Par le

Image de freestockcenter sur Freepik

Les tongs, un succès mondial aux pieds de tous

La boutique éphémère havaianas sur les Champs-Élysées à Paris. Kristen Pelou pour Havaianas
François Lévêque, Mines Paris - PSL

Les tongs sont plus universelles que les baskets. Les ventes mondiales de ces nu-pieds qui séparent le gros orteil des autres dépassent celles des sneakers. Symbole des vacances d’été à la plage, les tongs sont aussi les premières chaussures des hommes et des femmes qui vivent très pauvrement dans les pays en voie de développement, les va-nu-pieds, disait-on autrefois. Car la tong est à la fois une chaussure récréative et indispensable ; en résumé, un bienfait où que l’on habite sur terre.

Les appellations de ces sandales ordinaires témoignent de leur ubiquité. Chaque pays les a baptisées à sa manière. En référence souvent au bruit qu’elles font quand on avance ainsi chaussé. Cela donne du flip-flop aux États-Unis et au Royaume-Uni, du chip-chip en Egypte, clic-clac au Québec, tapettes au Cameroun. Sous d’autres latitudes, le nom fait plutôt référence à l’écartement entre les orteils, d’où les infradito en Italie, ou Zehentrenner en Allemagne.

Du Vietnam aux États-Unis

En France, le nom « tong » dérive de thong, lanière en anglais, le premier nom des flip-flops américaines… rapportées de la guerre du Vietnam. Elle ne doit pas être confondue avec la claquette, cette sandale avec une bande sur le dessus arborant le plus souvent un logo ostentatoire. Ce nu-pied pour maîtres-nageurs n’aurait jamais dû se répandre hors des piscines. Trop moches, comme les Crocs, dont nous parlerons dans un prochain article.

Dans nos pays, les tongs symbolisent la détente et l’insouciance. Elles côtoient les serviettes de plage et accompagnent les apéritifs entre amis. L’été, on les voit partout aux pieds. Derrière un caddie et en ville, comme à la piscine et au camping. Même sur les pédales de vélo – au risque de s’écorcher –, et de conduite de voiture – un comportement passible d’amende.

Populaire et sophistiquée, c’est selon vos moyens

Peu répandues avant les années 1960, la tong n’a pas pris place dans les Mythologies de Roland Barthes et pourtant, elles y auraient eu toute leur place. Parions qu’elle aurait incarné le mythe de la simplicité. Une semelle de caoutchouc et une lanière plastique en Y pour se dépouiller des habits de la civilisation. Il aurait sans doute aussi souligné que cette simplicité accessible à tous n’abolissait pas les différences sociales : par les styles et les modèles choisis, les tongs signalent les conditions de ceux et celles qui les portent, comme en témoigne ce modèle siglé par une célèbre maison de couture, rue Cambon à Paris. Barthes aurait enfin repéré malicieusement l’érotisme de cette chaussure qui dévoile la nudité du pied, habituellement caché.

Des tongs camélia de la maison Chanel. site Internet Corner Luxe

Mais nous ne sommes pas sémiologue, mais plus platement économiste. À quoi ressemble donc l’économie de la tong ? Le marché mondial de la tong est plus grand que celui des baskets avons-nous affirmé en préambule. Le point est avancé par l’autrice de Flip-Flop ), un livre sur la mondialisation des tongs paru en 2014. Elle en a offert un résumé dans ces colonnes. Citons quelques chiffres d’aujourd’hui pour donner des éléments de comparaison : la consommation annuelle de chaussures s’élève à environ 20 milliards de paires dont le quart de sneakers, et ce pour des chiffres d’affaires respectivement d’environ 400 et 75 milliards de dollars.

Il est en réalité difficile d’être catégorique dans le match sneakers contre tongs par manque de données précises pour ces dernières. La production et la revente des tongs sont trop déconcentrées et disséminées pour le statisticien. Elles sont fabriquées partout dans le monde et à toutes les échelles. En Chine bien sûr, mais pas seulement. Le produit est peu technique, le procédé n’exige pas de machines sophistiquées et les composants sont facilement disponibles : des granulés de caoutchoucs et plastiques aux noms de berger grec, quoique d’origine pétrochimique. Polyuréthane principalement pour la lanière et Éthylène Acétate de Vinyle majoritairement pour la semelle.

De petits ateliers français

Elles peuvent être aussi bien façonnées en petit atelier qu’en usine. En France, les tongs de la marque bretonne Jo Bigorneau – je n’invente pas – proviennent d’un atelier isérois, Couleur Tong. Il compte quelques personnes produisant quelques dizaines de paires par jour. À l’opposé, le premier producteur mondial fabrique quotidiennement près d’un million de paires dans la plus grande de ses usines.

Vous en portez d’ailleurs peut-être aux pieds. Elles sont facilement reconnaissables par le petit drapeau brésilien qui orne leur lanière. Vous en connaissez aussi sans doute le nom : des Havaianas. Comprenez des Hawaïennes (et non les Havanaises de Cuba). Fabriquées par Alpargatas S.A. pendant très longtemps en un seul modèle, elles chaussaient anonymement les habitants des favelas pour quelques reals. Puis le marketing de la mode est passé par là. La coupe du monde de foot de 1998 (petit rappel : France 3 Brésil 0 en finale) a lancé le logo jaune et vert et de grands couturiers ont donné leur nom à des séries limitées d’Havaianas, tout comme Coca Cola et Walt Disney le leur à des modèles de promotion.

Grand écart entre le prix de vente et le coût de production

Montée en gamme et profusion de modèles, forte valeur-produit par l’image, économie d’échelle en fabrication. Le tour est joué pour faire le grand écart entre le coût de production et le prix de vente, le but étant de rapprocher ce dernier du consentement à payer des différents segments de clientèle. Ou comment engranger des profits démesurés avec un produit basique. Attention, cette stratégie gagnante est plus facile à énoncer qu’à mettre en œuvre avec succès. Alpargatas S.A. est la seule entreprise au monde à y être parvenue sur le marché des tongs. Elle domine aujourd’hui une flopée de concurrents, tous très loin derrière elle.

La plupart, qu’ils soient localisés en Chine ou ailleurs, sont restés sur la production de tongs bon marché. Celles que vous trouvez à 2 euros chez Décathlon, par exemple, ou à quelques centimes d’euros sur les marchés africains, et même sur Amazon France à 4 centimes d’euros (plus 7 euros à ajouter pour la livraison).

Le monde compte plusieurs centaines de millions d’hommes, femmes et enfants qui vont nu-pieds. Malgré son gentillet côté bucolique et ancestral vu parfois de ce côté de la planète, la marche sans chaussures est tout sauf recommandable. Coupures, œdèmes, inflammations, infections par des vers parasites du sol sont quelques-uns des problèmes rencontrés quand les pieds des pauvres des bidonvilles ou des zones rurales ne sont pas protégés.

Les tongs ne sont pas les chaussures idéales notamment pour marcher avec tous les jours et sur de longues distances, comme on le voit trop souvent en Afrique. Mais pour les populations trop pauvres pour s’acheter d’autres chaussures, cela vaut incomparablement mieux que d’aller pieds nus.

Tout en plastique et d’une grande plasticité

La tong, objet le plus ordinaire qui soit, se révèle ainsi d’une plasticité planétaire. Elle peut combler ici une nécessité vitale et procurer ailleurs un petit bonheur de consommation. Joindre l’indispensable et l’agréable. Finalement, elle contribue incroyablement au bien-être social des Terriens. Ce n’est pas rien pour une simple semelle retenue par une bride. Bref, un bienfait pour l’humanité, ce que nous ne prétendrons pas dans un prochain article au sujet des Crocs.

[Déjà plus de 120 000 abonnements aux newsletters The Conversation. Et vous ? Abonnez-vous aujourd’hui pour mieux comprendre les grands enjeux du monde.]

Mais la tong n’est pas qu’habit de vertu. Elle contribue tout au long de son cycle du berceau à la tombe à la dégradation de la planète. Tout comme les autres fabrications et usages du plastique : émissions de CO2 de la pétrochimie, déchets de fabrication, décharges non contrôlées, pollution des océans, etc. Avec la particularité d’un gaspillage plus grand encore en raison du prix modique.

Dans les pays riches, les tongs se présentent aussi comme des chaussures jetables. Abandon en bord de mer et de chemin, sans souci ni regret pour leurs propriétaires. Achat de surconsommation pour disposer de nombreuses paires assorties aux couleurs de ses différentes tenues ou pour se procurer les nouveautés de l’année.

Même si, malgré de premières initiatives tant au Nord qu’au Sud, la circularité complète de la tong n’est pas pour demain, ses bienfaits sont toutefois trop immenses et universels pour la rayer de la carte du monde. Accros des tongs ou simples amateurs, Parisiens ou visiteurs, vous avez jusqu’au 31 août pour vous rendre au magasin éphémère d’Havaianas, avenue des Champs-Elysées.

Pour acheter ou seulement rêver devant les images projetées en boucle de la plage de Copacabana située en bas de favelas que l’on ne voit pas. Un parfait résumé de la dualité de la tong.

François Lévêque, Professeur d’économie, Mines Paris - PSL

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Par le

Image de freepik

Pourquoi les touristes à Paris se font attendre pour les JO ?

Les touristes ne seraient pas au rendez-vous dans les hôtels à l'occasion des JOP. Shutterstock
delaplace marie, Université Gustave Eiffel

Depuis le début du mois de juillet 2024, des médias évoquent une baisse du chiffre d'affaires des restaurants et des commerces à Paris, semblant découvrir ce qu'on appelle l'effet d'éviction. Pourtant nous l'avions évoqué depuis au moins quatre ans, dans plusieurs publications mais également lors de conférences auprès des parties prenantes (l'État avec la DIJOP, la Mairie de Paris, le COJO, etc.). Il semble donc nécessaire de revenir encore et encore sur ce sujet.

La littérature scientifique montre que les précédents Jeux olympiques sont associés à l'éviction de touristes : l'annonce de l'importance de l'événement et la congestion anticipée dissuadent les visiteurs de loisirs ou professionnels de venir dans la ville durant cette période. Ainsi la fréquentation touristique a diminué parfois pendant différents JO, dans des contextes spécifiques cependant (Pékin 2008 au plus fort de la crise des subprimes, Moscou en 1980 avec le boycott des jeux ; à Los Angeles en 1984, les résultats ont été moins bons qu'en 1982, date à laquelle un record de touristes avait été atteint ; Athènes a reçu 20 % de visiteurs en moins pendant les jeux et a perdu 2 millions de touristes en 2004 par rapport à 2002 ; à Londres, de juillet à septembre 2012, le nombre de touristes a diminué de 4% par rapport à la même période en 2011. etc.). Si à Barcelone et à Rio, les JOP ont été associés à une croissance du tourisme, dans le premier cas, la ville n'était pas touristique en 1992 et dans le second (2016) l'été correspondait à la basse saison.

Des touristes dissuadés

Une enquête que nous avons réalisée en 2019 auprès de 1265 touristes à Paris dans quatre des principaux sites touristiques confirmait que Paris ne bénéficierait vraisemblablement pas d'une dynamisation du tourisme avec les Jeux. Seuls 13,1% des touristes indiquaient vouloir venir à Paris pendant les JO en 2024, 50,4 % n'en avaient pas l'intention et 36,5 % étaient indécis ; les touristes domestiques étant légèrement plus nombreux (14,7 %) à vouloir se rendre à Paris en 2024 que les touristes internationaux (12,8 %). De même, à la question, seriez-vous venus en 2019 si les JO avaient eu lieu à cette date, si 54% répondaient de façon positive, ils étaient 46% à répondre par la négative. Nous évaluions ainsi à plus de 715 000, le nombre de visiteurs qui ne seraient pas venus en 2019 et en particulier ceux qui étaient venus pour un motif de tourisme (en juillet 2019, 1 555 663 arrivées hôtelières ont en effet été enregistrées).

La diminution du nombre de touristes, lorsqu'elle est effective, induit des recettes touristiques inférieures à celles attendues, même si les touristes olympiques dépensent en moyenne deux fois plus que les autres. Les bénéficiaires des recettes touristiques sont aussi susceptibles d'être différenciées en termes de destinataires compte tenu des comportements particuliers des touristes sportifs. Les touristes qui viennent pour les JO ont en effet des centres d'intérêt différents des visiteurs «classiques» qui viennent pour découvrir la ville. Le «budget tourisme» est alors transféré et concentré sur les sites des JO et leurs animations au détriment des sites habituels. C'est l'effet de substitution défini comme le remplacement des dépenses dans les principaux sites touristiques par des dépenses associées aux JO et les sites qu'ils ont investis.

Des dépenses substituées

Au Japon, suite à la diminution du nombre de touristes lors des JOP de 1964 par rapport à 1963, les recettes ont été plus faibles que prévu. Seuls les magasins vendant des appareils photo, des transistors et des télévisions portables pour lesquels les entreprises japonaises disposaient d'un avantage compétitif à l'époque ont connu une croissance de leurs ventes.

À Atlanta comme à Sydney, les recettes touristiques ont été moindres que celles qui avaient été annoncées ex ante. À Los Angeles lors des JOP de 1984, les ventes dans les restaurants ont été de 20% à 40% en dessous de leur moyenne annuelle durant la première semaine des jeux et juste au niveau de la moyenne ensuite. 80% des restaurants ont enregistré un déclin de leur activité.

La plupart des attractions dans et autour de Los Angeles ont vu leur chiffre d'affaires se rétracter de 20% à 35% par rapport à un mois de juillet et un mois d'août normal. Les visiteurs à Los Angeles durant les jeux étaient des fans de sports venant pour les JOP et qui ont généré peu de revenus dans les restaurants et les visites. Les petites entreprises de Los Angeles ont connu une diminution de leur vente de 15% à 25%. Les JO ont contribué à cette baisse par la couverture médiatique avant les jeux qui anticipait une forte congestion et une élévation du prix des hôtels et par la non-venue à Los Angeles des touristes californiens en raison des JO.

[Déjà plus de 120 000 abonnements aux newsletters The Conversation. Et vous ? Abonnez-vous aujourd'hui pour mieux comprendre les grands enjeux du monde.]

À Londres, la directrice générale de l'association de professionnels du tourisme UKinbound indiquait une baisse de fréquentation d'au moins 30% pendant la quinzaine des jeux avec de nombreux magasins, restaurants, théâtres et lieux de divertissement affectés par une baisse significative de leur activité.

La fréquentation des musées en baisse

Les musées sont aussi impactés. Ainsi à Londres, la fréquentation du British Museum qui est une des attractions les plus populaires pour les visiteurs étrangers (visité par 65% des visiteurs étrangers) a diminué de façon importante de juillet à septembre 2012 par rapport aux années précédentes.

*Le nombre de visiteurs du British Museum en juillet, Août et Septembre de 2004 à 2018 *

Source: Delaplace & Schaffar, 2022

Les habitudes des résidents modifiés

Dans les villes touristiques, ces effets d'éviction et de substitution ont une dimension spatiale et temporelle, avec des touristes venant dans les sites des JO mais moins dans les autres sites et des touristes venant les années précédant ou suivant l'évènement.

Enfin, les résidents sont également susceptibles de modifier leurs comportements durant les jeux ; certains quittent la ville pour éviter la congestion associée à l'évènement, d'autres assistent aux compétitions ou les regardent entre amis à la télévision, ce qui réduit les autres types de sorties, et modifient les types de restauration. Ainsi au moment des JO, les résidents consomment davantage de produits de restauration rapide. À Los Angeles, les résidents ont dépensé plus pour les JOP que pour les autres activités de loisirs du sud de la Californie ou de l'extérieur de la région.

À Paris, notre enquête montrait que de nombreux musées et sites touristiques risquaient de voir leur fréquentation diminuer. Les touristes interrogés ayant visité les musées (Rodin, d'Orsay, Centre Pompidou, etc.), les jardins du Luxembourg, Le Père-Lachaise, les Tuileries, Saint-Germain des Prés, le Quartier latin, le Marais indiquaient ne pas prévoir de venir à Paris en 2024… Elle montrait enfin que les touristes qui visitaient beaucoup de lieux incontournables de Paris (Le Louvre, Montmartre, Notre-Dame, les Champs Élysées ou la Tour Eiffel) ne seraient pas venus à Paris en 2019 si les JO avaient eu lieu à cette date et ne comptaient pas venir en 2024 pour les JO de Paris.

La diminution de l'activité des commerces et restaurants parisiens était donc prévisible.

Quel impact à moyen terme ?

Et à plus long terme, peut-on anticiper une croissance du tourisme lié à un effet de notoriété? La littérature montre que la fréquentation touristique ne bénéficie pas toujours à long terme des Jeux olympiques. La notoriété de Paris étant déjà tellement importante, rien n'est moins évident. En revanche, les effets d'image associés aux Jeux olympiques pourraient être plus importants pour la Seine-Saint-Denis, y compris en termes de dynamisation de son tourisme, en raison de son image contrastée et d'une méconnaissance relative de la plupart de ses ressources touristiques. Mais ces effets d'image dépendront du bon déroulement des Jeux.

delaplace marie, professeure des universités, Université Gustave Eiffel

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Par le

Image de vecstock sur Freepik

Exclusion de C8 de la TNT : « la décision de l’Arcom est courageuse mais les outrances de Cyril Hanouna ne sont pas le cœur du problème »

L'Arcom a décidé d'éteindre C8 et NRJ 12. Bienvenue à Ouest France TC et Réels TV. Shutterstock
Camille Broyelle, Université Paris-Panthéon-Assas

L’Arcom, le régulateur de l’audiovisuel, a décidé le 24 juillet d’écarter C8 et NRJ 12 de la procédure d’attribution des canaux pour une diffusion via la télévision numérique terrestre. Camille Broyelle, professeure de droit public et responsable du Master droit du numérique, parcours droit des médias de l’Université Panthéon Assas, analyse les raisons et les conséquences de cette décision.


Pouvez-vous rappeler quel est le processus d’attribution des chaînes de la TNT ?

Pour le comprendre, il faut rappeler la TNT repose sur l’utilisation de fréquences hertziennes qui sont limitées. Les fréquences hertziennes sont une ressource rare : seulement 31 chaînes de télévision nationales peuvent y être accueillies. Une sélection doit donc être faite. Depuis la loi du 30 septembre 1986, elle incombe à une autorité administrative indépendante, dont les membres sont nommés par le président de la République, du Sénat et de l’Assemblée nationale.

Ceci rappelé, la procédure est prévue par la loi pour attribuer les fréquences disponibles, qu’il s’agisse d’éditeurs de chaînes qui exploitent déjà une chaîne ou de nouveaux entrants. Les chaînes sont autorisées pour une durée limitée, 10 ans au maximum. Pour 15 chaînes actuelles, les autorisations arrivent à échéance en 2025. L’Arcom a donc remis en compétition leurs fréquences. 27 candidats ont déposé un dossier, 25 ont été déclarés recevables et une entreprise s’est désistée. 24 candidats ont soutenu leur projet devant l’Arcom.

Tout est donc fini pour C8 et NRJ 12 ?

Nous entrons maintenant dans une deuxième phase, qui est celle de la rédaction des conventions. Les éditeurs de télévisions et l’Arcom vont mettre à l’écrit le projet éditorial et les engagements des chaînes (par exemple, en faveur de la création) et les garanties nécessaires au respect de la loi de 1986, notamment, pour protéger l’indépendance, l’honnêteté et le pluralisme de l’information.

Normalement, les deux parties arrivent à un accord. Toutefois, ces négociations peuvent aussi ne pas aboutir. Dans ce cas, l’Arcom a la possibilité de puiser dans le vivier des éditeurs non sélectionnés pour établir une convention. La jurisprudence administrative le permet. Mais il me semble peu probable que l’Arcom aille « repêcher » les éditeurs sortants qu’elle a écartés.

Nous n’avons pas encore le détail de la décision, mais quels motifs peuvent expliquer la mise à l’écart de NRJ 12 et de C8 ?

Pour C8, les raisons sont assez évidentes. Parmi les critères de sélection qui sont énoncés dans la loi, figure pour les candidats sortants la façon dont ils ont respecté le pluralisme, l’honnêteté et l’indépendance de l’information, c’est-à-dire des principes essentiels au fonctionnement démocratique de l’État.

[Déjà plus de 120 000 abonnements aux newsletters The Conversation. Et vous ? Abonnez-vous aujourd’hui pour mieux comprendre les grands enjeux du monde.]

Au regard des mises en demeure et sanctions dont la chaîne C8 a fait l’objet, on imagine que l’Arcom a estimé ne pas pouvoir lui faire confiance. Les maigres garanties promises par C8 n’ont pas suffi, notamment la diffusion en différé, de Touche pas à mon poste.

L’exigence de diversité des opérateurs a également dû jouer. Les groupes Bolloré et NRJ perdent chacun une chaîne, ce qui permet l’arrivée de nouveaux entrants, OFtv, du groupe Ouest France et Réels TV porté par Daniel Kretinsky.

En tant que juriste, diriez-vous que cette décision n’est pas une surprise pour C8 tant les manquements sont nombreux ?

Oui et je pense que cela aurait dû être aussi le cas s’agissant de Cnews. Pas plus que C8, CNews n’a observé les principes d’honnêteté, d’indépendance et de pluralisme de l’information qui sont fondamentaux. Le pluralisme vise à protéger le public en s’assurant qu’il dispose de toutes les opinions, afin d’être véritablement éclairé. Il faut insister : les fréquences de la TNT sont rares, seules 31 chaînes peuvent être accueillies, et pour exploiter une chaîne il faut être puissant économiquement. Si le droit du public de bénéficier d’une offre pluraliste de médias était dicté par les lois du marché, seules les idées bénéficiant de l’appui d’entreprises financièrement puissantes pourraient diffuser sur la TNT. C’est pour l’éviter que la loi de 1986 impose à chaque éditeur de respecter le pluralisme dans ses propres programmes. En réalité, les manquements à la loi ne sont pas liés aux outrances de Cyril Hanouna. Le principal manquement est dans l’exploitation de chaînes afin d’assurer la promotion d’une idéologie. Il est également imputable à CNews.

Lors de l’audition devant l’Arcom, le directeur des antennes du groupe Canal Plus, Gérald-Brice Viret, avait proposé de diffuser en léger différé l’émission de Cyril Hanouna.

C8 interdit, qu’est-ce qui empêche le groupe Bolloré de le diffuser sur Cstar, voire Cnews dans un format renouvelé, voire en clair sur Canal plus, qui sont toutes trois des chaînes du même groupe ?

C’est vraisemblablement ce qui risque de se passer. Cela s’est produit récemment lorsque, à la suite de la dissolution de l’Assemblée nationale, la direction d’Europe 1 (propriété du groupe Bolloré) a décidé de confier l’antenne à Cyril Hanouna afin de couvrir l’actualité. La facture de l’émission était identique à celle présentée sur C8. En pleine période électorale, pendant deux semaines, à un moment où le respect du pluralisme est strictement encadré pour garantir la sincérité du scrutin, le présentateur s’est livré à un traitement univoque de l’actualité, ce qui a valu d’ailleurs à Europe 1 une mise en demeure de l’Arcom.

Finalement, comment qualifierez-vous la décision de l’Arcom concernant C8 ?

La décision est politiquement courageuse. Les chaînes C8 et CNews invoquent régulièrement, sur leur plateau, l’argument populiste classique consistant à se targuer de la volonté populaire (celle qu’exprimerait l’audience) contre l’Arcom (et à travers elle, le respect du droit). La décision de l’Arcom est également courageuse en ce qu’elle n’a pas cédé au chantage économique que l’on a vu se dessiner pendant les auditions publiques consistant à lier le sort de Canal+, dont l’existence est essentielle à l’industrie du cinéma, à celui des chaînes C8 et CNews.

En rejetant la candidature de C8, et non pas celle de CNews, l’Arcom donne à penser que seules les outrances de Cyril Hanouna sont sanctionnées, alors que devrait l’être avant tout la prise de pouvoir médiatique, sur la TNT, consistant pour la chaîne C8 comme pour la chaîne CNews à s’être muées en chaînes d’opinion, au prix d’une méconnaissance de l’honnêteté et de l’indépendance de l’information et en méconnaissance flagrante de la loi. Il reste que politiquement, la décision est forte et laisse à penser que l’Arcom se montrera particulièrement vigilante à l’égard des médias audiovisuels du groupe Bolloré.

Propos recueillis par Christophe Bys

Camille Broyelle, Professeur de Droit Public, Université Paris-Panthéon-Assas

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Par le

Image de freepik

Quand les applications mobiles deviennent un partenaire de voyage…

Le smartphone et ses multiples applis est devenu un partenaire indispensable du touriste. Shutterstock
Manel Hamouda, EDC Paris Business School

L’indicateur mondial du marché des applications mobiles du tourisme et voyage devrait augmenter continuellement entre 2023 et 2027 de 0,8 milliard de dollars au total, soit une hausse de 64 % entre 2023 et 2027.

Cela vient renforcer un mouvement d’ores et déjà à l’œuvre : les applications de voyage et de tourisme constituaient la troisième catégorie la plus populaire d’applications actives en 2023.

Les applications mobiles du tourisme et voyages s’avèrent, en effet, utiles à la fois pour les touristes et pour les professionnels. Pour les voyageurs, ces applications peuvent servir pendant les trois phases du processus de voyage (avant, pendant et après). Avant le voyage, elles sont utiles pour rechercher des informations sur un produit ou un service, comparer les prix… Pendant, les touristes s’en serviront notamment car ils ne connaissent pas forcément la destination visitée et ont souvent besoin d’informations qui n’étaient pas prévues avant le voyage, comme la localisation des sites touristiques ou la recherche d’un restaurant. Enfin, après le voyage, les applications seront parfois utilisées par les touristes pour donner leur avis et partager leur expérience.

Améliorer l’efficacité du marketing

Du côté des professionnels, les applications mobiles permettent de mieux promouvoir leurs produits et services. Elles constituent un canal supplémentaire pour renforcer la stratégie omnicanale des entreprises et, ce faisant, améliorer l’expérience du client. Les recherches sur les applications mobiles, en général, et les applications mobiles du tourisme et du voyage en particulier, montrent, une focalisation sur ces bénéfices d’usage.

Ceci étant rappelé, identifier les facteurs qui poussent les individus à recourir aux applications mobiles du tourisme et voyages est une préoccupation des professionnels du secteur. Cette meilleure connaissance du consommateur donnerait aux managers dans le domaine du tourisme et du voyage ainsi que les développeurs d’applications mobiles, des moyens pour garantir l’efficacité de leurs stratégies de marketing et de communication via les applications mobiles.

La recherche que nous avons menée s’est intéressée à cette question. Notre travail d’étude s’est basé sur une version étendue du modèle d’acceptation de la technologie, qui constitue un cadre théorique de référence pour comprendre et prédire comment les individus acceptent et utilisent les technologies. Ce cadre s’applique très bien aux applications mobiles. L’objectif de l’étude était d’identifier les facteurs déterminants de l’intention d’usage des applications mobiles du tourisme et du voyage par les touristes et les voyageurs. Le bouche-à-oreille (BAO) sur l’application et le degré de l’innovativité personnelle ont été ajoutés au modèle original composé, initialement, de l’utilité perçue, la facilité d’utilisation perçue et l’attitude.

L’étude empirique quantitative a été réalisée à l’aide d’une enquête par questionnaire auprès de 440 personnes. Les principaux résultats de cette étude montrent que le bouche-à-oreille sur l’application représente le prédicteur le plus fort de l’intention d’usage des applications mobiles du tourisme et voyage, suivi respectivement par l’utilité perçue de l’application, de l’attitude et de degrés de l’innovativité personnelle.

Un prérequis : être utile et facile à utiliser

Conformément aux postulats du modèle d’acceptation de la technologie, notre étude montre que l’utilité et la facilité d’utilisation perçue ont un impact positif sur l’attitude à l’égard de l’application et par conséquent sur son intention d’usage. L’utilité de l’application pourrait être assurée de plusieurs manières : une mise à jour permanente des informations, une offre de services exclusifs sur l’application ou encore une personnalisation en fonction du profil de l’utilisateur et de ses besoins.

Pour la facilité perçue, il est recommandé, que les applications soient simples à utiliser, à comprendre et à manipuler afin de réduire l’effort fourni par l’utilisateur. Dans ce sens, la création d’interfaces intuitives est préconisée surtout pour les utilisateurs qui ne sont pas très familiers avec l’application.

Un bouche-à-oreille numérique ?

Les résultats de l’étude montrent, par ailleurs, que même dans un univers numérique, les utilisateurs veulent pouvoir bénéficier du bouche-à-oreille (BAO). Il s’agit, principalement, de la diffusion d’une évaluation positive sur l’application cible par d’autres utilisateurs que ce soit en ligne ou hors ligne. Par exemple, la note et le nombre d’étoiles obtenus par l’application dans les boutiques de téléchargement comme Google Play et App Store. La présence d’un BAO sur une application influencera positivement sur son intention d’usage. Le BAO sur l’application a, même, le pouvoir prédictif le plus fort sur l’intention d’usage.

Ce résultat pourrait s’expliquer par plusieurs raisons. D’abord, le BAO sur l’application permet aux utilisateurs de minimiser leurs coûts de recherche face à la surcharge d’informations sur les applications mobiles et de se concentrer sur celles pour lesquelles ils ont un retour positif. Ensuite, ce résultat affirme la place cruciale du BAO dans l’influence des intentions et des comportements des voyageurs. Enfin, l’efficacité du bouche-à-oreille réside dans son authenticité dans la mesure où il est basé sur une expérience personnelle.

Dans ce sens, les voyageurs sont souvent prédisposés à faire confiance aux recommandations du BAO (que ce soit électronique ou traditionnel). Ces recommandations peuvent porter sur le choix des destinations à visiter, des hôtels à choisir, des restaurants à essayer…

[Déjà plus de 120 000 abonnements aux newsletters The Conversation. Et vous ? Abonnez-vous aujourd’hui pour mieux comprendre les grands enjeux du monde.]

Dans notre étude, le rôle du BAO est vérifié également pour le choix de l’application mobile de voyage. Enfin, selon la théorie de la diffusion de l’innovation de Rogers, la grande majorité des personnes qui adopte une technologie (majorité précoce et majorité tardive) a tendance à rechercher des conseils, des expériences et un retour d’information sur la technologie auprès de personnes jugées plus expertes (innovateurs et adopteurs précoces), ce qui pourrait expliquer pourquoi la plupart des répondants à l’enquête prendrait en compte le BAO sur l’application avant de l’utiliser. Certaines pratiques pourraient être envisagées pour encourager les utilisateurs existants à diffuser un BAO positif et participer à la promotion de l’application par le biais de témoignages écrits ou de vidéos. Ces pratiques peuvent prendre la forme d’incitations comme l’accès anticipé et gratuit à de nouvelles fonctionnalités.

Un fort degré d’innovativité personnelle favorise l’adoption des applications mobiles de voyage

Un lien direct et positif entre le degré d’innovativité personnelle et l’intention d’usage des applications mobiles du tourisme et voyage a été également démontré dans notre étude. L’innovativité personnelle se réfère au degré auquel une personne croit qu’elle est prédisposée positivement à l’utilisation d’une technologie. Par définition, les individus ayant un niveau élevé d’innovativité personnelle seraient plus susceptibles d’avoir une intention plus forte d’utiliser les applications mobiles de voyage.

Par ailleurs, la théorie de la diffusion de l’innovation pourrait également expliquer ce résultat. Comme nous l’avons déjà souligné, les innovateurs et les adopteurs précoces sont les premiers utilisateurs d’une technologie sans avoir à consulter les avis des autres. Cependant, ils ne représentent qu’un faible pourcentage de la population totale.

Toutefois, il est très important de mettre l’accent sur ces utilisateurs pour favoriser l’usage des applications mobiles du tourisme et voyage. Ce segment devrait être identifié dans la base de données des clients de l’entreprise afin de le cibler facilement et prioritairement dans la stratégie de communication, en particulier, pendant la phase de lancement de l’application. Ces clients sont prédisposés à utiliser l’application avant les autres personnes et donc plus susceptibles de générer un BAO positif et rapide sur l’application.

Manel Hamouda, Professeur associé en Marketing, EDC Paris Business School

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.