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Vous ne direz plus « viande végétale » : une nouvelle bataille (commerciale) des mots

Comment désigner désormais ces compositions à base de soja ? Shutterstock
Anne Parizot, Université de Franche-Comté – UBFC

Une publicité des années 1970 vendait une boisson qui ressemblait à de l’alcool, avait le goût de l’alcool mais n’était pas de l’alcool. La question se pose aujourd’hui pour la viande. Peut-on encore utiliser le mot lorsqu’il s’agit de « steaks végétaux », « boulettes et escalopes végétales », « lardons végétaux », « saucisses végans », « rillettes végétales » ou même « boucherie végétale » ?

La loi a voulu apporter une réponse. Un décret paru au Journal officiel à la fin du mois de février interdit désormais ces appellations qui font directement référence à des pièces de viande, ainsi que les termes, « faisant référence aux noms des espèces et groupes d’espèces animales, à la morphologie ou à l’anatomie animale » lorsqu’il s’agit de commercialiser un produit contenant des protéines végétales. Le texte emporte la satisfaction des acteurs de la filière animale (éleveurs, bouchers), à l’origine de la demande. Certains consommateurs y adhèrent aussi, voyant peu de sens à parler de « saucisse végétale ».

La décision ne fait cependant pas l’unanimité. Le gouvernement avait déjà voulu, en juin 2022, réserver l’usage des termes « steak » ou « saucisse » aux protéines animales, mais le décret avait été remis en question par Protéines France, un consortium français d’entreprises ayant pour ambition de fédérer et de catalyser le développement du secteur végétal.

La viande a par ailleurs de moins en moins la faveur des citoyens : trop chère, néfaste pour la santé quand elle est surconsommée et notamment la viande rouge, néfaste pour la planète avec la déforestation ou la consommation d’eau qu’elle implique souvent. L’alimentation alternative tente de limiter ces effets négatifs. C’est l’objet de la « viande végétale » (sous condition que les additifs en soient limités) et les consommateurs y sont sensibles.

Nourrir la planète tout en la protégeant, manger bon et sain en tenant compte du bien-être des animaux font partie désormais des discours politiques, scientifiques, sociaux et sociétaux. Les industriels, conscients de ces nouvelles injonctions, créent de nouveaux produits sous couvert d’une terminologie qui soulève l’interrogation. Il ne s’agit de fait pas tant de produire que de communiquer en vue de la commercialisation en cherchant le meilleur degré d’acceptabilité des dénominations, un phénomène qui a fait l’objet de nos travaux.

Appeler « viande » une salade de concombres ?

Qu’en est-il pour l’étiquette « viande » ? Le mot a beaucoup évolué. Jusqu’au XVIIe siècle, il désignait tout ce qui peut entretenir la vie (vivenda), c’est-à-dire la nourriture en général. Madame de Sévigné appelait ainsi « viandes » une salade de concombres et de cerneaux… La viande chair animale était plutôt désignée par le terme « carne ».

Ce n’est qu’ensuite que le mot se spécialise pour désigner la chair des mammifères et des oiseaux jusqu’à, de nos jours, prendre un sens plus générique : une source de protéines et d’acides gras essentiels. Cela inclut pour certains le poisson ; pour d’autres, en raison de la classification zoologique, ou par convictions personnelles ou opinions religieuses, il n’en serait pas.

Et le steak ? Là encore le sens évolue. Au départ il désigne une tranche de chair à griller alors qu’actuellement il renvoie plus spécifiquement à une tranche de viande rouge conformément au beef steak anglais (même si l’on parle parfois de « steak de thon »). Ainsi c’est sans doute la façon de découper le morceau en tranche qui motive l’utilisation du terme et permet de le distinguer du steak haché.

Exit donc aujourd’hui steaks végétaux, escalopes de soja et autres produits (21 au total), utilisant des termes qui renvoient à la viande, pouvant introduire la confusion dans l’esprit du consommateur. Il est vrai que ces termes sont communément utilisés pour désigner de la viande, c’est-à-dire des protéines animales.

Néanmoins, la société évolue et sa langue avec. Celle-ci a souvent eu recours à des glissements sémantiques qui fonctionnent par analogie de forme ou d’aspect, d’utilisation, de goût : bref, par imitation. L’escalope par exemple est définie par analogie comme « un mets préparé et présenté comme une escalope de viande ou de poisson ». Que dire de la Poire de bœuf (pièce de viande définie par sa forme) et de la fraise de veau (membrane intérieure de l’intestin, du latin fresa qui signifie « peau, enveloppe ») ? Les arboriculteurs et maraîchers vont-ils monter au créneau ?

Pas d’harmonisation

Et si le décret ne faisait que renforcer la confusion qu’elle prétend lever ? Les « produits légalement fabriqués ou commercialisés dans un autre État membre de l’Union européenne ou dans un pays tiers » restent autorisés. En 2020, la France interdisait déjà le « steak végétal » à la différence de la réglementation européenne. L’harmonisation n’est pas encore au rendez-vous. Certains pays ont toutefois pris des mesures similaires concernant l’étiquetage des produits végétaux, la Belgique au sein de l’UE, plus loin la Turquie ou l’Australie.

L’identification et la reconnaissance de ces produits végétaux en magasin reposent en outre sur deux éléments : d’une part la mention « végétal » ou « végan » et également leur place dans les rayons des supermarchés. Ces produits sont habituellement présentés dans des rayons spécifiques. Mais certaines chaînes de la grande distribution, notamment aux États-Unis, les placent à côté des produits d’origine animale.

Pour être cohérent il faudrait aussi revoir les appellations et la séparation des produits comme le lait de soja, boisson d’origine végétale. Ce qui a été le cas puisqu’en 2017, la Cour de Justice Européenne (CJUE) a publié un arrêt interdisant ces dénominations. Mais en fonction des pays, des exceptions existent comme pour la France : on peut dire « lait d’amande, lait de coco, crème de riz, beurre de cacao ». La CJUE précise que l’ajout de mentions indiquant l’origine végétale n’y change rien et ne remet pas en cause cette interdiction. Aussi en France, les dénominations qui ne font pas l’objet d’exception renvoient à un terme générique : « boisson de » « au » ou « boisson végétale ».

Comment les nommer alors ?

Si pour l’ex-« lait de soja » la substitution a été facile, les dénominations concernant la « future ex » viande végétale semble plus ardue car elle touche de nombreux produits (steak, escalope, lardons, jambon… ). L’utilisation d’un terme générique ne semble donc pas envisageable. « Steak ou burger végétal » trouve un équivalent dans « galette végétale ou végétarienne », qui conserve une similitude avec la forme. Pour l’escalope, qui désigne une fine tranche, le sujet est plus délicat : pourrait-on envisager une « fine tranche végétale » ? Mais alors, comment dénommer le « jambon végétal » en tranche ?

Les laits de soja, devenus « boisson de/au soja ».

« Lardons végétaux » pourrait-il être remplacé par « petits bâtonnets végétaux » ? Celui-ci est déjà utilisé par des marques s qui présentent un produit « saveur océane » ou « de la mer » ressemblant à des bâtonnets de poisson pané. Que dire encore des suprêmes, ces blancs et chair de volaille ou de gibier à plumes dont le terme par extension signifie une préparation très élaborée et qui deviennent des « suprêmes végétaux » ?

Le problème de la terminologie alimentaire employée a également été soulevé par le Premier ministre en février 2024 à propos de la « viande de synthèse », des protéines animales cultivées en laboratoire, autre forme alternative qui cherche elle aussi encore sa dénomination.

Anne Parizot, Professeur des universités en sciences de l'information et de la communication, Université de Franche-Comté – UBFC

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Les femmes et les hommes sont-ils égaux face au télétravail ?

46% des femmes prennent moins de pauses en télétravail qu’en présentiel contre 35% des hommes. Pickpic, CC BY-SA
Gabrielle Schütz, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay et Céline Dumoulin, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay

Près de 4 ans après le début de la pandémie mondiale de Covid-19, au cours de laquelle le télétravail s’est particulièrement développé, l’enquête de l’Observatoire du télétravail de l’Union générale des ingénieurs, cadres et techniciens de la CGT, publiée le 6 décembre dernier, permet de dresser un état des lieux. Il en ressort notamment que les femmes se montrent particulièrement adeptes de cette forme de travail, alors même qu’elle se décline pour elles de manière moins favorable.

Les femmes sont plus nombreuses que les hommes à souhaiter télétravailler davantage. Rien d’étonnant, puisqu’en réduisant les temps de transport, le télétravail offre la perspective d’une meilleure articulation des temps professionnels et familiaux, dont la gestion repose principalement sur les femmes qui effectuent la majeure partie du travail domestique avant comme pendant la pandémie.

Mais cette aspiration des femmes au télétravail est également intimement liée aux conditions d’exercice de l’activité professionnelle en présentiel. Sur site, elles bénéficient en moyenne de moins de libertés dans l’organisation de leur temps de travail, pouvant moins souvent que les hommes modifier elles-mêmes leurs horaires ou s’absenter en cas d’imprévu, y compris à poste équivalent. Le télétravail leur promet ainsi une plus grande autonomie.

Enfin, dans la mesure où elles occupent plus souvent que les hommes des métiers en contact avec le public et sont plus exposées à effectuer du « travail émotionnel » avec la clientèle ou les collègues, le télétravail peut leur apparaître plus encore qu’aux hommes comme un moyen de se ménager des plages de travail avec moins d’interruptions et plus de concentration. Les télétravailleuses sont d’ailleurs plus nombreuses que les télétravailleurs à considérer que cette forme de travail leur permet de gagner en efficacité et une meilleure productivité, tout en étant moins sensibles qu’eux aux éventuelles déperditions d’information.

Le télétravail, plus contraignant au féminin

Plus désiré par les femmes, le télétravail reste paradoxalement plus contraignant au féminin qu’au masculin. Plusieurs raisons à cela : les femmes disposent d’abord de moins de latitude pour faire valoir leurs souhaits et contraintes dans la mise en place de leur télétravail. Les choix du nombre de jours de télétravail hebdomadaire et de leur répartition sur la semaine leur sont plus souvent imposés qu’aux hommes (24 % pour les femmes et 13 % pour les hommes).

Ensuite, durant une journée de télétravail, les femmes sont plus souvent contraintes de respecter des plages horaires fixes durant lesquelles elles sont joignables (53 % contre 41 % des hommes), quel que soit leur niveau hiérarchique. Elles peuvent dès lors moins facilement que les hommes profiter du télétravail pour s’organiser en adaptant leurs horaires (22 % n’en ont pas la possibilité contre 12 % des hommes). Les conséquences sur le rythme de travail leur sont par ailleurs plus défavorables avec un travail plus dense en télétravail – 46 % des femmes prennent moins de pauses en télétravail qu’en présentiel contre 35 % des hommes.

A contrario, si la moitié des répondants (femmes comme hommes) déclarent profiter du temps gagné dans les transports pour le consacrer au repos et à leur famille, les hommes se démarquent en déclarant davantage que le télétravail leur permet de consacrer du temps à leurs loisirs (44 % des hommes pour seulement 28 % des femmes) et/ou de travailler plus (39 % des hommes contre 31 % des femmes).

Le télétravail se solde donc pour les femmes par des journées pas forcément plus longues mais plus intenses, d’autant plus qu’elles restent moins bien équipées par leurs entreprises et qu’elles sont plus souvent concernées que les hommes par des difficultés techniques qui rendent leur activité moins fluide et plus hachée (problèmes de connexion, de matériel, d’applications numériques).

Carence d’information

Enfin, l’enquête de l’Observatoire du télétravail a pointé que les salariés sont trop rarement consultés lors de réorganisations des espaces de travail accompagnant la mise en place du télétravail (passage en « open space » ou en « flex office »).

Cette carence d’information s’observe également au niveau de l’organisation du travail. Un tiers seulement des salariés considèrent que la mise en place du télétravail a été décidée en concertation avec l’équipe. Les femmes semblent encore plus éloignées de ces prises de décisions : elles déclarent plus fréquemment que les hommes ne pas savoir comment le travail en équipe en distanciel a été organisé (28 % contre 21 % des hommes), ni si un dispositif de surveillance à distance de leur travail existe (47 % contre 39 %).

Les femmes sont donc à la fois plus contraintes par le télétravail et moins informées sur sa mise en place, ce qui témoigne de la place qu’elles occupent dans les politiques de télétravail des organisations.

Le télétravail a souvent « mauvais genre »

L’accès des femmes au télétravail reste relativement récent. Si elles télétravaillent aujourd’hui à même hauteur que les hommes et même un peu plus, pendant longtemps le télétravailleur type était un homme, cadre, qui travaillait à distance de manière occasionnelle et le plus souvent informelle, dans des arrangements interpersonnels au cas par cas.

Avant la pandémie encore, le télétravail occasionnel prédomine sur le télétravail régulier : il reste l’apanage des cadres et demeure plus masculin. Il a fallu la crise sanitaire et la multiplication des accords de télétravail pour que les femmes accèdent plus largement au télétravail, en particulier les femmes non-cadres, qui occupent des positions de professions intermédiaires ou d’employées dans des métiers de bureau.

Cette forte féminisation et cette relative démocratisation du télétravail ne se font pas sans heurts. Les enquêtes ethnographiques au long cours menées par l’une de nous montrent que les politiques de télétravail menées par les organisations ne sont pas neutres du point de vue du genre. Alors que le télétravail est en théorie destiné à toutes et tous, elles en dessinent des figures plus ou moins désirables et légitimes, marquées par des stéréotypes.

Dans un certain nombre d’organisations, le télétravail est mis en place à reculons, du fait d’obligations réglementaires ou de la crise sanitaire. Il est conçu comme une politique sociale très (trop) favorable aux salariés qui risque de peser sur la productivité. À bien y regarder, le soupçon pèse d’abord sur les femmes et les mères de famille, suspectées d’être peu engagées et de vouloir télétravailler le mercredi pour garder leurs enfants, d’autant plus lorsqu’elles occupent des postes à peu de responsabilités.

Dans ces organisations, les hommes hésitent plus à recourir à un dispositif qui a « mauvais genre », tandis que les femmes qui le font sont stigmatisées et restent très contrôlées, leur travail à distance étant attentivement scruté.

Dans d’autres organisations, une orientation plus organisationnelle est donnée au télétravail, abordé au contraire comme un signal de modernité et une opportunité pour mettre en place de « nouveaux modes de travail ». La figure implicite du télétravailleur est plutôt celle du « bon manager », qui fait confiance à ses équipes et leur donne de l’autonomie.

Pour autant, cette figure, construite au « masculin-neutre », peine à se décliner aux échelons hiérarchiques inférieurs, structurellement plus féminisés. L’accès au télétravail y demeure souvent plus compliqué – on rechigne par exemple à accorder du télétravail aux assistantes, que l’on aime garder sous la main – et sa pratique peut là aussi être plus restreinte en termes de nombre de jours accordés ou de possibilités d’adapter ses horaires.

Gabrielle Schütz, Maîtresse de conférences en sociologie, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay et Céline Dumoulin, Ingénieure de recherche, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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« Enfants influenceurs » : est-ce bien raisonnable ?

Elodie Jouny-Rivier, ESSCA School of Management et Douniazed Filali-Boissy, ICN Business School

Ils s’appellent Swan, Kalys, Athena, Ryan, Mila, Lili-Rose ou Hugo. Ils ont entre 3 et 15 ans, et ils sont suivis par des millions de fans sur YouTube, TikTok, Instagram ou Snapchat. Ce sont des enfants influenceurs. Ces enfants mineurs, parfois même encore bébés, sont exposés quotidiennement par leurs parents aux « vues » et au su de toute la toile.

Derrière ces publications en apparence innocentes et spontanées se cache souvent un véritable business. En France, pas moins de 70 % des parents influenceurs déclarent ainsi gagner jusqu’à 5 000 euros par mois grâce aux nombreux partenariats commerciaux qu’ils signent avec les marques, de quoi donc en tirer leur principale source de revenus.

Pour ce faire, ils n’hésitent pas à mettre en scène leurs enfants, le but étant de capter et de fidéliser leur audience à tout prix. Déballages de cadeaux, sketchs humoristiques, challenges, tests de jouets, les enfants sont mis à rude épreuve pour faire grimper les audiences.

Certains enfants, dits « kid influencers » possèdent même leur propre compte. C’est le cas de Tiago, 4 ans, dont le compte Instagram, créé par ses parents Manon et Julien Tanti, stars de la téléréalité, dénombre plus de 1,3 million d’abonnés.

Ces parents influenceurs se présentent le plus souvent comme des modèles de réussite, capables d’offrir à leurs enfants une existence de rêve, remplie de voyages, de cadeaux, de loisirs… Mais à quel prix ?

Une enfance parfois mise en danger

En effet, cette exposition n’est pas sans conséquence sur le développement psychologique et social et social de l’enfant. En témoigne la youtubeuse Emma, star de TikTok, qui affiche près de 2 millions d’abonnés sur le réseau social. La jeune femme de 20 ans confie sans détour avoir été victime de cyberharcèlement durant ses années lycée à travers les moqueries et les messages haineux de certains internautes.

Encore plus inquiétant, Ruby Franke, une influenceuse américaine en parentalité suivie par près de 2,5 millions d’abonnés pour ses conseils éducatifs, a été condamnée en février 2024 à une peine pouvant aller jusqu’à 30 ans de prison pour maltraitance sur ses enfants. Elle affichait pourtant une vie parfaite avec son mari et ses 6 enfants sur une chaîne YouTube « 8 Passengers », désactivée depuis.

Le scandale a éclaté lorsque l’un de ses enfants, âgé de 12 ans, s’est échappé par la fenêtre de leur domicile, révélant des conditions de malnutrition et de maltraitance extrêmes. Les autorités ont découvert qu’elle malmenait également ses autres enfants, allant jusqu’à les forcer à effectuer des travaux physiques pénibles sans eau ni nourriture en pleine chaleur.

Une prise de conscience nécessaire

Le 6 février 2024, une nouvelle proposition de loi visant à garantir le respect du droit à l’image des enfants est venue compléter la précédente, datée du 19 octobre 2020. Le texte vient renforcer l’obligation des parents de veiller à la vie privée de leur enfant, y compris son droit à l’image, et leur interdit de publier ou de diffuser toute image de leur enfant sans son consentement éclairé. Elle permet également au juge aux affaires familiales d’interdire à un parent de publier ou de diffuser toute image de son enfant sans l’accord de l’autre parent, notamment en cas de conflit ou de danger pour l’enfant.

Il s’agit bien là d’une avancée importante en faveur de la protection des enfants influenceurs. Pourtant, il reste encore du chemin à parcourir. En effet, le fait même que le législateur ait été obligé d’apporter un cadre juridique à ces nouvelles pratiques devrait nous interroger, en tant que société, sur nos pratiques numériques et sur la responsabilité collective mais aussi avant tout individuelle, de tous les acteurs.

En premier lieu, les parents influenceurs doivent davantage se responsabiliser. Leur rôle reste essentiel dans l’encadrement de cette pratique, et pour le respect de l’épanouissement de leurs enfants à travers leur droit à l’image et à leur intimité. Tout signe de stress ou de fatigue présenté par l’enfant doit les alerter sur le potentiel mal-être de leur progéniture. Après tout, leurs enfants sont des enfants comme les autres ; ils ont aussi droit à une enfance comme les autres.

En parallèle, les marques qui font appel à des « kid influencers » ou à leurs parents pour promouvoir leurs produits doivent assumer une responsabilité essentielle. En effet, notre travail de recherche présenté à une conférence en 2022 met en lumière une relation de co-création de contenu entre l’influenceur et la marque, incitant les entreprises à accorder une certaine liberté aux influenceurs dans la création de contenu. Cependant, il reste crucial que cette approche ne détourne pas l’attention des marques des conditions de travail des enfants impliqués.

« Je protège mon enfant »

Les plates-formes en ligne doivent également assumer leur mission de protection en garantissant la sécurité et la modération des contenus impliquant des enfants. Cela passe par des campagnes de sensibilisation, à l’image de celle proposée par le gouvernement en février 2023, et d’accompagnement des parents influenceurs. Tout contenu dérangeant ou sensible concernant les enfants doit ainsi être retiré et déréférencé.

Enfin, les internautes ont eux aussi leur part de responsabilité dans cette situation. Leurs réactions, parfois empreintes de violence, peuvent sérieusement affecter le bien-être des enfants. De plus, ils possèdent le pouvoir, à travers un simple clic, de signaler voire de boycotter les contenus qui portent atteinte aux droits des enfants.

Vidéo de la campagne « Je protège mon enfant » lancée par le gouvernement en février 2023.

En France, il existe des exemples de bonnes pratiques ou d’initiatives visant à protéger les droits et l’intérêt des enfants sur les réseaux sociaux. Par exemple, l’association e-Enfance, reconnue d’utilité publique, propose des actions de sensibilisation, d’accompagnement et de défense des enfants et des adolescents sur Internet. Elle anime notamment le dispositif Net Ecoute, qui offre un service gratuit et anonyme d’écoute, de conseil et d’orientation pour les jeunes victimes de cyberharcèlement, de cybersexisme, ou encore de cyberpornographie.

Un autre exemple est celui de la chaîne YouTube « Les petits citoyens ». Créés par l’association éponyme, ses contenus visent à éduquer les enfants aux valeurs de la République, à la citoyenneté et aux droits de l’homme. Cette chaîne propose des vidéos ludiques et pédagogiques qui abordent de nombreux sujets de société tels que la liberté d’expression, la laïcité pour n’en citer que quelques-uns.

Elodie Jouny-Rivier, Enseignant-chercheur en marketing, ESSCA School of Management et Douniazed Filali-Boissy, Professeure Associée - Département Marketing, ICN Business School

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Les « influenceurs familles », précieux ambassadeurs des marques sur le marché convoité des jeunes parents

Sur les quelque 150 000 influenceurs recensés en France, près de 4000 sont des influenceurs parentaux. Flickr/Marco Verch, CC BY-SA
Elodie Jouny-Rivier, ESSCA School of Management et Douniazed Filali-Boissy, ICN Business School

Appelés « Influenceurs parentaux » ou « Influenceurs familles », de nombreux parents deviennent des prescripteurs de produits auprès d’autres parents. Certains sont même considérés comme de véritables « stars » sur les réseaux sociaux. Leurs comptes, à l’image de celui de Roxanne sur Instagram (@Babychoufamily qui affiche plus de 630 000 abonnés, sont devenus des ambassadeurs incontournables pour les marques cherchant à promouvoir des

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Selon une étude de l’Observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique, 1,1 % des parents français d’enfants de moins de 16 ans sont influenceurs aujourd’hui et tirent un avantage de leurs publications. Selon une étude de l’Institut Reech menée en 2022, cela représente environ 3 875 influenceurs parentaux sur un total de 150 000 influenceurs recensés en France. Pour la moitié de ces influenceurs, cette activité est même devenue leur principale source de revenus.

Le point commun de ces influenceurs familles ? Leur capacité à toucher un segment de marché très spécifique et convoité : les nouveaux parents.

Une dose de second degré

Comment réussissent-ils à influencer ces parents ? Leur arme secrète, c’est le « parler vrai », le récit de leur quotidien avec son lot de réussites et de difficultés, le tout saupoudré de conseils et de bons plans.

La méthode est toujours la même : les influenceurs testent des produits liés à la parentalité, le plus souvent des jouets, des vêtements de maternité, de la nourriture pour enfants ou encore des couches pour bébés. Ils partagent leurs expériences de parentalité de manière naturelle et authentique et créent peu à peu les conditions d’une connexion ressentie comme « personnelle » par leur communauté.

Halloween et tout le reste (Babychoufamily).

L’influenceuse @jenesuispasjoli partage ainsi son quotidien intense de jeune maman entre son travail et sa vie de famille. Et le succès est au rendez-vous : elle est suivie par une communauté de plus d’un million d’abonnés sur Instagram et YouTube. Ce qui est le plus prégnant chez ces influenceurs, c’est la manière dont ils racontent leur histoire et celle de leur famille. Ces champions de la narration usent souvent de beaucoup de légèreté et d’humour pour expliquer comment ces produits les ont aidés dans leur vie de parents.

Mais attention : il est essentiel de garder à l’esprit que derrière ces récits à l’apparence naturelle et décomplexée, l’objectif est bien de promouvoir les produits envoyés par les marques. L’influenceur Papa Chouch, un ancien animateur et éducateur spécialisé, a fait de sa capacité à divertir les parents sa marque de fabrique. La particularité de ses posts : raconter sa vie quotidienne de père avec une bonne dose de second degré.

Le nombre de « likes » ne fait pas tout

Devant cet accroissement du nombre d’influenceurs parentaux, le défi pour les marques consiste dès lors à sélectionner le représentant le plus adéquat pour incarner leurs produits. Mais attention aux idées reçues : les marques ont parfois la tentation de choisir les influenceurs en fonction du nombre de « likes » et de la taille de sa communauté. Or, il s’agit là d’une erreur. L’essentiel est avant tout de mesurer la bonne adéquation entre les valeurs de l’influenceur et celles de la marque, comme nous l’avons montré dans une recherche récente (L’influenceur, un moyen de communication pour la marque sous le prisme de la co-création de contenu, présenté au 20e colloque sur le marketing digital en 2021).

Les influenceurs parentaux ont également un rôle important à jouer en sélectionnant les marques qui correspondent le mieux à leurs valeurs en termes d’éthique, à leurs goûts personnels et à ceux de leur fidèle communauté. Maintenir une cohérence entre leur vision et celle de la marque est essentiel pour garantir l’authenticité de leur contenu. C’est ce que préconise @annelauresmd, une maman influenceuse inspirante qui est également cofondatrice de Alénore, une marque de maroquinerie haut de gamme dont les produits sont fabriqués en France à partir de déchets de pommes.

Les stratégies de collaboration utilisées par les marques s’appuient souvent sur l’envoi aux influenceurs de produits gratuits en échange d’un avis, d’une démonstration, ou d’un témoignage sur les réseaux sociaux. Autre technique : la rémunération pour créer du contenu sponsorisé sur les réseaux sociaux, en respectant les consignes et les messages clés de la marque.

Une image parfois idéalisée

Le défi pour ces influenceurs parentaux et de manière plus générale pour le métier, au-delà de livrer un contenu créatif, spontané et récurrent, est l’usage de nouveaux outils afin de promouvoir leur « personal branding » (« marketing de soi-même ») auprès de leur audience. Ainsi, ils doivent en permanence se mettre à jour sur l’usage du live streaming, qui consiste à diffuser des vidéos spontanées, répondre en direct à leur audience, créer des stories, des réels ou des podcasts, ou encore créer du contenu exclusif sur les nouvelles plates-formes ou réseaux sociaux comme Threads, Substack ou Twitch.

Les influenceurs parentaux doivent être également conscients de l’importance de leur rôle auprès de leur audience et de l’impact significatif de leur image, parfois perçue comme trop idéalisée, sur les nouveaux parents qui peuvent de leur côté éprouver des difficultés à gérer leur vie quotidienne avec un nouveau-né.

Les influenceurs doivent donc rester vigilants et respectueux des règles éthiques et déontologiques qui encadrent leur activité afin de protéger les intérêts de leur communauté ainsi que ceux des marques. Charge à eux, donc, d’annoncer explicitement le caractère publicitaire ou sponsorisé de leur contenu afin de ne pas induire leur public en erreur sous peine d’être soumis à des sanctions.

La youtubeuse parentale @CindyGredziak en a fait l’amère expérience en janvier 2024 : elle a reçu une injonction de la Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes (DGCCRF) pour plusieurs manquements, notamment le défaut d’indiquer le fait qu’elle avait reçu gratuitement un aspirateur de la part d’une grande marque renommée.

Elodie Jouny-Rivier, Enseignant-chercheur en marketing, ESSCA School of Management et Douniazed Filali-Boissy, Professeure Associée - Département Marketing, ICN Business School

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.