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350 millions : c'est le nombre de trajets réalisés avec l'application Uber en France depuis 2011. Shutterstock
Depuis sa création en 2009, Uber a connu une histoire controversée, allant de violents conflits entre chauffeurs à un logiciel secret prétendument utilisé pour échapper aux forces de l’ordre. Aujourd’hui, une fuite de plus de 124 000 documents nommés Uber Files montre à quel point l’entreprise, sous la direction de son cofondateur et ancien PDG Travis Kalanick, a tiré parti de ce chaos pour se développer dans 40 pays.
Mes recherches explorent la relation entre Uber et les États. La stratégie de croissance à tout prix de l’entreprise a été inégale, façonnée et ralentie par des réglementations variables selon les marchés. Ces dernières années, Uber semble avoir calmé son approche et mis fin à certaines des activités les plus agressives décrites dans les documents fuités. Mais à mon avis, la stratégie qui est au cœur du succès de l’entreprise impose qu’elle sera toujours en conflit avec les lois des pays où elle opère.
Les Uber Files montrent que l’entreprise prenait des libertés avec la loi. Le modèle initial d’Uber – des citoyens conduisant d’autres citoyens dans leurs voitures privées sans permis ni licence d’aucune sorte – se situait juridiquement dans une zone grise. Dans des courriels, des cadres ont même plaisanté sur le fait qu’ils étaient des « pirates » et que le modèle de l’entreprise était « tout simplement illégal », lorsqu’ils se heurtaient à une opposition juridique pour aborder de nouveaux marchés.
Les documents divulgués révèlent également le rôle que le lobbying et les relations amicales avec des politiciens ont joué dans le succès d’Uber. La société a engagé de puissants lobbyistes, dont beaucoup étaient d’anciens membres ou associés de gouvernements nationaux qui avaient notamment promis de mettre fin au « copinage » entre politique et industrie. Parmi les rencontres avec les politiciens figuraient des personnalités telles que Emmanuel Macron (alors ministre français de l’Économie) et le maire de Hambourg de l’époque (aujourd’hui chancelier d’Allemagne) Olaf Scholz.
Cette stratégie du chaos aurait également consisté à mettre en danger les chauffeurs de l’entreprise. Presque partout où Uber s’est implanté, les syndicats de taxis ont organisé des manifestations en signe de protestation qui pouvaient parfois devenir violentes. Des messages de Kalanick dans les dossiers d’Uber montrent que ce dernier considérait que la présence des chauffeurs Uber à une manifestation de chauffeurs de taxi en France « en valait la peine », car « la violence garantit le succès ».
Uber aurait également mis en place un « kill switch », un outil technologique permettant d’empêcher les autorités d’accéder aux données d’Uber lorsqu’elles font une descente dans ses bureaux.
L’entreprise s’est efforcée de prendre ses distances par rapport aux allégations des dossiers d’Uber. Une déclaration publiée par la société attribue le contenu des fuites à l’ère Kalanick, et souligne le changement de direction et de valeurs.
Entre-temps, le porte-parole de Kalanick a déclaré que l’approche d’Uber en matière d’expansion n’était pas de son fait, mais qu’elle était au contraire « sous la supervision directe et faite avec l’approbation totale des groupes juridiques, de politique et de conformité d’Uber ».
Cette stratégie du chaos a sans aucun doute fonctionné. Uber est désormais une entreprise valorisée à 43 milliards de dollars (42 milliards d’euros) et ses chauffeurs effectuent environ 19 millions de trajets par jour. Pourtant, elle se bat toujours avec la rentabilité et des concurrents agressifs.
En 2017, Kalanick a quitté ses fonctions et a été remplacé comme PDG par Dara Khosrowshahi. La plupart des dirigeants ont également changé depuis lors. Les accusations concernant une certaine culture de harcèlement et de sexisme sur le lieu de travail semblent s’être taries.
L’entreprise s’est globalement éloignée de son activité d’origine pour s’orienter vers un service où des chauffeurs agréés utilisent des véhicules munis de permis spécifiques pour transporter des passagers (en d’autres termes, un taxi à l’ère du smartphone), et a introduit « Uber Eats », un service de livraison de nourriture. L’entreprise a également adopté une approche plus calme et plus civilisée de l’expansion. « Doucement, mais sûrement », semble être sa nouvelle devise.
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En voici deux exemples : Uber s’est implanté à Madrid en 2014 au mépris d’une loi espagnole exigeant que les entreprises et les chauffeurs possèdent une licence spécifique. Elle s’est implantée à Berlin la même année, en violation des lois allemandes sur la concurrence. L’entreprise a été interdite, a quitté les deux villes et est revenue plus tard en respectant la réglementation en vigueur.
Lorsqu’il a abordé l’expansion allemande en 2018, Khosrowshahi a admis que l’approche d’Uber s’était retournée contre elle, et s’est engagé à se développer de manière responsable. De même, en parlant de l’expérience en Espagne, Carles Lloret, PDG d’Uber pour l’Europe du Sud, a reconnu que « c’était une erreur de reproduire le modèle américain – plus libéral – sans tenir compte du contexte espagnol ».
Et pourtant, certaines choses n’ont pas changé. L’entreprise fait face à de multiples poursuites judiciaires, dont la plupart portent sur la question de savoir si ses travailleurs sont considérés comme des employés, et sa rentabilité reste une question ouverte. Comme je l’explique dans mes recherches, ces deux éléments peuvent s’expliquer par la stratégie de fond de l’entreprise : celle de la « conformité litigieuse ».
Uber s’adapte aux règles existantes, mais seulement dans la mesure où cela est nécessaire pour fournir ses services. Dans le même temps, elle continue de lutter contre la législation partout – dépensant des milliards en lobbying et dans l’élaboration de connexions politiques – afin de rapprocher les règles existantes de ses préférences.
Les dirigeants d’Uber savent que leur modèle économique pourrait ne pas être viable, et encore moins s’ils sont obligés de classer les travailleurs comme des employés et de payer pour les droits et avantages qui y sont liés. La lutte contre les réglementations est une stratégie de survie.
Ils ont un modèle ultime en tête – aussi proche que possible de leur modèle initial. Bien qu’ils n’enfreignent plus ouvertement les lois, ils continuent à faire pression pour obtenir les réglementations qu’ils préfèrent par le biais des tribunaux ou en trouvant des échappatoires juridiques.
Dans un mémo récemment envoyé aux employés et divulgué à la presse, Khosrowshahi écrit : « Nous serons encore plus stricts sur les coûts dans tous les domaines. » L’entreprise sait que si elle est contrainte de reclasser les chauffeurs en tant que travailleurs (comme, par exemple la Cour suprême britannique l’a décidé, la situation financière sera encore pire.
Au-delà d’une nouvelle tâche sur sa réputation, Uber a des problèmes très réels. La rentabilité est peut-être le problème le plus urgent pour l’entreprise, mais il en existe un bien plus important pour notre société.
Des applications comme Uber et les centaines d’autres qui ont suivi promettaient l’innovation. Au lieu de cela, elles ont surtout développé un modèle à la limite de l’exploitation et de la corruption qui sont aussi des caractéristiques du capitalisme chevronné. Compte tenu des allégations contenues dans les dossiers d’Uber, on peut également se demander s’il y aura un jour des conséquences pour ces entrepreneurs technologiques qui ont pour mauvaise habitude d’enfreindre les règles.
Jimena Valdez, Lecturer in Comparative Politics, City, University of London
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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Selon l’Insee, le bouclier tarifaire a permis une réduction de l’inflation d’environ un point entre février 2021 et février 2022. Alexandr Podvalny/Pixabay, CC BY-SA
La forte reprise amorcée à la fin de la crise sanitaire a été stoppée par la guerre en Ukraine. L’arrêt des importations en provenance de Russie et d’Ukraine créée un risque de stagflation, c’est-à-dire un moment de faible de croissance accompagné d’une forte inflation.
Ce contexte nourrit les préoccupations de recul du pouvoir d’achat. Alors que les prix de vente augmentent, une activité au ralenti ne peut générer que de faibles progressions de revenu, rendant donc les fins de mois plus difficiles. Ces problèmes touchant tous les pays du monde, les baisses de pouvoir d’achat seraient alors partagées par tous.
Toutefois, les chiffres montrent que certains pays résistent mieux que d’autres. C’est en particulier de cas de la France.
Avant l’invasion russe de l’Ukraine, les prévisions de croissance française étaient de 4 % pour 2022 et 2 % pour 2023 ; selon la Banque de France, elles pourraient chuter à 2,8 % pour 2022 et 1,3 % pour 2023. Du côté de l’inflation, le scénario s’inverse : les prévisions étaient de 1,2 % pour 2022 et 2023, elles seraient maintenant de 4 % et 2,5 % pour 2022 et 2023 (prix à la production mesurés pas le déflateur du PIB). Cette dégradation de la situation en France contraste avec ce que l’on observe ailleurs.
En Allemagne, selon les chiffres de la Banque centrale allemande (Bundesbank), la prévision de croissance pour 2022 passe de 4,9 % à 1,9 % et celle de l’inflation passerait de 3,6 % à 7,1 % (indice des prix à la consommation). Aux États-Unis pour l’année 2022, les prévisions de croissance ont été révisées de 3,7 % à 2,5 %, alors que les dernières prévisions de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) feraient passer l’inflation de 4,6 % à 5,9 %.
Le choc économique étant lié à la forte hausse des prix de l’énergie, la meilleure résilience de l’économie française peut s’expliquer, en partie, par le bouclier tarifaire mis en place en octobre 2021 par le gouvernement français.
Ce bouclier tarifaire fige les tarifs réglementés de vente du gaz à leur niveau d’octobre 2021 et limite à 4 % la revalorisation de ceux de l’électricité de février 2022. Ces tarifs réglementés concernent près de 70 % de la consommation d’électricité des ménages et 30 % de celle de gaz. La Commission de régulation de l’énergie (CRE) a calculé que, sans le bouclier tarifaire, les prix auraient progressé de 66,5 % entre octobre 2021 et février 2022. Quant à ceux de l’électricité, ils auraient augmenté de 35,4 % le 1er février 2022.
Face à l’envol des prix de l’énergie, l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) indique que l’inflation aurait été de 5,1 % entre février 2021 et février 2022 « sans bouclier tarifaire », alors qu’elle n’a été que de 3,6 % dans les faits, soit 1,5 point d’inflation en moins grâce au bouclier tarifaire. Si le gouvernement, comme il l’a annoncé, étend sur l’année 2022 ce bouclier, alors nous pouvons anticiper, en restant mesurés, une réduction d’un point de l’inflation sur l’année à venir.
Inflation contrefactuelle estimée sans bouclier tarifaire et inflation d’ensemble finalement observée
Pour évaluer l’impact de la hausse des prix de l’énergie sur le pouvoir d’achat des Français, nous sommes partis de prévisions de prix du baril de pétrole pour les années 2022 à 2024. Le pétrole est généralement retenu comme indicateur du prix des énergies, les contrats de vente de gaz incluant des clauses d’indexation sur le cours du baril de pétrole, le prix de l’électricité étant quant à lui fortement dépendant de celui du gaz.
Trois scénarios sont comparés afin d’apprécier l’effet de la hausse des prix de l’énergie et d’évaluer l’impact du bouclier tarifaire :
le premier retrace l’évolution de l’économie française avec un prix du pétrole se stabilisant 98 % de son prix du quatrième trimestre 2019, qui correspond aux prévisions économiques avant l’invasion russe de l’Ukraine ;
le second intègre un doublement du prix du baril à l’horizon du premier trimestre 2024 ;
et un troisième où le doublement des prix de l’énergie est partiellement amorti par le bouclier tarifaire. Ce dernier scénario est calibré pour que l’inflation soit réduite de 1 point de pourcentage par rapport au scénario sans bouclier tarifaire.
Bien entendu, face à ces très fortes hausses des prix des produits énergétiques, les entreprises adaptent leurs politiques tarifaires pour ne pas perdre trop de clients. Les baisses de marges estimées sont de 12 points de pourcentage en moyenne entre fin 2021 et début 2024.
Avec ces ajustements de marge, les prédictions d’inflation sont en accord avec celles de la Banque de France jusqu’au premier trimestre 2024, soit 4 % par an en moyenne sur ces deux années à venir, ce qui est beaucoup plus élevé que ce qui était prévu avant l’invasion russe de l’Ukraine (2,5 % par an en moyenne). Sans le bouclier tarifaire, le taux d’inflation aurait été de 5 % par an. À court terme, cette inflation réduit la demande et donc la production.
Nos estimations indiquent que la France perdra chaque trimestre, entre début 2022 et début 2024, une richesse de l’ordre de 1,6 % du PIB par habitant par rapport à fin 2019. Ceci représente une perte de 221 euros par trimestre et par habitant. Sans bouclier tarifaire, les baisses de pouvoir d’achat étant plus importantes, la perte trimestrielle serait de 2,5 %, soit 345 euros par trimestre et par habitant. C’est donc 1 point de PIB par tête qui est gagné grâce au bouclier tarifaire, soit plus de 220 euros par trimestre.
Toutefois, la production totale qui représente l’ensemble des revenus, qu’ils soient issus du travail ou des placements financiers, peut sembler être un mauvais indicateur du pouvoir d’achat, le plus souvent entendu comme une mesure de la capacité de consommation des salariés. Il est alors préférable de mesurer les gains de pouvoir d’achat en se limitant aux variations des revenus du travail.
Sans bouclier tarifaire, la réduction des revenus du travail aurait été de 2,1 % par trimestre par rapport à ceux de fin 2019, soit 148 euros par trimestre et par personne. Le bouclier tarifaire permet de limiter ces pertes à 0,6 %, soit 42 euros par trimestre. Ce sont donc un peu plus de 100 euros par trimestre de pouvoir d’achat qui sont gagnés grâce au bouclier tarifaire.
François Langot, Professeur d'économie, Chercheur à l'Observatoire Macro du CEPREMAP, Le Mans Université
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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Tous les ans, entre avril et juin, Bordeaux entre en effervescence. C’est la campagne des Primeurs. Ce moment où les vins, encore en élevage dans leurs fûts de chêne, sont goûtés par les professionnels, les journalistes et les grands experts. Tous pourront se faire une opinion sur la qualité des vins présentés.
Les grands experts donneront des notes pour chaque château, tandis que les châteaux annonceront les prix en primeur de leurs vins. Ce prix auquel les négociants pourront immédiatement acheter les vins et les revendre dans la foulée aux professionnels comme aux particuliers. La livraison effective des vins n’aura lieu que l’année suivante, lorsque le vin aura terminé son élevage et aura été mis en bouteille.
Lorsque les premiers prix « sortent », une grande fébrilité s’empare de la filière. Quelle va être la tendance du marché ? Quel château va se montrer raisonnable ou, au contraire, déraisonnable en augmentant fortement ses prix au risque de mal vendre ses vins ? Quelles sont les « bonnes affaires » ?
La sortie des prix primeurs est commentée abondamment sur toute la planète vin. Les acheteurs et les vendeurs s’entendent finalement rarement sur la notion de juste prix.
C’est ici que les économistes interviennent.
La notion de « juste prix » est une des plus anciennes questions économiques. Introduite par Aristote, développée par Saint-Thomas d’Aquin, elle sera au centre des ouvrages économiques d’Adam Smith, de David Ricardo et de biens d’autres encore. En dehors de sa dimension morale, elle renvoie à un prix qui reflète les déterminants économiques fondamentaux et qui, par définition, ne doit être ni sur ni sous-évalué, ne lésant ainsi ni l’acheteur, ni le vendeur.
Décomposer le prix d’un vin en fonction de l’ensemble de ses caractéristiques, tout en prenant en compte les cycles du marché et les déterminants économiques de la demande, permet d’évaluer précisément le juste prix d’un vin. Ce juste prix est donc issu de facteurs idiosyncratiques et de facteurs communs influençant le marché du vin.
Dans une étude à paraître, nous nous sommes livrés à cet exercice. Nous avons cherché à estimer le « juste prix » des primeurs bordelais de ce printemps 2022 sur la base de la dynamique des prix depuis le milieu des années 2000 sur le marché secondaire, sur lequel s’organise la revente des bouteilles, les variables économiques influençant la demande. Partant du fait que les marchés primaires et secondaires sont forcément reliés, nous avons construit un modèle d’estimation du prix des vins sur le marché secondaire que nous appliquons ensuite aux vins sortant sur le marché primeur.
Ainsi, le prix d’un vin va dépendre de sa réputation (la prime liée à la marque telle que repérée sur le marché secondaire), de son âge (un an de plus/moins donne un prix plus élevé/moins élevé de 3 %), de la qualité du millésime (repérée par les grands experts) et de la qualité intrinsèque du vin (issue des grands experts également sous la forme de notes). Ce modèle a un pouvoir explicatif très fort avec 98 % de la variance des prix expliqués.
Appliqué aux primeurs, il fonctionne très bien. Les premières sorties révèlent que la plupart des châteaux (au moment où nous écrivons) sortent à un prix conforme à leurs fondamentaux issus du modèle. À titre d’exemples, le célèbre château Cheval Blanc a été lancé au prix de 390 euros quand le modèle donnait un prix fondamental de 384 euros ; le cinquième cru classé 1855 de Médoc, Château Cantemerle, est sorti à 18 euros pour un prix fondamental de 18,90 euros. En moyenne, le taux de divergence entre le modèle et les dix premières sorties est de 2,27 %.
Trois châteaux seulement s’écartent significativement de leur prix fondamental (en les excluant, le taux de divergence du modèle passe à 0,41 %), à la hausse comme à la baisse. Cette différence peut s’expliquer par des stratégies commerciales particulières avec des arbitrages opposés entre la création de valeur liée à un prix élevé et l’écoulement rapide des volumes lié à un prix mesuré. Cet écart peut aussi s’expliquer par une lecture particulière de l’évolution à venir du marché ou encore une volonté de positionnement différent du vin (volonté de montée en gamme par exemple).
Mais l’enjeu est ailleurs. Pour intéressante que soit l’étude des prix des primeurs bordelais, c’est l’extension de cette étude aux vins « grand public » disponibles dans les canaux de distribution standards qui pourrait impacter le marché de masse (mass market).
Au regard de l’ampleur des bases de données disponibles sur le web concernant le vin, cette méthodologie peut en effet être étendue à des dizaines de milliers d’autres vins. Rappelons que la seule application Vivino revendique plus de 50 millions d’utilisateurs et compile de l’information (y compris des notes sur les vins données par les utilisateurs) pour, justement, plusieurs dizaines de milliers de vins. Modéliser le juste prix de ces vins apparaît donc possible, toute l’information étant disponible.
Un chercheur australien a d’ailleurs déjà créé un petit algorithme permettant de sortir le « juste » prix d’un vin en fonction des caractéristiques rentrées par l’utilisateur.
Nul doute que de nouveaux algorithmes, plus performants et, surtout, brassant beaucoup plus de vins, vont fleurir. Le développement des notes et des commentaires issus des consommateurs eux-mêmes sur les applications dédiés aux vins enrichira en données ces algorithmes qui délivreront des prix « fondamentaux » ou « juste prix » pour éclairer les consommateurs dans leurs choix.
De la même façon que l’intelligence artificielle est largement utilisée dans le conseil pour le choix des vins (en fonction de vos, goûts, de vos achats précédents, de ce que vous aimez manger, etc.), les sommeliers virtuels seront certainement capables très bientôt de vous dire à quel prix acheter un vin.
Devant un rayonnage, il vous suffira sans doute de scanner des prix et des bouteilles pour que le sommelier virtuel vous dise si vous faites une affaire ou s’il vaut mieux passer son chemin.
Cet outil d’aide à la décision, amené à se développer, conduira à une meilleure efficience du marché en réduisant l’asymétrie d’information qui pèse sur le consommateur confronté à un choix délicat face à des centaines de vins. On ne peut que s’en réjouir.
L’abus d’alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération. L’alcool ne doit pas être consommé par des femmes enceintes.
Philippe Masset, Professeur associé, Haute école spécialisée de Suisse occidentale (HES-SO); Jean-Marie Cardebat, Professeur d'économie à l'Université de Bordeaux et Prof. affilié à l'INSEEC Grande Ecole, Université de Bordeaux et Jean-Philippe Weisskopf, Associate Professor of Finance, École hôtelière de Lausanne, Haute école spécialisée de Suisse occidentale (HES-SO)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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Au printemps 2022, le président candidat Emmanuel Macron créait la polémique en proposant de réformer les droits et devoirs des allocataires du revenu de solidarité active (RSA). Le chef de l’État, réélu depuis, avait souhaité instaurer une « obligation de travailler quinze à vingt heures par semaine » afin de favoriser leur insertion professionnelle.
Pour les uns, il est indécent d’alourdir la culpabilité des victimes de la crise. Menacées par la pauvreté, elles doivent faire face plus que toute autre au recul de leur pouvoir d’achat et il faut les soutenir par des aides automatiques et inconditionnelles. Pour les autres, l’accès à l’emploi doit être prioritaire et il importe de réformer le volet non monétaire du RSA, de renforcer l’accompagnement et aussi les contrôles…
Ce débat comporte incontestablement une dimension idéologique, voire même politicienne. Il s’agit pourtant d’un sujet important, à la fois du point de vue de la recherche et de celui des politiques publiques.
Comme l’a rappelé en début d’année le rapport de la Cour des comptes, le nombre d’allocataires progresse de façon irrésistible d’année en année depuis la mise en place du RSA en 2009, comme le faisait déjà celui des bénéficiaires du revenu minimum d’insertion (RMI) qu’il a remplacé (voir le graphique). La crise sanitaire a ajouté à la série temporelle une bosse, aujourd’hui en voie de résorption, mais la tendance est toujours là, parallèle à celle de la progression de la durée du chômage. Si cette tendance n’est pas soutenable, ce n’est principalement pas sur un plan budgétaire.
Le RSA constituait en 2020 un socle de revenus pour 2,1 millions de foyers, soit plus de 4 millions de personnes avec les conjoints et les enfants à charge, pour une dépense publique annuelle de 15 milliards d’euros en ajoutant la prime d’activité et l’accompagnement, soit moins de trois quarts de point de PIB. Son montant moyen avoisine les 7000 euros par an et par ménage bénéficiaire, ce qui en fait l’une des aides publiques les moins coûteuses par rapport à son impact social.
En parallèle de la hausse du nombre de bénéficiaires, le regard de l’opinion publique a évolué vis-à-vis des minima sociaux. De multiples indices convergents confirment notamment la suspicion croissante envers les bénéficiaires des aides sociales.
Une enquête du Crédoc publiée en 2018 indiquait ainsi qu’une grande majorité de Français souscrit à l’idée selon laquelle les Caisse d’allocations familiales (Caf) ne contrôlent pas suffisamment les situations des allocataires. Ils étaient plus de 80 % en 2018 à partager ce sentiment, contre 64 % vingt ans plus tôt.
Selon une enquête plus récente de l’Unédic, une majorité de Français estime que les demandeurs d’emploi ont des difficultés à trouver du travail car ils ne font pas de concession dans leur recherche d’emploi. De plus, pour 55 % des sondés, les chômeurs ne travaillent pas parce qu’ils risqueraient de perdre leur allocation chômage.
Enfin, les politistes Vincent Dubois et Marion Lieutaud ont étudié les occurrences sur la fraude sociale en exploitant un corpus de 1 108 questions parlementaires posées entre 1986 et 2017. De rares, voire inexistantes au début de la période, elles ont progressivement augmenté jusqu’à devenir une thématique à part entière du débat politique. Leur formulation révèle un durcissement progressif des prises de position, plus particulièrement à l’égard des fractions les plus démunies de l’espace social, et un affaiblissement concomitant des discours critiques à l’égard de telles tendances.
Le contraste apparaît donc très net entre ce sentiment montant et les résultats des actions de contrôle opérées par les institutions en charge du suivi des bénéficiaires. Ces derniers montrent que les fraudes sont concentrées sur une très petite minorité de bénéficiaires et qu’elles sont surtout le fait de certains réseaux organisés. Selon la Cour des comptes, le montant cumulé des aides indues représenterait 3,2 % des prestations sociales. Des cas existent et ils sont largement relayés par les médias, mais ils forment toujours l’exception. S’il importe de lutter contre ces délits, le rôle de la puissance publique n’est pas d’entretenir le climat de suspicion qui prévaut à l’encontre de la très grande majorité des allocataires respectant les règles.
En complet contre-pied, la recherche en sciences sociales sur le RSA montre au contraire que le fait dominant est celui de la permanence et de la généralité d’un non-recours massif aux prestations sociales destinées à soutenir les ménages à bas revenus. Ainsi, une part importante des ménages ayant droits aux aides sociales n’en bénéficient pas, en réalité. Cela provient principalement d’une absence de demande de leur part.
Les raisons sont multiples mais font intervenir des difficultés à effectuer les démarches administratives et la stigmatisation qu’entraîne la demande de l’aide : en 2018, un tiers des foyers éligibles au RSA sont ainsi en situation de non-recours chaque trimestre ; 1 foyer sur 5 est en situation de non-recours pérenne toute l’année. Le non-recours touche, par ailleurs, les populations les plus vulnérables du public ciblé comme les personnes sans domicile fixe.
La suspicion croissante envers les allocataires a cependant conduit à une intensification de leur surveillance et à l’encadrement de leurs démarches d’insertion professionnelle et sociale. En contrepartie de leurs droits, les allocataires ont des devoirs qui se matérialisent par différentes étapes, comme la signature d’un contrat d’engagement ou d’un projet personnalisé, puis la participation à des démarches d’insertion (sociale ou professionnelle). La participation à ces démarches reste cependant elle-même faible pour des raisons qui tiennent en partie aux difficultés rencontrées par les départements pour organiser l’accompagnement de façon satisfaisante.
Pour augmenter la participation, certains départements ont modifié leur politique d’action sociale. Une expérience contrôlée a ainsi été mise en œuvre en Seine-et-Marne. Celle-ci consistait à faire varier le contenu des courriers invitant les allocataires à s’inscrire dans l’accompagnement. La simplification des courriers et l’ajout d’éléments incitatifs n’a cependant pas permis d’augmenter substantiellement la participation aux démarches d’insertion.
Un autre département a fait le choix d’une action plus coercitive consistant à contrôler la situation de l’ensemble des allocataires et à envoyer un message d’avertissement, suivi d’une sanction sous forme de réduction de l’allocation si la situation ne change pas. Ces courriers d’avertissement ont fortement augmenté la participation aux premières étapes du parcours d’insertion. Mais ces notifications ont également accru les sorties du RSA.
L’étude ne permet pas d’identifier si les sorties vont vers l’emploi ou si elles correspondent à un arrêt de la perception de l’allocation par des individus toujours éligibles. Cependant, il apparaît vraisemblable que ces contrôles découragent les allocataires et accroissent leur non-recours. Une plus grande intensité de contrôle augmente les coûts supportés par les allocataires pour accéder à l’allocation, ce qui peut les conduire à renoncer à l’allocation et à leurs démarches d’insertion, soit l’exact inverse de l’objectif poursuivi.
L’épidémie de Covid-19 a rappelé avec force la résilience du modèle de protection sociale français, en capacité de faire face à une crise économique et sociale de très grande ampleur. La crise sanitaire a montré que les risques de perdre son emploi et de tomber dans la pauvreté concernent l’ensemble de la population et qu’il est nécessaire de disposer d’un mécanisme d’assurance et d’assistance collective. Dans le débat actuel, ce n’est pas seulement le volet monétaire qu’il faut réformer, mais plutôt la manière dont l’accompagnement se déploie et les moyens qui lui sont alloués pour mieux résorber les vulnérabilités sociales.
Yannick L’Horty, Économiste, professeur des universités, Université Gustave Eiffel; Rémi Le Gall, Chercheur (post-doctorat), Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC) et Sylvain Chareyron, Maître de conférences en Sciences économiques, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)
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