Secteur bancaire et financier : les salariés en télétravail subissent de nouvelles formes de contrôle

Economie

Les réunions en visioconférences se sont imposées dans le quotidien banques depuis le début du printemps 2020. Pexels, CC BY-SA

The Conversation

Secteur bancaire et financier : les salariés en télétravail subissent de nouvelles formes de contrôle

Les réunions en visioconférences se sont imposées dans le quotidien banques depuis le début du printemps 2020. Pexels, CC BY-SA
Vincent Meyer, EM Normandie et Caroline Diard, ESC Amiens

Pour les salariés du secteur bancaire et financier, un « monde d’après » Covid est bien apparu. Cependant, il ne semble pas à la hauteur des promesses d’une meilleure qualité de vie au travail (QVT) qui ont émergé pendant la pandémie et les périodes de télétravail subi. En effet, comme nous le relevons dans un article de recherche publié en septembre 2022, les télétravailleurs sont désormais exposés à de nouvelles formes de contrôle managérial qui traduisent un manque de confiance lorsque les salariés exercent leurs tâches à distance.

Avant la crise de la Covid-19, dans « l’ancien monde », le télétravail s’accompagnait d’une hausse du contrôle par les résultats. Les managers n’ayant plus leurs collaborateurs sous les yeux, ils ne pouvaient plus contrôler ni leurs horaires ni leur comportement (les visioconférences étant encore peu répandues) et augmentaient les objectifs quantitatifs et, en conséquence, le nombre de livrables. Les salariés l’acceptaient en contrepartie d’une plus grande liberté et d’une plus grande autonomie de travail chez soi.

Or, pendant la crise de la Covid-19, nous avons observé une baisse du contrôle par les résultats et l’émergence de nouvelles formes de contrôle, notamment du comportement des équipes à distance. Nous avons en outre observé le renforcement d’une forme d’« autocontrôle » au sein des organisations, déplaçant la responsabilité du contrôle de l’activité des managers vers les collaborateurs eux-mêmes.

« On pensait qu’ils n’étaient pas occupés »

Tout d’abord, les entreprises du secteur bancaire et financier que nous avons étudiées ont eu recours à de nouveaux modules de formation pour occuper leurs collaborateurs et contrôler ainsi leur temps. Un manager intermédiaire que nous avons interrogé reconnaît ainsi que son entreprise a clairement cherché à « occuper » leurs salariés :

« On pensait qu’ils les [salariés] n’étaient pas trop occupés et qu’il y avait un impact sur le business. On leur a donc organisé beaucoup de formations toutes les semaines. Nous, les managers de proximité, on leur a également proposé des ateliers. On a multiplié les formats, qui se sont additionnés. En conséquence, les plannings étaient plus chargés que d’habitude. À la charge mentale est venue s’ajouter cette masse de connexion, ce qui était un tort ».

Outre les modules de formation, le rythme et le format des réunions ont changé. De nouveaux outils collaboratifs ont pu être utilisés à des fins de contrôle. Un manager en témoigne :

« On a créé un fil WhatsApp pour échanger de manière informelle et on a organisé plus de réunions avec les directeurs de Paris pour faire le point en visioconférence. »

Ces nouveaux outils technologiques ont rendu les collaborateurs beaucoup plus disponibles. La charge de travail a augmenté et les plages horaires se sont allongées. Les collaborateurs ont donc eu de plus en plus de difficultés à tracer une frontière entre leur vie professionnelle et leur vie privée.

En effet, les sollicitations liées aux technologies génèrent une hyperconnectivité faite d’injonctions officieuses. Un salarié le regrette :

« Courriels, appels téléphoniques en dehors des horaires de travail… C’est rapidement devenu ingérable. Parfois, je suis obligé de répondre aux sollicitations le midi, le soir et le week-end. »

Cette hyperconnectivité a pu conduire à l’apparition de risques psychosociaux renforcés et a révélé une nouvelle forme de pression managériale, voire dans certains cas de harcèlement.

Une relation managériale bouleversée

La littérature sur le télétravail indique traditionnellement un renforcement du contrôle par les résultats en contrepartie d’une plus grande autonomie quand les collaborateurs passent en télétravail. Mais la crise de la Covid-19 semble avoir remis en cause cet équilibre. D’un côté, nous avons effectivement observé une baisse du contrôle par les résultats dans les entreprises que nous avons étudiées ; de l’autre, nous avons constaté l’apparition de nouvelles formes de contrôle par les comportements (micromanagement, multiplications des réunions) et par les « inputs » (multiplications des formations).

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Si la baisse du contrôle par les résultats peut s’expliquer en partie par le contexte singulier de la crise de la Covid-19, ces nouvelles formes de contrôlent mettent aussi en avant un nouveau mode d’organisation au travail. Il semble que la journée de travail au bureau soit aujourd’hui tout simplement dupliquée en télétravail chez soi, venant brouiller les frontières entre la vie privée et la vie professionnelle comme rarement auparavant.

Cette tendance semble s’être installée après la crise. Désormais, les points d’équipe hebdomadaires se font en mode hybride, avec des collaborateurs en présentiel et d’autres en distanciel. Les managers et les autres collaborateurs n’hésitent plus à solliciter les salariés en télétravail chez eux, non seulement par téléphone et par visioconférence, mais aussi via des outils de messagerie comme Slack ou WhatsApp. Si ces évolutions semblent être la contrepartie d’une hausse du nombre de jours télétravaillés, elles viennent remettent en cause la relation managériale classique en télétravail fondée sur la confiance et l’autonomie.

Cela ne va pas sans conséquence. Ces pratiques ainsi que l’émergence d’une forme d’autocontrôle plus diffus ont contribué à la co-construction d’une culture d’entreprise fondée sur l’urgence, l’hyperréactivité et un fort sentiment de redevabilité. Or, la surveillance par les pairs n’est pas sans risque.

Les conclusions de nos recherches semblent d’autant plus inquiétantes que la banque fait partie des secteurs qui se sont historiquement montrés en pointe en termes de déploiement du télétravail.

Afin de se prémunir contre les conséquences d’un management déviant et de cultures organisationnelles sans garde-fou en télétravail, il est donc plus que jamais nécessaire de mettre en œuvre de véritables politiques de télétravail raisonnées et coconstruites avec l’ensemble des collaborateurs et des partenaires sociaux.

Vincent Meyer, Professeur assistant en gestion des ressources humaines et théorie des organisations, EM Normandie et Caroline Diard, Professeur associé en management des ressources humaines, ESC Amiens

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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