Hausses de prix dissimulées : comment réagissent les consommateurs ?
Gilles Séré de Lanauze, Université de Montpellier et Béatrice Siadou-Martin, Université de MontpellierNous assistons actuellement à une envolée généralisée des prix à la consommation qui préoccupe les citoyens comme les gouvernants (Pouvoir d’achat : la hausse des prix se propage du 25 août 2022 du magazine Que Choisir ? ; Le pouvoir d’achat des Français en cinq données clés du 2 septembre 2022 de RayonBoissons).
L’inflation actuelle (mesurée par l’indice des prix à la consommation), enregistrée à un rythme annuel de 5,8 % en août 2022, s’explique par de multiples facteurs : la hausse des matières premières, la pénurie de certains composants, la crise des énergies, ou encore les difficultés d’approvisionnement.
Avec ce retour de la flambée des prix, la question du pouvoir d’achat prend un nouveau visage. La plupart des consommateurs n’a en effet jamais connu ce phénomène et seuls ceux qui ont vécu la décennie des chocs pétroliers (1973-1983) peuvent se rappeler de ce qu’était un taux moyen d’inflation à deux chiffres.
Le dilemme des entreprises face à l’inflation
Aujourd’hui, le retour de l’inflation a conduit le gouvernement à intervenir pour décider et mettre en œuvre des mesures de soutien au pouvoir d’achat. Pour les entreprises, le problème est également de taille. Comment répondre aux préoccupations des consommateurs concernant leur pouvoir d’achat, et donc limiter les augmentations de prix de vente, sans sacrifier les marges dans un contexte généralisé de hausses des coûts ? Les fabricants et distributeurs sont alors tentés de remettre à l’honneur certaines pratiques visant à dissimuler les hausses des prix.
Souvent anciennes, ces techniques prennent des formes variées. Certaines peuvent être purement commerciales, c’est-à-dire fondées sur des offres promotionnelles et des codes visuels de prix d’appel, sans véritables baisses de prix. Elles seront plutôt adoptées par les distributeurs.
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D’autres sont liées à une modification du produit, visant à réduire le coût du produit sans toucher au prix de vente. Un changement de format, une réduction de volume ou du nombre d’unités conditionnées, une simplification de la recette ou de la formule, une réduction des ingrédients ou une baisse de la qualité sont autant de façons de retrouver une marge sans toucher au prix affiché ni à l’apparence de l’offre. Cette stratégie de « shrinkflation » est souvent privilégiée par les fabricants.
Réactions hétérogènes
Déjà lors de la crise de 2008, les pratiques de dissimulation des hausses de prix avaient été fortement mises en cause dans la presse (par exemple, l’enquête publiée parle magazine 60 millions de consommateurs intitulée Comment les marques rusent pour augmenter les prix ? d’octobre 2008). Ces pratiques avaient donné lieu à de nombreuses réactions de la part des consommateurs.
Nous avions alors réalisé une étude de ces réactions sur le web dont les enseignements peuvent éclairer la problématique actuelle. Les résultats mettaient en effet en évidence trois types de réactions de la part des consommateurs qui décelaient des hausses de prix masquées sur les produits :
Des réponses de compréhension : près d’un tiers des individus qui réagissaient comprenaient et justifiaient ces pratiques commerciales en évoquant les impératifs de gestion des entreprises (hausse des matières premières, stratégie d’amélioration réelle des produits, voire recherche de profit) ou en critiquant les consommateurs insuffisamment attentifs aux informations et conditions relatives à leurs achats.
Des réponses de conciliation : près de 40 % des réactions prenaient acte de la supercherie et des lacunes du système et proposaient dans le même temps d’en réduire les effets négatifs par des choix de consommation mieux adaptés : consommer mieux, consommer moins, consommer l’essentiel, consommer autrement (produits substituts), adopter d’autres circuits de distribution (hard discount, approvisionnement local) ou encore développer des substituts à la consommation et le DIY (do it yourself) comme la cuisine, la couture, le bricolage, le jardinage, etc.
Des réponses de confrontation : près de 30 % des individus qui réagissaient appelaient à une certaine forme de refus et de confrontation face au phénomène. Certains souhaitaient des modifications structurelles du système (intervention de l’État, régulation des marchés par les organismes compétents, normes, encadrement des prix). D’autres mettaient en avant l’action et un appel à l’empowerment du consommateur par des actions de bouche-à-oreille négatif voire de boycott.
Double injustice…
Face à l’inflation et à de telles pratiques commerciales, les questions de justice et de confiance ne sont pas loin. Les consommateurs peuvent éprouver le sentiment d’une double injustice : une injustice distributive, qui caractérise la modification des termes de l’échange en matière de rétribution/contribution, et qui ne peut qu’être subie par le consommateur, mais aussi, souvent, par les autres acteurs eux-mêmes.
Mais une autre forme d’injustice peut également exister, l’injustice procédurale, qui découle de la perception par le consommateur d’un système malhonnête, opaque et malveillant, défendant des intérêts individuels et égoïstes de la part du fabricant ou du distributeur.
L’étude mentionnée plus haut indique que les réactions des consommateurs face à cette injustice procédurale seront beaucoup plus agressives et virulentes à l’égard du fabricant, de la marque ou du distributeur associé à la hausse de prix masquée que leurs réactions à l’injustice distributive. Encore une fois, la transparence pourrait payer, en particulier dans un contexte où les réseaux sociaux peuvent rendre rapidement inflammable la découverte de la dissimulation.
Gilles Séré de Lanauze, Maître de conférences en marketing, Université de Montpellier et Béatrice Siadou-Martin, Professeur des universités en sciences de gestion, Université de Montpellier
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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