44 % des représentants de la Génération Z déclarent acheter exclusivement des vêtements conçus pour leur propre sexe, contre 54 % chez les représentants de la génération Y. Wallpaperflare.com, CC BY-SA
La mode unisexe, un révélateur des divergences sociétales sur le genre
Aurore Bardey, Burgundy School of BusinessJouer avec les limites du genre n’est pas un exercice nouveau dans l’industrie et l’histoire de la mode. Toutefois, les frontières ont été repoussées plus loin depuis le début du XXIe siècle. En effet, cette mode multigenre habituellement présente dans le milieu artistique (par exemple dans la musique pop chez David Bowie, Prince ou Harry Styles pour ne citer qu’eux) est de plus en plus présente dans les magasins, les défilés et les placards des (plus jeunes) consommateurs.
Ainsi, la mode « unisexe », considérée ici comme une mode « dégenrée », incluant des vêtements pouvant être par des hommes tout comme des femmes, ou une mode « cross genré » où les femmes portent des vêtements initialement destinés aux hommes et vice versa, se généralise. Cette tendance croissante chez les jeunes générations, notamment les générations Y (entre 24 et 40 ans) et la génération Z (entre 8 et 23 ans) pourrait même définir l’avenir de l’industrie et même de la société elle-même.
Les consommateurs de la génération Z sont généralement associés aux nouvelles idées et attitudes sur le sexe et le genre. Un rapport indique que 33 % de la génération Z et 23 % de la génération Y pensent que le sexe n’est pas une caractéristique déterminante d’un individu. Dans le même rapport, 56 % des personnes interrogées déclarent connaître quelqu’un qui utilise des pronoms non genrés. Concernant les comportements d’achat, 44 % d’entre eux ont déclaré acheter exclusivement des vêtements conçus pour leur propre sexe, contre 54 % chez les représentants de la génération Y.
Une dichotomie entre designers et consommateurs
Dans ce contexte, de nombreuses marques de mode ont entamé un processus de « dégenrisation » de leurs stratégies de conception, de merchandising et de communication – notamment en ce qui concerne les vêtements, les parfums et bijoux. Cependant, le commerce vestimentaire reste principalement bigenré (collections homme et femme). En témoignent les magasins de mode traditionnellement séparés par catégorie de genre. Qui plus est, malgré cette nouvelle tendance de fluidité des genres dans la mode, il existe peu de recherche académique concernant cette mode de consommation.
Mes collègues et moi avons récemment publié deux articles scientifiques sur ce sujet. Pour notre premier article, publié en 2020, nous avions recruté 263 participants auxquels nous avons demandé d’observer une série de photos. Sur chaque cliché étaient représentés un homme et une femme portant la même tenue vestimentaire, autrement dit des photos de mode unisexe.
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Ces 263 participants ont été divisés en deux groupes : le premier groupe a observé ces photos sans avoir aucune précision de l’expérimentateur ; au second, il a été précisé que ces photos représentaient des vêtements unisexes. Nos résultats ont montré que ni le label « unisexe » ni la masculinité/féminité du vêtement n’avaient d’importance dans l’intention d’achat des consommateurs, seuls l’esthétique et le style vestimentaire importaient.
Pour cet article, nous avons également demandé à un groupe de designers d’imaginer, en utilisant la technique du design thinking, un vêtement unisexe. Nos résultats ont montré que les designers se focalisaient sur le contexte social, la masculinité/féminité du vêtement et l’orientation sexuelle du consommateur plutôt que sur le style et l’esthétique. Ce premier article montre donc la dichotomie de l’approche du vêtement unisexe par les consommateurs et les designers.
Dans notre deuxième article sur ce sujet publié en 2022, nous avons essayé de comprendre les facteurs impliqués dans l’achat de produits de mode du sexe opposé. Après une série d’entretiens individuels avec treize femmes cisgenres (qui se reconnaissent le même genre que celui déclaré à l’état civil à la naissance) des générations Y et Z, nous avons exploré et cartographié la motivation et l’expérience d’achat des consommatrices pour la mode au rayon homme.
Les résultats ont permis de définir un modèle de comportement d’achat : avant l’achat, une motivation de non-conformité. Ici, nos participantes nous ont partagé vouloir aller au-delà (et pas forcément à l’encontre) de ces normes trop féminisées et stéréotypées de la femme. Ensuite, nos participantes ont insisté sur le temps investi lors de l’achat. Elles ont toutes – décrit un mode d’achat plus rapide et moins complexe au rayon homme. Enfin, après l’achat, les consommatrices ont insisté sur la satisfaction d’avoir trouvé un style vestimentaire qui correspondait à leur identité propre, et non à une identité que la société et/ou l’industrie leur imposaient.
Au-delà de la mode
Au bilan, ces travaux de recherche révèlent donc l’existence de deux fossés : d’abord, entre les designers qui se focalisent sur un contexte social et les consommateurs qui se concentrent sur l’esthétique ; puis entre les plus jeunes générations qui jouent avec la fluidité des genres et les moins jeunes générations qui ont eu l’habitude d’évoluer dans une société et une industrie de la mode bigenrée.
L’actualité récente indique que ce dernier fossé, particulièrement profond, dépasse largement le champ de la mode. En avril dernier, le chanteur Bilal Hassani, porte-drapeau revendiqué de la communauté LGBT, recevait des menaces de mort et était contraint d’annuler un concert à Metz sous la pression des mouvances catholiques. À l’inverse, quelques mois plus tôt, une professeure de philosophie britannique démissionnait de ses fonctions après la révolte de ses étudiants qui l’accusait de transphobie pour avoir organisé un débat sur le genre sexuel.
Seuls l’écoute, le respect et la discussion semblent aujourd’hui permettre de réconcilier les deux camps. Car, comme l’écrivait la militante américaine Maya Angelou, c’est dans la diversité que résident la beauté et la force.
Aurore Bardey, Associate Professor in Marketing, Burgundy School of Business
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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