Amazon n’est plus un site de vente pour les clients, mais une plate-forme de services pour ses vendeurs

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Amazon n’est plus un site de vente pour les clients, mais une plate-forme de services pour ses vendeurs

The Conversation

Amazon n’est plus un site de vente pour les clients, mais une plate-forme de services pour ses vendeurs

Henri Isaac, Université Paris Dauphine – PSL

Amazon n’est pas que la plus grande plate-forme de vente en ligne au monde. Les revenus que l’entreprise génère sur sa place de marché ont même été surpassés par ceux provenant des nombreux services web qu’elle propose à ses vendeurs.


Depuis sa création en 1994, Amazon a connu une croissance exponentielle. D’abord librairie en ligne, l’entreprise s’est progressivement transformée en un géant mondial du commerce électronique. Ce que l’on sait moins, c’est qu’il s’agit également d’un acteur incontournable dans le domaine des infrastructures technologiques (Amazon Web Services, ou AWS), des loisirs numériques (Prime Video, Twitch, Kindle), mais aussi de la logistique et de la publicité en ligne.

Le chiffre d’affaires annuel de l’entreprise est passé de presque 7 milliards de dollars en 2004 à 574 milliards de dollars en 2023. AWS, lancé en 2002, est devenu une source majeure de revenus, générant 90 milliards de dollars en 2023. Les revenus publicitaires de la plate-forme ont également connu une croissance spectaculaire depuis le lancement de cette activité, atteignant 51 milliards de dollars en 2023. Amazon emploie 1,5 million de personnes. Aux États-Unis, Amazon est désormais le second distributeur derrière Walmart, et représente à elle seule 6 % du commerce et 37,6 % du e-commerce américain.

Verrouiller les clients dans un écosystème complet

Pour parvenir à de tels résultats, Amazon a profondément modifié son modèle initial. D’un simple site de vente en ligne à ses débuts, la plate-forme est d’abord devenue une place de marché ouverte à des millions de vendeurs. Le modèle de plate-forme biface qu’Amazon a déployé s’est progressivement enrichi de nombreux services aux vendeurs. Ce n’est plus le client final qui est au centre du modèle. Amazon est désormais une plate-forme de services de plus en plus intégrée pour les vendeurs, dont elle tire une très large partie de ses revenus. D’une façon plus générale, le cas Amazon interroge sur le développement des plates-formes vers des modèles les différenciant de moins en moins d’une entreprise classique. Amazon gère en effet de plus en plus de processus en interne, là où le modèle historique de plates-formes consistait à s’appuyer sur les ressources externes des tiers et à les orchestrer.

Dans son modèle initial de place de marché, Amazon offrait la possibilité pour des vendeurs tiers de proposer leurs produits sur sa plate-forme. En 2004, les ventes des marchands tiers représentaient 20 % des ventes. C’est désormais plus de 60 % en 2024. La moitié de ces vendeurs sont des marchands chinois qui utilisent Amazon comme un distributeur sur les différents marchés sur lesquels la plate-forme opère.

En 2005, Amazon introduit un programme d’abonnement, Prime, permettant d’accéder à la livraison gratuite. Ce dispositif fidélise les clients et les incite à concentrer leurs achats sur la plate-forme. En 2006, Amazon ouvre sa logistique aux marchands tiers qui peuvent ainsi se concentrer sur la vente et laisser Amazon opérer les livraisons. Ce programme nommé « Fullfilment by Amazon » (FBA) est requis pour vendre ses produits aux clients d’Amazon abonnés au service Prime. Nombre de marchands optent pour une telle solution pour ne pas perdre des ventes, d’autant qu’au fil des ans, le nombre d’abonnés Prime a considérablement augmenté pour atteindre 200 millions en 2021, dont 140 millions aux États-Unis. 94 % des marchands ont dès lors confié leur logistique à Amazon.

Pour attirer de nouveaux abonnés, Amazon a en effet enrichi le programme Prime en y intégrant de nombreux services de streaming vidéo, de musique, de jeux et l’accès à des ventes promotionnelles. Le programme Prime, désormais commercialisé 139 dollars par an aux États-Unis, verrouille ainsi la clientèle sur la plate-forme.

Les services web proposés aux vendeurs

Parallèlement à ce verrouillage des clients, le verrouillage des vendeurs s’est renforcé avec l’introduction en 2012 de la publicité sur la place de marché. Pour que leurs produits soient plus visibles sur la plate-forme, les vendeurs sont fortement incités à acheter des campagnes publicitaires qui se matérialisent par une meilleure visibilité dans les résultats de recherche sur le site. Pratique courante dans la distribution physique, le programme publicitaire d’Amazon prend une tout autre ampleur lorsque l’entreprise l’étend à sa plate-forme Prime Video, sur laquelle il impose aux abonnés Prime la publicité par défaut en 2024.

Dès lors, un vendeur de la place de marché est en mesure de promouvoir ses produits sur le service Prime Video et d’en apprécier l’efficacité directement par l’augmentation de ses ventes ou non. L’environnement clos d’Amazon offre un cadre complet et unique de promotion et de commercialisation. L’activité publicitaire d’Amazon représente un chiffre d’affaires de 49,6 milliards de dollars en 2023.

Ce développement est complété par les services de cloud computing fournis par Amazon Web Services, qui hébergent tous ses services et constituent une plate-forme de choix pour exploiter les données issues de la place de marché. Ces données sont ensuite monétisées sous forme de segment d’audience des différents espaces de vente ou de média.

En 2023, l’addition des revenus de ses services (cloud, logistique, publicité) dépasse celles de ventes directes d’Amazon et celles de la place de marché : 319 milliards de dollars contre 256 milliards. Le modèle d’Amazon s’est donc profondément transformé au cours de la dernière décennie. Après une phase d’acquisitions de clients et de leur verrouillage par le programme Prime, le modèle s’est concentré sur l’autre face de la plate-forme en multipliant les services à destination des vendeurs.

Faire face à la concurrence

Amazon exploite désormais une logique de plate-forme multiface fortement intégrée. Elle maximise les effets de réseaux croisés en verrouillant les différents utilisateurs de la plate-forme. Au cœur de ce modèle, les données jouent un rôle fondamental pour intégrer les différentes facettes du modèle et maximiser les revenus. De la connaissance fine des recherches, des achats, au visionnage de contenus audiovisuels, Amazon offre aux marques un environnement de promotion et de vente complet sans équivalent. Il concurrence directement les acteurs du monde des médias qui ne peuvent offrir un tel environnement publicitaire aux marques.

Ce modèle fait l’objet depuis 2023 de poursuites antitrust aux États-Unis, où la Federal Trade Commission (FTC) et 17 états poursuivent Amazon pour pratiques anticoncurrentielles. Si l’issue est encore incertaine, le modèle d’Amazon fait l’objet depuis trois ans d’une offensive commerciale chinoise. L’entreprise Pinduduo a lancé sa plate-forme Temu aux États-Unis, suivant en cela les plates-formes AliExpress (Alibaba) et Shein. Enfin, ByteDance a également lancé TikTok Shop aux États-Unis. Grâce à des campagnes publicitaires massives et une politique de prix agressive, les plates-formes chinoises se montrent de redoutables concurrents. Ils ont appris à connaître et vendre à la clientèle occidentale en grande partie grâce à Amazon. Introduit en novembre 2024, Amazon Haul, une copie de Temu, se veut une réponse à cette sérieuse menace chinoise.

Amazon a construit un modèle unique dans le monde marchand. Il articule le monde des médias et du commerce dans un attelage singulier qui questionne les deux univers. Un tel modèle intégré n’est pas sans interroger sur ces potentiels effets concurrentiels sur le marché publicitaire et sur le marché de la distribution. Il n’est pas évident que les autorités de régulation (Commission européenne et Autorité de la concurrence) aient les outils nécessaires pour appréhender un tel modèle. Il n’est pas certain que le DMA, le DSA et le droit de la concurrence s’accordent avec un tel modèle.

Henri Isaac, Maître de conférences en sciences de gestion, Université Paris Dauphine – PSL

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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