Vers des générations de non-fumeurs : oui, mais comment ?
Houda Sassi-Chamsi, Université Grenoble Alpes (UGA); Agnès Helme-Guizon, Université Grenoble Alpes (UGA) et Jessica Gérard, Université Grenoble Alpes (UGA)Ce 1er novembre, à l’initiative de Santé publique France, le mois « sans tabac » débute pour une septième édition. Les fumeurs de tous âges sont collectivement invités à ne plus griller une cigarette pendant 30 jours, une démarche qui, selon les organisateurs, multiplie par cinq les chances d’y renoncer définitivement.
Ces dernières années, ce sont en particulier les jeunes qui ont été la cible prioritaire des pouvoirs publics. Le Comité national contre le tabagisme estime qu’ils sont environ 200 000 à commencer à fumer en France chaque année, épinglant il y a quelques temps les buralistes pour leur manque de vigilance.
La première cigarette intervient en moyenne peu après 14 ans. Les enquêtes de l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (la dernière date de 2017 en attendant l’analyse de résultats collectés en mars dernier), relais français d’une agence de l’Union européenne, indiquent que cet âge est de plus en plus tardif (un an de plus par rapport à 2005).
Fort de ce constat, le programme national de lutte contre le tabac 2018-2022 se donnait pour ambition que les enfants nés depuis 2014 et qui fêteront leur majorité à partir de 2032 deviennent la première génération d’adultes non-fumeurs. Comment y parvenir ? Vaut-il mieux les encourager ou les contraindre lorsque l’on s’adresse à eux ? Sur Facebook, la distance entre eux et le relais d’un message de santé publique est-elle importante ? Tel a été l’enjeu de nos travaux qui suggèrent que les stratégies à adopter ne sont pas les mêmes selon qui se charge de diffuser le message.
Oscillations stratégiques
Au fur et à mesure des années, les pouvoirs publics ont souvent changé de direction en ce qui concerne leurs campagnes de communication. Dans les années 1970, ils mettaient en avant les conséquences du tabagisme, pour faire davantage appel à la liberté et à la séduction durant la décennie suivante. Les années 1990 ont été celles de la dénormalisation sociale du tabagisme et de la valorisation du non-fumeur. C’est la promotion de la démarche d’arrêt du tabac qui a prévalu dans les années 2000. Depuis 2010, il a beaucoup été question de motivation.
Durant toutes ces années une large palette de registres a ainsi été mobilisée. Suggérer une relation de soumission avec des photos d’enfants avec une cigarette à bouche, presque en esclaves sexuels, avait suscité la polémique en 2011. Choquer avec les images présentes sur les paquets de cigarettes, jouer davantage sur l’éducation, avec par exemple le slogan « fumer, c’est pas dans ma nature » lancé en 1991 et associé à une image de héros de western, sont d’autres méthodes que l’on a vues se déployer. Le Mois sans tabac fait, lui, la promotion des démarches de soutien adressées aux fumeurs qui souhaitent arrêter.
Cette oscillation entre différentes stratégies montre que l’on peine à déterminer la manière la plus efficace de communiquer. Notre travail a ainsi cherché à identifier sous quelles conditions un message encourageant les initiatives, offrant un choix quant aux options de traitement et fournissant des informations pertinentes, tout en limitant la pression et le contrôle, s’avère plus pertinent qu’un message privilégiant les directives et adoptant une attitude autoritaire où il y a absence de choix. Nous nous sommes en particulier focalisés sur les communications persuasives anti-tabac à destination des jeunes adultes, diffusées sur Facebook.
Qui doit encourager ? Qui doit contraindre ?
Le concept de distance sociale qui se réfère à la distance perçue entre deux individus a été mobilisé. On parle de distance sociale « proximale » dans le cas d’une personne proche de soi et d’une distance sociale « distale » dans le cas d’une personne éloignée de soi (je me sens plus proche de mon meilleur ami que d’une connaissance).
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À dessein, nous avons créé une campagne de communication semblable à celles que nous pourrions trouver sur Facebook. Elle se décline en 4 visuels différents qui combinent deux dimensions : message partagé par des amis vs sponsorisé par Santé publique France (autrement dit, distance sociale proximale vs distale) et message encourageant vs contraignant. Notre objectif était d’identifier les combinaisons qui suscitent la plus forte intention d’arrêter de fumer chez des jeunes âgés de 18 à 34 ans.
Après analyse des réponses de 203 participants (29 ans de moyenne d’âge et 41 % d’hommes), les résultats montrent qu’un message encourageant est plus efficace lorsqu’il est partagé par une source distale et qu’un message contraignant est plus efficace lorsqu’il est partagé par une source proximale.
Notre étude suggère ainsi que les praticiens réalisant des communications persuasives en santé devraient favoriser les messages qui laissent une liberté de choix à la cible : par exemple, « si vous vous sentez prêt à arrêter de fumer, alors rendez-vous sur https://www.tabac-info-service.fr/ ». Les messages qui mettent l’accent sur la capacité des jeunes fumeurs à arrêter (« nous savons que vous pouvez le faire ») semblent également à privilégier.
Les influenceurs et l’IA à mobiliser
L’injonction d’arrêter de fumer adressée par une personne proche du fumeur a, elle, plus de chances d’être acceptée que lorsqu’elle provient d’un inconnu ou d’un organisme public. Les praticiens devront s’attacher, pour ce type de message, à favoriser le partage par des personnes proches de la cible (un ami, un membre de sa famille…).
Des influenceurs suivis quotidiennement sur les réseaux sociaux par de jeunes adultes fumeurs et dont ces derniers se sentent proches pourraient également représenter des relais efficaces de communication, de même que des sportifs, des acteurs ou des humoristes. Faire appel à ces « leaders d’opinion » pour diffuser des messages contraignants semble pouvoir limiter les risques de rejet. Les associer à la création des messages semble d’ailleurs tout à fait pertinent. Des campagnes de santé publique réussies comme Sam (« celui qui conduit ne boit pas ») ou le Mois sans tabac (près de 120 000 inscrits au 31 octobre cette année) en ont montré l’intérêt.
L’intelligence artificielle pourrait également s’avérer particulièrement utile pour améliorer l’efficacité des messages en les personnalisant de façon optimale. Appliqué à Facebook, un contenu encourageant apparaîtrait dans le fil d’actualité des jeunes internautes lorsque le relais du message est distal et un message contraignant serait présenté quand le relais est qualifié de proximal.
Houda Sassi-Chamsi, Doctorante en Sciences de gestion, Université Grenoble Alpes (UGA); Agnès Helme-Guizon, Professeure des Universités, Marketing social, Université Grenoble Alpes (UGA) et Jessica Gérard, Maitre de Conférences, Université Grenoble Alpes (UGA)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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