« Back to Black » : le film sur Amy Winehouse, du point de vue d’une experte en alcoolisme
Sadie Boniface, King's College LondonLe film Back to Black, qui sort sur les écrans français le mercredi 24 avril 2024, retrace la vie de la musicienne Amy Winehouse. Il couvre la période allant de l’obtention de son premier contrat d’enregistrement, à 18 ans, jusqu’à sa mort tragique par intoxication alcoolique en 2011, à l’âge de 27 ans.
Avant même la sortie du film, les premières réactions suscitées par les extraits diffusés dans le cadre de sa promotion suggéraient que le film risquait de faire l’objet d’une réception mitigée. Cela s’est confirmé lorsqu’ont été publiées les premières critiques : si certaines étaient très positives, d’autres se sont avérées assez cinglantes. La comparaison de cette nouvelle production avec les récits de la vie d’Amy Winehouse précédemment publiés, tout comme l’évaluation de sa réalisation, des performances musicales que l’on peut y trouver ou de la qualité scénaristique ont déjà été, et seront encore, critiquées par d’autres.
En tant que scientifique dont le sujet de recherche est l’alcool et ses effets, je me cantonnerai plutôt à la façon dont l’addiction de la chanteuse à l’alcool et à d’autres substances a été représentée à l’écran.
Amy Winehouse est décédée en 2011 d’une intoxication alcoolique. L’enquête menée après sa mort a révélé que son taux d’alcool dans le sang était de 4,16 g par litre. Ce niveau d’intoxication est potentiellement : il résulte en une perte de conscience, et une défaillance des fonctions vitales.
Le film se concentre sur la relation de Amy Winehouse (interprétée par l’actrice Marisa Abela) avec Blake Fielder-Civil (Jack O’Connell). La consommation de substances par ce dernier est dans un premier temps présentée comme « en opposition » avec celle de la chanteuse : lui est « toxicomane », elle est « buveuse ». Toutefois, leurs comportements finissent pas être le reflet l’un de l’autre. Au cours d’une scène dans laquelle Amy Winehouse lui rend visite en prison, Blake Fielder-Civil emploie l’expression « codépendance toxique ».
Plus frappant que la codépendance, cependant, c’est le manque d’autonomie dont semble souffrir Amy Winehouse qui est frappant, et ce, malgré son talent et son succès. Dans ses interactions avec Fielder-Civil et son père (interprété par Eddie Marsan), elle est presque déférente. Son manager et son label ont autorité sur sa carrière. Mais le plus choquant est probablement la manière dont elle ne peut mener une vie « normale », en raison de l’ingérence permanente des paparazzis.
Représentation de l’addiction de Winehouse
L’alcool est présent dans le film dès la première scène, une fête de famille qui nous présente la relation étroite qu’entretient Amy Winehouse avec sa grand-mère, Cynthia (Lesley Manville. À cette occasion, le réalisateur distille des indices à l’intention des spectateurs sur la relation problématique d’Amy Winehouse avec l’alcool, avant qu’elle ne soit ouvertement abordée plus tard dans l’intrigue.
On la voit ainsi buvant de la vodka dans un pub avec son futur manager, ou encore buvant un cocktail « Rickstasy » (Southern Comfort, vodka, Bailey’s et liqueur de banane) seule, le jour où elle rencontre Blake Fielder-Civil pour la première fois. Dans une scène, elle explique à sa grand-mère avoir « pris quelques verres » pour se donner du courage avant de passer dans une émission télévisée animée par le présentateur Jonathan Ross.
Les problèmes de santé mentale dont souffrait la chanteuse sont cependant moins explicitement indiqués. Il est pourtant bien documenté qu’Amy Winehouse a notamment souffert de dépression et de boulimie. Or, il existe un lien fort entre l’utilisation problématique de substances et les troubles psychiques, les deux coexistant souvent.
Le choix de ne pas insister sur les problèmes de santé mentale d’Amy Winehouse est compréhensible, car la réalisatrice, Sam Taylor-Johnson, a déclaré qu’elle voulait que le film « honore joyeusement » la chanteuse. Mais le résultat est que sa relation à l’alcool et aux autres substances manque de nuances à l’écran.
Les complexités de l’addiction
De nombreuses recherches ont démontré l’existence de liens entre la prise de substances et un certain nombre de situations, telles que stress sociaux, conflits parentaux, traumatismes interpersonnels ou deuil compliqué (deuil s’écartant de la normalité, se traduisant par une souffrance augmentée en intensité et en durée, ndlr).
En regardant le film, le spectateur se voit rappelé à plusieurs reprises ce qu’Amy Winehouse a perdu ou n’a jamais pu avoir (le mariage de ses parents, Blake Fielder-Civil, sa grand-mère, un bébé…). Et ce, manière à valider la notion de « boire pour faire face » ou du recours à l’alcool comme automédication.
Si cette notion d’automédication peut être intuitivement comprise, ses représentations à l’écran ne doivent pas être trop simplistes. En effet, lorsque l’on se penche sur les recherches scientifiques concernant le trouble de stress post-traumatique et le trouble de l’utilisation de l’alcool, on s’aperçoit que les preuves solides manquent encore pour étayer ce modèle. Par ailleurs, les relations entre consommation d’alcool et santé mentale sont à double sens, l’existence de troubles de santé mentale pouvant entraîner la consommation d’alcool et la consommation d’alcool pouvant entraîner des troubles de santé mentale.
Vers la fin du film, Amy Winehouse formule une requête pour entrer en cure de désintoxication. Cette demande survient de façon accélérée, en adéquation avec la théorie psychologique des « étapes du changement » du comportement. Celle-ci postule que les individus passent par six étapes lors d’un changement : la précontemplation, préparation ou détermination, action, maintenance, cessation. À l’écran, la cure de désintoxication est peu montrée. Bien qu’il leur soit donné, plus tard, de se faire une idée de la nature chronique et récurrente de l’addiction à l’alcool, les spectateurs doivent compter sur leur propre imagination pour combler ces lacunes.
Au final, dans l’ensemble, bien que Back to Black réussisse à éviter de tomber dans des représentations nocives et stigmatisantes de l’addiction et des problèmes de santé mentale, il échoue à donner aux spectateurs un aperçu réaliste des complexités de l’addiction.
Si vous souhaitez analyser votre propre relation à l’alcool, vous pouvez évaluer votre consommation, et en discuter avec votre médecin._
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Sadie Boniface, Head of Research at Institute of Alcohol Studies, Visiting Researcher, King's College London
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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