Les mots pour vendre le chocolat des fêtes parlent-ils aux consommateurs ?

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Les mots pour vendre le chocolat des fêtes parlent-ils aux consommateurs ?

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Les mots pour vendre le chocolat des fêtes parlent-ils aux consommateurs ?

Laurent Gautier, Université de Bourgogne – UBFC; Angelica Leticia Cahuana Velasteguí, Université de Bourgogne – UBFC et Olivier Méric, Université de Bourgogne – UBFC

Source de plaisir, le chocolat évoque autant de bons souvenirs qu’il régale nos papilles. Il accompagne les jours de fêtes et nombreux sont ceux qui ne pourront pas résister à son appel pendant cette période de fin d’année. C’est ce que le marketing et les médias appellent un « produit star » des fêtes (sans doute à côté des huîtres, du foie gras, de la dinde et de la bûche !).

Les Français, qui en ont consommé en moyenne 13,2 kg par foyer en 2021 selon les chiffres du syndicat du chocolat, aiment autant le déguster que l’offrir. Patrimoine Européen, le chocolat est un produit affectif. Il semble être un lien social à lui tout seul, son partage est une promesse de bien-être, il a même le pouvoir de nous faire sourire. Le simple fait de le nommer met les papilles en effervescence : il est un créateur d’émotions par excellence, et comme beaucoup de produits créateurs d’émotions, il est sujet à une mise en discours qui va souvent davantage servir les intérêts de certains locuteurs choisis qu’offrir une réelle description de ce que l’on peut ressentir une fois en bouche. Tout comme le vin, mais aussi dans une moindre mesure le thé ou le café, le chocolat livre un riche terrain d’investigation pour mieux cerner le sensoriel dans la langue.

Comme l’ont montré nos recherches, les professionnels de la filière de production du chocolat, qui ont pour objectif majeur la vente de leur production, choisissent souvent des stratégies de discours et des termes qui ne correspondent pas toujours à ce que le passionné de chocolat, potentiel acheteur, souhaiterait entendre sur le produit, ni même ce qu’il dirait spontanément en dégustant tel ou tel carré.

Voyage en Équateur

Prenons ici l’exemple d’un pays, l’Équateur, où la production de la fève de cacao est une très ancienne tradition. Elle y est traditionnellement appelée la « pépite d’or ». Selon l’archéologue Francisco Valdez, la domestication du cacao aurait eu lieu sur ce territoire, il y a cinq mille cinq cents ans, en pleine forêt amazonienne. Malgré sa superficie relativement réduite, l’Équateur est actuellement le troisième pays producteur de la matière première dans le monde, et de nombreux experts affirment qu’il est à l’origine de plus de 60 % de la production du cacao « fino de aroma », littéralement traduit par « fin d’arôme ».

Ce type de cacao équatorien est l’un des plus prisés par les fabricants de chocolat. Plus connu sous son nom local « Arriba » (en haut), car cultivé plus en hauteur, sa cabosse est d’un jaune très caractéristique, c’est le cacao des chocolats « grand cru » – dénomination qui trahit bien le transfert qui s’est opéré à partir d’une terminologie mise au point pour le vin.

Sa production est profondément ancrée dans l’économie, l’histoire et la culture de la société équatorienne. Celle-ci, depuis un peu plus d’une vingtaine d’année, en plus d’exporter ses fèves, s’est mise à les transformer elle-même pour offrir de nombreux chocolats primés dans des concours internationaux. En 2020-2021, la production équatorienne représentait 7 % de la production mondiale. Le pays est troisième exportateur mondial.

En réalité, les agriculteurs ont ainsi accumulé plus de deux cents ans d’expérience et de savoirs ancestraux dans la production de la fève sans réellement avoir eu l’occasion de goûter au chocolat qui est fabriqué grâce à la qualité de leur travail. La majorité des plantations de cacao se situe dans les provinces côtières qui sont proches des ports d’exportation, alors que le cacao des régions amazoniennes doit traverser les Andes pour être exporté. Pour rester compétitives dans cette position géographique, de nombreuses initiatives de production de chocolat sont nées en Amazonie : Kallari, Wao, Hoja Verde…

Vendre du chocolat comme du vin ?

Dans ce contexte socioculturel particulier, les professionnels de la filière ont dû adapter leur discours pour vanter les mérites de leurs nouveaux produits. Les descriptions des experts-dégustateurs imitent ainsi le discours produit lors de dégustations de vin en adaptant une roue des arômes qui se veut être une référence internationale :

« … combine l’intensité de la saveur du cacao équatorien avec des arômes de fruits citriques, des fleurs et un goût délicat de jasmin… ».

Les producteurs choisissent des stratégies orientées sur la qualité des ingrédients ou encore sur le processus de fabrication :

« … fabriqué à partir de matières premières biologiques. Le taux élevé de cacao, à 60 %, assure un chocolat fort en saveurs… Nous travaillons avec des producteurs locaux pour obtenir des ingrédients de qualité et nous nous efforçons de respecter les normes écologiques et éthiques en vigueur. »

Même si ce discours correspond à un cahier des charges dicté par les arguments incontournables des tendances marketing du moment pour vendre un produit, est-il certain que ce discours parle aux consommateurs passionnés par la tablette de chocolat ? Mises à part les nombreuses onomatopées utilisées pour exprimer un ressenti au moment de partager une boîte de chocolat entre amis, les locuteurs-consommateurs se meuvent entre plusieurs lexiques : un plus ou moins objectif qui décrit les propriétés physiques du produit, par exemple l’espèce de cacao ou son mode de culture ; un autre plus sensoriel souvent importé de l’œnologie sans vraiment respecter les référentiels propres au produit ; un troisième hédonique pour tenter d’exprimer le plaisir procuré par tel ou tel chocolat. Une organisation du vocabulaire, encore une fois, en tout point semblable à celle de la terminologie du vin

Saisir les mots du consommateur

Lors du salon du chocolat de 2019 en Équateur un questionnaire a été proposé aux visiteurs, tous considérés comme de fervents passionnés de chocolat. S’il n’a pas été surprenant de ne pas retrouver les discours précédemment cités dans leurs réponses, les données collectées ont en revanche particulièrement bien illustré la représentation sociale que les Équatoriens se font du chocolat tel que le plaisir des sens :

« sensation de satisfaction, ce chocolat a deux nuances : la douceur de la vie avec une touche d’amertume »

Ou encore un souvenir, un évènement, une personne :

« Se souvenir du chocolat de grand-mère, Noël, anniversaires, les moments heureux du chocolat chaud que ma mère prépare quand il fait froid »

Ces exemples montrent clairement que plus qu’une stratégie terminologique qui en un ou deux mots objectifs ou objectivés saisirait une sensation, une odeur ou un goût, l’amateur équatorien de chocolat construit un discours autour d’expressions évocatrices, riches en émotions qui font appel à sa propre expérience de vie. Le dégustateur cherche plus à partager l’amplitude de ses émotions qu’à les décrire.

Si l’on considère ce contraste profond entre les différentes stratégies observées autour d’un produit qui crée des émotions, le discours du professionnel, dont l’objectif est la vente, gagnerait en efficacité s’il s’éloignait de la terminologie des experts et des arguments promotionnels « à la mode » pour s’approcher d’un discours centré sur le partage émotionnel. Il pourrait commencer par exprimer ses propres sensations et rejoindre ainsi le cercle des passionnés du chocolat.

Laurent Gautier, Professeur des Universités en linguistique allemande et appliquée, Université de Bourgogne – UBFC; Angelica Leticia Cahuana Velasteguí, Docteure en sciences du langage, Professeure à l’Universidad Estatal Amazònica, membre associée du Centre Interlangues Texte Image Langage (UR 4182), Université de Bourgogne – UBFC et Olivier Méric, Professeur à l’Universidad Estatal Amazònica, membre associé du Centre Interlangues Texte Image Langage (UR 4182), Université de Bourgogne – UBFC

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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