Le Tour de France reste-t-il le plus grand des « grands tours » ?

Economie
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Le Tour de France reste-t-il le plus grand des « grands tours » ?

Jonas Vingegaard (à gauche), victime d'une grave chute au mois d'avril, et Tadej Pogacar (à droite), qui sort du Giro, pourront-ils viser une troisième victoire sur la Grande boucle ? Pauline Ballet/A.S.O.
Gaël Gueguen, TBS Education

Sans chauvinisme aucun, est-il possible de déclarer le Tour de France comme la plus grande épreuve cycliste au monde et donc comme le plus grand des « grands tours » ?

Il existe trois grands tours cyclistes masculins, courses par étapes qui se déroulent sur trois semaines. En mai se tient le Tour d’Italie, le « Giro », avec son maillot rose. La 107e édition qui s’est tenue cette année a été remportée haut la main par le slovène Tadej Pogacar. Au mois de juillet, le leader du Tour de France revêt le maillot jaune. C’est la 111e édition cette année qui se déroule cette année. Fin août, c’est la « Vuelta » qui s’élance avec son maillot rouge, 79e édition en 2024.

Les données économiques sont rares, mais mettent largement la Grande boucle en tête. Les revenus du Tour de France sont estimés de l’ordre de 170 millions d’euros, 70 millions pour le Giro et on peut supposer, au regard d’autres variables, qu’ils sont un peu moindres pour la Vuelta. Autre ordre de grandeur disponible : les primes accordées aux participants de ces tours. Elles sont de 2,3 millions d’euros pour le Tour, dont 500 000 euros pour le vainqueur final, 1,6 million pour le Giro (265 000 euros pour le premier) et 1,1 million pour la Vuelta (150 000 euros pour celui qui ramène le maillot rouge à Madrid).

Côté audiences, celles du Tour sont annoncées à plus de 3,5 milliards de téléspectateurs, très loin devant celle du Giro (775 millions environ) et de la Vuelta (360 millions). Autre indice de la supériorité de l’épreuve française : Netflix produit une série sur le Tour mais pas sur les deux autres.

Qu’en est-il néanmoins sur un plan purement sportif ? Ces dernières années, les meilleurs grimpeurs français comme Thibault Pinot ou Romain Bardet ont parfois préféré orienter leur saison en direction du classement général du Tour d’Italie, au parcours souvent plus difficile en montagne. Il n’en demeure pas moins que c’est bien sur les routes françaises que le gratin du peloton continue de se donner rendez-vous.

Le Tour attire toujours

Un grand tour se compose actuellement de 176 coureurs, répartis en 22 équipes de 8. Grâce à des sites spécialisés en données cyclistes comme ProCyclingStats ou au classement établi par l’Union cycliste internationale, il est possible d’attribuer un score à chaque coureur en fonction de ses performances, en les pondérant par l’importance de chaque course. Nous avons ainsi compilé la valeur des effectifs engagés sur les grands tours depuis 10 ans en utilisant les scores des saisons précédentes.

L’an dernier, toutes les équipes ayant participé aux trois grands tours ont aligné leur meilleur effectif sur le Tour de France à l’exception notable de la Soudal Quick-Step qui avait des ambitions au Giro et à la Vuelta pour son leader, le champion du monde Remco Evenepoel (et dans une moindre mesure Team DSM-Firemich).

Le même constat s’applique aux autres années. Il apparaît que le Tour pèse toujours entre 40 et 50 % du total des trois grands tours. Autre façon de l’exprimer, il a en moyenne, a un plateau de départ 1,76 fois plus « qualitatif » que le tour d’Italie et 1,65 fois plus élevé que le tour d’Espagne.

Si nous retenons uniquement les 50 meilleurs coureurs des années précédentes, ce rapport s’accroît encore : 2,90 par rapport au tour d’Italie et de 2,20 en ce qui concerne le tour d’Espagne.

Choisir, c’est renoncer

Ces résultats et ces écarts sont le fait d’une particularité des courses cyclistes : il est compliqué pour un coureur de participer à plusieurs tours la même année. Un joueur de tennis, sauf blessure, va participer aux quatre épreuves du grand chelem. Sa participation à Roland-Garros, sauf blessure, ne compromettra pas son résultat à Wimbledon. Il n’en va pas de même dans le cyclisme : seuls 10 coureurs dans l’histoire ont réussi à remporter le classement général de deux grands tours dans la même année civile. Les derniers en date : Christopher Froome en 2017 pour un doublé Tour de France–Vuelta, Alberto Contador en 2008 pour un doublé Giro-Vuelta et Marco Pantani en 1998 pour un doublé Giro–Tour de France. En attendant Tadej Pogacar cette année ?

L’an passé, l’Américain Sepp Kuss est devenu le premier coureur depuis Gastone Nencini en 1957 à remporter un grand tour (la Vuelta) en ayant participé aux trois dans la même saison. Sur les 10 dernières années, 11 % des coureurs ayant participé au Tour de France ont participé, la même année, au tour d’Italie et 18 % au tour d’Espagne. 26 % des coureurs ont disputé, la même année, le tour d’Italie et le tour d’Espagne qui sont plus espacés dans le temps.

Il faut faire des choix pour chaque équipe et chaque coureur dans la manière d’organiser la saison. Le double champion du monde français Julian Alaphilippe renonce ainsi au Tour de France cette année, après avoir remporté une étape du Giro, afin de se préserver pour l’épreuve sur route des Jeux olympiques de Paris. Les 18 équipes de première division ont obligation de participer à toutes les épreuves de l’UCI World Tour mais peuvent aussi prendre le départ des courses de division plus modeste. Une équipe du plus haut niveau cycliste doit posséder dans ses effectifs au moins 23 coureurs. D’autant qu’il peut arriver que le calendrier des épreuves se chevauche parfois, comme c’est le cas en mars pour Paris-Nice et Tirenno-Adriatico.

Les choix s’effectuent en fonction du programme de préparation pour les épreuves ciblées, selon les caractéristiques de chaque coureur et des blessures. Certaines courses préparent mieux que d’autres car cohérentes en termes de parcours, de dates et de localisations géographiques. Elles s’articulent avec des stages, prévus à différents moments de l’année afin que les coureurs atteignent leur pic de forme en regard des échéances visées, et les périodes de repos nécessaires.

Les quelques calculs présentés permettent ainsi de considérer que le Tour de France est l’épreuve prioritaire pour les équipes cyclistes. La prépondérance du Tour est telle que les équipes qui y ont peu de chances ne cherchent pas à y aligner une équipe de qualité inférieure pour maximiser leur effectif sur un autre grand tour. L’importance de gagner une étape, un maillot distinctif, de bien figurer au classement général, de pouvoir être présent dans le tourbillon médiatique qui accompagne le Tour est telle que l’enjeu du Tour de France dépasse largement les épreuves qui viennent en concurrence.

Gaël Gueguen, Professeur en Stratégie et en Entrepreneuriat, TBS Education

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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