Par le

Depuis mi-2021, une cybermenace sur 4 dans le monde environ concerne directement un organisme public. Pixabay, CC BY-SA

Cyberattaques dans les hôpitaux, universités, administrations… Comment mieux résister ?

Depuis mi-2021, une cybermenace sur 4 dans le monde environ concerne directement un organisme public. Pixabay, CC BY-SA
Mohammed Chergui-Darif, Aix-Marseille Université (AMU) et Bruno Tiberghien, Aix-Marseille Université (AMU)

Collectivités territoriales, administrations publiques, hôpitaux, écoles et universités, aucune de ces organisations publiques n’est à l’abri des cyberattaques, que la Défense française définit comme :

« (toute) action volontaire, offensive et malveillante, menée au travers du cyberespace et destinée à provoquer un dommage (en disponibilité, intégrité ou confidentialité) aux informations ou aux systèmes qui les traitent, pouvant ainsi nuire aux activités dont ils sont le support. »

Selon l’Agence de l’Union européenne pour la cybersécurité, 24,21 % des cybermenaces recensées depuis juillet 2021 à travers le monde visaient spécifiquement des administrations publiques.

Cependant, ce risque reste largement sous-estimé en France, comme le soulignait en 2020 une étude du Clusif, l’association de référence de la sécurité du numérique, menée auprès de collectivités territoriales – malgré le fait que près de 30 % d’entre elles ont subi des attaques par rançongiciel en 2019.

Des organismes plus vulnérables

En effet, contrairement aux entreprises privées qui peuvent investir fortement en cybersécurité, les administrations publiques ont généralement des moyens plus restreints. En conséquence, leur capacité à recruter des experts dans ce domaine, attirés par les salaires plus élevés du secteur privé, reste limitée. Ces contraintes renforcent leur vulnérabilité face aux cyberattaques, qui ont connu une augmentation considérable depuis la crise du Covid-19.

Depuis une dizaine d’années, les hôpitaux français étaient déjà des cibles privilégiées.

Encore très récemment, le 7 juin 2023, Aix-Marseille Université a connu une cyberattaque qui a eu pour effet le blocage total et temporaire de l’ensemble de ses services numériques pour les étudiants, les enseignants-chercheurs et les personnels administratifs. La direction du numérique de l’établissement ayant très rapidement isolé son réseau, cette mise hors d’accès a permis de préserver l’intégrité du système informatique, d’éviter des dégâts potentiellement importants et d’assurer un retour rapide à la normale.

Si un niveau élevé de sécurité permet de contrecarrer et résorber la plupart des tentatives d’intrusion, ces phénomènes posent néanmoins de sérieux défis en matière de résilience technologique et organisationnelle. En effet, comment assurer la continuité des services publics tout en protégeant les systèmes d’information et les données personnelles des utilisateurs (personnels et usagers) ?

Des mesures techniques et organisationnelles

La notion de résilience renvoie de manière générique à une capacité à résister, absorber et/ou rebondir face à un choc traumatisant, que cela soit à un niveau individuel, organisationnel, territorial voire sociétal. Sur le plan organisationnel, la résilience implique des capacités dynamiques visant à anticiper, résister, s’adapter ou encore se transformer, se réinventer.

Appliquée au domaine des technologies du numérique, la résilience implique à la fois des mesures de sauvegarde, de protection des données, mais aussi de maintien de l’activité. Selon une étude conjointe du cabinet de consulting KPMG et l’entreprise informatique Oracle, il convient de définir ces mesures de manière préventive afin qu’elles puissent être déployées efficacement et rapidement le cas échéant.

[Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde. Abonnez-vous aujourd’hui]

Plusieurs méthodes peuvent être mobilisées. Sur le plan technique, le principe du moindre privilège, selon lequel même les communications internes sont considérées non sécurisées, peut notamment être appliqué. De même, des systèmes de gestion de l’information et des événements de sécurité (SIEM) analysent les informations en temps réel pour détecter d’éventuelles anomalies. Enfin, rappelons qu’une bonne compréhension de la configuration du réseau est cruciale pour anticiper et prévenir les attaques.

Sur le plan organisationnel, obtenir une certification d’une autorité compétente peut aider à prouver que le système a atteint un certain niveau de sécurité. Une cartographie claire du système d’information, même s’il est complexe, reste également essentielle pour identifier les failles potentielles. La communication de crise auprès des usagers doit aussi être prête en cas de crise. Enfin, la formation du personnel doit permettre aux équipes de reconnaître les tentatives d’hameçonnage.

Le cas de l’entreprise GitHub, même s’il ne met pas en scène une administration publique, constitue une illustration de l’efficacité de ces principes. En 2018, ce site de développement collaboratif de logiciel a été victime de ce qui a été qualifié de plus importante cyberattaque de l’histoire, ce qui ne l’a pas empêché de maintenir son service grâce à une organisation bien pensée (réplication de données, existence de serveurs alternatifs) et une préparation préalable à ce genre d’attaque. Cet épisode montre que les solutions résident dans une approche qui combine des mesures techniques et organisationnelles.

Mohammed Chergui-Darif, Doctorant contractuel en science de gestion à l'Institut de Management Public et Gouvernance Territoriale (IMGPT) / CERGAM, Aix-Marseille Université (AMU) et Bruno Tiberghien, Maître de conférences HDR en sciences de gestion à l’Institut de Management Public et de Gouvernance Territoriale (IMPGT) d’Aix-en-Provence, Aix-Marseille Université (AMU)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Par le

44 % des représentants de la Génération Z déclarent acheter exclusivement des vêtements conçus pour leur propre sexe, contre 54 % chez les représentants de la génération Y. Wallpaperflare.com, CC BY-SA

La mode unisexe, un révélateur des divergences sociétales sur le genre

44 % des représentants de la Génération Z déclarent acheter exclusivement des vêtements conçus pour leur propre sexe, contre 54 % chez les représentants de la génération Y. Wallpaperflare.com, CC BY-SA
Aurore Bardey, Burgundy School of Business

Jouer avec les limites du genre n’est pas un exercice nouveau dans l’industrie et l’histoire de la mode. Toutefois, les frontières ont été repoussées plus loin depuis le début du XXIe siècle. En effet, cette mode multigenre habituellement présente dans le milieu artistique (par exemple dans la musique pop chez David Bowie, Prince ou Harry Styles pour ne citer qu’eux) est de plus en plus présente dans les magasins, les défilés et les placards des (plus jeunes) consommateurs.

Ainsi, la mode « unisexe », considérée ici comme une mode « dégenrée », incluant des vêtements pouvant être par des hommes tout comme des femmes, ou une mode « cross genré » où les femmes portent des vêtements initialement destinés aux hommes et vice versa, se généralise. Cette tendance croissante chez les jeunes générations, notamment les générations Y (entre 24 et 40 ans) et la génération Z (entre 8 et 23 ans) pourrait même définir l’avenir de l’industrie et même de la société elle-même.

Les consommateurs de la génération Z sont généralement associés aux nouvelles idées et attitudes sur le sexe et le genre. Un rapport indique que 33 % de la génération Z et 23 % de la génération Y pensent que le sexe n’est pas une caractéristique déterminante d’un individu. Dans le même rapport, 56 % des personnes interrogées déclarent connaître quelqu’un qui utilise des pronoms non genrés. Concernant les comportements d’achat, 44 % d’entre eux ont déclaré acheter exclusivement des vêtements conçus pour leur propre sexe, contre 54 % chez les représentants de la génération Y.

Une dichotomie entre designers et consommateurs

Dans ce contexte, de nombreuses marques de mode ont entamé un processus de « dégenrisation » de leurs stratégies de conception, de merchandising et de communication – notamment en ce qui concerne les vêtements, les parfums et bijoux. Cependant, le commerce vestimentaire reste principalement bigenré (collections homme et femme). En témoignent les magasins de mode traditionnellement séparés par catégorie de genre. Qui plus est, malgré cette nouvelle tendance de fluidité des genres dans la mode, il existe peu de recherche académique concernant cette mode de consommation.

Mes collègues et moi avons récemment publié deux articles scientifiques sur ce sujet. Pour notre premier article, publié en 2020, nous avions recruté 263 participants auxquels nous avons demandé d’observer une série de photos. Sur chaque cliché étaient représentés un homme et une femme portant la même tenue vestimentaire, autrement dit des photos de mode unisexe.

[Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde. Abonnez-vous aujourd’hui]

Ces 263 participants ont été divisés en deux groupes : le premier groupe a observé ces photos sans avoir aucune précision de l’expérimentateur ; au second, il a été précisé que ces photos représentaient des vêtements unisexes. Nos résultats ont montré que ni le label « unisexe » ni la masculinité/féminité du vêtement n’avaient d’importance dans l’intention d’achat des consommateurs, seuls l’esthétique et le style vestimentaire importaient.

Pour cet article, nous avons également demandé à un groupe de designers d’imaginer, en utilisant la technique du design thinking, un vêtement unisexe. Nos résultats ont montré que les designers se focalisaient sur le contexte social, la masculinité/féminité du vêtement et l’orientation sexuelle du consommateur plutôt que sur le style et l’esthétique. Ce premier article montre donc la dichotomie de l’approche du vêtement unisexe par les consommateurs et les designers.

Dans notre deuxième article sur ce sujet publié en 2022, nous avons essayé de comprendre les facteurs impliqués dans l’achat de produits de mode du sexe opposé. Après une série d’entretiens individuels avec treize femmes cisgenres (qui se reconnaissent le même genre que celui déclaré à l’état civil à la naissance) des générations Y et Z, nous avons exploré et cartographié la motivation et l’expérience d’achat des consommatrices pour la mode au rayon homme.

Les résultats ont permis de définir un modèle de comportement d’achat : avant l’achat, une motivation de non-conformité. Ici, nos participantes nous ont partagé vouloir aller au-delà (et pas forcément à l’encontre) de ces normes trop féminisées et stéréotypées de la femme. Ensuite, nos participantes ont insisté sur le temps investi lors de l’achat. Elles ont toutes – décrit un mode d’achat plus rapide et moins complexe au rayon homme. Enfin, après l’achat, les consommatrices ont insisté sur la satisfaction d’avoir trouvé un style vestimentaire qui correspondait à leur identité propre, et non à une identité que la société et/ou l’industrie leur imposaient.

Au-delà de la mode

Au bilan, ces travaux de recherche révèlent donc l’existence de deux fossés : d’abord, entre les designers qui se focalisent sur un contexte social et les consommateurs qui se concentrent sur l’esthétique ; puis entre les plus jeunes générations qui jouent avec la fluidité des genres et les moins jeunes générations qui ont eu l’habitude d’évoluer dans une société et une industrie de la mode bigenrée.

L’actualité récente indique que ce dernier fossé, particulièrement profond, dépasse largement le champ de la mode. En avril dernier, le chanteur Bilal Hassani, porte-drapeau revendiqué de la communauté LGBT, recevait des menaces de mort et était contraint d’annuler un concert à Metz sous la pression des mouvances catholiques. À l’inverse, quelques mois plus tôt, une professeure de philosophie britannique démissionnait de ses fonctions après la révolte de ses étudiants qui l’accusait de transphobie pour avoir organisé un débat sur le genre sexuel.

Seuls l’écoute, le respect et la discussion semblent aujourd’hui permettre de réconcilier les deux camps. Car, comme l’écrivait la militante américaine Maya Angelou, c’est dans la diversité que résident la beauté et la force.

Aurore Bardey, Associate Professor in Marketing, Burgundy School of Business

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Par le

Briller sur les réseaux sociaux peut être décisif pour installer son entreprise. Blogtrepreneur / Wikimedia commons, CC BY-SA

Entrepreneurs, comment exister sur LinkedIn ?

Briller sur les réseaux sociaux peut être décisif pour installer son entreprise. Blogtrepreneur / Wikimedia commons, CC BY-SA
Pierre-Olivier Giffard, ESCE International Business School

En 2022, la France a enregistré 1 071 900 nouvelles créations d’entreprises selon les chiffres de l’Insee : un record. Ces chiffres témoignent du dynamisme de l’entrepreneuriat dans notre pays, un dynamisme qui s’étend jusqu’aux jeunes générations : une étude réalisée en 2021 par l’institut OpinionWay pour Moovjee et CIC estime qu’ils sont 42 % à vouloir un jour lancer ou reprendre une entreprise et 70 % à envisager le faire à court terme après leurs études.

Si l’aventure entrepreneuriale fait plus que jamais rêver, et a été grandement facilitée par l’apparition de statuts adaptés (micro-entrepreneurs, société par actions simplifiée unipersonnelle, elle reste semée d’embûches, notamment en phase de lancement, quand les ressources financières sont réduites et la notoriété reste à bâtir. Entre avril 2022 et mars 2023, la Banque de France a ainsi dénombré 45 120 défaillances d’entreprises contre 30 285 un an plus tôt.

Pour éviter d’en arriver là, les réseaux sociaux professionnels – au premier rang desquels LinkedIn – peuvent constituer un allié de poids. Ils portent en effet la promesse d’être des accélérateurs de business, permettant la promotion de contenus de marque et proposant des mécaniques de prospection avancée.

C’est en interrogeant 17 entrepreneurs dans le cadre de l’ouvrage collectif L’entrepreneuriat, publié chez MA Éditions, qu’une équipe de cinq professeurs, experts dans leurs domaines respectifs, a analysé les étapes à suivre et les facteurs clés de succès d’une aventure entrepreneuriale. Ont notamment été questionnés les apports réels ou présumés des réseaux sociaux professionnels dans les premiers mois de lancement d’une activité.

Exister dans la jungle LinkedIn

Une des priorités des entrepreneurs concerne la promotion de leur image professionnelle afin de contribuer à la visibilité et au développement économique de leur start-up. C’est ce qu’on appelle le social selling. La démarche, toutefois, emprunte plus à la séduction qu’à la vente. Elle consiste à exploiter sa marque dans le but de susciter l’intérêt d’acheteurs potentiels et d’établir avec eux des relations de confiance.


Chaque lundi, que vous soyez dirigeants en quête de stratégies ou salariés qui s’interrogent sur les choix de leur hiérarchie, recevez dans votre boîte mail les clés de la recherche pour la vie professionnelle et les conseils de nos experts dans notre newsletter thématique « Entreprise(s) ».

Abonnez-vous dès aujourd’hui


Cela pourrait sembler simple… Et pourtant, les « nouveaux » entrepreneurs, bien qu’immergés depuis toujours dans l’univers du multimédia et des réseaux sociaux, ont des approches souvent désordonnées et approximatives en la matière.

Il faut aussi avoir conscience du caractère foisonnant de l’espace que représentent les réseaux sociaux. Selon l’entreprise d’analyse des médias sociaux Digimind, LinkedIn, le principal réseau social professionnel, compte en 2023 en France plus de 26 millions de membres, dont 13 millions de membres actifs mensuels. 500 000 entreprises françaises y animent d’ailleurs une page. Comment exister, comment se différencier dans cette jungle ? L’entrepreneur n’a d’autre choix que de partager régulièrement du contenu afin d’attirer et de fidéliser les personnes importantes au développement de son activité.

Les entrepreneurs interrogés sont unanimes quant à l’importance d’utiliser LinkedIn dans leurs missions de business développement. Ils considèrent que c’est un canal d’augmentation d’audience, et surtout, le canal de prospection idéal pour faire découvrir et mettre en avant leur savoir-faire. Vu des entrepreneurs, le profil gagnant, c’est d’abord un profil qui permet d’atteindre le ou les objectifs fixés : gagner en visibilité, réussir sa campagne de financement participatif, identifier et entrer en contact avec des clients potentiels, augmenter son nombre de rendez-vous…

Avant de se lancer dans l’aventure des réseaux sociaux, les entrepreneurs insistent sur la nécessité d’échanger au préalable avec leur cible afin de bien comprendre qui elle est et quel est le contenu qui l’intéresse. Selon eux, il faut consacrer au moins une heure par jour pour être présent dans l’esprit de leurs abonnés et fédérer une communauté.

Établir, trouver, informer et construire

Une démarche entrepreneuriale de social selling qui ressort des entretiens peut être synthétisée par l’acronyme ÉTIC afin d’établir son profil professionnel, trouver les personnes utiles pour constituer son réseau, informer ce dernier et construire des relations de confiance durables. Comme il nous l’a été exprimé au cours d’un entretien :

« Il n’y a jamais de solution miracle avec le social selling mais des prérequis à suivre »

L’entrepreneur commence ainsi par définir sa marque professionnelle. C’est le point de départ afin de positionner son activité au travers de son profil. Les interrogés ont, pour la plupart, construit leurs marques autour de leurs histoires personnelles.

Il trouve ensuite les bonnes personnes. C’est une étape de prospection destinée à alimenter son carnet d’adresses en identifiant les profils à contacter. La finalité est de créer un réseau qualifié et actif, et surtout de se créer une communauté de professionnels engagée et fidèle. Au début, les entrepreneurs privilégient d’inviter toutes leurs connaissances à les rejoindre pour atteindre au moins 500 abonnés. Et puis très rapidement, ils commencent à recevoir de nombreuses demandes de connexion à leurs réseaux, par effet de buzz. À ce stade, voici ce que suggère un de nos enquêtés :

« Je déconseille d’accepter toutes les demandes de mise en relation sur LinkedIn mais de se concentrer sur des contacts en lien avec son activité. »

En parallèle, l’entrepreneur informe son réseau de contacts. C’est la diffusion régulière d’un contenu pertinent qui incite à l’échange. Il se doit d’être perçu comme une source de communication reconnue au travers de posts, d’articles, de vidéos publiées, de commentaires, de likes… Plus le contenu qu’il publie est fréquent et en lien avec son savoir-faire, plus sa visibilité augmentera et plus il intéressera des prospects éventuels. La fréquence de publication est en moyenne d’un post tous les deux jours. Les contenus les plus populaires sont des informations sur les produits, l’actualité de la start-up, les ressentis du créateur… D’ailleurs, les entrepreneurs constatent que leurs abonnés sont principalement intéressés par leur authenticité et le suivi de leur projet entrepreneurial.

Enfin, l’entrepreneur cherche à construire des relations dans la durée. Cela demande du temps, de la méthode et de la patience. Il s’agit de transformer un maximum d’opportunités, en se connectant avec de nouveaux abonnés, en pérennisant son réseau, en animant une communauté fiable et en étant informé sur l’actualité de ses contacts.

En conclusion, même s’il est peut-être encore un peu tôt pour l’affirmer, les réseaux sociaux professionnels semblent devenir le premier outil de prospection des entrepreneurs. Se positionner comme un social seller efficace apparaît comme un prérequis. Cela requiert surtout une bonne gestion de son temps, de la rigueur dans son approche, de l’agilité dans sa communication et des échanges fréquents à la fois avec sa communauté d’abonnés et avec d’autres entrepreneurs afin de capitaliser sur leurs retours d’expérience.

Pierre-Olivier Giffard, Enseignant et directeur du département Marketing, Entrepreneuriat et Développement commercial à l’ESCE, ESCE International Business School

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Par le

Un talent brut qui ne serait pas exploité par l'effort individuel n'aurait aucune valeur. Kylan Mbappé ici en 2018. Wikimedia, CC BY-NC-ND

Mon salaire est-il vraiment le fruit de mon travail ?

Un talent brut qui ne serait pas exploité par l'effort individuel n'aurait aucune valeur. Kylan Mbappé ici en 2018. Wikimedia, CC BY-NC-ND
Pierre Crétois, Université Bordeaux Montaigne
CC BY-NC-ND

« Controverses » est un nouveau format de The Conversation France. Nous avons choisi d’y aborder des sujets complexes qui entraînent des prises de positions souvent opposées, voire extrêmes. Afin de réfléchir dans un climat plus apaisé et de faire progresser le débat public, nous vous proposons des analyses qui sollicitent différentes disciplines de recherche et croisent les approches. La série « travail » s’attache à décrypter des aspects improbables, parfois inconnus ou impensés autour de cette notion actuellement au cœur des débats politiques.


Au cours de la période moderne, un lien idéologique fort s’est noué entre travail et appropriation. Ce lien est un des piliers de ce que j’ai appelé l’idéologie propriétaire dans mon précédent ouvrage La part commune. Une des croyances constitutives de cette idéologie consiste à considérer que seul le travail peut légitimer la propriété de quelque chose et, de façon complémentaire, que tout travail mérite salaire. Cette croyance rend très difficile de dissocier le revenu du travail. C’est pourtant aujourd’hui un enjeu de justice essentiel.

En réalité, pour s’approprier quelque chose, beaucoup d’autres voies sont possibles : on peut acheter, recevoir un don, trouver, chasser quelque chose, longtemps, par ailleurs, on acquérait des terres par la conquête et par la guerre. Inversement, certains travaux bénévoles ou invisibles – comme le travail parental plus souvent assumé par les femmes – ne donnent lieu à aucun salaire.

Tout travail mérite récompense : le legs de John Locke

L’idée selon laquelle la forme naturellement légitime de l’acquisition devrait être le travail et que tout travail mériterait récompense a sans doute trouvé sa première formulation sous la plume du philosophe anglais du XVIIe siècle, John Locke, au chapitre 5 du Second traité du gouvernement (1689). Dans ce chapitre, Locke s’intéresse à la façon dont on peut devenir propriétaire d’une parcelle des ressources naturelles livrées par Dieu à tous les hommes.

Pour ce faire, il ne voit que le travail. Cela se comprend aisément à travers l’argument du mélange qu’il donne. Voici comment le restitue le professeur de philosophie Jérémy Waldron :

  1. Un individu qui travaille une chose mélange son travail à la chose ; à condition que cette chose ne soit à personne ;

  2. Or, cet individu est propriétaire du travail qu’il mélange à la chose ;

  3. Donc la chose qui a été travaillée contient « quelque chose » qui appartient au travailleur ;

  4. Donc enlever la chose au travailleur sans son consentement implique de lui retirer également ce « quelque chose » qu’il a mêlé à la chose par son travail et qui lui appartient ;

  5. Donc personne ne peut retirer au travailleur la chose qu’il a travaillée sans le consentement de celui-ci ;

  6. Donc l’objet est la propriété du travailleur.

Le meilleur exemple de la structure de justification présentée ici abstraitement est peut-être celui de l’agriculteur qui mélange son travail à sa terre. Une fois le mélange réalisé, nul n’a plus aucune légitimité morale à prendre possession du sol, dans la mesure précise où notre paysan, en labourant son champ, y a mis quelque chose qui est naturellement à lui (et que personne n’aurait l’idée de lui contester), à savoir son effort laborieux. Par suite, maître en son domaine, il pourrait disposer à sa guise de ce qu’il a acquis par son labeur sans que nul n’ait l’autorisation d’interférer.

Un agriculteur laboure un champ de vignes. Pxhere, CC BY-NC-ND

Certes, il faut remettre Locke dans son contexte et se garder d’en faire un théoricien de l’économie de marché comme a pu le faire le théoricien en sciences politiques canadien du milieu du XXe siècle Crawford Brought Macpherson, car telle n’était pas sa perspective.

Il cherchait plutôt à asseoir une doctrine des droits naturels contre l’arbitraire. Et il appelait ces droits des propriétés naturelles des individus qu’il énumérait ainsi : l’existence, la liberté et les biens. C’est d’ailleurs cette ligne que suivra Guillaume d’Orange avec le « Bill of Rights » (Charte des droits) de 1689. Or Locke gravitait dans les cercles de Guillaume, qui prit le pouvoir en Angleterre en 1689 suite à la deuxième révolution anglaise, dite Glorieuse révolution.

Néanmoins, on doit admettre qu’en mettant au jour un fondement moral aux droits individuels en vue d’établir une limite au-delà de laquelle un gouvernement légitime ne devait pas aller, Locke a participé à façonner une idéologie qui continue de structurer puissamment nos sociétés modernes.

L’éthique protestante de Weber

On pourrait aussi associer l’importance donnée au travail à ce que le sociologue et économiste allemand Max Weber a appelé l’éthique protestante. Le travail serait rédempteur et travailler ferait partie de la vocation spirituelle de l’être humain sur terre. Cette idée n’est d’ailleurs pas absente de la pensée de Locke dans la mesure où ce dernier présente le travail comme un devoir imposé par Dieu à ses créatures pour s’approprier les ressources nécessaires à leur conservation et pour mettre en valeur la Création.

Le travail est, en ce sens, un effort méritoire parce qu’il valorise la Création tout en permettant la satisfaction de nos besoins faisant ainsi se rejoindre le lexique de la loi de nature et celui des droits individuels. Le travail fonderait, en ce sens, un mérite et justifierait la récompense.

Ce n’est pas ici le lieu de revenir sur l’existence ou non de limites à l’appropriation dans la philosophie lockéenne. Il me semble plus intéressant de discuter le lien idéologique entre travail et propriété que Locke opère parce qu’il fait obstacle à bien des progrès.

[Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde. Abonnez-vous aujourd’hui]

Pensons, par exemple, au revenu de base ou revenu universel. Un des arguments progressistes – par exemple ceux soulevés par le sociologue Mateo Alaluf – pour en contester le principe est qu’il serait une manière de s’accommoder du chômage de masse au lieu de donner du travail à tous, avec l’idée sous-jacente que le revenu devrait nécessairement dériver du travail et qu’un revenu sans travail serait comme un effet sans cause.

En réalité, il y a bien des arguments contre cette thèse d’un lien naturel entre le travail et la propriété.

Indemniser pour compenser ce qui a été produit sans effort

Je me contenterai d’en examiner certains succinctement. On peut d’abord assez facilement montrer que le travail est un facteur insuffisant pour expliquer la production. En effet, il est évident que le paysan qui travaille un terrain fertile et celui qui travaille beaucoup une terre caillouteuse n’auront pas la même récolte et ce indépendamment de l’intensité et de la qualité de l’effort fourni.

Le travail du plus riche d’entre eux n’expliquera donc pas seul sa bonne fortune. Ce dernier ne fera pas que récolter les fruits de son labeur, mais profitera peut-être avant tout d’une ressource naturelle qu’il n’a pas créée et dont il a la chance de bénéficier à l’exclusion des autres. Évidemment cet exemple est généralisable : il entre dans toute production une partie que je n’ai pas produite mais dont mon effort dépend pour être productif.

Admettons que je sois propriétaire de mon travail, puis-je, pour autant, m’approprier la ressource naturelle que j’exploite à mon propre bénéfice alors que je ne l’ai pas produite, ne suis-je pas alors spoliateur en retirant au reste de l’humanité une ressource dont je tire un bénéfice exclusif ?

On pourrait certes répondre que ce bénéfice n’est pas exclusif parce qu’en récoltant les fruits des arbres qui poussent dans mon champ et en les vendant j’en fais profiter mes congénères. Mais, même si c’était le cas, cela ne retirerait rien au fait que je me suis approprié indûment quelque chose qui existait avant mon travail sous la forme d’une ressource naturelle commune.

Puis-je m’approprier la ressource naturelle que j’exploite à mon propre bénéfice alors que je ne l’ai pas produite ? Pexels, CC BY-NC-ND

C’est cette intuition qui a été développée par le philosophe anglais et révolutionnaire français Thomas Paine, à la fin du XVIIIe siècle dans son ouvrage, Agrarian Justice.

Il considérait que les propriétaires devaient indemniser le reste de l’humanité qu’ils avaient spolié en abondant une caisse. Celle-ci serait capable de fournir de quoi donner à chaque jeune adulte un héritage universel pour lui permettre de débuter dans la vie adulte et à toute personne âgée incapable de travailler de recevoir une pension. C’est un équivalent de ce que, plus tard, au XIXe siècle, l’économiste américain Henry George appellera la « Land tax ».

C’est aussi une idée dont tireront partie des philosophes libertariens de gauche comme Hillel Steiner, Peter Vallentyne ou Michel Otsuka. Tout en acceptant, comme les libertariens de droite, le principe de la propriété absolue de soi-même, les libertariens de gauche proposent une théorie normative qui permet de justifier des formes de justice redistributive.

Hillel Steiner, par exemple, affirme que tout ce que l’on produit ne nous revient pas parce que tout processus de production dépend de façon plus ou moins étroite de deux ensembles de ressources qui sont indépendantes de nos choix et de notre travail individuels. Ces deux ensembles sont les ressources externes (comme le champ dont nous venons de parler) d’une part et d’autre part ce qu’il appelle les ressources internes comme le patrimoine génétique que l’on reçoit comme un don de la nature.

De ce fait, nul ne peut être considéré comme plein propriétaire de tout ce qu’il produit en exploitant son patrimoine génétique quand celui-ci lui donne un avantage sur les autres. Inversement, les personnes en situation de handicap n’ont pas à pâtir d’une position qui leur porte préjudice indépendamment des efforts méritoires qu’elles peuvent, par ailleurs, fournir. Il conviendrait donc, selon Steiner, que les mieux dotés à la loterie génétique versent une compensation aux autres pour corriger l’injustice génétique.

Tenir compte du contexte extérieur à soi

Il ne s’agit pas de dire alors que tous nos talents viendraient de notre code génétique et seraient indépendants de notre travail. D’aucuns pourraient d’ailleurs dire qu’entre deux personnes génétiquement bien dotées, ce qui fera la différence c’est, précisément, le travail parce qu’un talent brut qui ne serait pas exploité par l’effort individuel n’aurait aucune valeur. Certes un champion de foot a pu profiter d’un patrimoine génétique avantageux, mais il a bien fallu qu’il travaille dur pour en tirer partie. C’est ce travail qui doit être récompensé.

Sauf que, cet argument lui-même, est discutable au sens où la capacité à se mettre au travail dépend, notamment, de la confiance en soi, de la croyance selon laquelle notre effort peut produire quelque chose qui a de la valeur aux yeux des autres, et cette confiance dépend très largement de l’amour parental et des expériences du passé qui auront ou non donné confiance à la personne.

La confiance en soi elle-même qui, seule, permet de se mettre au travail nous est donc très largement donnée par un contexte social extérieur à soi. Il est, par conséquent, extrêmement difficile de faire la part entre ce qui nous revient parce que nous avons travaillé pour l’obtenir et ce qui ne nous revient pas parce que cela provient d’un contexte extérieur sur lequel nous n’avons aucune prise par la volonté.

Outre les avantages que nous procurent indûment les ressources naturelles, nous avons toujours tendance à nous approprier également ce que les opportunités et les avantages de la vie sociale nous apportent en en tirant un bénéfice personnel exclusif.

Cette intuition peut s’exprimer dans la phrase pascalienne selon laquelle quand nous travaillons et produisons quelque chose, nous le faisons toujours juchés sur des épaules de géants. Nous nous contentons de nous servir dans le tronc commun fournit par la société sans jamais nous demander si nous lui sommes redevables de cela.

Une dette sociale

Une telle thèse consiste à défendre que nous contractons, sans le savoir, une dette à l’égard du reste de la société du fait des avantages gratuits qu’elle nous fournit et desquels notre réussite personnelle dépend largement. Or si nous imaginons devoir être pleinement propriétaires des fruits de notre travail qui contiennent un matériau irréductiblement social, nous nous approprions à nouveau quelque chose qui ne nous revient pas.

C’est une intuition qui a été exploitée par des philosophes et hommes politiques appelés solidaristes. Léon Bourgeois, par exemple, qui a été président du conseil en 1895, a défendu le principe de l’impôt sur le revenu (qui n’existait pas encore à cette époque) sur cette base : tout ce que nous gagnons ne vous revient pas parce que nous aurions toutes et tous une « dette sociale », dette qui s’accroîtrait à mesure que nous bénéficierions des avantages de la vie en société. L’idée que l’association humaine produit quelque chose qui ne se réduit pas à la somme des travaux individuels et qui rend tout individu débiteur de la société est d’ailleurs également une intuition centrale de la pensée ouvrière de la deuxième moitié du XIXe siècle, par exemple chez Proudhon.

Les choses que nous achetons et que nous possédons sont-elles vraiment issues du labeur que nous consacrons à les acquérir ? Montage photographique « Morning Shopping. ». Éole Wind/Flickr, CC BY-NC-ND

On pourrait, par ailleurs, ajouter que c’est souvent la chance plutôt que le mérite qui explique les trajectoires de réussite sociale. Les phénomènes d’héritage distordent également en permanence la distribution des ressources au sein de la société et rendent bien difficile la possibilité d’attribuer telle ou telle fortune au seul travail isolé d’une personne. La propriété permet ainsi de ne pas travailler quand on est rentier, et le marché lui-même ne fonctionne pas au mérite et à la récompense du travail, il est simplement le résultat des échanges contractuels et de bien des hasards.

Bref, il conviendrait de rompre avec l’idée que le travail serait la seule base légitime d’une distribution juste. Pourtant, aujourd’hui, y compris ceux qui critiquent l’exploitation du travail, restent, en un sens, fidèles à la pensée lockéenne, dans la mesure où ils estiment que la production devrait revenir aux travailleurs alors qu’elle est détournée par les propriétaires des moyens de production. Face à ces idées datées, il me semble urgent de dissocier travail et appropriation pour penser les cadres d’une société juste sur d’autres bases.


À lire aussi

Pierre Crétois, Chercheur en philosophie, maître de conférence, Université Bordeaux Montaigne

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.