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David Courpasson se demande comment on peut à la fois être une personne correcte et mettre son éthique de travail au service d’une « monstruosité ».

Livre. Escroqueries bancaires, scandales pharmaceutiques, nappes noires meurtrières des compagnies pétrolières, « dieselgate »… bien des entreprises sont sur le banc des accusés depuis quelques années, et la colère gronde : on déplore l’augmentation des suicides, on s’interroge sur le sens du vrai travail. Mais à force de ne voir que les scandales médiatiques, de ne scruter que l’ombre de Monsanto et de ses experts manœuvrant dans les couloirs de Bruxelles, on ne parle guère des travailleurs de Monsanto, ces gens dont le travail consiste pourtant à produire dans la pénombre des usines le fameux glyphosate et autres produits toxiques.

Comment peut-on à la fois être un bon comptable, un bon ingénieur, un bon médecin, une personne correcte, et mettre son éthique de travail au service d’une monstruosité ? Comment le chef de projet d’une multinationale pétrolière britannique ressent-il la pollution marine qui sera, pour quelques jours, sur tous les écrans de télévision et d’ordinateurs et qui stigmatisera, à travers le nom de son entreprise, son propre travail ? « Ces questions sont à la fois banales et capitales, car elles font surgir l’ambivalence de la culpabilité moderne, et l’ampleur de la contribution de chacun à des œuvres de destruction ou d’amoindrissement », estime David Courpasson dans Cannibales en costume (François Bourin).

L’ouvrage enquête sur le fil qui relie, « symboliquement et concrètement, les troupeaux des usines, écrasés par le bruit, épuisés par la chaleur ou le froid, aux troupeaux individualistes de l’entreprise actuelle, étourdis par leur propre désir de réussite, abîmés par la vitesse, ensevelis sous l’excès des missions. » Ces points communs sont à chercher dans les récits du travail quotidien.

« Je n’en peux plus »

C’est ainsi le témoignage de George, cadre dans une entreprise pharmaceutique européenne, qui donne au livre sa trame : « Je suis un cannibale, habillé en costume ou avec une blouse blanche. Je fabrique des traitements pour des gens plutôt riches avec la matière corporelle des gens pauvres, vous appelez ça comment ? » Son histoire fait remonter des dizaines de destinées singulières croisées au fil des années dans les enquêtes de l’auteur, sociologue et professeur à l’EM Lyon Business School et à l’université de Cardiff, sur les gens au travail.

Le livre raconte les trajectoires de travailleurs déchirés par d’insondables dilemmes. La plus marquante est celle de Gérard, ingénieur dans le nucléaire, qui enverra, quelques heures avant son suicide, un message à certains de ses collègues : « Mes amis je n’en peux plus, je dois partir, ce travail me tue et nous tuera tous. Je préfère prendre les devants plutôt que de continuer à me faire bouffer de l’intérieur par ce travail dans une centrale qui fuit sans le dire, par ces petits chefs et leurs procédures tatillonnes, et leurs sourires mesquins. Désolé, mais je m’en vais. Je vous laisse seuls, devant le choix de continuer à vivre, mais sans doute de faire autre chose. »


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Derrière l’objectif annoncé de réorienter les placements des Français vers l’économie productive, les gouvernements successifs et les professionnels du secteur multiplient les efforts et les initiatives pour inciter les épargnants à financer les PME non cotées en Bourse.

Le « non-coté », ou « private equity » dans sa version anglaise, les investisseurs n’ont plus que ce mot à la bouche. Avec la baisse de rémunération des placements classiques, comme les livrets, la méfiance vis-à-vis de la Bourse, l’univers feutré du « non-coté », peu mis en avant par les banquiers, attire de plus en plus d’épargnants. Surtout parmi les plus fortunés.

« Environ 60 % des personnes interrogées pensent augmenter la part du private equity grâce à des fonds d’investissement en 2019 », expliquait récemment Rémi Béguin, administrateur de l’Association française de family office (AFFO), en présentant le dernier sondage d’OpinionWay auprès des gérants de fortunes membres de cette association. Les investissements non cotés étaient déjà les plus représentés en 2018 dans le patrimoine des grandes fortunes, à hauteur de 21 % des clients de l’AFFO. 

« Le private equity désigne tous les titres de sociétés qui ne sont pas cotées en Bourse, explique Frédéric Zablocki, fondateur d’Entrepreneur Venture. Cela recouvre une grande diversité d’investissements, avec des niveaux de rendement et de risques très variables, le plus souvent dans des PME, mais pas seulement. » Entre les fonds de rachat d’entreprises rentables avec l’effet de levier du crédit, les fameux LBO (Leverage Buy Out), et les fonds d’amorçage de jeunes pousses innovantes, les performances et les difficultés de revente n’ont cependant rien à voir.

Effrayées par les contraintes et les coûts d’une cotation en Bourse, les petites et moyennes entreprises (PME) en quête de capitaux font de plus en plus appel à ces différents types de financement direct auprès des épargnants. Ces derniers peuvent alors souscrire des augmentations de capital leur octroyant des actions nouvelles de la société, directement ou par l’intermédiaire de fonds d’investissement.

Il existe aussi de grandes entreprises non cotées faisant appel à ces financements « privés » sur les marchés financiers. C’est le cas, par exemple, du géant français du cloud OVH ou du confiseur américain Mars. En investissant dans ces sociétés non cotées, les actionnaires espèrent accompagner leur croissance pour en toucher les fruits, sans les soubresauts des marchés, même si leur revente est aussi plus délicate.

Non seulement ces incitations à l’investissement en PME procurent toutes des avantages « à l’entrée », c’est-à-dire une réduction immédiate de ses impôts, mais aussi un bonus « à la sortie », puisque les plus-values éventuelles sont largement exonérées d’impôt.

Plus risqués et souvent bloqués de longues années, ces placements ont pourtant du mal à percer auprès du grand public, malgré les coups de pouce de l’Etat. Depuis plus de vingt ans, les gouvernements multiplient en effet les dispositifs pour inciter les épargnants à investir dans les PME. En 1997, c’est d’abord la création des FCPI (fonds communs de placement dans l’innovation), sous l’impulsion du secrétaire d’Etat de la recherche d’alors, François d’Aubert.

Elle est suivie en 2003 par le lancement des FIP (fonds d’investissement de proximité),proches des FCPI sauf que l’investissement en jeunes pousses innovantes est remplacé par des PME régionales. La même année 2003, Renaud Dutreil, secrétaire d’Etat aux PME, annonce un « triplement de l’avantage fiscal lié à l’investissement direct dans une société qui permettra à un foyer de déduire jusqu’à 10 000 euros de son impôt sur le revenu ».

La loi Dutreil d’août 2003 accorde une réduction d’impôt sur le revenu correspondant à 25 % de la souscription au capital d’une PME, jusqu’à 40 000 euros pour un couple. Elle reste en vigueur aujourd’hui, même si le taux de réduction d’impôt a été ramené à 18 %, comme pour les FIP et FCPI, en 2012. En 2007, c’est l’apothéose.

La loi TEPA (en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat), promulguée par Nicolas Sarkozy,accorde cette fois une réduction d’impôt sur la fortune (ISF) correspondant à 75 % des sommes investies dans des PME en direct, plafonnée à 50 000 euros. En clair, un investissement de 10 000 euros en PME par les plus fortunés ne leur coûte que 2 500 euros, net de réduction fiscale !

Martingale de la défiscalisation

Bien que la réduction d’ISF ait été rabotée à 50 % de l’investissement en PME en 2011, cette martingale de la défiscalisation a fortement marqué le microcosme des placements en PME, jusqu’à sa disparition avec la suppression de l’ISF en 2017. Non seulement ces incitations à l’investissement en PME procurent toutes des avantages « à l’entrée », c’est-à-dire une réduction immédiate de ses impôts, mais aussi un bonus « à la sortie », puisque les plus-values éventuelles sont elles-mêmes largement exonérées d’impôt, subissant seulement les prélèvements sociaux.

Résultat, les carottes fiscales fonctionnent à plein tube : les capitaux collectés par les FIP et FCPI s’envolent de 68 %, entre 2012 et 2017, pour dépasser 1 084 millions d’euros en 2017. Du jamais-vu depuis l’euphorie de 2008, quand les souscriptions avaient bondi à 1 180 millions d’euros grâce au vote de la loi TEPA, selon l’Association française de la gestion financière (AFG).

« Retirer l’incitation ISF est un drame absolu », déplore un intermédiaire en financement de PME. Il est vrai que son fonds de commerce s’écroule depuis 2017, avec la suppression de l’ISF et de son coup de pouce aux placements PME. En 2018, les souscriptions de FIP et FCPI sont divisées par trois, à 355 millions.

Malgré quelques efforts des professionnels du capital-risque pour le promouvoir, le plan d’épargne en actions (PEA)-PME ne parvient pas à prendre le relais. Créé en 2014, en réponse à une demande des lobbys du capital-risque relayée dans le rapport « Dynamiser l’épargne pour financer l’investissement et la compétitivité » (2013), des députés Karine Berger et Dominique Lefebvre, ce compte-titres à fiscalité allégée ne trouve pas son public.


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Des contribuables vont recevoir, cette semaine, un remboursement de la part de l’administration fiscale. Il s’agit des ménages concernés par la suppression progressive de la taxe d’habitation sur leur résidence principale.

Certains contribuables ont eu la chance de recevoir, cette semaine, directement sur leur compte bancaire un remboursement de la part de l’administration fiscale. Dans un communiqué publié mardi 8 octobre, Bercy vient d’indiquer que près de 6,3 millions de foyers fiscaux bénéficiaient actuellement de ces remboursements. Il s’agit des ménages concernés par la suppression progressive de la taxe d’habitation sur leur résidence principale et qui paient cet impôt par prélèvement mensuel sur leur compte bancaire et qui n’ont pas, ou pas suffisamment modulé, à la baisse leurs mensualités.

Pour ceux qui n’ont pas opté pour la mensualisation, la date limite de paiement est fixée au 15 novembre prochain (voire au 16 décembre dans certains cas). 

Pour les ménages les plus modestes, le montant à payer fait l’objet, comme l’année dernière, d’un dégrèvement partiel. Son taux est fixé à 65 %, contre 30 % l’année dernière. Ce qui représente un gain moyen de 365 euros (166 euros l’année dernière). Mais attention, ce n’est parce que vous avez bénéficié de cette ristourne l’année dernière que vous allez automatiquement en profiter cette année.

Des seuils

Pour bénéficier à plein dispositif, vos revenus de 2018 ne doivent pas dépasser certains seuils : 27 432 euros pour une part de quotient familial, 35 560 euros pour une part et demie, 43 688 euros pour deux parts, 49 784 euros pour deux parts et demie, 55 880 euros pour trois parts…

Conséquence : si vos revenus ont fortement augmenté entre 2017 et 2018 ou si la composition de votre foyer fiscal a changé, il se peut que ne soyez plus concerné par la réforme. D’après Bercy, 800 000 foyers fiscaux bénéficiaires l’an dernier de cette mesure n’en sont pas bénéficiaires cette année (ou sont bénéficiaires, mais avec un taux de dégrèvement inférieur à 65 %, en raison du dégrèvement dégressif). « Inversement, un nombre équivalent de foyers, non bénéficiaires de la réforme l’an dernier, le seront cette année ».

Pour les ménages les plus aisés, le projet de loi de finances pour 2020 dont l’examen au parlement devrait débuter le 14 octobre prévoit la disparation totale de la taxe d’habitation, mais uniquement pour la résidence principale. Elle serait en revanche maintenue pour les résidences secondaires. L’exonération serait de 30 % en 2021 et de 65 % en 2022, soit une suppression définitive à l’horizon 2023.


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L’OCDE doit présenter, mardi 8 octobre, l’état d’avancement de ses projets en matière de taxation des multinationales. Les pays en développement ne doivent pas laisser les pays riches faire prévaloir leur point de vue sur ce sujet stratégique, alerte, dans une tribune au « Monde », l’économiste colombien José Antonio Ocampo.

Tribune. L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a réussi un joli coup. Alors que, dans le monde entier, les gouvernements sont interpellés par leurs opinions publiques, scandalisées de voir les multinationales ne payer pratiquement aucun impôt, ce club de pays riches a réussi à s’imposer comme la seule instance susceptible de mettre fin à ces abus. Le 9 octobre, l’OCDE va même publier des propositions pour un nouveau système fiscal international qui pourrait s’imposer au monde entier pendant des décennies.

Des décennies, vraiment ? Oui, ce n’est pas une exagération. Il a fallu près d’un siècle pour que, pour la première fois cette année, apparaisse l’opportunité d’un changement. Car si, aux Etats-Unis par exemple, 60 des 500 plus importantes entreprises, parmi lesquelles Amazon, Netflix ou General Motors, n’ont payé aucun impôt en 2018, malgré un bénéfice cumulé de 79 milliards de dollars (72 milliards d’euros), c’est parce que le système en vigueur leur permet de le faire et, de surcroît, en toute légalité.

Ces détournements reposent sur des montages complexes, mais au principe très simple. Il suffit à la multinationale de jouer avec l’attribution des profits déclarés entre ses différentes filiales. De cette façon, elle affiche des déficits là où les impôts sont relativement élevés – même si c’est dans ces pays que l’entreprise génère l’essentiel de ses activités – pour déclarer des bénéfices élevés dans des juridictions où l’imposition est très faible, voire nulle – même si en réalité, l’entreprise n’y dispose d’aucun client.

Remise en cause les fondements de la fiscalité internationale

C’est ainsi que, chaque année, les pays en développement sont privés d’au moins 100 milliards de dollars, déviés par des entreprises dans des paradis fiscaux. A l’échelle mondiale, ces derniers concentrent 40 % des profits réalisés par les multinationales, selon les calculs de l’économiste Gabriel Zucman. D’autant qu’avec la numérisation accélérée de l’économie, les pertes fiscales ne cessent d’augmenter, dénoncées désormais par les plus orthodoxes des institutions, comme le Fonds monétaire international.

Mais c’est de l’OCDE qu’est venu le coup d’éclat le plus important, avec la proposition, début 2019, de remettre en cause les fondements de la fiscalité internationale, à savoir la capacité des multinationales à déclarer leurs bénéfices dans la filiale de leur choix. Après des décennies d’inaction, le processus s’emballe : après la publication du projet cette semaine, l’organisation fera une proposition finale courant 2020. La messe sera alors dite, et il ne sera pratiquement plus possible de peser sur le processus de réforme.


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