Quel « monde d’après » pour le Tourisme ?

Economie
The Conversation Image par nextvoyage de Pixabay

Quel « monde d’après » pour le tourisme ?

Laurence Graillot, Université de Bourgogne – UBFC

t52 000 arrivées en avion à Paris pour le week-end de Pâques, annoncées sept fois plus nombreuses qu’en 2021 pour la période de mai à juillet… la reprise du tourisme semble réelle. Au niveau mondial, elle est observée depuis quelque temps par l’Organisation mondiale du tourisme. Les voyageurs étaient en janvier déjà 2,3 fois plus nombreux qu’au même mois un an plus tôt.

Pour certains professionnels, ce retour laisse entrevoir un été radieux. Il est estimé qu’en 2022 les fréquentations atteindront des records et apporteront des recettes tant attendues après des mois de pandémie. En 2021, à l’échelle du monde, le nombre de touristes internationaux a baissé de 71 % par rapport à 2019 (de 1 468 millions à 421 millions) et en France de 72 %.

Cette reprise du tourisme de masse suscite l’intérêt des chercheurs. Deux scénarios, correspondant à deux champs de recherche, semblent d’ailleurs émerger. D’une part, celui de la reprise du tourisme poursuivant une logique de croissance ; d’autre part, sa redéfinition.

Relance ou « détouristification » ?

Certains universitaires encouragent ainsi l’élaboration de stratégies de relance pour permettre au secteur de retrouver le « business as usual » dès que possible. Des travaux récents concluent d’ailleurs au retour et au maintien du tourisme tel qu’il existait dans le « monde d’avant ».

À Venise, un tag réclame le retour des touristes. Fourni par l'auteur

Cette perspective surfe également sur la propagation d’un « revenge travel ». Par cette expression sont désignés les effets qui résultent de la combinaison des désirs de rencontres et de déplacements déclenchés par la distanciation sociale et le confinement imposés par la pandémie. D’autant que nombre de ménages ont pu se constituer une épargne durant les mois de confinement.

Le risque d’un surtourisme, chargé en externalités négatives, apparaît cependant. Dégradations de l’environnement, du cadre de vie des résidents, nuisances et pollutions aérienne, visuelle ou sonore… Avant la pandémie, le tourisme avait déjà fait l’objet de rejets. Des mouvements « tourismophobes » ont été initiés par des habitants de Barcelone, de Venise ou d’Amsterdam, obligeant les autorités à implémenter de nouvelles régulations. Leur enjeu : maintenir la qualité de la vie et, pour cela aussi, la manne financière issue du tourisme.

C’est pourquoi d’autres recherches invitent à rejeter le modèle du tourisme de masse qui valorise l’exploitation des ressources naturelles, humaines ou culturelles comme moteur de la croissance. Leurs auteurs plaident pour une réinvention du tourisme afin de sortir de la logique du « toujours plus », incompatible avec le besoin de durabilité.

Il s’agit, dans un souci d’écologie, de privilégier la proximité plutôt que l’ailleurs et de placer les habitants au cœur du système touristique afin qu’ils bénéficient d’interactions positives. Des travaux exposent même l’idée d’une décroissance du tourisme ou « détouristification ». Ils encouragent le développement d’un tourisme alternatif proposant des offres compatibles avec les valeurs environnementales et sociétales de la région d’accueil, ce tourisme devant être « régénérateur ».

Trois systèmes

D’un point de vue théorique, ce modèle alternatif peut reposer sur le concept d’ « économie diversifiée ». Il a été introduit en 1996 par les géographes économistes féministes Katherine Gibson et Julie Graham dans leur ouvrage The End of Capitalism (As We Knew It), en réaction notamment à la valorisation du capitalisme néolibéral. Celle-ci se fait au détriment d’autres systèmes existants de production, d’échanges et de distribution. Nos travaux en cours, fondés sur nos précédentes publications liant tourisme et bien-être, transposent la notion à ce secteur.

Selon cette théorie, le paysage économique serait composé d’une multitude de pratiques et d’organisations cachées qui exercent un impact potentiellement plus élevé sur le bien-être social que le capitalisme et qui peuvent contribuer à la régénération environnementale au sens large. Très schématiquement, cette théorie s’intéresse à cinq types de relations développés dans le cadre du capitalisme, du capitalisme alternatif et du non-capitalisme.

Dans le cadre du tourisme, on observe une coexistence de systèmes alternatifs et non capitalistes avec le système capitaliste dominant, celui des tour-opérateurs. En France, plusieurs initiatives peuvent être mentionnées. Pour ce qui est des pratiques alternatives, Terres des Andes est, par exemple, une société coopérative et participative qui propose un tourisme en immersion, co-construit avec les habitants locaux et assurant une juste rémunération aux guides et aux familles d’accueil.

Pour ce qui est des pratiques non capitalistes, outre le WWOOFing, l’association des greeters regroupent des guides locaux bénévoles proposant des visites aux touristes. Pour sa part, la plate-forme coopérative de voyages Les oiseaux de passage réunit les deux pratiques précédentes.

À Venise toujours, des drapeaux sont aussi de sortie contre certaines formes de tourisme. Fourni par l'auteur

Prendre en compte cette théorie peut ainsi permettre d’identifier de nouvelles formes de tourisme. Cela suggère notamment de développer des initiatives valorisant les collaborations entre parties prenantes pour penser des offres touristiques impliquant des pratiques économiques diversifiées. Elle peut aussi aider à élaborer des offres combinant de façon équilibrée le marchand, le marchand alternatif, voire même le non marchand.

Ces recherches pourraient d’ailleurs intégrer les apports des travaux consacrés à l’« abondance frugale » pour proposer des solutions permettant de faire, de vivre et de (faire) voyager mieux avec moins. Il s’agirait de privilégier l’eudémonisme et moins l’hédonisme.The Conversation

Laurence Graillot, Maître de conférences en Sciences de gestion (marketing) - HDR, Université de Bourgogne – UBFC

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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