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Nouveau nom au 1er janvier pour Montreuil-sur-Mer, anciennement Montreuil, la ville de Jean Valjean. Dguendel/Wikimedia Commons

Pourquoi changer le nom d’une commune ?

Nouveau nom au 1er janvier pour Montreuil-sur-Mer, anciennement Montreuil, la ville de Jean Valjean. Dguendel/Wikimedia Commons
Eric Delattre, Université de Lille

Bono, Cadillac, Cramchaban, Montreuil et Saint-Christophe. Telles sont les cinq communes, situées respectivement dans le Morbihan, en Gironde, en Charente-Maritime, dans le Pas-de-Calais et dans l’Allier qui changeront de nom au 1?? janvier 2023. Il faudra désormais les appeler Le Bono, Cadillac-sur-Garonne, Cram-Chaban, Montreuil-sur-Mer et Saint-Christophe-en-Bourbonnais.

L’an passé, elles étaient au nombre de 11, et le phénomène n’a rien d’une mode récente. Au cours de l’Histoire, les guerres et invasions, les regroupements et les scissions ou simplement l’évolution de la langue ont conduit nombre de communes à être rebaptisées. À la Révolution, elles n’ont pas été moins de 3000 concernées. Un décret de la Convention nationale du 16 octobre 1793 a en effet appelé à modifier « les noms qui peuvent rappeler les souvenirs de la royauté, de la féodalité ou de la superstition ». Si la plupart des communes ont ultérieurement retrouvé leur appellation d’origine, la problématique du changement de nom n’a pas pour autant disparu.

Depuis 1943, le fichier historique des communes de l’Insee, adossé au Code officiel géographique (COG) permet de recenser les évolutions officielles. Près de 1352 changements sont ainsi recensés en plus des cinq de cette année, et ce sans comptabiliser les créations de communes nouvelles. Depuis 2000, le nombre s’élève à 165.

Dans la grande majorité des cas, il s’agit d’un allongement du nom, Saint-Loup devenu par exemple Saint-Loup-des-Bois ; Laval, Laval-en-Belledonne. Les changements d’orthographe ou de typographie (de Sougéal vers Sougeal, Montgaillard vers Montgailhard) ne sont pas rares non plus, contrairement aux simplifications telles qu’un passage de Champdeniers-Saint-Denis à Champdeniers, et aux modifications combinatoires du type Barret-le-Bas vers Barret-sur-Méouge.

Le choix d’un nom nouveau est, lui, encore plus rare et les nouveautés totales semblent se limiter aux cas de fusions. Dans les Côtes-d’Armor, suite à la fusion de Plémet et La Ferrière en 2016, la commune nouvelle est appelée Les Moulins (avant de reprendre le nom de Plémet dès la fin 2017).

Quand elle n’est pas contrainte par une réorganisation administrative, qu’est-ce qui peut bien pousser un conseil municipal à entreprendre la démarche ? Ce que nous montrons dans un travail de recherche récent, c’est que, bien que cela ne puisse pas être présenté comme un motif devant les administrations centrales, les enjeux d’image tiennent une place centrale.

Une procédure très encadrée

Revenons tout d’abord sur la procédure à suivre pour en montrer les limites. La note d’information relative à l’instruction de demandes de changement de nom des communes du 6 février 2021 rappelle les différentes étapes et les différentes contraintes.

Est considéré comme changement de nom, toute modification du nom officiel, y compris « de simples rectifications d’orthographe ». La demande de changement doit être initiée par la commune par une délibération du conseil municipal transmise au préfet du département. Celui-ci vérifie le respect des règles de graphie liées notamment aux traits d’union, aux majuscules ou aux accents. Il sollicite l’avis du service des archives départementales, puis saisit le Conseil départemental pour avis.

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Suite à la suppression de la Commission de révision du nom des communes en 2019, l’acceptation ou le refus du changement se fait par un simple examen des dossiers par la Direction générale des collectivités locales (DGCL), contenant les délibérations et avis de tous les acteurs précités. Pour prendre sa décision, elle tient compte du respect des règles de jurisprudence du Conseil d’État selon lesquelles un changement de nom doit être justifié par la volonté de retrouver une appellation historique ou bien la volonté de se différencier d’autres communes.

En revanche, les changements fondés « sur des considérations de simple publicité touristique ou économique » sont rejetés. La DGCL peut aussi consulter des personnalités issues par exemple de la Commission nationale de toponymie, de l’Institut national de l’information géographique et forestière (l’IGN), du Centre national de la recherche scientifique (le CNRS) ou des Archives nationales.

Des erreurs régulières

Bien que strictement encadrée, la procédure semble néanmoins imparfaite. Notamment, car les conséquences d’une « modification des limites territoriales des communes », comme c’est le cas notamment de la création d’une commune nouvelle suite à une fusion, sont exclues de la procédure.

Dans cette situation, le changement de nom est décidé par les autorités ayant approuvé la fusion et fait l’objet d’un arrêté préfectoral. Or selon le média Maire Info, « plus du tiers des noms de communes nouvelles créées entre 2015 et 2017 (168 sur 479) étaient orthographiés de façon impropre ». C’est-à-dire qu’ils ne respectaient pas les règles de graphie, en raison de l’absence ou d’un mauvais usage des majuscules, traits d’union ou accents. C’est le cas par exemple des nouvelles communes de « La Corne en Vexin », sans traits d’union, ou de la ville du général de Gaulle « Colombey les Deux Eglises », sans trait d’union ni accent sur « Eglises » (seul l’accent est revenu depuis).

En changeant de nom à la suite d’une fusion, Colombey les Deux Églises a perdu ses tirets. René Hourdry/Wikimedia, CC BY-SA

Même si de telles erreurs semblent désormais moins fréquentes, il est assez frappant de noter qu’un nombre élevé de changements concernent des modifications du nom qui avait été choisi lors de la création d’une commune nouvelle. En 2022, Le Hom (Calvados) est ainsi devenu Thury-Harcourt-le-Hom. Idem pour Capavenir Vosges redevenu Thaon-les-Vosges.

Surtout, si la procédure actuelle a le mérite d’éviter les changements abusifs ou arbitraires, elle semble ignorer les enjeux de communication liés au nom des communes, et plus généralement des collectivités. Or ils existent bel et bien.

Des enjeux d’image indéniables

En effet, au-delà de ce que permet la loi, l’analyse permet dans les faits de mettre en évidence quatre grands types de changements. Les changements d’orthographe ou de typographie se limitent à des modifications mineures visant généralement à simplifier l’écriture, à faciliter la prononciation ou à retrouver une graphie altérée par l’usage. Ainsi, cette année, l’orthographe « Cram-Chaban » permet de retrouver l’ancien nom de la commune, correspondant à la combinaison du nom du village « Cram » à celui de son principal hameau « Chaban ». De la même façon, le nom « Le Bono » étant très largement utilisé pour désigner la commune, il deviendra, au 1er janvier, le nom officiel en remplacement de « Bono ».

Les changements de différenciation sont ceux qui permettent de mieux situer géographiquement une commune et d’éviter les confusions avec des communes homonymes. Ils s’effectuent généralement en ajoutant une référence régionale ou locale, à l’instar de Saint-Christophe-en-Bourbonnais. Ce type de changement a été et reste encore largement encouragé par les pouvoirs publics. Il reste encore par exemple neuf communes françaises homonymes dénommées « Saint-Pierre ».

En dépit de ce que pose la note d’information prémentionnée, on retrouve également des changements d’image, ceux qui visent à donner une image plus forte, plus positive, plus moderne ou plus touristique. Ils consistent généralement à simplifier des noms à rallonge, à éliminer certains termes jugés péjoratifs tels que « froid » ou « bas » ou à choisir un nom valorisant, avec des connotations positives. Veules-les-Roses ou Condé-en-Normandie sont des appellations plus touristiques que Veules-en-Caux ou Condé-Noireau par exemple.

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En 1997, la préfecture de l’ancienne région Champagne-Ardenne, Châlons-sur-Marne, devient Châlons-en-Champagne. Certes les deux noms cohabitaient dans le langage courant, mais qui niera qu’il n’y a pas aussi là des enjeux d’image et de tourisme ? De même, en Dordogne, pour Montignac qui devient en 2020 Montignac-Lascaux.

Ces enjeux ne sont pourtant pas nouveaux. L’ordonnance du 8 juillet 1814 recommandait ainsi aux communes ayant adopté des noms révolutionnaires de reprendre leur ancienne appellation dans la mesure où « leur nouvelle dénomination, inconnue même dans les départements dont ces communes font partie, est nuisible aux relations de commerce ». À une époque où les maires sont aussi devenus des managers, peut-on encore considérer que le changement de nom ne soit pas directement lié à des objectifs de communication ?

Un signal

Les changements stratégiques sont les plus rares. Il s’agit de marquer une rupture ou une évolution importante. Cela peut être le cas, lors d’une fusion, lorsqu’un nom totalement nouveau est choisi, à l’instar de Perceneige (Yonne) issu de la fusion de 7 villages en 1972.

Ces catégories de changements ne sont pas exclusives les unes des autres. Les changements orthographiques ou de différenciation s’inscrivent ainsi généralement dans des impératifs d’image et de promotion, le nom étant à la fois, par son origine et son histoire, un composant de l’identité et le principal véhicule de cette identité.

Montreuil-sur-Mer permet à la fois de se différencier des trois autres communes françaises dénommées Montreuil, de valoriser une commune qui a le rang de sous-préfecture et de souligner le potentiel touristique d’un lieu connu à travers le monde pour avoir fictivement eu comme maire Jean Valjean dans le roman Les Misérables de Victor Hugo.

Quelle que soit la raison initiale des changements de nom, ils ont tous pour point commun de pouvoir être envisagés comme un signal envoyé par les autorités communales à l’ensemble des parties prenantes (administrés, touristes, commerçants, dirigeants d’entreprise et investisseurs potentiels…) leur permettant de mieux saisir l’identité de la commune. L’enjeu est de donner, à des degrés divers, une meilleure visibilité à la commune ainsi qu’une image plus distincte et plus valorisante.

Eric Delattre, Maître de Conférences en Gestion, Université de Lille

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Trinquer à la nouvelle année ne se fera pas avec n’importe quoi. Shutterstock

Vins « pétillants », « mousseux », « effervescents »… Sait-on bien de quoi l’on parle ?

Trinquer à la nouvelle année ne se fera pas avec n’importe quoi. Shutterstock
Laurent Gautier, Université de Bourgogne – UBFC; Mariele Mancebo, Université de Bourgogne – UBFC et Matthieu Bach, Université de Bourgogne – UBFC

Parmi les incontournables du réveillon de la Saint-Sylvestre et du passage à la nouvelle année, le champagne tient une place de choix. On le sabre entre amis, on le partage avec des inconnus sur les Champs-Élysées ou on le déguste quasi religieusement en tête à tête dans une ambiance plus intimiste. Bref, on l’associe inévitablement et sans forcément en être conscient à des circonstances de dégustation particulières, construites par nous ou héritées, et qui nous feront réserver la meilleure de nos bouteilles pour tel évènement. Mais qui du produit ou des circonstances de dégustation impose l’autre ?

Dans le même temps, d’autres circonstances, plus économiques, marketing et parfois identitaires ou culturelles, s’imposent elles aussi. Le champagne n’est plus seul dans les rayons. Il y côtoie en premier lieu les crémants français, mais aussi toute une kyrielle de vins effervescents étrangers : les cavas espagnols, les proseccos italiens ou encore, plus récemment, les espumantes brésiliens pour ne citer que quelques exemples latins.

Dans ce contexte relevant du domaine du sensoriel, un regard porté sur les mots et les discours des professionnels des filières et sur ceux des consommateurs se révèle riche d’enseignements. Comme souvent dans l’industrie agro-alimentaire, comme en parfumerie, les mots utilisés et les discours construits autour des produits visés disent bien souvent plus sur celles et ceux qui les utilisent, leurs représentations, les évaluations conscientes (ou non) auxquelles ils se livrent, que sur les produits eux-mêmes.

Quand la sémantique prend le pas sur la technique

Comme fréquemment dans le domaine des vins et spiritueux, le point de départ se veut on ne peut plus « objectif ». Dans le secteur, on renverra par exemple à des phénomènes de pression de gaz carbonique. Des désignations, des « termes » comme disent les linguistes, correspondent à une réalité précise et une seule. Le tout est circonscrit techniquement dans les textes règlementaires.

« Effervescent », recouvre ainsi l’ensemble de vins contenant du gaz carbonique et les professionnels procèdent ensuite à une subdivision en trois grandes sous-catégories selon la pression et la concentration en dioxyde de carbone. Dans l’ordre croissant de ces paramètres, on retrouve ainsi les vins « perlants », les vins « pétillants » et les vins « mousseux ».

Il s’agit là de distinctions indispensables notamment au niveau juridique : il s’agit de garantir au consommateur la qualité d’un produit, la pérennité d’un savoir-faire et la singularité d’une filière. Le débat récent sur l’utilisation de la désignation « Champagne » pour des effervescents russes a été l’occasion de le rappeler : car bien vite, la sémantique prend le pas sur la technique.

Il suffit en effet de poser son micro ou sa caméra là où vont sauter les bouchons le 31 décembre ou le 1er janvier pour se rendre compte que nos représentations ne s’encombrent pas de ces nomenclatures de sciences physiques pour employer tous ces termes. Seul « perlant », peut-être, n’appartient encore qu’au lexique expert.

« Pétillant » et « effervescent » ont de leur côté vu leur sens, en usage, évoluer pour devenir des mots ne disant finalement plus grand-chose d’autre que « vins (de qualité) avec des bulles ». « Mousseux », pourtant « neutre » dans sa définition légale, prend lui une connotation plutôt négative auprès du consommateur. Dans un tel contexte, le terme technique a intérêt à rester circonscrit aux seuls professionnels. Nos recherches montrent ainsi comment le « Bourgogne mousseux » a été renommé avec efficacité « Crémant de Bourgogne » pour accompagner une montée en gamme du produit.

Et le goût ?

Partant de données produites en conditions contrôlées avec de larges panels de consommateurs et d’experts, nos travaux des dernières années ont croisé des questionnaires déconnectés de toute situation de dégustation avec des questionnaires remplis en cours de dégustation. On voit ainsi se dessiner ce qui, pour les panels français interrogés, constitue le prototype du vin effervescent.

Que le meilleur représentant de la catégorie des effervescents soit le « champagne » n’est pas une révélation, et ce n’est pas non plus l’aspect le plus intéressant. Ce qui retient l’attention, ce sont les composantes en quelque sorte scénarisées de ce prototype au premier lieu desquelles les circonstances de consommation, quasi exclusivement festives.

Les cavas espagnols et autres espumantes brésiliens se retrouvent aujourd’hui sur nos rayons. graydaiiz/pxhere, CC BY-SA

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D’autres composantes retiennent tout autant l’attention : le prix et la représentation sociale correspondant au fait de dépenser telle somme pour une bouteille, les univers associés de raffinement, de finesse et d’élégance, ainsi que la valorisation du savoir-faire, de la tradition, du terroir.

Finalement, l’amateur du goût serait presque déçu que les aspects strictement sensoriels s’effacent dans les réponses des enquêtés au profit de ces univers de représentations. L’appréciation se fera d’ailleurs souvent par rapport à ce que l’on pense connaître du champagne :

« Finalement, entre ça et un mauvais champagne au même prix… »

De la prise de mousse à la « tomada de espuma »

Parmi les concurrents internationaux sur le segment des effervescents, notre attention s’est focalisée sur le marché émergent des espumantes brésiliens. A Rio ou à Sao Paulo, la dimension expérientielle produira aussi une terminologie plutôt spontanée à partir de termes techniques détournés chez les Brésiliens : « refrescante », « suave », « perlage »…

La dimension objective y prend cependant plus de place, notamment dans le discours expert. Presque paradoxalement, le recours à la terminologie française se fait de manière plus massive que dans l’hexagone. Cela se traduit par des emprunts et des tentatives de traduction : la « prise de mousse » est ainsi calquée en « tomada de espuma ».

C’est donc la langue française qui servirait de « modèle » pour en parler. Et ce rôle de la terminologie française du champagne ne saurait être déconnecté de la réalité cognitive qu’est le prototype « Champagne », par-delà les langues et les cultures. Au Brésil, le terme connaît un usage commun et ce n’est que très récemment que le pays a reconnu l’Appellation d’Origine Contrôlée, en 2012. Le pionnier dans la production d’effervescents, la maison Peterlongo, peut d’ailleurs encore, et légalement, appeler certains de ses produits « Champagne ».


L’abus d’alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération. L’alcool ne doit pas être consommé par des femmes enceintes.

Laurent Gautier, Professeur des Universités en linguistique allemande et appliquée, Université de Bourgogne – UBFC; Mariele Mancebo, Docteure en Sciences du Langage, Université de Bourgogne – UBFC et Matthieu Bach, Docteur en Etudes Germaniques, Université de Bourgogne – UBFC

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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La valeur d’un cadeau ne se résume pas à sa valeur monétaire. Lloydoramcdowell / Wikimedia Commons, CC BY-SA

Pour Noël, évitez de déposer des chèques et des billets sous le sapin

La valeur d’un cadeau ne se résume pas à sa valeur monétaire. Lloydoramcdowell / Wikimedia Commons, CC BY-SA
François Lévêque, Mines Paris

Quel jouet acheter à ma nièce pour Noël ? Pas facile, moi qui n’ai jamais été une petite fille de huit ans. Pour mon frère : une bouteille de whisky. Mais n’a-t-il pas arrêté d’en boire dernièrement ? Et ma tante ? Le Goncourt de l’année, comme toujours. Pas sûr pourtant que l’histoire, cette fois, l’intéresse.

À ma compagne, c’est plus facile, je connais ses goûts et tout ce qu’elle possède déjà. En tout cas, pas d’argent ni aux uns ni aux autres. Éventuellement un chèque-cadeau si je n’ai pas le temps de courir les magasins et les sites Internet. De toute façon lorsqu’elles ne plaisent pas, ces étrennes peuvent se revendre sur Leboncoin. L’économie des cadeaux pour les fêtes est déconcertante !

Au début des années 1990, elle a dérouté un jeune assistant-professeur de l’Université de Yale. Fasciné par la théorie économique du choix rationnel du consommateur, il tique devant la tradition de Noël qui consiste à offrir un bien pour une autre personne sans connaître parfaitement ses préférences. En dépensant 50 dollars pour un cadeau à un proche, il est probable que ce dernier aurait acheté avec cette somme quelque chose qui lui aurait plu davantage.

Il demande alors aux étudiants de son cours de microéconomie d’estimer le prix des cadeaux qu’ils ont reçus il y a peu pour Noël, ainsi que ce qu’ils seraient prêts à payer pour obtenir leurs cadeaux s’ils ne les avaient pas reçus. L’un répond, par exemple, que le sweatshirt qu’il a découvert sous le sapin vaut 50 euros dans le commerce, mais qu’il aurait été prêt à payer seulement 43 euros s’il avait eu à l’acheter.

Perte économique sèche

Le jeune assistant-professeur observe chez les étudiants interrogés un écart systématique de l’ordre de 20 % entre leurs deux estimations. Appliquant ce ratio au chiffre des ventes réalisées au Noël 1992, il en déduit que l’échange de cadeaux conduit une perte sèche pour la société de plusieurs milliards de dollars. Pour corriger cette allocation inefficace des ressources, il conviendrait selon lui de donner de l’argent plutôt que d’offrir des présents emballés. Un billet de 50 euros plutôt que 7 euros perdus pour un sweatshirt surprise.

Or, son raisonnement économique est erroné et absurde.

Mais avant d’expliquer pourquoi, observons que si son raisonnement avait été juste, la perte de richesse serait encore beaucoup plus grande aujourd’hui. Les dépenses de cadeaux pour les fêtes de Noël ont en effet considérablement augmenté depuis le début des années 1990. La Chine et sa production à bas coût sont passées par là.

Prenons l’exemple des jouets. L’empire du Milieu concentre environ les trois quarts de la production mondiale.

Toutes les entreprises du reste de la planète s’y approvisionnent ou bien y fabriquent. Même Lego a fini par y construire une usine. Les consommateurs français apprécient car ils ont ainsi vu le prix des jouets chuter de près d’un cinquième entre 1995 et 2015. Cette tendance vaut également pour les présents que se font les adultes entre eux.

Parallèlement à cette baisse unitaire, le budget alloué aux cadeaux de Noël gonfle régulièrement. Aux États-Unis, la dépense par ménage a augmenté de près de 40 % au cours des 30 dernières années. Cet emballement n’est pas sans poser problème à certains. Deux Américains sur dix déclarent qu’ils se sont endettés pour Noël. Il faut dire qu’ils sont un peu plus d’un sur deux à considérer que c’est le moment de l’année où ils se permettent de ne pas se soucier de dépenser de l’argent. Il en est peut-être de même pour vous. En tout cas, les experts en marketing et les vendeurs le savent et ils s’en donnent à cœur joie pour nous pousser à la dépense en ces périodes de fin d’année.

Si Joel Waldfogel, puisque c’est le nom de notre jeune assistant-professeur, avait raison en calculant qu’un cinquième des dépenses des cadeaux de Noël s’envolait en fumée en pure perte, l’addition, ou plutôt la soustraction, serait donc devenue encore plus salée aujourd’hui. Il ne faut pas cependant s’en inquiéter car, comme annoncé, il a tort.

Réciprocité

Intuitivement, cela ne vous surprendra pas. Imaginez offrir de l’argent à votre compagne ou à votre compagnon sous le sapin plutôt qu’un présent. Il y a peu de chances que sa réaction soit plus positive que devant un cadeau joliment emballé. Même chose pour l’ami qui vous a invité pour le réveillon de la Saint-Sylvestre devant un billet de 10 ou 20 euros que vous lui tendriez sur le pas de la porte au lieu d’une bouteille de vin ou d’un bouquet de fleurs !

Et puis, les cadeaux de Noël sont en général réciproques. Imaginez un échange d’enveloppes entre conjoints, chacune contenant 50 euros. Super, les deux dons s’annulent ! Notez que la situation serait sans doute plus délicate encore si l’un mettait beaucoup moins de billets dans son enveloppe que l’autre…

D’ailleurs, les économistes d’aujourd’hui ne s’y trompent pas. Près de cinquante, la plupart enseignant à Chicago, Harvard, MIT, Stanford et Berkeley, ont été sollicités pour réagir à la proposition suivante :

« Donner des présents spécifiques comme cadeaux de fête est inefficace car les bénéficiaires pourraient beaucoup mieux satisfaire leurs préférences avec du cash. »

Seule une petite minorité s’est déclarée d’accord. Quant aux sept lauréats du prix « Nobel » d’économie interrogés parmi le groupe, ils se sont unanimement prononcés contre.

Les anthropologues auraient été encore plus sûrement unanimes. Fins observateurs du don dans les sociétés traditionnelles et modernes, ils en savent plus que quiconque sur ce sujet complexe. Ils ne peuvent que dénoncer le réductionnisme d’un Joel Waldfogel. Mais en cherchant la réfutation du côté même de l’économie, nous allons pouvoir actualiser nos connaissances sur la théorie du consommateur.

La perte entre le don d’un présent emballé et le don d’argent trouve en effet son origine dans le modèle maintenant dépassé d’un consommateur choisissant de façon parfaitement rationnelle ce qu’il achète : il connaît intimement ses préférences et calcule face à tous les biens et selon ses moyens ce qui maximiserait son plaisir, son utilité, disent les économistes. Du genre Homo œconomicus, il est donc imbattable dans le choix de ses achats.

Les cadeaux de Noël sont en général réciproques. Dave/Flickr, CC BY-SA

Le mérite de Joel Waldfogel serait alors d’avoir le premier mesuré de combien celui qui choisit à la place du consommateur est battu. Sauf que sa démarche n’est pas très canonique. Aux yeux d’un puriste, il commet un sacrilège : il objective l’utilité par une mesure monétaire et il compare l’utilité entre les personnes. Cela revient en quelque sorte à faire de l’argent l’instrument universel de mesure du plaisir et qu’un dollar pour le donateur vaut autant qu’un dollar pour le donataire, alors même que le premier peut être plus riche que le second, ou l’inverse ; une double position contestée par les théoriciens.

Par ailleurs, la théorie du consommateur parfaitement rationnel est battue en brèche par les travaux de psychologie expérimentale et d’économie comportementale, travaux qui se sont multipliés depuis plusieurs dizaines d’années.

Ils ont notamment mis en évidence l’importance de la réciprocité comme interaction sociale. Soit un joueur 1 qui décide quelle part d’un prix de 100 unités il est prêt à offrir à un joueur 2, alors que ce dernier a seulement la possibilité d’accepter ou de refuser la part proposée. La plupart des offres sont comprises entre 42 et 50 % tandis que les offres à moins de 20 % sont refusées. La théorie prédit pourtant que le joueur 1 devrait par intérêt garder presque tout pour lui et que joueur 2 devrait accepter même une petite part du gâteau car c’est toujours mieux que rien du tout !

Dès lors, il devient également possible de battre le consommateur lui-même. Par exemple, en lui offrant en cadeau un bien ou service auquel il n’aurait pas pensé car il n’en connaissait pas l’existence ou n’en connaissait qu’insuffisamment les caractéristiques et les usages. Sans parler d’autres barrières comme la crainte que son achat soit jugé déplacé aux yeux d’une partie de son entourage.

Plaisir d’offrir

Le modèle théorique du consommateur s’éloigne ainsi aujourd’hui de la parfaite rationalité et cherche à intégrer les affects (sentiments et émotions) et les motivations (dévouement familial, altruisme, socialisation, etc.) qui guident ses choix. Le cadeau emballé peut dès lors être apprécié comme un signal de l’attachement du donateur puisqu’il a réfléchi et a passé du temps à le choisir, ou même parce qu’il procure tout simplement quelques minutes passées à découvrir une surprise, le temps d’enlever le ruban et d’ouvrir le paquet.

Bref, la valeur du cadeau ne se résume pas à sa valeur monétaire. D’ailleurs, dès lors que la question posée aux étudiants n’est plus d’estimer le prix du cadeau reçu en l’enjoignant de laisser de côté la valeur sentimentale, mais que l’interrogation porte sur sa valeur totale comprise comme sa valeur matérielle plus sa valeur sentimentale, c’est un gain et non plus une perte qui apparaît.

En toute rigueur, il conviendrait aussi de comptabiliser la satisfaction du donateur. Ne dit-on pas que le plaisir d’offrir est souvent plus grand que celui de recevoir ? La consommation du cadeau reçu peut être à l’origine aussi d’un effet positif en retour, comme le sourire et le remerciement du donataire. Sans parler de la réaction d’Annie Hall recevant de son mari joué par Woody Allen une pièce de lingerie fine « Oh mais c’est un cadeau pour toi ! ».

Après ces considérations sur les façons dont nous devrions et dont nous pourrions nous comporter avec nos cadeaux de Noël, il serait peut-être temps d’observer comment nous nous comportons. Que disent les sondages et les enquêtes ?

En premier lieu, les donataires sont dans leur très grande majorité satisfaits des présents qu’ils reçoivent. En Europe, seul un sur sept a recueilli un cadeau qu’il n’apprécie pas ; la France se distinguant par une proportion plus forte. Les donateurs voient donc plutôt juste. Peut-être d’ailleurs pour certains aidés par les suggestions de l’entourage de la personne à qui ils voulaient faire un présent. Ou même en demandant directement ce qu’elle veut pour Noël !

En second lieu, le don d’argent est très minoritaire – une personne sur 10 en reçoit parmi tous ses cadeaux. Il reste largement dépassé par la carte cadeau. Elle évite de remettre un chèque ou des billets sans âme et réduit les chances d’un cadeau spécifique qui déplairait. Mais elle reporte sur le donataire la tâche d’aller en magasin, qu’il soit en brique ou en ligne. Selon une association de consommateurs, un Américain consacre une quinzaine d’heures à magasiner plus trois à emballer les cadeaux.

En dernier lieu, les présents qui ne plaisent pas connaissent toutes sortes de devenirs. Ils restent le plus souvent au fond d’une armoire ou d’un tiroir, mais sont parfois aussi jetés avec les papiers d’emballage, une pratique que les éboueurs de Sydney dénoncent en chœur dans « Give me something good », un clip réalisé par la banque ING pour sensibiliser à ce gâchis.

Pour éviter le gaspillage, les cadeaux peuvent être remis en circulation. De façon traditionnelle, en réoffrant l’air de rien ce que l’on a reçu, en échangeant en boutique, ou en donnant à une organisation caritative.

« Give Me Something Good » (ING Australia, 2019).

Aujourd’hui, la revente sur Internet a pris le dessus. Pour le 25 décembre 2020 et rien que pour la France, Rakuten annonçait 300 000 cadeaux postés mi-journée, eBay estimait le double pour la fin de soirée et Leboncoin plus encore. Plusieurs millions de cadeaux changent ainsi de main pendant les fêtes et quelques jours au-delà. S’il avait connu ces plates-formes d’échanges, notre jeune assistant-professeur d’économie de Yale aurait revu son calcul de perte à la baisse grâce à la réallocation efficace des ressources qu’elles permettent.

Devant l’ampleur commerciale qu’ont prise les fêtes de Noël et l’avalanche de cadeaux qu’elles déclenchent, on peut aussi être tenté de renouer avec une tradition plus sobre et tournée vers son prochain. De nombreuses associations caritatives acceptent des cadeaux pour les redistribuer.

Vous pouvez donner parmi ceux que vous avez reçus ceux qui vous déplaisent ou dont vous disposez déjà. Vous pouvez aussi faire don d’un cadeau qui vous plaît, mais qui plairait plus ou serait plus utile encore à d’autres ; ce ne serait pas une hérésie économique, pas plus qu’envoyer un chèque ou passer un virement à une association caritative !


Note : la littérature économique sur les cadeaux de fêtes est abondante. Vous trouverez une courte recension ici. Joel Waldfogel lui-même a publié d’autres articles notamment ici et même un livre.

François Lévêque a publié chez Odile Jacob « Les entreprises hyperpuissantes. Géants et Titans, la fin du modèle global ? ». Son ouvrage a reçu le prix lycéen du livre d’économie 2021.

François Lévêque, Professeur d’économie, Mines Paris

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Depuis un an, les TGV de la SNCF partagent leurs quais à Paris-Gare de Lyon avec les rames Frecciarossa de la compagnie italienne Trenitalia. Stig124 / Wikimedia Commons, CC BY-SA

TGV Paris-Lyon : un an après, l’arrivée de Trenitalia rime-t-elle effectivement avec prix plus bas ?

Depuis un an, les TGV de la SNCF partagent leurs quais à Paris-Gare de Lyon avec les rames Frecciarossa de la compagnie italienne Trenitalia. Stig124 / Wikimedia Commons, CC BY-SA
Florent Laroche, Université Lumière Lyon 2

La crise liée au coronavirus en avait retardé l’échéance. Pour la première fois, le 18 décembre 2021, un train d’une compagnie étrangère reliait deux villes françaises après plus de 80 ans de monopole par la SNCF. Une rame Frecciarossa du transporteur Trenitalia quittait Paris pour Milan, desservant au passage Lyon-Part Dieu, Chambéry et Modane du côté français des Alpes. Deux allers-retours quotidiens pour commencer, puis trois à partir du mois d’avril et cinq deux mois plus tard, les trois derniers seulement entre Paris et Lyon.

L’ouverture à la concurrence, promettait l’Union européenne, devait offrir au consommateur une qualité de service renforcée à des prix plus attractifs en obligeant un opérateur en situation de monopole à comprimer ses marges. Nos travaux de recherche synthétisant plusieurs observations faites sur le Vieux Continent tendaient à montrer que l’hypothèse semblait vérifiée avec des écarts plus ou moins importants selon les pays.

Un an après, qu’en est-il sur la ligne à grande vitesse Paris-Lyon, la plus ancienne et la plus empruntée d’Europe (44 millions de passagers en 2019) ?

Plus de trains pour des prix maîtrisés

Pour distinguer les effets de l’arrivée d’un nouvel opérateur de ceux du Covid, dont nous avions montré qu’il avait donné en moyenne lieu à une baisse des prix, nous avons, dans nos travaux récents, isolé quatre périodes d’un mois : pandémie ou non, monopole ou non, les quatre cas de figure étaient représentés et nous ont offert des éléments de comparaison.

Avec pareil objectif, un autre élément de comparaison a également été utilisé, la liaison Paris-Bordeaux sur laquelle la SNCF est toujours seule à faire rouler ses trains. Les temps de trajets y sont similaires à l’axe Paris-Lyon et on retrouve dans les deux cas un vaste arrière-pays desservi par les trains (Marseille, Nice ou Grenoble, côté lyonnais ; Toulouse, Tarbes ou Hendaye, côté girondin).

Les résultats montrent que le nouvel arrivant a rempli son rôle, en proposant des prix 30 à 60 % inférieurs face à l’opérateur historique et en augmentant son offre de deux à cinq allers-retours quotidiens. Du côté de la SNCF, le nombre de TGV inOui a retrouvé son niveau de 2019 tandis que les prix ont baissé de 20 % entre octobre 2019 et octobre 2022. L’offre Ouigo est quant à elle également restée stable avec une baisse des prix plus modérée de 13 %.

Au total, cela donne entre Lyon et Paris 15 % de trains en plus et 23 % de réduction sur les billets, ce qui semble positif et s’inscrit au profit des usagers. Sur le Paris-Bordeaux, ces chiffres sont respectivement de + 18 % pour la fréquence et + 4 % pour les prix témoignant d’un engouement pour cette destination mais aussi, très vraisemblablement, d’un rattrapage sur les prix en situation post-Covid, ce à quoi l’axe Paris-Lyon semble avoir échappé.

Est-ce à mettre au crédit de la concurrence ? Qu’il s’agisse des prix ou de la fréquence, ces résultats globaux appellent un peu de nuance.

Tout en contraste

Pour ce qui est de la fréquence, l’accroissement des trafics sur Paris-Lyon résulte exclusivement des cinq nouvelles rames Trenitalia. Cela peut être vu comme un succès mais aussi comme une stratégie de retenue de la part de la SNCF, qui pendant ce temps augmentait son offre sur l’axe Paris-Bordeaux. Sans concurrence, rien ne laisse à penser que les résultats auraient été moins bons pour Paris-Lyon dans une année 2022 cumulant les records de fréquentation.

L’effet sur les prix, lui, est plus prononcé encore si l’on compare les trajets en inOui et en Trenitalia, qui jouent dans la même catégorie en matière de confort : respectivement 71,20 € en moyenne contre 37,40 € en octobre 2022, soit un delta de 47 %. Reste que cette différence peut s’expliquer à partir de deux éléments dont dépend sans doute l’avenir de l’écart observé : les avantages à l’installation dont bénéficie Trenitalia et ses difficultés de positionnement vis-à-vis de la clientèle professionnelle par un volume et une grille horaire encore trop peu attractifs.

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Concernant les avantages, Trenitalia a obtenu une réduction des péages à verser pour ses trois premières années d’exploitation à savoir, 37 % en 2022, 16 % en 2023 et 8 % 2024. Pour faire circuler ses trains sur un sillon, un opérateur (comme le sont SNCF Voyageurs ou Trenitalia) doit en effet s’acquitter d’un péage auprès du gestionnaire de l’infrastructure (SNCF Réseau en France). Il contribue à couvrir l’ensemble des coûts liés à l’investissement et au fonctionnement de la ligne à grande vitesse sur le principe de l’usager-payeur plutôt que le contribuable-payeur. Il représente entre 35 % et 40 % du prix d’un billet de train.

Cette réduction accordée à Trenitalia vise à compenser son coût d’investissement pour entrer sur le marché français (estimé à plus de 100 millions d’euros) et à lui donner le temps de gagner en renommée et visibilité aux côtés d’un opérateur historique très établi. Trenitalia pourra-t-elle maintenir ses prix bas lorsqu’elle devra s’acquitter de 100 % des péages ?

Trenitalia face à un choix

Concernant le positionnement de Trenitalia sur la clientèle professionnelle, l’opérateur italien semble pris entre deux feux. Un fait marquant illustre bien cet enjeu : on observe en heure de pointe, malgré des créneaux horaires proches, que les prix affichés par la SNCF ont peu évolué par rapport à l’offre de Trenitalia bon marché. Les prix de la SNCF étant indexés sur le taux de remplissage, ils nous enseignent que la clientèle surtout professionnelle à ces moments de la journée reste captée par l’opérateur historique malgré des prix plus élevés.

L’explication réside dans les deux facteurs déterminants pour cette clientèle : pas tant le prix que l’horaire et la fréquence. Sans accroissement de son offre, il sera difficile pour Trenitalia de convaincre pleinement cette population. Cependant, accroître les fréquences et positionner des trains sur des créneaux stratégiques pourrait accroître les coûts d’exploitation de l’opérateur et rendre plus difficile le maintien de prix bas. Tel est le dilemme.

L’ouverture à la concurrence du rail entre Paris et Lyon pourrait bien participer de la hausse des tarifs sur la liaison Paris – Bordeaux. Chabe01/Wikimedia, CC BY-SA

L’équation semble difficile à tenir mais pourrait être résolue par des trains à plus grande capacité, ce à quoi l’entreprise se prépare avec, dans les mois à venir, le passage à des unités doubles et l’ajout de deux allers-retours supplémentaires. Il devrait néanmoins en résulter un accroissement des prix pour couvrir les investissements et coûts d’exploitation supplémentaires, en plus de l’inflation dans le secteur de l’énergie.

Une péréquation territoriale remise en cause ?

Du point de vue de l’usager de la ligne, l’effet reste donc positif : une offre plus diversifiée pour des prix maîtrisés sur l’axe Paris-Lyon. Cependant, il s’agit aussi d’élargir le spectre d’analyse à l’ensemble de la collectivité. De fait, les prix plus élevés sur l’axe Paris-Lyon avaient pour vertu de compenser pour partie les pertes enregistrées sur le reste des services à grande vitesse souvent déficitaires.

Ce système de péréquation pourrait se trouver un peu plus fragilisé et conduire la SNCF à se tourner vers les collectivités locales pour subventionner le fonctionnement de certaines dessertes TGV au risque de les voir disparaître. À moins qu’elle ne renforce la contribution de ses autres lignes rentables.

Florent Laroche, Maître de conférence en économie, Université Lumière Lyon 2

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.