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Deux experts des questions de dépendance, Thierry Calvat et Edouard de Hennezel, appellent dans une tribune au « Monde » à considérer les personnes chargées d’un proche dépendant comme des acteurs d’un nouveau type de lien social plutôt que comme des victimes.
Tribune. A l’approche de la réforme sur la dépendance, le gouvernement se penche sur la situation des aidants familiaux, ces 8,3 millions de nos concitoyens qui accompagnent au quotidien un proche fragilisé par l’âge, la maladie ou le handicap. Attention toutefois à ce que les approches publiques et les revendications exprimées ici et là – statut, droits nouveaux… – ne concourent pas à les envisager comme des corps exclusivement souffrants ou victimisés.
En effet, outre la mise en place de solutions possiblement inadaptées, cela empêcherait de tirer parti du formidable potentiel d’inspiration et de modernité qu’ils représentent au moment où notre société connaît des bouleversements profonds.
Les aidants constituent une famille structurée autour d’une communauté de gestes – soutenir, accompagner… – mais non de destin. Selon que l’on est aidant principal ou secondaire, enfant, conjoint ou parent, aidant permanent ou ponctuel, la singularité de la relation amène à des perceptions et des vécus différents qui rendent caduque l’idée de les rassembler en une seule main.
En France, les aidants principaux ou esseulés représentent ainsi une petite moitié de la population totale concernée, selon les statistiques du ministère des affaires sociales. Quand on sait que la situation est vécue comme toxique par seulement un tiers d’entre eux (Panel national des aidants BVA Novartis, 2010), alors qu’elle est porteuse d’opportunités nouvelles pour une fraction équivalente, on mesure toute l’illusion de ne pas vouloir établir de différenciation.
A l’heure où chacun, dans notre société, aspire à être davantage reconnu, considérer tous les aidants de façon uniforme ne sert ni les uns – fragilisés – ni les autres – possiblement culpabilisés – et surtout, pourrait conduire à des politiques publiques insatisfaisantes pour tous.
Traditionnellement, on représente l’aide comme une situation subie, alors que pour plus de 90 % des aidants, il s’agit d’un choix, voire d’une fragilité consentie (Panel national des aidants BVA Novartis 2010). Aider procède ainsi d’une démarche éthique échappant à la morale. Les chemins que l’aide emprunte sont variés et parfois inattendus, mais tous placent la liberté avant le devoir.
En cela, les aidants sont révélateurs d’une profonde mutation de l’opinion, qui trouve, entre autres, sa traduction dans de nouvelles formes d’engagement citoyen souvent éloignées du classique bénévolat. Dans ce contexte, légiférer – et donc rigidifier – est sans doute une fausse bonne idée. La formalisation d’un statut encadré – voire rémunéré – ferait par exemple courir aux femmes – généralement au premier rang de l’aide – un risque d’assignation à résidence.
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L’Afrique contre la pauvreté (4/6). Pour accélérer le développement et réduire les inégalités, l’Etat parie sur les marchés financiers plutôt que sur l’appui du FMI.
Nana Akufo-Addo a le sens de la formule. Le président ghanéen l’a une fois encore démontré lors de sa visite à Paris, en juillet, invitant dans un discours à cesser de croire à « l’histoire du Père Noël qui va venir pour développer le continent ». Au pouvoir depuis 2017, l’ancien avocat, star des réseaux sociaux en Afrique, a fait de cette doctrine le cœur de son programme : celui d’un Ghana affranchi de l’aide internationale (« Ghana beyond aid »). En clair, M. Akufo-Addo promet de construire un pays dont le développement ne dépende plus jamais de l’assistance des pays riches.
Cap audacieux mais réaliste ? Ou simple vœu pieux ? Souvent montré en exemple pour ses acquis démocratiques et sa robuste croissance, cet Etat anglophone d’Afrique de l’Ouest donne des raisons d’espérer. L’ancienne Gold Coast est le premier pays d’Afrique subsaharienne à avoir atteint l’objectif numéro 1 du millénaire pour le développement (OMD), visant à diviser par deux le taux d’extrême pauvreté. Celui-ci est passé de 52 % en 1992 à 28 % en 2006, puis à 24 % en 2013, selon les statistiques ghanéennes. Un résultat obtenu grâce à l’accélération de la croissance dans les années 2000, le Ghana tirant profit d’une économie riche en matières premières de toutes sortes (or, bauxite, manganèse, mais aussi cacao, café, noix de cajou, etc.) et de la découverte de gisements de pétrole.
Cet essor a aussi permis une amélioration de l’indice de développement humain, mesuré à travers le revenu brut par habitant, l’espérance de vie à la naissance et l’accès à l’éducation. « Le Ghana est l’un des rares pays d’Afrique subsaharienne classés dans la catégorie des pays à développement humain moyen », souligne l’économiste Selin Ozyurt dans un rapport de l’Agence française de développement (AFD) publié en juin. Profitant de rentrées de devises lors des années de forte croissance, le gouvernement a mis sur pied plusieurs programmes d’aide sociale. Le plus emblématique, le revenu de subsistance contre la pauvreté, a été lancé en 2008 : selon les autorités, 330 000 foyers touchent aujourd’hui une allocation et s’acquittent, en échange, de certaines obligations, comme la scolarisation de leurs enfants.
Ce tableau flatteur ne doit pourtant pas faire illusion. Malgré une forte hausse du produit intérieur brut (PIB), peu d’emplois sont effectivement créés. « La croissance économique n’est pas très forte dans le secteur industriel, qui serait à même de créer des emplois. De nombreux Ghanéens sont autoentrepreneurs et vivent du commerce ou de l’agriculture, et le secteur pétrolier ne pourvoit pas beaucoup d’emplois », souligne Andy McKay, professeur en développement économique à l’université du Sussex et spécialiste du Ghana.
Autre point noir : les inégalités. « Les avantages de la croissance économique record enregistrée au cours de la dernière décennie ont profité essentiellement aux riches. L’inégalité est plus grande que jamais au Ghana », se désolait ainsi, dans un rapport publié au printemps 2018, Philip Alston, rapporteur spécial des Nations unies sur l’extrême pauvreté, à la suite d’une mission d’enquête dans le pays. Le diplomate australien regrettait le faible niveau des dépenses consacrées à la protection sociale : seulement 1,4 % de sa richesse nationale, soit moins que ses voisins. Et si le Ghana a « de nombreux programmes admirables », poursuivait-il, « il n’existe pas de vrai plan pour les financer de manière adéquate ».
Le détail fin des données révèle, de fait, une situation très contrastée. Tout va bien pour les plus riches : le contingent de millionnaires en dollars est passé de 1 900 en 2006 à 2 900 en 2016, et devrait encore croître de 80 % d’ici à 2026. En revanche, le nombre de pauvres n’a quasiment pas régressé au cours de la dernière décennie. En moyenne, un quart de la population du Ghana vit toujours en dessous du seuil de pauvreté. Et dans certaines zones – en particulier le Nord, rural et enclavé –, le dénuement peut toucher 70 % des habitants.
La plus grande ville septentrionale du pays, Tamale, située à une centaine de kilomètres de la frontière avec le Burkina Faso, est surnommée « la capitale des ONG ». De nombreuses organisations humanitaires y sont présentes pour pallier l’incurie de l’Etat. Les habitants de cette région sont, la plupart du temps, agriculteurs et éleveurs et ne disposent pas d’infrastructures publiques de base, notamment dans le domaine de la santé et de l’éducation. « Certaines régions du pays ne peuvent pas se passer de l’aide internationale, c’est notamment le cas du nord du pays », avance Andy McKay, qui estime que des investissements sont primordiaux dans les écoles et l’agriculture.
La proximité géographique du Burkina Faso, pays déstabilisé depuis plusieurs années par des attaques terroristes, freine le développement de la région. Le Nord fait également face à un exode rural vers les grandes villes du pays, Kumasi et Accra.
Si le président a fait du « Ghana beyond aid » un axe central de sa politique, le Fonds monétaire international (FMI) met en avant, lui, les progrès réalisés par le pays grâce à son assistance. Lors d’une visite dans le pays en décembre 2018, l’ex-présidente de l’institution internationale, Christine Lagarde, vantait les programmes d’aide, « points d’ancrage pour un ajustement économique ordonné et un signal positif pour les marchés ».« Le programme du FMI de quatre ans, dont le Ghana est sorti en avril 2019, a contribué à stabiliser sa situation macroéconomique. Outre la reprise de la croissance, la réduction de l’inflation à moins de 10 % a permis plusieurs relâchements du taux directeur de la Banque centrale ghanéenne, aujourd’hui à 16 % », indique, de son côté, le Trésor public français.
Selon la Banque centrale du Ghana, le pays a une dette qui représente 67 % de son PIB (dont la moitié est libellée en dollar) et un déficit de 4,7 % en 2018. La même année, les intérêts financiers ont mobilisé 43 % des revenus de l’Etat. Une situation qui pourrait s’aggraver à l’approche de l’élection présidentielle, prévue en décembre 2020. Pour s’attirer les faveurs des électeurs, les présidents sortants ont tendance à augmenter les dépenses publiques à l’approche des scrutins. Selon Gregory Smith, économiste chez Renaissance Capital, les déficits sont en moyenne supérieurs d’un point en année préélectorale par rapport à une année sans élection. Et si le Ghana se détourne de la tutelle du FMI pour se financer, le pays lorgne désormais les marchés financiers, qui pourraient demander une baisse de la dépense publique et entraver les objectifs de réduction des inégalités.
Le défi pour ce pays de 29,5 millions d’habitants est de mieux répartir les fruits de sa croissance. Même solide – elle devrait dépasser 8 % en 2019 –, celle-ci ne s’est pour l’heure guère traduite en emplois. Nana Akufo-Addo fait valoir que là est la clé d’un développement inclusif et qu’il faut pour cela transformer la structure de l’économie : la rendre moins dépendante de la production et de l’exportation des matières premières et plus tournée vers l’industrie, en incitant les investisseurs à venir y ouvrir des usines. Libéral, le chef de l’Etat dit croire davantage aux mérites de l’esprit d’entreprise et à l’attractivité du cadre fiscal qu’aux bienfaits de l’Etat-providence.
Source : Le Ghana, ce pays (encore) pauvre qui ne veut plus de l’aide internationale
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L’ingénieur, resté plus de vingt ans à la tête du groupe, a hissé le constructeur automobile allemand parmi les premiers mondiaux. Il est mort le 25 août, à l’âge de 82 ans.
C’est un industriel emblématique qui vient de partir. L’un de ceux qui ont contribué à ramener leur pays aux premiers rangs de la scène mondiale. Pour le meilleur ou pour le pire, l’avenir le dira. Volkswagen, la firme dont Ferdinand Piëch fut à la fois l’héritier et le bâtisseur, lui avait rendu une forme d’hommage en se hissant, en 2016, au rang de numéro un mondial de l’automobile, en dépit du « dieselgate ».
Ferdinand Piëch est mort, dimanche 25 août, à l’âge de 82 ans, a annoncé sa femme lundi 26 août. « Mon mari (...) est décédé subitement et de manière inattendue », écrit Ursula Piëch dans un bref communiqué, confirmant des informations de presse et évoquant « une vie marquée par la passion pour l’automobile et les employés qui les construisent ».
Le tout-puissant patriarche se serait bien vu rester au volant de Volkswagen jusqu’à ses 80 ans, qu’il comptait célébrer en installant au sommet ce constructeur né la même année que lui (1937). Mais il fut poussé vers la sortie en mai 2015, quatre mois avant les révélations des tricheries délibérées, lors des tests d’émissions polluantes des moteurs diesel du groupe. Nul ne saura jamais comment « l’homme qui a de l’essence dans les veines », ainsi que l’avait surnommé Die Zeit en 1993, aurait géré cette crise sans précédent.
Il mènera sa carrière, sa famille et ses collaborateurs à la baguette. Sans jamais lever le pied de l’accélérateur, sa passion pour « das Auto » chevillée au corps.
Un allemand devant un japonais (Toyota) et un américain (General Motors), soixante et onze ans après la fin de la deuxième guerre mondiale… Un point d’orgue « historique » à tous égards pour le petit-fils de l’ingénieur mythique Ferdinand Porsche (1875-1951), concepteur de la « voiture du peuple » (Volkswagen) voulue par Hitler. Une filiation d’autant plus lourde à porter pour « Ferdinand-le-petit » qu’il était aussi le fils d’Anton Piëch (1894-1952), premier patron, de 1941 à 1945, de l’usine installée en Basse-Saxe par le régime nazi.
La « Coccinelle » devenue star dans l’Amérique des sixties finira par redorer le blason (et les comptes) de la firme allemande, détrônant en 1972 la Ford T historique comme voiture la plus vendue de tous les temps. Ferdinand Piëch, lui, gravira une à une les marches vers le sommet. Né le 17 avril 1937 à Vienne, en Autriche, ce petit Mozart de l’automobile – il dessinait ses premières voitures dès l’âge de 4 ans, raconte la légende familiale – va se révéler un redoutable chef d’orchestre sinon de guerre. Il mènera sa carrière, sa famille et ses collaborateurs à la baguette. Sans jamais lever le pied de l’accélérateur, sa passion pour « das Auto » chevillée au corps.
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S’il salue l’action globale du gouvernement, le président de l’organisation patronale qui organise mercredi l’université d’été de son mouvement, estime que la crise sociale soulevée par les « gilets jaunes » persiste « en profondeur ».
A la tête du Medef depuis un an, Geoffroy Roux de Bézieux fait sa rentrée, mercredi 28 août, lors de l’université d’été de l’organisation patronale. Rebaptisé « La rencontre des entrepreneurs de France » (La REF), l’événement se tient cette année à l’hippodrome Paris-Longchamp sur deux jours et réunira, entre autres, la ministre du travail Muriel Pénicaud, l’ex-président de la République Nicolas Sarkozy, la fondatrice du magazine Causeur Elisabeth Lévy ou encore Jacline Mouraud, l’une des initiatrices des « gilets jaunes ».
L’idée est de se préoccuper de sujets qui, certes, ne forment pas le quotidien de tous les patrons, mais qui un jour ou l’autre affecteront leur activité, comme la démographie, l’immigration, l’alimentation ou la pauvreté… La REF est le symbole d’un Medef plus ouvert aux débats de société et à la société elle-même. Notre volonté a été de renouer avec le débat démocratique en invitant des politiques, des artistes, des intellectuels qui ne pensent pas comme nous.
Non, cela s’inscrivait dans cette idée de débattre avec des gens avec lesquels nous ne sommes pas d’accord. Mais à partir du moment où elle a été vue comme une tribune offerte à Marion Maréchal, comme si c’était sa rentrée politique, ce n’était plus possible. Elle n’était qu’une invitée qui devait débattre avec d’autres du populisme.
Il est positif, même si les signaux économiques s’avèrent contradictoires, entre des indicateurs corrects en France et une inquiétude sur le plan international. Sur ce dernier point, je suis convaincu qu’une défaite de Donald Trump en 2020 ne changerait en rien la trajectoire de confrontation entre les Etats-Unis et la Chine pour le leadership mondial. Nous sommes entrés pour plusieurs années au cœur d’une guerre froide économique où le consensus pour soutenir la croissance mondiale a volé en éclats. L’Amérique pense qu’elle peut se suffire à elle-même grâce à une forte croissance domestique, tirée par des incitations fiscales. L’Europe est l’espace qui a le plus à souffrir de ce nouvel ordre mondial car elle reste la plus dépendante aux exportations, au moment où elle est déjà confrontée à la sortie du Royaume-Uni.
A court terme, oui. La France est moins exportatrice que l’Allemagne, par exemple, et nous bénéficions des efforts réalisés ces dernières années, entre le pacte de responsabilité de 2015 et les réformes du marché du travail en 2017. Le climat des affaires reste favorable, le gouvernement faisant globalement confiance aux chefs d’entreprise, même s’il a parfois des injonctions contradictoires. L’objectif de 7 % de taux de chômage apparaît désormais crédible. Certes, cela n’empêche pas les problèmes. Même si les inégalités réelles sont moindres en France qu’ailleurs à cause du système redistributif, le sentiment d’inégalité se révèle élevé, comme l’a prouvé le mouvement des « gilets jaunes ». La bonne nouvelle pour nous, c’est qu’il n’a pas remis en cause l’agenda de réformes du gouvernement.
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