’une politique RH intégrant les trois dimensions de la reconnaissance au travail renforce significativement deux dimensions clés d’une bonne prise en charge à l’hôpital : les comportements d’entraide, et la capacité d’innovation des soignants.
La crise que nous avons traversé lors du premier confinement a encore révélé l’importance de ce dernier point : les innovations du personnel soignant, comme les masques Decathlon transformés en masques d’oxygénation ou les visières et blouses « maison », et l’entraide sur laquelle elles reposent, ont incontestablement permis de sauver des vies, malgré le manque d’anticipation et de moyens.
Ces conclusions invitent à mettre en place une véritable politique de reconnaissance au travail des agents hospitaliers et plaident pour la mise en place d’un nouveau Ségur des métiers de la santé, dont l’enjeu dépasserait la question de la simple rémunération, pour créer des conditions de travail satisfaisantes, toute en développant les deux autres formes de reconnaissance citées.
Créer des conditions de travail satisfaisantes suppose en premier lieu d’attirer et de fidéliser les agents hospitaliers afin que l’effectif soit suffisant pour répondre à la charge de travail inhérente à ces structures dans le contexte sanitaire actuel. Il s’agit également de leur donner les moyens matériels de faire correctement leur travail.
Concernant la seconde dimension (reconnaissance des métiers et des compétences des agents hospitaliers), l’objectif serait par exemple de trouver des solutions opérationnelles pour développer les passerelles entre métiers (telle qu’infirmier·e à sage-femme ou sage-femme à médecin), afin de proposer d’autres évolutions professionnelles que l’évolution managériale (cadre-infirmier).
En outre, il s’agirait de réfléchir à une meilleure reconnaissance de la nature intrinsèque du métier d’infirmier et de valoriser la dimension relationnelle avec les patients, en sus des soins, ce qui impliquerait de leur octroyer un temps plus long auprès des patients. Il serait également nécessaire de rendre la participation infirmière plus active dans les décisions de limitation et d’arrêts de traitement dans les services de réanimation français notamment.
Enfin, concernant la troisième dimension de la reconnaissance (dite « managériale ») les cadres hospitaliers gagneraient à être davantage sensibilisés à l’intérêt de soutenir plus activement leurs équipes, en préservant leur autonomie dans le travail et en les remerciant, notamment lorsqu’ils viennent travailler un jour de repos pour pallier le manque de personnel.
Audrey Becuwe, Maître de Conférences HDR en sciences de gestion, Université de Limoges; Amina Amri, Enseignante en gestion des ressources humaines, Esprit School of Business – AUF; Isabelle Chalamon, Professeur-Chercheur en Marketing, INSEEC Grande École; Sergey Kovalev, Professeur associé en génie industriel, INSEEC Grande École et Waleed Omri, Professeur associé en entrepreneuriat et management de l'innovation, EDC Paris Business School
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.