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Neurotechnologies : les cerveaux de nos enfants sont-ils sous surveillance ?

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Neurotechnologies : les cerveaux de nos enfants sont-ils sous surveillance ?

Catherine Vidal, Inserm

Des neurotechnologies sont utilisées pour faciliter l’apprentissage des enfants, par exemple dans des situations de troubles de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH). Des expérimentations sont également menées à l’école, en particulier aux États-Unis et en Chine. L’efficacité de ces pratiques reste à démontrer et des questions d’ordre éthique et juridique se posent.


Avec les récents développements des plates-formes numériques et de l’intelligence artificielle (IA), l’utilisation de ces outils dans le domaine de l’éducation est en plein essor. Le nouveau champ des neurotechnologies est en passe de bouleverser profondément les méthodes éducatives.

Leur application dans le domaine de l’éducation rend possible la mesure en temps réel du degré d’attention et des états émotionnels des élèves, dans le but d’améliorer leurs performances d’apprentissage.

La convergence entre les neurotechnologies, le numérique et l’IA dans l’éducation se profile. Ces perspectives posent des questions éthiques qui sont l’objet d’un récent rapport du comité d’éthique de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm).


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Quand les neurotechnologies sortent du domaine médical

Les neurotechnologies sont issues de recherches à visées médicales. Elles s’avèrent particulièrement performantes en clinique humaine, notamment pour compenser certains handicaps physiques et mentaux. L’amélioration des symptômes de la maladie de Parkinson grâce à des électrodes de stimulation intracérébrale en est l’illustration.

L’implantation de puces électroniques dans le cerveau pour pallier des déficits cognitifs et augmenter les capacités cérébrales fait l’objet d’intenses recherches. L’un des projets les plus médiatisés est l’implant Neuralink du milliardaire Elon Musk.

D’autres applications des neurotechnologies sortent du domaine médical et concernent le « bien-être personnel » et la surveillance des différents états mentaux. Des sociétés privées commercialisent déjà des dispositifs portables légers (sans fil) capables d’enregistrer les ondes cérébrales (par électroencéphalographie ou EEG) comme des casques ou des bandeaux à visée récréative et de bien-être (jeux vidéo, gestion du stress, du sommeil, de la concentration…) mais aussi des casques de surveillance des états de vigilance (pour des conducteurs de véhicules, des travailleurs à la chaîne, des militaires, etc.).

Des innovations récentes portent sur des lunettes ou des capteurs intra-auriculaires, d’usage plus aisé que les casques, pour enregistrer les ondes cérébrales par EEG, les mouvements des yeux, le rythme cardiaque, etc.

Le neurofeedback : s’entraîner en enregistrant les ondes cérébrales

Depuis une dizaine d’années, les neurotechnologies ont fait l’objet de nombreuses recherches visant à optimiser des capacités d’apprentissage. Les expérimentations portent sur deux types d’approches : le « neurofeedback » et les « stimulations cérébrales transcrâniennes ».

Le neurofeedback est une pratique d’entraînement cérébral fondé sur l’enregistrement des ondes cérébrales (par EEG) qui sont portées à la connaissance du sujet (feedback), lequel utilise cette information pour apprendre à moduler ses propres ondes cérébrales et à contrôler son niveau de vigilance.

Le neurofeedback s’avère particulièrement utile dans certaines situations pathologiques, par exemple chez les patients paralysés pour leur permettre de piloter un exosquelette ou pour contrôler un curseur sur un écran d’ordinateur afin de communiquer avec l’extérieur. Des recherches sont également en cours pour explorer des pistes thérapeutiques dans des affections neurologiques et également psychiatriques (dépression, insomnie, épilepsie, déficit post-AVC, etc.).

Des études peu convaincantes dans les troubles de l’attention (TDAH)

Un champ d’application du neurofeedback très étudié concerne les troubles du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH). Mais d’après des publications récentes qui dressent le bilan de ces études, il ressort que les expérimentations sont majoritairement entachées de biais méthodologiques : absences d’essais randomisés en double aveugle et de groupes témoins, faibles effectifs de participants, protocoles de neurofeedback non standard, etc. Ces biais ne permettent pas de conclure sur la réalité de l’efficacité thérapeutique du neurofeedback dans le TDAH.

Pour ces raisons, en France, le neurofeedback ne figure pas dans les recommandations thérapeutiques de la Haute Autorité de santé (HAS). L’Académie nord-américaine de pédiatrie, qui était favorable au neurofeedback en 2011, ne l’est plus en 2019 dans la révision de sa note de cadrage.

La même situation prévaut concernant les stimulations transcrâniennes pour lesquelles les effets escomptés de « dopage intellectuel » n’ont pas été démontrés, faute d’études menées rigoureusement.

Il est frappant de constater le décalage entre le manque de validation scientifique des effets de ces neurotechnologies sur l’apprentissage et le marché florissant sur Internet du « coaching » scolaire pratiqué à domicile ou dans des cabinets privés. En France, des start-up, autoproclamées « instituts », « cabinets » ou « cliniques », proposent ce qu’elles nomment « solutions » pour augmenter les performances cognitives grâce au neurofeedback, en visant notamment des enfants présentant des troubles du neurodéveloppement (TDAH, troubles dys).

Leurs discours publicitaires reposent sur des arguments d’allure scientifique susceptibles d’abuser, non seulement, le grand public, les parents, mais aussi les personnels soignants et éducatifs non avertis. Il faut souligner que l’exploitation commerciale des neurotechnologies en dehors du cadre médical échappe à la réglementation sur les dispositifs médicaux et le règlement général sur la protection des données (RGPD).

Des expérimentations à l’école, aux États-Unis et en Chine

Jusqu’à récemment, les études sur le cerveau en situation d’apprentissage étaient réalisées en dehors du cadre scolaire. Depuis 2019, les recherches ont été reportées dans l’environnement éducatif concret des écoles primaires, secondaires et des universités. Les États-Unis et la Chine sont les deux pays les plus avancés dans ce domaine.

Nombre d’expérimentations sont menées dans des écoles privées nord-américaines en partenariat avec des fabricants de casques afin d’enregistrer les ondes cérébrales des élèves. L’objectif est d’optimiser les apprentissages en aidant les enseignants à identifier les élèves inattentifs qui ont besoin d’une aide supplémentaire.

En Chine, des projets éducatifs impliquant l’IA sont déployés à grande échelle dans les écoles publiques pour contrôler l’apprentissage des élèves, notamment à travers l’interprétation des émotions détectées par webcam. Le recours aux casques EEG a été temporairement stoppé après une vague de critiques dans les médias d’État chinois et sur les réseaux sociaux.

Protéger le cerveau et la liberté de penser des enfants

La convergence entre les neurotechnologies, le numérique et l’IA dans l’éducation sera à l’œuvre dans un avenir proche. Parmi les bénéfices attendus, le traitement algorithmique des données cérébrales par l’IA devrait permettre d’analyser plus précisément les états mentaux et les capacités cognitives. Ces données pourraient être utilisées pour définir des conditions d’apprentissage les mieux adaptées au profil de chaque élève. Les enfants présentant des troubles de l’attention en seraient les premiers bénéficiaires.

Le versant négatif est la possibilité d’accès à ces données par un tiers, avec le risque d’interférer avec l’intimité de la vie psychique de l’enfant et de l’influencer à d’autres fins que la réussite scolaire. Les données cérébrales sont des sources d’information sujettes à convoitise pour des objectifs publicitaires, idéologiques ou autres (assurances, entreprises, police, cybercriminalité…).

De plus, l’association des outils neurotechnologies et numériques pose des questions non résolues concernant leur impact sur le cerveau, le développement cognitif des enfants et les risques pour leur santé. Des interventions, telles que le neurofeedback et les stimulations transcrâniennes, pourraient potentiellement perturber la dynamique de la formation des circuits neuronaux à certaines périodes dites « critiques » du développement du cerveau, avec des effets néfastes sur le plan cognitif (mémoire, raisonnement) et émotionnel (maîtrise de soi).

Un autre sujet de vigilance est celui de la « neuronormalisation » par des interventions sur le cerveau des enfants (conditionnement par neurofeedback, stimulations) pour le rendre conforme à des normes « standard ».

Un risque potentiel connexe est la « neurodiscrimination » fondée sur les « signatures neurales » qui ne seraient pas conformes aux normes cérébrales majoritaires, celles-ci étant définies à partir d’un échantillon de sujets de pays riches non représentatifs de la neurodiversité propre à tous les êtres humains. Leur utilisation par des groupes sectaires ou des gouvernements non démocratiques est une menace potentielle.

Vers un cadre réglementaire fondé sur les « neuro-droits »

Toutes ces questions soulèvent des défis éthiques et juridiques majeurs qui sont l’objet de mobilisations d’institutions internationales (Unesco, OCDE, Conseil de l’Europe) qui appellent à élaborer des cadres réglementaires fondés sur les « neuro-droits », définis comme les droits fondamentaux de tout individu à l’intégrité physique et mentale, au caractère privé de la vie mentale, à la liberté de penser.

En France, le comité d’éthique de l’Inserm reprend à son compte ces recommandations et appelle à élaborer un code de conduite à destination des personnels de l’éducation pour anticiper l’usage des neurotechnologies dans le cadre scolaire. Un tel code devra poser comme principe le fait que ces technologies ne doivent pas se substituer à l’intervention humaine, ni porter atteinte aux droits et libertés des enfants et adolescents dont l’autonomie et les « neuro-droits » doivent être protégés.

Catherine Vidal, Neurobiologiste, membre du Comité d’éthique de l’Inserm, Inserm

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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