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Selon le chercheur en informatique Gilles Dowek, le mouvement, en refusant de désigner des représentants, illustre une transformation du traitement de l’information.

Chronique « Transformations ». Pour sortir d’une période d’intenses manifestations, un gouvernement accepte, en général, une partie de la liste des revendications formulées par les manifestants, dont leurs représentants font une synthèse afin de pouvoir négocier. Des informaticiens diraient que cette mécanique rappelle celle des « algorithmes de compression », qui transforment une grande quantité d’informations – la liste exhaustive des revendications des manifestants – en une petite – sa synthèse. Mais les « gilets jaunes » ont fait le choix de ne pas désigner de représentants, ce qui a bloqué le processus de négociation et dérouté tant le gouvernement que les oppositions.

Leur mouvement illustre ainsi une transformation du traitement de l’information que nous observons depuis l’apparition du Web : la disparition des algorithmes de compression.

Dans le processus décentralisé de traitement de l’information que nous appelons « la vie politique », ce sont les partis politiques, les syndicats qui sont victimes de cette disparition. Mais plutôt que nous demander pourquoi ils disparaissent, nous devons d’abord nous demander pourquoi ils ont existé par le passé. Car un processus normal de communication consiste à transmettre un message sans l’altérer. Sa compression – et la perte d’information qu’elle implique – ne se justifie que si elle sert à quelque chose.

Canaux de communication au débit très faible

En général, il s’agit de pallier le trop faible débit du canal sur lequel le message est transmis. Or il est vrai que, avant le Web, et avant que nous sachions traiter de grandes quantités d’informations, les canaux de communication entre les citoyens et les gouvernements avaient un débit très faible. Lors d’une manifestation, par exemple, un ministre ne pouvait pas discuter, dans la rue, avec chaque manifestant. Les élections également étaient un canal de communication d’un très faible débit : de l’ordre de 0,000 000 01 bit par seconde (pour une élection donnée, ce débit est le produit du logarithme binaire du nombre de candidats et de la fréquence de l’élection). Il était donc nécessaire que les revendications des manifestants, et plus généralement les opinions des citoyens, soient très compressées pour être communicables.

Tel n’est naturellement plus le cas depuis le Web, les réseaux sociaux, le microblogage, etc. La disparition des corps intermédiaires ne serait donc que la conséquence d’une évolution technique qui les a rendus moins utiles.


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Lorsque les riches se font philanthropes, il ne faut pas oublier que l’Etat, en abondant, reste le premier payeur, explique l’économiste François Meunier dans une tribune au « Monde ».

Tribune. Serge Weinberg, président de Sanofi, et Denis Duverne, président d’Axa, ont lancé l’appel «Changer par le don » auprès de personnes riches pour qu’elles s’engagent à donner au moins 10 % de leur revenu ou de leur patrimoine. Plusieurs personnalités se sont déjà ralliées à ce projet, dont l’objectif est d’arriver à 400 donateurs d’ici à la fin de l’année.

Dans un contexte français où les riches donnent peu, et plutôt moins que le reste de la population en proportion du revenu, l’initiative est à saluer. Pourtant, quelque chose gêne dans un des arguments qui justifient la démarche. On lit en effet sur le site : « Ces initiatives sont d’autant plus nécessaires que l’action publique a trouvé ses limites : limites en termes de légitimité vis-à-vis des acteurs proches du terrain, limites quantitatives quand la dépense publique représente 55 % du PIB. L’Etat n’a pas d’autre choix que de partager la gestion du bien commun avec les citoyens. »

En clair, l’Etat s’épuiserait dans sa fonction de « providence » et la pression fiscale est à son comble : au privé de prendre le relais. Or, ce n’est pas la réalité.

Grâce au code fiscal français, en effet, quand le privé donne 100 €, l’Etat lui rend 66 € ou 75 € selon l’association choisie – et 75 € au titre de l’impôt sur la fortune immobilière (IFI) dans la limite de 50 000 €. Autrement dit, pour un euro net donné, l’Etat double au minimum la mise, ceci dans la limite de 20 % du revenu. Et les legs et donations aux œuvres sont exonérés de droits.

Fort engagement social de l’Etat

Si l’Etat devient « illégitime » et atteint ses limites budgétaires, qu’il garde donc cet argent, d’autant plus qu’il doit financer son aide au don soit par une réduction d’autres dépenses, soit par des impôts accrus sur les autres contribuables. A budget public constant, toute somme offerte par un riche donateur pèse pour une bonne part sur le reste des citoyens, et pour des fins choisies par ce seul donateur. On sort du principe de finances publiques où l’impôt est universel, sans fléchage a priori, et surtout fait l’objet d’un choix démocratique collectif.

L’« appel des 400 » suscite donc deux réactions opposées : on se félicite d’abord d’une prise de conscience par les gens riches que leur bonne fortune doit aller de pair avec la générosité. Cela fait suite, avec quelques années de retard, au Giving Pledge lancé aux Etats-Unis par Bill Gates et Warren Buffett, un engagement donné par les grosses fortunes signataires de donner à la philanthropie 50 % de leur patrimoine. Ou encore au Giving White Paper, lancé par le gouvernement conservateur britannique en 2011, pour que les riches donnent 10 % de leur revenu. Mais on s’interroge aussi sur ce que signifie une aide fiscale forte dans nos sociétés quand, d’année en année, l’éventail des revenus et des patrimoines s’élargit.


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Microsoft, avec ses 783 milliards de dollars de valorisation boursière, perd ainsi la couronne qu’il avait lui-même dérobée à Apple fin novembre 2018.

Le géant américain du commerce en ligne Amazon est devenu, lundi 7 janvier, l’entreprise privée la plus chère au monde en ravissant à Microsoft la première place à Wall Street.

Sans actualité particulière mais en profitant d’un regain d’optimisme sur la place new-yorkaise, l’action du groupe dirigé par Jeff Bezos s’est appréciée de 3,44 % lundi, faisant grimper sa valeur boursière à 797 milliards de dollars (694 milliards d’euros).

Microsoft, avec ses 783 milliards de dollars (682 milliards d’euros), perd ainsi la couronne qu’il avait lui-même dérobée à Apple fin novembre.

L’homme le plus riche du monde

La performance d’Amazon est toutefois à relativiser : la valeur de l’entreprise a beaucoup reculé depuis qu’elle est parvenue, début septembre, à dépasser le cap des 1 000 milliards de dollars, quelques semaines après Apple. Le petit libraire en ligne fondé en 1994 marquait ainsi son ascension en un mastodonte de la distribution sur Internet.

L’entreprise est aussi devenue entre-temps un géant de l’informatique dématérialisée (« cloud »), un créateur de produits populaires comme les assistants vocaux intelligents Alexa et le gestionnaire d’une populaire plate-forme de musique et de cinéma via son service Prime.

Grâce à ce succès, M. Bezos est devenu l’homme le plus riche au monde selon le classement établi par le magazine Forbes. Sa fortune était estimée, lundi, à 135 milliards de dollars (117 milliards d’euros).

La dégringolade d’Apple

Mais les entreprises du secteur de la technologie ont beaucoup souffert au cours des derniers mois, affectées comme le reste de la place new-yorkaise par les craintes d’un ralentissement de la croissance mondiale.

Le retour sur terre a parfois été brutal, à l’instar de la dégringolade d’Apple. Le groupe, qui avait déjà lâché près de 40 % depuis début octobre, a plongé de 10 % supplémentaires le 3 janvier après avoir reconnu que ses ventes au dernier trimestre 2018 seraient moins bonnes que prévu, en raison notamment du ralentissement de l’économie chinoise et d’autres pays émergents.

A 702 milliards de dollars (611 milliards d’euros), la marque à la pomme est désormais moins valorisée qu’Amazon, Microsoft et Alphabet, la maison mère de Google (748 milliards de dollars).


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Dans Les marchands d’attention (The Attention Merchants, 2017, Atlantic Books, non traduit), le professeur de droit, spécialiste des réseaux et de la régulation des médias, Tim Wu (@superwuster), 10 ans après avoir raconté l’histoire des télécommunications et du développement d’internet dans The Master Switch (où il expliquait la tendance de l’industrie à créer des empires et le risque des industries de la technologie à aller dans le même sens), raconte, sur 400 pages, l’histoire de l’industrialisation des médias américains et de la publicité de la fin du XIXe siècle à aujourd’hui. En passant d’une innovation médiatique l’autre, des journaux à la radio, de la télé à l’internet, Wu tisse une très informée histoire du rapport de l’exploitation commerciale de l’information et du divertissement. Une histoire de l’industrialisation des médias américains qui se concentre beaucoup sur leurs innovations et leurs modèles d’affaires, c’est-à-dire qui s’attarde à montrer comment notre attention a été convertie en revenus, comment nous avons été progressivement cédés à la logique du commerce – sans qu’on n’y trouve beaucoup à redire d’ailleurs.

La compétition pour notre attention n’a jamais cherché à nous élever, au contraire

Tout le long de cette histoire, Tim Wu insiste particulièrement sur le fait que la capture attentionnelle produite par les médias s’est faite par-devers nous. La question attentionnelle est souvent présentée comme le résultat d’une négociation entre l’utilisateur, le spectateur, et le service ou média qu’il utilise… mais aucun d’entre nous n’a jamais consenti à la capture attentionnelle, à l’extraction de son attention. Il souligne notamment que celle-ci est plus revendue par les médias aux annonceurs, qu’utilisée par les médias eux-mêmes. Il insiste également à montrer que cette exploitation vise rarement à nous aider à être en contrôle, au contraire. Elle ne nous a jamais apporté rien d’autre que toujours plus de contenus insignifiants. Des premiers journaux à 1 cent au spam publicitaire, l’exploitation attentionnelle a toujours visé nos plus vils instincts. Elle n’a pas cherché à nous élever, à nous aider à grandir, à développer nos connaissances, à créer du bien commun, qu’à activer nos réactions les plus instinctives. Notre exploitation commerciale est allée de pair avec l’évolution des contenus. Les journaux qui ont adopté le modèle publicitaire, ont également inventé des rubriques qui n’existaient pas pour mieux les servir : comme les faits divers, les comptes-rendus de procès, les récits de crimes… La compétition pour notre attention dégrade toujours les contenus, rappelle Tim Wu. Elle nous tourne vers « le plus tapageur, le plus sinistre, le plus choquant, nous propose toujours l’alternative la plus scandaleuse ou extravagante ». Si la publicité a incontestablement contribué à développer l’économie américaine, Wu rappelle qu’elle n’a jamais cherché à présenter une information objective, mais plutôt à déformer nos mécanismes de choix, par tous les moyens possibles, même par le mensonge. L’exploitation attentionnelle est par nature une course contre l’éthique. Elle est et demeure avant tout une forme d’exploitation. Une traite, comme disait le spécialiste du sujet Yves Citton, en usant volontairement de ce vocabulaire marqué au fer.

Wu souligne que l’industrie des contenus a plus été complice de cette exploitation qu’autre chose. La presse par exemple, n’a pas tant cherché à contenir ou réguler la publicité et les revenus qu’elle générait, qu’à y répondre, qu’à évoluer avec elle, notamment en faisant évoluer ses contenus pour mieux fournir la publicité. Les fournisseurs de contenus, les publicitaires, aidés des premiers spécialistes des études comportementales, ont été les courtiers et les ingénieurs de l’économie de l’attention. Ils ont transformé l’approche intuitive et improvisée des premières publicités en machines industrielles pour capturer massivement l’attention. Wu rappelle par exemple que les dentifrices, qui n’existaient pas vraiment avant les années 20, vont prendre leur essor non pas du fait de la demande, mais bien du fait de l’offensive publicitaire, qui s’est attaquée aux angoisses inconscientes des contemporains. Plus encore que des ingénieurs de la demande, ces acteurs ont été des fabricants de comportements, de mœurs…

L’histoire de l’exploitation de notre attention souligne qu’elle est sans fin, que « les industries qui l’exploitent, contrairement aux organismes, n’ont pas de limite à leur propre croissance ». Nous disposons de très peu de modalités pour limiter l’extension et la croissance de la manipulation attentionnelle. Ce n’est pas pour autant que les usagers ne se sont pas régulièrement révoltés, contre leur exploitation. « La seule dynamique récurrente qui a façonné la course des industries de l’attention a été la révolte ». De l’opposition aux premiers panneaux publicitaires déposés en pleine ville au rejet de services web qui capturent trop nos données ou exploitent trop notre attention, la révolte des utilisateurs semble avoir toujours réussi à imposer des formes de régulations. Mais l’industrie de l’exploitation attentionnelle a toujours répondu à ces révoltes, s’adaptant, évoluant au gré des rejets pour proposer toujours de nouvelles formes de contenus et d’exploitation. Parmi les outils dont nous nous sommes dotés pour réguler le développement de l’économie de l’attention, Wu évoque trop rapidement le travail des associations de consommateurs (via par exemple le test de produits ou les plaintes collectives…) ou celui des régulateurs définissant des limites au discours publicitaire (à l’image de la création de la Commission fédérale du commerce américaine et notamment du bureau de la protection des consommateurs, créée pour réguler les excès des annonceurs, que ce soit en améliorant l’étiquetage des produits ou en interdisant les publicités mensongères comme celles, nombreuses, ventant des produits capables de guérir des maladies). Quant à la concentration et aux monopoles, ils ont également toujours été surveillés et régulés, que ce soit par la création de services publics ou en forçant les empires des médias à la fragmentation.


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