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Apple, malgré une trésorerie de 200 milliards de dollars, a émis pour sept milliards de dollars d’obligations sur les marchés, mercredi 4 septembre. Profitant de la faiblesse actuelle des taux et de l’appétit des investisseurs, les entreprises se ruent sur le marché obligataire, notamment pour racheter leurs propres actions. Un cercle vicieux, explique Philippe Escande, éditorialiste économique au « Monde ».

Chronique. On sait bien qu’on ne prête qu’aux riches, mais tout de même. Mercredi 4 septembre, l’entreprise la plus fortunée du monde, Apple, assise sur son trésor de 200 milliards de dollars (180 milliards d’euros), a jugé qu’il était temps d’emprunter un peu d’argent. Elle a émis pour sept milliards de dollars d’obligations, des titres de dettes, alors qu’elle ne sait manifestement pas quoi faire de son argent.

Elle n’était pas la seule. La semaine dernière a vu un déluge d’émissions d’obligations sans précédent s’abattre sur Wall Street. Mercredi, Disney et Coca-Cola ont fait comme Apple. Au total, les entreprises américaines ont émis, pendant cette seule première semaine de septembre 2019, pour près de 74 milliards de dollars d’obligations. Un record historique qui s’est propagé sur toutes les classes de dettes et sur toute la planète, avec un montant jamais vu de 150 milliards de dollars. Les entreprises baignent dans un océan de dettes.

La promesse d’un endettement presque gratuit

Du côté des acheteurs, la raison de cet engouement est la même que celle qui prévaut depuis que les banques centrales ont baissé drastiquement les taux des obligations d’Etats. Ce placement sans risque ne rapportant plus rien, voir coûtant de l’argent, les investisseurs se sont reportés sur les obligations des grandes entreprises qui sont un peu plus rémunératrices que les bons du Trésor américain, avec un risque faible. Contrairement à une action, une obligation fournit un rendement fixe et connu dès le départ.

Côté émetteurs, difficile de ne pas se laisser tenter par la promesse d’un endettement presque gratuit. Il permet à ces grands groupes de gérer leur trésorerie de façon très fine en remboursant les vieux emprunts plus chers pour les remplacer par ces derniers. Mais pourquoi diable se procurer de l’argent quand on en a déjà autant et que l’investissement est en panne aux Etats-Unis depuis que Donald Trump joue aux acrobates avec le commerce mondial ?

Ces dollars tout frais vont servir en grande partie à soutenir le cours de Bourse en procédant à des rachats d’actions. Une tactique bien maîtrisée par les entreprises américaines. Une société comme Starbucks doit l’essentiel de la progression de son cours ces dernières années à cette pratique. La firme a annoncé la semaine dernière qu’elle allait lancer avant fin 2019 un nouveau programme de rachat destiné à compenser l’effet sur son titre d’une croissance moins forte que prévu.


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Boris Johnson se déplace ce lundi en Irlande. Le pays est – de loin – celui qui, en Europe, a le plus à perdre à la sortie du Royaume-Uni de l’UE.

Le pavé de bœuf était forcément irlandais, les nœuds papillon et les robes de soirée impeccables et le vin coulait à flots, mais l’ambiance était sombre lors du dîner de gala annuel de la Chambre de commerce britannico-irlandaise, jeudi 5 septembre. La communauté d’affaires irlandaise et britannique était réunie à Dublin en plein drame politique à Westminster, et chacun se préparait au pire. « L’impact d’un Brexit sans accord pourrait être plus important que la crise financière pour l’Irlande », avertit John McGrane, le directeur de la chambre.

Boris Johnson se déplace à Dublin lundi 9 septembre, pour rencontrer son homologue irlandais, dans un pays au cœur des négociations du Brexit. En provoquant potentiellement un retour de la frontière entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande, un « no deal » pourrait ébranler deux décennies de paix, offrant de nouvelles cibles aux groupuscules paramilitaires. Mais les conséquences seraient aussi économiques. Selon les calculs de l’Economic and Social Research Institute (ESRI), un Brexit sans accord provoquerait une perte de 5 % de produit intérieur brut (PIB) pour l’Irlande, dont la moitié dès 2020. L’Irlande est – de loin – le pays européen qui a le plus à perdre de la sortie du Royaume-Uni de l’UE.

Avec une croissance qui doit atteindre 4 % cette année, le pays peut faire face. En principe, une récession devrait être évitée. Mais le coup serait rude, d’autant que le reste de l’économie mondiale ralentit en même temps.

Les économies britannique et irlandaise sont intimement liées

Les économies britannique et irlandaise sont intimement liées. Dans ce petit pays de presque 5 millions d’habitants, 90 000 entreprises importent ou exportent du Royaume-Uni. Les PME sont particulièrement tournées vers leur grand voisin, qui reçoit 40 % de leurs exportations. Les échanges sont intenses entre le nord et le sud de l’île, bien sûr, avec 4 millions de camions qui traversent la frontière chaque année. Mais ils sont aussi très importants entre l’ouest(l’île irlandaise) et l’est (la Grande-Bretagne): le couloir aérien Londres-Dublin est le deuxième plus utilisé au monde.

La Grande-Bretagne est aussi la porte d’entrée sur l’Europe continentale pour l’économie irlandaise. Le plus simple chemin pour exporter est de partir du port de Dublin, de débarquer au Pays de Galles, puis de traverser le « pont terrestre » jusqu’à Douvres, avant d’atteindre Calais. Un Brexit qui se passerait mal aurait donc des répercussions directes sur l’économie irlandaise, mais aussi indirectes pour son accès au reste de l’Europe.


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L’Afrique fait sa rentrée (1). Plus de 500 salles de classe en briques reconstituées devraient être construites dans le pays d’ici à fin 2020.

Officiellement en Côte d’Ivoire, la rentrée des classes a lieu lundi 9 septembre pour tous les élèves. Mais Doumbia Tirangué, directrice des maternelles de l’école publique de Gonzagueville, en périphérie d’Abidjan, ne se fait pas d’illusions. « Ici, les parents s’occupent d’abord des plus grands – lycéens, collégiens, primaires – avant d’acheter les fournitures pour les plus petits et de les inscrire en maternelle. Nous ne serons au complet qu’à la fin du mois », estime-t-elle, fataliste. Vingt noms seulement sont notés sur son cahier.

Derniers inscrits peut-être, mais les tout-petits seront les premiers de « Gonzague » à faire leur rentrée dans une école aussi moderne qu’originale : les trois salles de classe pour les petites, moyennes et grandes sections sont construites en briques de plastique recyclé. Le matériau gris est décrit comme résistant aux aléas climatiques, plus facile d’utilisation que les parpaings traditionnels, les fines briques s’emboîtant comme des Lego, ce qui permettrait aux écoles d’être plus solides et bâties en un petit mois seulement.

Cette technologie a été inventée par Oscar Mendez et Cristina Gamez. Le couple colombien a créé son entreprise sociale, Conceptos Plasticos, en 2014 pour faire connaître et vendre ces briques constituées à 100 % des plastiques récupérés dans les zones polluées du pays sud-américain. Désireux d’exporter leur savoir-faire pour la première fois, l’architecte et l’ingénieure de Bogota vont s’installer en Côte d’Ivoire à la mi-septembre pour s’ouvrir au marché ouest-africain.

Surpopulation scolaire

Si la Colombie utilise essentiellement ces briques pour les habitations, la Côte d’Ivoire compte d’abord s’en servir pour ses écoles. « Il y a un manque criant de salles de classe dans le pays, souligne Sophie Chavanel, responsable de la communication au bureau Unicef d’Abidjan, à l’origine du partenariat avec l’entreprise colombienne. Selon le gouvernement, d’ici à 2021, le pays aura besoin de 15 000 salles supplémentaires et d’ici à 2025, ce sont 30 000 salles qu’il faudrait construire pour que tous les enfants aillent à l’école. » L’objectif des deux partenaires est d’inaugurer un peu plus de 500 salles de classe de ce type pour environ 25 000 élèves d’ici à la fin 2020. « Le plastique, explique Sophie Chavanel, on ne peut jamais s’en débarrasser, alors, autant l’utiliser pour ses propriétés principales. » 

Alors que certains villages ivoiriens du nord-ouest n’ont tout simplement pas d’équipement scolaire, d’autres n’ont pas les bons matériaux. Avec le temps, les salles faites de bambous, de bâches et de terre ne sont pas assez solides, s’abîment vite puis s’écroulent durant la saison des pluies. Les briques en plastique, elles, sont conçues pour durer et seraient plus en phase avec les réalités du pays. « A cause de la brise de mer ici, nous avons des difficultés, rappelle Setienissio Soro, ancien directeur d’école venu inscrire sa fille Gwénalou. Quand les gens mettent les poteaux en fer, ça rouille, les bâtiments en ciment tombent, il y a des fissures, ça nous fatigue. »

Ce n’est pas un hasard si ce quartier côtier est, avec trois autres villes ivoiriennes (Divo, Toumodi et Sakassou), l’un des premiers ciblés par le projet. L’école fait face à une surpopulation scolaire liée à la croissance démographique de la capitale économique. « Après la crise des années 2000, les Ivoiriens ont quitté les quartiers précaires, les coins dangereux et ceux menacés par les inondations, puis ils sont venus ici, à l’écart, où il y avait de l’espace pour construire », rappelle Doumbia Tiranguié. A tel point que, en 2018, plus de 200 élèves de maternelle s’agglutinaient dans chacune des trois sombres et étouffantes salles de classe, grandes d’à peine 12 m2. La situation était si invivable que les cours étaient très souvent donnés dehors, dans la cour de récréation.

Pour l’heure, les écoles sont construites à l’aide de briques importées de Colombie. Une usine de transformation du plastique est en construction dans le centre industriel de Yopougon à Abidjan, et sera sur pied « d’ici à la fin de l’année », assure l’Unicef. Une fois le matériau produit sur place, le coût d’une salle pour 50 élèves devrait tomber à 10 000 euros en utilisant 5 tonnes de déchets recyclés, contre 15 000 euros avec les matériaux habituels. Opérationnelle, l’usine emploiera 30 ouvriers et, indirectement, des centaines de collectrices.

Faire grandir l’économie circulaire

Depuis déjà plusieurs années, de nombreuses femmes, parfois équipées de simples sacs-poubelles, font le tour d’Abidjan pour collecter toutes sortes de plastiques et de déchets. Namizata Cissé, 30 ans, ramasse « récipients, sachets, bouteilles » six jours par semaine depuis huit ans dans le quartier particulièrement propre d’Abobo-Baoulé. Là-bas, elle travaille auprès de dizaines d’autres femmes, équipée d’immenses sacs rassemblant les plastiques par catégories. Après la collecte et le tri, elle vend ses ballots 150 francs CFA le kilo (0,23 euro) à des intermédiaires, majoritairement des hommes, chargés de les acheminer jusqu’aux usines et entreprises qui les réutilisent ou les recyclent.

Mais ce travail très précaire ne rapporte qu’entre « 40 000 et 50 000 francs CFA par mois » (entre 60 et 75 euros) à Mme Cissé, soit un peu moins du salaire minimum ivoirien établi à 60 000 francs CFA. « Avec mes trois enfants, ça ne me suffit pas », confie-t-elle. A l’usine, ces femmes seront donc formées au lavage et au déchiquetage des plastiques afin de supprimer les intermédiaires et de mieux gagner leur vie. A Bogota, le salaire des collectrices est ainsi passé de 5-10 dollars par jour à 20-25 dollars. Pour commencer, 1 000 collectrices ivoiriennes dont Namizata Cissé bénéficieront de cette formation, l’idée étant, à terme, de faire grandir cette économie circulaire du plastique dans tout le pays. Et des points de collecte seront créés pour centraliser les déchets. A Bogota, 15 000 personnes y prennent part aujourd’hui.

Namizata Cissé est collectrice de déchets plastique à Abidjan : elle trie et revend ses ballots à des intermédiaires qui les acheminent dans les usines de transformation. Youenn Gourlay

Cette pratique innovante vise aussi à assainir un peu le pays. Rien qu’à Abidjan, 288 tonnes de déchets s’accumulent chaque mois selon l’Unicef. Une pollution qui menace notamment la santé des enfants de moins de 5 ans. « Les sachets, les bouteilles bloquent les caniveaux, créent des espaces d’eaux stagnantes, attirent les moustiques et entraînent des cas de paludisme, s’alarme Sophie Chavanel. Certains enfants boivent ces eaux et développent des diarrhées. »

En fin de journée à Gonzagueville, Janette Adjoua Kona vient à son tour inscrire sa petite-fille. « Je me pose des questions : c’est joli et ça semble costaud, mais est-ce que ça peut résister aux flammes ? », s’interroge-t-elle. Les agents de l’Unicef sur le terrain assurent que des tests indépendants ont montré que le matériau ne pouvait en aucun cas mettre en danger la santé des enfants. Pas de risque d’incendie ou de propagation de gaz toxiques. Mais la grand-mère d’ajouter : « C’est sûr qu’on ne pourra pas vivre sans le plastique, sans les sachets, sans les seaux, c’est trop important pour nous au quotidien. Et trouver une solution pour le réutiliser, c’est génial, mais il ne faut pas que ça nous crée d’autres problèmes. »


Source : En Côte d’Ivoire, des écoles en plastique recyclé


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Dans une tribune au « Monde », les cédétistes Laurent Berger et Sébastien Mariani appellent le futur patron de la SNCF, qui doit être nommé prochainement, « à porter un engagement social et environnemental ambitieux et mobilisateur ».

Tribune. Tout au long de l’été, au moment des grands départs en vacances, la SNCF a réaffirmé sa vocation originelle de transport de masse, universel, populaire et respectueux de l’environnement. Pourtant, un an après une réforme de rupture qui a laissé beaucoup de traces, l’avenir et le rôle de cette entreprise publique et citoyenne sont incertains.

La CFDT a démontré au début de l’été les problématiques d’attente aux guichets. Ces dysfonctionnements trouvent leur explication dans la quête de productivité incessante de la SNCF et la diminution de la présence humaine dans les gares au service des usagers. Cette entreprise possède pourtant de nombreux atouts.Le train n’est-il pas l’alternative naturelle pour répondre à l’urgence climatique ? Avant même la fin du mois de juillet, le jour du dépassement des ressources planétaires renouvelables a été franchi. L’humanité vit à crédit sur la Terre. Les épisodes caniculaires sans précédent que nous avons vécus illustrent parfaitement les défis environnementaux auxquels nous sommes confrontés.

Progrès et justice

La CFDT s’est engagée dans un pacte du pouvoir de vivre pour que le progrès écologique et la justice sociale deviennent réalité. Le transport ferroviaire y a toute sa place. C’est clairement une solution à la demande croissante de mobilité et à l’exigence de réduction des émissions de gaz à effet de serre dans le domaine des transports de voyageurs comme de marchandises. Il est de la responsabilité de l’Etat de lui donner un avenir.

La « raison d’être » inscrite dans les statuts de la nouvelle SNCF veut répondre à ce beau défi en affirmant « donner à chacun la liberté de se déplacer facilement tout en préservant la planète ». Encore faut-il lui en donner les moyens techniques et humains, afin de traduire en actes une vraie ambition politique pour le développement du ferroviaire en France.

En mars 2018, la CFDT a fait de nombreuses propositions pour introduire une dimension sociale et sociétale à la loi de réforme. Dès juin 2018, après le vote de la loi, la CFDT a insisté pour que trois conditions soient définies et remplies : donner des signaux positifs et immédiats sur les conditions sociales et de travail des cheminots, gages d’une confiance à retrouver et d’un système à reconstruire ; donner une incarnation nouvelle aux changements à venir ; retrouver un dialogue social constructeur de l’avenir.

Refondation

En actant la fin du recrutement au statut et la transformation en plusieurs entreprises distinctes, la loi pose l’obligation de mener un grand nombre de négociations dans un délai très contraint. Les règles d’emploi et de gestion des agents, la garantie d’une forme d’unité sociale au sein du groupe SNCF doivent être refondées.


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