Contraception : est-on sorti du « tout pilule » ?

Santé

En quinze ans, l’usage de la pilule a presque été divisé par deux en France. NUM LPPHOTO

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Contraception : est-on sorti du « tout pilule » ?

En quinze ans, l’usage de la pilule a presque été divisé par deux en France. NUM LPPHOTO.
Mireille Le Guen, Institut National d'Études Démographiques (INED); Cécile Thomé; Elise de La Rochebrochard, Institut National d'Études Démographiques (INED) et Juliette Congy

Dix ans après la « crise de la pilule », c’est-à-dire la médiatisation des risques thromboemboliques liés aux contraceptifs œstro-progestatifs, quelle place occupe désormais dans les usages ce contraceptif qui fut longtemps symbole de l’émancipation féminine ? Surtout, qu’elles soient en couple ou non, les femmes ont-elles aujourd’hui en France la possibilité de choisir la contraception qui leur convient ? Cet article de notre série « Le monde qui vient » prend le pouls de cette revendication qui marque l’époque.


« Alerte sur la pilule ». Voilà onze ans, le 15 décembre 2012 précisément, le journal Le Monde dédiait sa Une au combat judiciaire d’une jeune femme lourdement handicapée suite à un accident vasculaire cérébral qu’elle disait avoir été causé par sa contraception orale. Cette publication avait alors été le point de départ d’une controverse médiatique et politique inédite en France, appelée « crise de la pilule ».

Dénoncer une contraception centrée sur la pilule

Depuis, plusieurs évènements ont bousculé l’actualité sur cette question. Ils ont contribué à dénoncer le caractère « pilulocentré » des usages contraceptifs en France, une situation que l’on ne retrouve pas forcément dans d’autres pays où la contraception orale occupe une place moins importante au profit d’autres méthodes telles que le préservatif (comme en Espagne) ou les stérilisations féminines et masculines (comme aux États-Unis).

En 2014, des milliers de femmes se saisissent du hashtag #PayeTonUterus pour témoigner des violences gynécologiques subies et des difficultés rencontrées en matière de contraception.

En 2017, la question des risques associés à l’utilisation de la pilule est réactualisée par la sortie très médiatique du livre « J’arrête la pilule » de la journaliste Sabrina Debusquat.

En 2019, elle lance le hashtag #PayeTaContraception suite à la publication d’une tribune parue dans le journal Libération intitulée « Marre de souffrir pour notre contraception ! » dont elle est cosignataire.


Comment habiter ce monde en crise, comment s’y définir, s’y engager, y faire famille ou société ? Notre nouvelle série « Le monde qui vient » explore les aspirations et les interrogations de ceux que l’on appelle parfois les millennials. Cette génération, devenue adulte au tournant du XXIe siècle, compose avec un monde surconnecté, plus mobile, plus fluide mais aussi plus instable.

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Des hormones pointées du doigt… mais toujours très utilisées

Au-delà de la pilule, ce sont bien souvent l’ensemble des contraceptifs hormonaux (pilule, dispositif intra-utérin – DIU, dit « stérilet » – aux hormones, implant, patch, anneau vaginal) qui sont critiqués. Mais qu’en est-il véritablement aujourd’hui des pratiques et des représentations des femmes vivant en France en matière de contraception ?

Certes, en quinze ans, l’usage de la pilule a presque été divisé par deux. Mais dix ans après les premières remises en cause du modèle contraceptif français, elle occupe toujours une place importante. 26 % des femmes âgées de 15 à 49 ans y ont recours en 2019 (graphique ci-dessous), un chiffre qui monte à 37 % lorsque l’on s’intéresse aux 20-29 ans.

Par ailleurs, toujours en 2019, plus de 36 % de l’ensemble des femmes de 15-49 ans utilisaient une méthode hormonale de contraception, dont le dispositif intra-utérin hormonal (pour 8 % d’entre elles) et l’implant (3 % d’entre elles).

Des usages qui diffèrent selon les profils socio-économiques

L’usage des différents moyens de contraception varie selon le profil socio-économique et l’âge des femmes. Ainsi, les femmes qui vivent sous le seuil de pauvreté – c’est-à-dire qui sont affiliées à la complémentaire santé solidaire dans les données de l’Assurance maladierecourent moins aux méthodes médicales de contraception (pilule, DIU, implant).

Par ailleurs, lorsqu’elles en utilisent une, leurs usages ne sont pas les mêmes que les femmes plus aisées. Avant 30 ans, leurs pratiques apparaissent plus diversifiées que les femmes dans une situation financière plus confortable, avec un moindre recours à la pilule et une utilisation plus importante de l’implant. En revanche, après 35 ans, leurs usages semblent plus restreints que ceux des femmes du même âge dont les revenus sont supérieurs, ces dernières adoptant plus fréquemment le DIU hormonal au détriment de la pilule.

Ces divergences pourraient s’expliquer par un recours différent aux professionel·le·s de santé (médecins généralistes, gynécologues ou sages-femmes) dont les recommandations changent selon leurs spécialités et le profil des femmes qui viennent les consulter.

L’argument de l’« hormonophobie » pour discréditer la parole des femmes

Pour expliquer la diminution de l’utilisation de la pilule, certain·e·s professionnel·le·s de santé avancent que la crise de la pilule en France aurait conduit à l’émergence d’une « hormonophobie » – c’est-à-dire une peur irrationnelle des hormones – qui n’aurait de cesse d’être alimentée par les récentes mises en cause des autres méthodes de contraception hormonale, en l’occurrence l’implant ou le DIU, et l’effet amplificateur des réseaux sociaux.

Pourtant, les femmes ont commencé à se détourner de la pilule bien avant fin 2012, date de la publication du Monde : entre 2005 et 2010, le recours à la pilule est passé chez les 15-49 ans de 47 % à 36 % (cf. graphique). Ainsi, la crise de la pilule semble moins être la cause que la conséquence d’une désaffection des femmes pour la contraception orale, qui a en fait permis de libérer la parole au sujet de la contraception.

Étudier les raisons complexes du rejet de la pilule

Alors, plutôt que de se désoler de la baisse du recours à la pilule en blâmant les femmes, il apparaît nécessaire d’en comprendre les raisons. C’est ce que fait justement une étude récente. En compilant les données de plusieurs travaux de recherche menés dans les pays occidentaux auprès de femmes et d’hommes, elle fait la synthèse des reproches adressés par les usagères et leurs partenaires à la contraception hormonale.

Cette étude montre que ce rejet repose sur un ensemble d’arguments complexes et multifactoriels. Les effets indésirables, qu’ils aient été vécus ou qu’ils soient craints, sont évidemment une raison majeure de la défiance vis-à-vis des contraceptifs hormonaux qui sont décrits comme altérant la santé physique (prise de poids, maux de tête), la santé mentale (irritabilité, sauts d’humeur, symptômes dépressifs), la sexualité (baisse de libido, sécheresse vaginale ou douleurs aux seins, entraînant des douleurs pendant les rapports sexuels). On leur reproche aussi de réduire les chances de concevoir et d’augmenter les risques de développer un cancer. Certains de ces effets indésirables sont validés scientifiquement, d’autres mériteraient d’être davantage étudiés.

L’autre grande raison du rejet de la contraception hormonale semble renvoyer à des représentations liées au fonctionnement du corps, les méthodes hormonales étant décrites comme des « produits chimiques », « non naturels » qui provoqueraient notamment des modifications du flux menstruel. Si certaines femmes mentionnent des saignements trop importants, d’autres se plaignent de ne plus avoir leurs règles, une situation qui les empêche de vérifier qu’elles ne sont pas enceintes et qui peut se révéler être une source d’anxiété.

Mais finalement, pour beaucoup de femmes, ce ne sont pas tant ces difficultés qui les conduisent à ne plus vouloir utiliser ces méthodes que le fait qu’elles ne soient pas prises au sérieux par leur médecin.

La prise quotidienne de la pilule, une charge matérielle pesante

Une enquête qui s’appuie sur des entretiens menés en France en 2021-2022 auprès de 21 jeunes femmes âgées de 20-28 ans confirme le sentiment de méfiance des jeunes femmes vis-à-vis de la pilule, et plus largement des contraceptifs hormonaux. Elle permet également de mieux comprendre le poids du travail contraceptif dans la relative désaffection que connaît la contraception orale.

Devoir prendre la pilule tous les jours, penser à l’acheter, à se la faire prescrire, etc. : l’arrêt de la pilule est également motivé par la charge matérielle qu’elle impose et qui devient de plus en plus pesante au fil des années, sans qu’il soit possible d’en répartir l’effort avec le partenaire, dans un contexte où se multiplient pourtant les « appels à développer la contraception masculine » (par exemple dans le journal Libération en 2022).

Une partie des femmes choisissent alors d’utiliser le DIU au cuivre ou le préservatif pendant que d’autres se tournent vers d’autres méthodes hormonales qu’elles jugent moins contraignantes. La persistance de l’usage de la pilule chez celles qui continuent à la prendre malgré leurs réserves, s’explique par l’impression qu’il n’y a pas d’alternative, ce qui interroge sur leur réelle autonomie en matière de contraception.

Derrière le rejet de la pilule, s’exprime surtout une demande d’accès à un véritable choix pour sa contraception. Pour ce faire, plusieurs pistes sont à envisager :

  • La délivrance d’une information claire sur les avantages et les inconvénients des différents moyens de contraception, qu’ils soient hormonaux ou non, médicalisés ou non ;

  • Une meilleure prise en compte des envies et des besoins des usagères par les professionnels de santé, qui peuvent être des médecins, généralistes ou gynécologues ou, depuis 2009, des sages-femmes ;

  • Une plus grande participation des hommes au travail contraceptif, que ce soit à travers le soutien à l’utilisation d’un contraceptif féminin ou le recours à une méthode masculine de contraception, dont les options mériteraient encore d’être davantage développées.

Mireille Le Guen, Démographe au sein de l'Unité Santé et Droits Sexuels et Reproductifs de l'Institut National d’Études Démographiques (INED), Collaboratrice scientifique au sein du Centre de recherche en démographie (DEMO) de l'UCLouvain, Institut National d'Études Démographiques (INED); Cécile Thomé, Docteure en sociologie, post-doctorante au Labex SMS, LISST-CERS, Université de Toulouse Jean Jaurès.; Elise de La Rochebrochard, Directrice de recherche en Santé Publique au sein de l'Unité Santé et Droits Sexuels et Reproductifs, Institut National d'Études Démographiques (INED) et Juliette Congy, Épidémiologiste au sein de l'Unité Santé Droits Sexuels et Reproductifs de l'Institut National d'Etudes Démographiques (INED).

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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