En 2020, le marché du vrac pesait environ 1,3 milliard d’euros, contre 100 millions en 2013. Fourni par l'auteur
Le passage à la vente en vrac oblige les distributeurs à revoir leurs pratiques
Fanny Reniou, Université de Rennes 1; Elisa Monnot, CY Cergy Paris Université; Lucie Sirieix, Montpellier SupAgro et Maud Daniel-Chever, Université de Rennes 1D’ici 2030, les magasins de plus de 400m2 devront consacrer « au moins 20 % de leur surface de vente de produits de grande consommation… à la vente de produits présentés sans emballage primaire » pour se mettre en conformité avec l’article 11 du projet de loi Climat et résilience. Cette loi vise à accélérer la vente en vrac, c’est-à-dire « la vente de produits présentés sans emballage, en quantité choisie par le consommateur, dans des contenants réemployables ou réutilisables », comme le définit le code de la consommation.
Avec un chiffre d’affaires en France de 1,3 milliard d’euros en 2020 contre 100 millions en 2013, le marché du vrac a gagné du terrain, c’est indéniable. Ceci est la preuve d’un engouement fort des consommateurs qui voient dans le vrac un moyen de faire des économies et un geste pour l’environnement. En effet, l’une des raisons majeures pour les consommateurs de se mettre au vrac est de limiter la génération de déchets.
Pour autant, malgré cet engouement constaté, de nombreux freins limitent encore le développement du vrac. Ils sont nombreux, bien connus et relayés dans les médias et observatoires qui s’intéressent au sujet : la non-accessibilité des produits, l’organisation logistique qu’il faut mettre en place (prévoir des sachets, apporter des bocaux, y penser), le prix (l’impression de ne pas le maîtriser) ou encore la perception d’un manque d’hygiène.
Problème majeur : ces réticences ont été exacerbées avec la crise sanitaire. Cette dernière n’a en effet pas épargné le secteur de la vente en vrac, qui, étant pourtant passé d’une vingtaine de magasins proposant du vrac en 2015 à environ 900 aujourd’hui, a vu ses consommateurs s’en détourner et des magasins fermer ces derniers temps.
Dans ce contexte, comment les distributeurs de vrac, qui peinent encore à convertir et fidéliser les consommateurs, doivent-ils adapter leurs pratiques afin de développer ce mode de consommation ? C’est la question à laquelle nous avons cherché à répondre dans un récent article de recherche.
Matériel adapté, compétences renouvelées
Les évolutions législatives citées plus haut impactent inévitablement les grands distributeurs. En effet, la vente en vrac est radicalement différente de la vente des produits emballés, et ce à bien des égards. Il faut revoir la manière de stocker les produits et de les présenter en rayon, la manière de diffuser les informations aux clients, celles-ci ayant disparu en même temps que l’emballage ; il faut adapter la relation client car ce sont eux qui se servent et font la pesée.
Ces exemples de pratiques renvoient à ce que l’on nomme traditionnellement le « retailing mix », c’est-à-dire la combinaison des facteurs que les distributeurs utilisent pour satisfaire les besoins des consommateurs et qui influencent leurs décisions d’achat. Elle comprend le mix produits-services, incluant l’assortiment et le prix, le mix distribution physique, comprenant l’aménagement du point de vente et le merchandising et, enfin, le mix communication, regroupant les publicités et promotions mais également le rôle du personnel de vente. Dans le vrac, le retailing mix, tel qu’appliqué traditionnellement, doit ainsi inéluctablement être adapté.
Dans la recherche que nous avons menée, visant à questionner l’adaptation de ce retailing mix, nous avons eu recours à plusieurs collectes de données – entretiens avec des distributeurs (responsables de rayons, gérants de magasins proposant du vrac), observations en magasin et prises de photographies, revue de presse – pour comprendre les pratiques aujourd’hui mises en place par les distributeurs pour s’adapter.
Nous avons analysé les données recueillies à la lumière des théories des pratiques sociales, c’est-à-dire en nous focalisant sur ce qui constitue les « pratiques » de vrac : les matériels nécessaires, les compétences mobilisées et les significations associées. Cette analyse conduit à la proposition d’un retailing mix adapté au cas du vrac et, ainsi, à formuler des recommandations managériales pour faciliter la distribution en vrac, notamment pour guider les managers dans l’adaptation de leur mix produits/services, distribution et communication.
Concernant le mix produits/services, c’est le triptyque matériel « produit/emballage/prix » qui est au cœur des adaptations. La vente en vrac nécessite, pour la construction de l’assortiment, de prendre en compte de nombreuses contraintes matérielles, contraintes guidées par les significations données au vrac.
En effet, une des difficultés majeures aujourd’hui dans le développement du vrac reste la non-disponibilité de certains produits, ceux-ci présentant des caractéristiques parfois difficilement compatibles avec une vente en vrac (certains sont friables, collants…). Un matériel adapté est donc nécessaire, des silos et des bacs, mais ceux-ci ne sont pas toujours adaptés pour la conservation des produits.
L’emballage constitue l’autre sujet phare en vrac. Celui-ci n’est en effet plus du ressort de l’industriel, mais du distributeur, qui en met, ou non, à disposition, et du consommateur, qui choisit ses contenants pour les adapter à ses usages (alléger le transport, réutiliser, mieux doser…). Enfin, la fixation du prix se voit bouleversée par rapport aux habitudes car la quantité de vente est non prédéfinie et « co-construite », au moyen de la balance, matériel au cœur du processus de vente.
Concernant le mix distribution physique, il s’agit pour les distributeurs d’aménager le point de vente avec une présentation (merchandising) repensée à la lumière de la nécessaire ergonomie des dispositifs matériels, mais aussi de leur esthétisme. La mise en rayon, elle, nécessite des compétences physiques et logistiques pour assurer manutention et traçabilité des produits et garantir, notamment, l’hygiène et la sécurité sanitaire attendues par les clients.
Concernant le mix communication, le but des distributeurs est de délivrer l’information produit en rayon. Le support matériel de l’étiquette et celui de l’information sur le lieu de vente (ILV) sont de première importance quand l’emballage, ou vendeur muet, disparaît. Enfin, éduquer les clients est primordial ; ceci passe par la mise à profit des compétences de conseil et la pédagogie du personnel de vente tout au long du parcours client.
Quête de cohérence
D’un point de vue managérial, il est possible de conclure qu’une mise en œuvre efficace du vrac sur les trois piliers du retailing mix passe par une cohérence entre le positionnement de l’enseigne (niveau méso) et les significations que le personnel associe au vrac (niveau micro), car, souvent, on observe une incohérence entre ces niveaux.
S’il est facile d’identifier les compétences et matériels spécifiques au retailing mix du vrac, les significations, comprenant les émotions et motivations du personnel, plus diffuses, intangibles et difficilement observables, restent moins évidentes à intégrer dans cet outil opérationnel du retailing mix. Pourtant, elles constituent des clés dans le développement du vrac.
S’agissant des émotions, les discours des acteurs du vrac montrent un panorama large, allant d’émotions positives, comme la fierté de changer profondément les habitudes de consommation à des émotions plus négatives, comme le découragement par rapport à un investissement dans le vrac qui ne produit pas toujours les effets attendus et des contextes concurrentiel et législatif pas toujours favorables.
S’agissant des motivations à « vendre du vrac », elles demeurent également essentielles. Le vrac, comme mode de vente en rupture avec le mode de distribution dominant, revêt plusieurs « sens » selon les acteurs sur lesquels ils doivent être au clair : la nécessité d’être présent sur un marché en croissance et à la mode, en valorisant la dimension accessible du vrac ; la volonté de commercialiser des produits locaux, en favorisant la dimension sociale et, notamment, la proximité avec les fournisseurs ; l’envie de s’engager dans la protection de l’environnement, en privilégiant la dimension écologique, rendue concrète par la limitation des emballages.
Ainsi, un des enjeux pour les distributeurs de vrac est de veiller à la cohérence entre le positionnement voulu par l’enseigne et les significations des pratiques des acteurs de terrain afin d’éviter des paradoxes ou contradictions au sein du point de vente, voire entre points de vente d’une même enseigne.
Fanny Reniou, Maître de conférences HDR, Université de Rennes 1; Elisa Monnot, Maître de conférences HDR, CY Cergy Paris Université; Lucie Sirieix, Professeur, Montpellier SupAgro et Maud Daniel-Chever, Maître de conférences, Université de Rennes 1
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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