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La location de jouets, une nouvelle tendance

Elodie Jouny-Rivier, ESSCA School of Management

C’est une petite révolution dans le monde du jeu et du jouet. Plutôt que d’acheter des jouets coûteux qui finissent souvent au fond d’un placard, de plus en plus de parents optent pour la location. Cette tendance offre des avantages certes économiques mais c’est le plus souvent pour des raisons écologiques que les parents passent le cap.

En 2023, les ventes de jeux et de jouets ont atteint 4,3 milliards d’euros, selon l’institut Circana. Pourtant, le constat est implacable : utilisés pendant seulement une courte période, les jouets pour enfants finissent le plus souvent leur courte existence à l’abandon, entassés dans des cartons à la cave ou au grenier. Face à ce constat et portées par la volonté de proposer des solutions plus écologiques, les marques de jouets commencent à proposer de nouveaux services. Leur initiative phare ? La location. Mais ces entreprises très médiatisées à la faveur de cette pratique sont-elles vraiment des « pionnières » ?

De la ludothèque à la location

Un peu d’histoire. La location de jouets existe depuis… un bail ! C’est en effet en 1968 qu’ouvre en France la première ludothèque à Dijon. Une ludothèque, mot formé à partir du latin ludus « jeu » et du grec ????/th?k? « lieu de dépôt », c’est un lieu qui met à la disposition de ses membres des jouets et des jeux de société en prêt. On peut aussi jouer sur place, dans des espaces dédiés, ce qui favorise les rencontres et les liens sociaux. Certains ont eu l’idée de reprendre ce concept pour remettre au goût du jour le principe de la location de jouets qui fait écho aux préoccupations des consommateurs pour l’écoresponsabilité. Une préoccupation qui travaille également les enfants comme nous avons pu l’observer dans nos travaux de recherche.

Quelques entreprises se démarquent. Lib&Lou, la première plate-forme de location de jouets et jeux éducatifs, créée en 2019, a récemment lancé une initiative de location de jouets. Elle s’établit en partenariat avec le leader du marché de location de jeux et de matériels éducatifs éco-responsable, le Groupe Juratoys, entreprise jurassienne qui propose des jouets en bois de haute qualité. Ce nouveau service permet aux familles de profiter de ces jouets durables sans l’engagement financier d’un achat permanent.

Le Ballutin, de son côté, propose une sélection de jouets éducatifs et ludiques pour les tout-petits. Leur service de location permet aux parents de renouveler régulièrement les jouets, stimulant ainsi la curiosité et l’apprentissage des enfants dès le plus jeune âge. Leur particularité ? Des jouets fabriqués en France par des artisans et créateurs locaux ayant fait le choix de travailler avec des matériaux respectueux de l’environnement.

Autre acteur sur le marché, Les Jouets voyageurs propose un concept innovant. Trois formules d’abonnements offrent en effet la possibilité aux parents et aux enfants de choisir des jouets de seconde main dans le catalogue en ligne, puis de changer tous les mois de jouets. Cette initiative permet de profiter de jouets de qualité sans s’engager financièrement sur de l’achat, tout en favorisant une économie circulaire. La marque a également développé un service de rénovation des jouets usagés, autre tendance de fond chez certaines entreprises, notamment depuis la loi de janvier 2023 qui impose aux magasins spécialisés dans la vente de jouets de proposer, sans condition d’achat, un service de reprise des jouets usagés.

Miljo.fr, nouvel entrant sur le marché, offre également des formules d’abonnement pour ses jouets de seconde main. Plus spécifiquement, la marque propose des services aux structures d’accueil de la petite enfance et aux professionnels du jouet.

Un marché qui continuera de grandir ?

La location de jouets présente de nombreux avantages. D’un point de vue économique, elle coûte souvent moins cher que l’achat. D’un point de vue écologique, elle permet de réduire le gaspillage et les déchets car les jouets sont réutilisés. Enfin, d’un point de vue pratique, elle évite de devoir stocker des jouets encombrants lorsque les enfants grandissent. En somme, la location de jouets est une solution gagnante pour les parents, les enfants et l’environnement.

Quelques questions restent cependant en suspens : Lib&Lou a créé des partenariats avec Vtetch et Smoby. D’autres marques vont-elles suivre cette tendance ? Toutes les marques peuvent-elles adhérer à ce concept, par exemple pour des questions d’hygiène ? Par exemple, une poupée Corolle en location peut-elle survivre au passage des désinfectants nécessaire pour garantir une propreté irréprochable aux futurs utilisateurs ?

La stratégie de la seconde main monte également en puissance dans le secteur du jouet. En témoignent les lancements récents de King Occaz, des magasins spécifiquement dédiés aux produits de seconde main King Jouet, ou encore les espaces troc O’Joué de Joué Club. Quels seront les choix privilégiés par les familles ?


Carole Maman, CEO de Yoganoel, agence Web Marketing Digital Spécialisée dans l’industrie du Jouet, a également contribué à la rédaction de cet article.

Elodie Jouny-Rivier, Enseignant-chercheur en marketing, ESSCA School of Management

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Le Tour de France reste-t-il le plus grand des « grands tours » ?

Jonas Vingegaard (à gauche), victime d'une grave chute au mois d'avril, et Tadej Pogacar (à droite), qui sort du Giro, pourront-ils viser une troisième victoire sur la Grande boucle ? Pauline Ballet/A.S.O.
Gaël Gueguen, TBS Education

Sans chauvinisme aucun, est-il possible de déclarer le Tour de France comme la plus grande épreuve cycliste au monde et donc comme le plus grand des « grands tours » ?

Il existe trois grands tours cyclistes masculins, courses par étapes qui se déroulent sur trois semaines. En mai se tient le Tour d’Italie, le « Giro », avec son maillot rose. La 107e édition qui s’est tenue cette année a été remportée haut la main par le slovène Tadej Pogacar. Au mois de juillet, le leader du Tour de France revêt le maillot jaune. C’est la 111e édition cette année qui se déroule cette année. Fin août, c’est la « Vuelta » qui s’élance avec son maillot rouge, 79e édition en 2024.

Les données économiques sont rares, mais mettent largement la Grande boucle en tête. Les revenus du Tour de France sont estimés de l’ordre de 170 millions d’euros, 70 millions pour le Giro et on peut supposer, au regard d’autres variables, qu’ils sont un peu moindres pour la Vuelta. Autre ordre de grandeur disponible : les primes accordées aux participants de ces tours. Elles sont de 2,3 millions d’euros pour le Tour, dont 500 000 euros pour le vainqueur final, 1,6 million pour le Giro (265 000 euros pour le premier) et 1,1 million pour la Vuelta (150 000 euros pour celui qui ramène le maillot rouge à Madrid).

Côté audiences, celles du Tour sont annoncées à plus de 3,5 milliards de téléspectateurs, très loin devant celle du Giro (775 millions environ) et de la Vuelta (360 millions). Autre indice de la supériorité de l’épreuve française : Netflix produit une série sur le Tour mais pas sur les deux autres.

Qu’en est-il néanmoins sur un plan purement sportif ? Ces dernières années, les meilleurs grimpeurs français comme Thibault Pinot ou Romain Bardet ont parfois préféré orienter leur saison en direction du classement général du Tour d’Italie, au parcours souvent plus difficile en montagne. Il n’en demeure pas moins que c’est bien sur les routes françaises que le gratin du peloton continue de se donner rendez-vous.

Le Tour attire toujours

Un grand tour se compose actuellement de 176 coureurs, répartis en 22 équipes de 8. Grâce à des sites spécialisés en données cyclistes comme ProCyclingStats ou au classement établi par l’Union cycliste internationale, il est possible d’attribuer un score à chaque coureur en fonction de ses performances, en les pondérant par l’importance de chaque course. Nous avons ainsi compilé la valeur des effectifs engagés sur les grands tours depuis 10 ans en utilisant les scores des saisons précédentes.

L’an dernier, toutes les équipes ayant participé aux trois grands tours ont aligné leur meilleur effectif sur le Tour de France à l’exception notable de la Soudal Quick-Step qui avait des ambitions au Giro et à la Vuelta pour son leader, le champion du monde Remco Evenepoel (et dans une moindre mesure Team DSM-Firemich).

Le même constat s’applique aux autres années. Il apparaît que le Tour pèse toujours entre 40 et 50 % du total des trois grands tours. Autre façon de l’exprimer, il a en moyenne, a un plateau de départ 1,76 fois plus « qualitatif » que le tour d’Italie et 1,65 fois plus élevé que le tour d’Espagne.

Si nous retenons uniquement les 50 meilleurs coureurs des années précédentes, ce rapport s’accroît encore : 2,90 par rapport au tour d’Italie et de 2,20 en ce qui concerne le tour d’Espagne.

Choisir, c’est renoncer

Ces résultats et ces écarts sont le fait d’une particularité des courses cyclistes : il est compliqué pour un coureur de participer à plusieurs tours la même année. Un joueur de tennis, sauf blessure, va participer aux quatre épreuves du grand chelem. Sa participation à Roland-Garros, sauf blessure, ne compromettra pas son résultat à Wimbledon. Il n’en va pas de même dans le cyclisme : seuls 10 coureurs dans l’histoire ont réussi à remporter le classement général de deux grands tours dans la même année civile. Les derniers en date : Christopher Froome en 2017 pour un doublé Tour de France–Vuelta, Alberto Contador en 2008 pour un doublé Giro-Vuelta et Marco Pantani en 1998 pour un doublé Giro–Tour de France. En attendant Tadej Pogacar cette année ?

L’an passé, l’Américain Sepp Kuss est devenu le premier coureur depuis Gastone Nencini en 1957 à remporter un grand tour (la Vuelta) en ayant participé aux trois dans la même saison. Sur les 10 dernières années, 11 % des coureurs ayant participé au Tour de France ont participé, la même année, au tour d’Italie et 18 % au tour d’Espagne. 26 % des coureurs ont disputé, la même année, le tour d’Italie et le tour d’Espagne qui sont plus espacés dans le temps.

Il faut faire des choix pour chaque équipe et chaque coureur dans la manière d’organiser la saison. Le double champion du monde français Julian Alaphilippe renonce ainsi au Tour de France cette année, après avoir remporté une étape du Giro, afin de se préserver pour l’épreuve sur route des Jeux olympiques de Paris. Les 18 équipes de première division ont obligation de participer à toutes les épreuves de l’UCI World Tour mais peuvent aussi prendre le départ des courses de division plus modeste. Une équipe du plus haut niveau cycliste doit posséder dans ses effectifs au moins 23 coureurs. D’autant qu’il peut arriver que le calendrier des épreuves se chevauche parfois, comme c’est le cas en mars pour Paris-Nice et Tirenno-Adriatico.

Les choix s’effectuent en fonction du programme de préparation pour les épreuves ciblées, selon les caractéristiques de chaque coureur et des blessures. Certaines courses préparent mieux que d’autres car cohérentes en termes de parcours, de dates et de localisations géographiques. Elles s’articulent avec des stages, prévus à différents moments de l’année afin que les coureurs atteignent leur pic de forme en regard des échéances visées, et les périodes de repos nécessaires.

Les quelques calculs présentés permettent ainsi de considérer que le Tour de France est l’épreuve prioritaire pour les équipes cyclistes. La prépondérance du Tour est telle que les équipes qui y ont peu de chances ne cherchent pas à y aligner une équipe de qualité inférieure pour maximiser leur effectif sur un autre grand tour. L’importance de gagner une étape, un maillot distinctif, de bien figurer au classement général, de pouvoir être présent dans le tourbillon médiatique qui accompagne le Tour est telle que l’enjeu du Tour de France dépasse largement les épreuves qui viennent en concurrence.

Gaël Gueguen, Professeur en Stratégie et en Entrepreneuriat, TBS Education

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Votre salaire est-il décent ?

La définition du salaire décent est l'objet de nombreux débats. Shutterstock
Rim Hachana, ESDES

La question du salaire décent a été remise sur la scène publique suite aux annonces récentes de Michelin, quand le groupe de Clermont-Ferrand a annoncé vouloir pratiquer une juste rémunération dans tous les pays où il est présent. Cette déclaration a fait écho à l’entrée en vigueur, le 1er Janvier 2024, de la directive européenne « Corporate Sustainability Reporting Directive » (CSRD) qui impose aux entreprises de respecter un ensemble de normes de reporting standardisées en matière environnementale, sociale et de gouvernance (ESG). Ce texte se donne pour but de favoriser une meilleure transparence et une meilleure adéquation avec les impératifs de développement durable. Parmi ces normes figurent les ESRS (European Sustainability Reporting Standards) qui ont trait aux normes de reporting social visant les indicateurs extrafinanciers publiés par les entreprises à l’échelle européenne.

Afin de favoriser la cohésion sociale et sociétale, la norme ESRS-S1 « personnel de l’entreprise » aborde plusieurs indicateurs sociaux tels que la protection sociale, la santé et sécurité au travail, l’équilibre entre la vie professionnelle et la vie privée, les écarts de rémunération mais aussi la question du salaire décent (S1-10). Cet intérêt porté pour le salaire décent est d’autant moins étonnant qu’il constitue déjà un des domaines d’action prioritaires du Pacte mondial des Nations unies. Il a même fait l’objet de la convention 131 de l’Organisation internationale du Travail (OIT), adoptée depuis les années soixante-dix. Cette dernière considère que le paiement d’un salaire décent fait partie des responsabilités essentielles des entreprises. Plus récemment, l’OIT a approuvé le 15 mars 2024 un accord permettant d’opérationnaliser et mieux estimer le salaire décent.

En outre, la notion de salaire décent est foncièrement liée à plusieurs objectifs de développement durable (ODD) tels que l’ODD 1 « pas de pauvreté », l’ODD 5 « égalité des sexes », l’ODD 6 « développement durable » et l’ODD 8 « travail décent et croissance économique ». La problématique du salaire décent est devenue un sujet d’actualité, notamment, eu égard la vulnérabilité économique dont souffre le capital humain et qui ne fait que s’accentuer suite aux multiples crises observées ces dernières années.

Décent, c’est combien ?

La traduction anglaise exacte du terme « salaire décent » est « living wage ». Ce salaire est supposé être différent et plus élevé que le salaire minimum car il prend mieux en compte le coût de la vie. Plusieurs termes sont utilisés pour évoquer le salaire décent tels que le salaire adéquat, le salaire vital, ou le salaire d’efficience. Cette pluralité peut s’expliquer par les difficultés d’opérationnalisation de la notion de salaire décent et par les divergences institutionnelles et organisationnelles. En effet, le salaire décent diffère d’un pays à un autre, d’une région à une autre, et même d’une entreprise à une autre.

Pour l’OIT, le salaire décent se définit comme rémunération perçue par un travailleur pour une semaine de travail normal, qui lui permet de subvenir à ses besoins essentiels (nourriture, eau, logement, éducation, santé, le transport et la prévoyance en cas d’événements imprévus), ainsi que ceux de sa famille. Cette définition, quoique claire, est fortement critiquée aujourd’hui dans la mesure où elle est limitative et figée.

Lever les ambiguïtés de la définition

Derrière le débat sur le salaire décent, ce sont deux questions très sensibles qui sont abordées : le coût de la vie et le sens attribué au travail, sa valeur non monétaire en quelque sorte. Travaillons-nous pour subvenir uniquement à nos besoins essentiels ? Cette question mérite d’être posée et surtout confrontée au discours lié à la santé mentale et au bien-être au travail.

C’est ainsi que l’association Fair Wage Network définit le salaire décent comme un salaire qui permet aux travailleurs et à leurs familles de vivre dignement. Cela inclut non seulement la satisfaction des besoins de base tels que la nourriture, le logement, et les soins de santé, mais aussi la possibilité de couvrir des dépenses imprévues, d’épargner, et de participer pleinement à la vie sociale et culturelle. Un salaire décent doit également être versé de manière régulière et à temps. Ce niveau de rémunération devrait permettre aux salariés de travailler dans des conditions décentes, respectant leurs droits et leur dignité.

Toute la question est alors de savoir quel est le critère de « viabilité » à retenir, et quel est le seuil de « décence » à définir. La méthodologie standard qui reçoit de plus en plus de consensus consiste à procéder en trois étapes :

  • définir les quantités de différents biens et services qui doivent être inclus dans le panier de consommation, reflétant un niveau de vie de base mais décent pour un type de famille représentative ;

  • calculer le coût total de ce panier représentatif compte tenu des prix en vigueur, ce qui implique également de déterminer s’il existe des différences géographiques significatives dans les niveaux de prix qui devraient être reflétées dans les estimations infranationales ;

  • traduire enfin le revenu disponible du ménage nécessaire pour atteindre ce niveau de vie en salaires bruts à verser aux travailleurs. Cette dernière étape tient compte des hypothèses sur le nombre de salariés dans la famille et doit inclure les impôts sur le revenu et les cotisations sociales payés par les travailleurs, et idéalement, les transferts sociaux reçus par le type de famille considérée.

Salaire, emploi et pauvreté

Le Centre pour le bien-être, l’inclusion, la durabilité et l’égalité des chances, WISE (Well-being, Inclusion, Sustainability and Equal Opportunity) de l’OCDE a publié en 2023 un rapport dans lequel il est mentionné qu’avoir un emploi n’est souvent pas suffisant pour éviter la pauvreté. Dans les pays de l’OCDE, en moyenne 8 % des personnes vivant dans des ménages avec au moins un travailleur étaient pauvres. De plus, près d’un quart des travailleurs pauvres dans les pays de l’OCDE vivaient dans des ménages avec 2 travailleurs ou plus (OCDE, 2023).

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Cette situation a poussé les États à augmenter le salaire minimum de plus d’un quart au cours de la dernière décennie dans près de la moitié des pays de l’OCDE. Cette hausse a dépassé la croissance des salaires moyens. Néanmoins, ces augmentations ont souvent été inférieures à l’inflation, entraînant une diminution des salaires minimums réels (OCDE, 2022).

La figure suivante schématise le ratio du salaire mensuel décent au salaire minimum mensuel légal. Les barres représentent les familles avec un seul revenu et les losanges représentent les familles avec deux revenus.

La ligne horizontale à 1 représente le cas où le salaire décent de la Fair Wage Network est égal au revenu minimum. Une barre plus haute (plus basse) que 1 indique que le salaire décent est supérieur (inférieur) au revenu minimum.

OCDE 2023

Dans le cas de la France, le salaire décent dépasse de peu le salaire minimum de croissance (smic), dont le montant est révisé annuellement par décret.

Les lignes directrices de l’OCDE en relation avec le devoir de diligence incitent les entreprises à s’engager en faveur de la généralisation du salaire décent. Cependant, l’adoption de salaires décents reste volontaire et doit être évaluée par les entreprises en tenant compte des conditions économiques globales. À titre d’exemple, si la CSRD a été transposée en droit français par une ordonnance datée de décembre 2023, cette transposition n’a pas force de loi dans la mesure où le salaire décent continue à être instauré volontairement.

C’est dans ce cadre qu’intervient la décision annoncée le 17 avril de Michelin de mettre en place un salaire décent et un « socle de protection sociale universel ». Cela concerne tous les salariés à travers le monde (132.000 salariés sont concernés). Pour Florent Menegaux, le président du groupe Michelin, le salaire décent chez Michelin doit théoriquement permettre à chaque salarié « d’envisager le logement, la nourriture mais aussi le loisir, un peu d’épargne » avec un seul salaire « pour une famille de quatre individus, deux parents et deux enfants ». C’est ainsi que le salaire décent chez Michelin correspond à un seuil plus élevé que le smic, puisqu’il s’élèverait à près de 40 000 euros brut par an à Paris, ou un peu plus de 25 000 euros brut à Clermont-Ferrand, alors que le smic est situé à 21 203 euros brut annuels.

Le cas de Michelin n’est pas isolé puisque plusieurs autres entreprises ont suivi telles que L’Oréal et Schneider. La coalition Business for Inclusive Growth (B4IG), qui réunit des multinationales telles que Capgemini, Danone, Kering, Microsoft, s’est engagée à ce que l’ensemble des employés des entreprises membres touchent un salaire décent d’ici à 2030. À titre d’exemple, dans le cadre de sa responsabilité de veiller au respect des droits de l’homme dans sa chaîne d’approvisionnement mondiale, L’Oréal s’est engagé à verser un salaire décent à tous ses employés (plus de 85 000) d’ici à la fin de 2020 et à étendre ce paiement aux employés de ses fournisseurs stratégiques d’ici à 2030.

Une mise en œuvre complexe ?

Force est de constater que le marché du travail ne fournit pas nécessairement un salaire décent aux travailleurs. Les expériences enregistrées en Allemagne et au Royaume-Uni illustrent la complexité de la mise en place du salaire décent. En effet, en Allemagne, bien que le salaire minimum ait contribué à réduire les inégalités salariales et à améliorer les conditions de travail, des défis subsistent en matière de contournement de la loi et de pauvreté persistante parmi les travailleurs. Au Royaume-Uni, la campagne pour le Living Wage a montré l’importance de la mobilisation sociale et de la responsabilité sociale des entreprises, mais a également souligné les limites d’une approche purement volontaire.

Dans ce contexte, se poser la question de savoir si la norme ESRS (S1-10) suffira pour procéder à une « désmicardisation » de la France est crucial. Cette norme, qui impose aux entreprises de rendre compte de la rémunération équitable et de la lutte contre les inégalités salariales, représente une avancée significative vers plus de transparence et de responsabilité des employeurs. En revanche, les expériences allemandes et britanniques montrent qu’une telle norme ne peut être efficace à elle seule. Pour être réellement efficace, la norme ESRS (S1-10) doit être soutenue par des politiques publiques robustes et des mécanismes de contrôle contraignants.

Rim Hachana, Associate professor, ESDES

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Du live NPC au live match sur TikTok : les nouvelles stratégies d'influence

Capture d’écran d'un live match opposant 4 influenceurs (Source : TikTok, 2024) Frédéric Aubrun
Frédéric Aubrun, INSEEC Grande École et Marie-Nathalie Jauffret, International University of Monaco

C’est un peu comme une course infinie, entre les influenceurs et le législateur. À mesure que celui-ci prend des dispositions pour réguler les usages, les spécialistes de l’incitation à consommer s’adaptent et trouvent de nouveaux modes de communication, qui, par ricochet, suscitent de nouvelles lois… Au fur et à mesure, un équilibre se précise pour définir les pratiques commerciales éthiques. Dernier épisode en date : la pratique des live matchs sur TikTok.

Revenons en arrière. Une première étape a été dessinée par l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (Arpp). Cette dernière a défini l’influenceur comme un

« individu créant du contenu, exprimant un point de vue ou donnant des conseils, dans un domaine spécifique et selon un style ou un traitement qui lui sont propres et que son audience identifie ».

L’Arpp a établi une première recommandation pour suivre une communication publicitaire digitale plus éthique. Avec cette définition, l’objectif poursuivi était de rendre plus transparente la relation entre les trois acteurs de l’influence commerciale : l’influenceur, l’agent et l’annonceur.

Influenceurs et marques : les bonnes pratiques de transparence.

En France, l’Assemblée nationale et le Sénat ont adopté en juin 2023 une loi visant à encadrer l’influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux. Selon les règles déontologiques mises en place, les intentions marchandes d’un influenceur ne peuvent plus être dissimulées aux futurs consommateurs.

Le chat et la souris version 3.0

Et pourtant, de nouvelles pratiques de « publicitarisation » des médias et de marchandisation des individus se multiplient sur TikTok comme le live NPC, le ASRM, le mukbang ou encore le live match déjà évoqué. Si tous ces acronymes et autres mots-valises n’évoquent rien, c’est sûrement que vous n’êtes pas des familiers des réseaux sociaux destinés aux plus jeunes.

“La Publicitarisation” – Lexique des SIC.

La caractéristique de toutes ces formes de promotions est qu’elles sont produites par des influenceurs défiant la législation, en jouant avec les frontières éthiques des plates-formes. Pour comprendre ces innovations perpétuelles, il faut revenir au mode de fonctionnement économique des plates-formes. Sur TikTok,par exemple, les créateurs de contenus tentent de retenir leurs cibles en exploitant toutes formes de communications créatives. L’objectif premier étant de rallier de plus en plus d’abonnés pour former une communauté la plus large possible et, ainsi, bénéficier d’une plus grande visibilité et obtenir toujours plus de dons en ligne.

Passons en revue toutes ces nouvelles formes de communication marchande en commençant par l’« ASRM », qui consiste à diffuser, dans de courtes vidéos, des stimuli sonores ou visuels. Le but est de favoriser les méridiens sensoriels pour obtenir l’apaisement, voire la relaxation en diminuant le rythme cardiaque.

procurerait des émotions à certains followers. C’est un moyen pour gagner une nouvelle audience propice à se déstresser et peut afficher sans contrainte des sons émis parfois à la limite de la décence, frôlant la pornographie.

Du plaisir en ligne

Autre cas de partage de plaisir en ligne, pour augmenter le taux de suivi, le mukbang, qui pour un « performer » consiste à cuisiner et absorber une quantité démesurée de nourriture en échangeant parfois avec le public en temps réel. L’ASRM peut être associée à cette action.

Un exemple d’un mukbang, qui consiste à absorber une quantité démesurée de nourriture (Douyin TikTok China).

Ce phénomène nouveau sur les réseaux permettrait de se relaxer en regardant une personne manger. La personne qui regarde de telles vidéos serait censée consommer moins de calories en découvrant d’autres cultures culinaires, car cette activité est pratiquée par des influenceurs du monde entier (ou presque). Ultime atout de cette pratique : elle sortirait le « spectateur » de sa solitude, puisqu’il pourrait ainsi manger en compagnie d’un influenceur et de sa communauté qui commente chaque bouchée.

Un mukbang mettant en scène une énorme pulpe.

Autre forme de créativité apparue à la fin de 2023 : le « non-player character » (NPC), soit en français un « personnage non joueur » (PNJ). Cet acronyme définit usuellement un avatar de jeux vidéo venant transformer l’apparence des influenceurs. Dans cette relation entre les créateurs de contenu et leurs abonnés, les followers prennent virtuellement possession du corps des premiers. Ils animent alors leurs anatomies robotisées de l’autre côté de l’écran. Répondant aux demandes du public, les influenceurs développent des gestes et des déplacements saccadés – qui rappellent le monde du jeu vidéo. Ils adoptent aussi un langage stéréotypé, toujours pour figurer cet univers virtuel et ludique, à chaque nouvelle commande d’un abonné qui manipule leurs corps.

Ainsi, Pinkydoll, transformée le temps d’un live NPC en avatar, répétait-elle, inlassablement, « ice cream is so good » (« la glace est tellement bonne ») pour répondre à l’injonction des followers, en mimant une dégustation de glace de manière brève et saccadée.

Pinkydoll, « Ice cream is so good (TikTok NPC).

Une constante dans cette manipulation règle le jeu d’acteur. Les influenceurs interagissent, dominés par leurs communautés grâce à une relation monétisée envoyée digitalement sous forme de symboles (cœur, cornet de glace, etc.) correspondants à une somme pouvant aller de quelques centimes voire à… des centaines de dollars.

Des combats entre influenceurs

Plus récemment encore, le « live match » s’est invité au centre des débats. Un live match est la diffusion en direct de l’affrontement verbal de deux influenceurs (ou plus) dans le but d’obtenir le plus de popularité. Durant ces quelques minutes, les créateurs de contenu, face à la caméra, sollicitent de leur audience des cadeaux virtuels et monétisables. Pour remercier à leur tour les généreux donateurs, les influenceurs citent à haute voix leur nom et offrent ainsi aux plus généreux membres de leur communauté un espace de reconnaissance de quelques secondes.

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Là encore, la monétisation virtuelle joue un rôle central. Les pièces virtuelles TikTok (d’un montant de 11,90 euros les 1000 pièces) permettent d’acheter des stickers. Ces derniers animent le live et contribuent à l’avancée du match. Plus ils sont chers et plus ils rapportent de points aux influenceurs pour gagner leur match. Si la plate-forme TikTok indique dans ses conditions générales d’utilisation qu’il faut “être âgé(e) de 18 ans ou plus pour pouvoir diffuser des contenus en direct et utiliser les fonctionnalités relatives à la diffusion en direct” ou “interagir avec des articles virtuels”, les matchs ne font toujours pas l’objet d’une régulation officielle.

Qui manipule qui ?

Dans ce nouveau théâtre médiatique, comprendre qui manipule qui n’est pas facile. En premier lieu, les influenceurs dirigent leur communauté en appliquant un scénario et une mise en scène pensés pour retenir l’attention du plus grand nombre et recevoir le plus de dons virtuels pendant les matchs. Pourtant, c’est ce même public qui tire les ficelles et qui manœuvre les influenceurs. Les dons virtuels qu’ils envoient sous forme d’autocollants animés peuvent, en effet, transformer les visages en s’y collant et manipuler les corps des influenceurs à loisir en les transformant en marionnettes. De plus, les influenceurs qui perdent un match doivent aussi subir un gage sous le regard des abonnés.

Cette forme de manipulation n’est pas sans rappeler celle exercée par les influenceurs biodigitaux. Ces individus numériques semblables en apparence aux êtres humains sont en réalité entièrement générés par l’intelligence artificielle. Derrière l’apparence d’un spectacle, les équipes marketing des marques internationales s’en servent pour promouvoir leur discours de manière originale, en collaboration avec les plus grandes plates-formes. Là encore, la régulation est d’autant plus complexe, que les followers apprécient ce type de happenings numériques, qui contribuent à “publicitariser” le média et à favoriser la croissance des publics.


Cet article s’appuie sur un article en cours dans la revue Communication & Management. Il s’inscrit également dans la prolongation des réflexions engagées dans l’ouvrage collectif « Les dessous de la publicité ».

Frédéric Aubrun, Enseignant-chercheur en Marketing digital & Communication au BBA INSEEC - École de Commerce Européenne, INSEEC Grande École et Marie-Nathalie Jauffret, Chercheure - Prof. Communication & Marketing, International University of Monaco

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.