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« Kéta », « K », « Spécial K »… les usages détournés de la kétamine prennent de l’ampleur : quels sont les risques et les dispositifs de surveillance ?

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« Kéta », « K », « Spécial K »… les usages détournés de la kétamine prennent de l’ampleur : quels sont les risques et les dispositifs de surveillance ?Image de freepik

The Conversation

« Kéta », « K », « Spécial K »… les usages détournés de la kétamine prennent de l’ampleur : quels sont les risques et les dispositifs de surveillance ?

Joëlle Micallef, Aix-Marseille Université (AMU) et Thomas Soeiro, Aix-Marseille Université (AMU)

Dans une interview sur CNN en 2024, Elon Musk a évoqué sa consommation régulière de kétamine, sur prescription médicale, pour lutter contre la dépression. Or ce produit circule de plus en plus pour des usages récréatifs.

L’usage détourné de la kétamine, un médicament anesthésique, comme hallucinogène s’installe dans la population, même chez les jeunes. Ce produit peut entraîner des comportements addictifs, avec toutes les conséquences que cela implique, et peut aussi conduire à des complications sévères, notamment urinaires. Il fait l’objet de suivis par des dispositifs de surveillance spécialisés.


La kétamine est un médicament anesthésique général pour usage humain et vétérinaire, dont la première spécialité a été commercialisée en France en 1970.

Plus de 50 ans après, ce produit est aussi de plus en plus présent dans les faits divers en France ou à l’étranger pour son usage détourné. Il en a par exemple été question suite au décès de Matthew Perry, l’un des protagonistes de la célèbre série Friends. L’ampleur que prend l’usage détourné de la kétamine comme hallucinogène, bien loin de son utilisation médicale pourtant essentielle, est sans équivalents. Comment et pourquoi en est-on arrivé à une telle situation ?


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En France, les usages récréatifs explosent avec la techno des années 90

Aux États-Unis puis en Europe, les premiers cas de déviation de son usage médical vers un usage récréatif ont été décrits notamment chez des professionnels de santé (anesthésistes) ayant accès aux produits. À la fin des années 90, son usage en France gagne l’espace festif techno, où elle est proposée sous différentes appellations (Kéta, K, Kate, Spécial K, la Golden, la vétérinaire…) et consommée essentiellement par voie nasale (60-100 mg) ou orale, pour ses effets hallucinatoires.

L’usage détourné de la kétamine va également atteindre l’Asie. Elle y prendra une ampleur considérable, en particulier dans les night-clubs de Taiwan et de Hong Kong. En 2006 à Hong Kong, la kétamine est la deuxième substance psychoactive la plus consommé après l’héroïne.

Une substance sous surveillance grâce à l’addictovigilance

En France, depuis de nombreuses années, la kétamine fait l’objet de rapports nationaux d’expertise d’addictovigilance, permettant ainsi de détecter, repérer et caractériser de nouvelles pratiques d’utilisations ainsi que leurs conséquences sur la santé.

Il faut dire que la France est le seul pays en Europe à avoir mis en place depuis 1990 un dispositif de veille spécifique sur les substances psychoactives et leurs conséquences sur la santé, grâce aux treize Centres d’Évaluation et d’Information sur la Pharmacodépendance-Addictovigilance (CEIP-A) qui constituent le Réseau français d’addictovigilance.

Cette analyse s’appuie sur la triangulation de plusieurs sources de données françaises, dont les déclarations de cas graves avec la kétamine (qui sont une obligation légale pour les professionnels de santé) et les données issues d’un dispositif de pharmacosurveillance appelé OPPIDUM (Observation des produits psychotropes Illicites ou détournés de leur Utilisation Médicamenteuse).

Ce dispositif permet de connaître les substances psychoactives consommées par les patients pris en charge en France dans les structures spécialisées en addictologie, grâce à un recueil effectué chaque année durant le mois d’octobre. Sur le mois d’octobre 2012, 35 patients (0,7 %) étaient des consommateurs de kétamine. Ce chiffre ne cesse de croire depuis jusqu’à attendre 107 consommateurs (2 %) lors du recueil en octobre 2023.

Une constante progression des usagers réguliers

La proportion d’usagers réguliers de kétamine est aussi en constante progression. C’est également le cas pour ceux qui augmentent les doses de kétamine et présentent des troubles de l’usage, c’est-à-dire une addiction avec la kétamine.

Cette problématique des troubles de l’usage avec la kétamine se retrouve dans les déclarations d’addictovigilance avec des usagers qui se retrouvent en difficulté avec leur consommation. Cela se manifeste par des augmentations des doses, du craving qui décrit le besoin irrépressible de consommer, des complications dans le domaine de la santé (complications urinaires, complications sur le foie, complications psychiatriques…), des conséquences financières… ce qui amène les usagers à consulter ou à être hospitalisés.

À noter dans ce contexte de troubles de l’usage avec la kétamine, des situations cliniques qui rapportent un comportement de recherche de kétamine pharmaceutique, par des passages via les services d’urgences pour obtenir de la kétamine. Ceci témoigne des passerelles qui peuvent exister entre la kétamine dite « illicite » et la kétamine pharmaceutique.

Quant au profil des usagers, il se diversifie. Certains continuent d’utiliser la kétamine dans un contexte festif ou récréatif, d’autres pour une finalité « auto-thérapeutique » (réduction de l’anxiété, bien-être, antidouleur, amélioration de l’humeur, sevrage alcoolique…) sans que l’efficacité de la kétamine dans ces indications ait été démontrée et hors de tout accompagnement médical, ce qui les expose à des effets indésirables possiblement graves et enfin, d’autres encore à visée sexuelle, notamment dans un contexte de chemsex.

Une kétamine expérimentée aussi par une minorité de jeunes

De façon intéressante, trois récentes études réalisées en France sur les niveaux d’expérimentation des substances psychoactives ont inclus spécifiquement la kétamine. Leurs chiffres témoignent notamment de l’installation de l’expérimentation de kétamine en population générale mais aussi chez les jeunes.

On observe ainsi en France :

  • en 2023, une prévalence d’expérimentation de la kétamine au cours de la vie de 2,6 % (3,3 % chez les 18-24 ans, 4,8 % chez les 25-34 ans, 3,2 % chez les 35-44 ans ; sur un échantillon représentatif de 14 984 personnes âgées de 18 à 64 ans), d’après l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives OFTH.

  • une prévalence d’usage de la kétamine de 0,9 % (allant de 0,6 % à 4,7 % en fonction de la situation scolaire) quand on interroge de jeunes gens âgés de 17 ans lors de la journée défense et citoyenneté (sur un échantillon représentatif de 23 701 filles et garçons âgés de 17,4 ans), selon les données ESCAPAD 2022.

  • une prévalence d’expérimentation de la kétamine de 1,1 % (1,4 % garçons, 0,9 % filles) chez des élèves de la sixième à la terminale, d’après les données d2022 du dispositif EnCLASS.

Et il ne s’agit pas d’une spécificité française. Au Royaume-Uni,par exemple, l’expérimentation de la kétamine est passée de 0,5 % en 2010 à 0,8 % en 2020. Parmi les 16-24 ans, cet usage a doublé durant la même période, de 1,7 % à 3,2 %.

Gare aux complications sévères, notamment urinaires

Une abondante littérature scientifique caractérise des complications liées à la consommation de kétamine, en particulier des complications urinaires sévères (à type de cystites interstitielles) chez des consommateurs réguliers de kétamine souvent par voie nasale.

Pourtant au début, comme souvent pour tout évènement nouveau, le lien avec la kétamine fut débattu et même critiqué, avec des arguments évoquant d’autres hypothèses comme l’existence d’un produit adultérant dans la kétamine, ses modalités de préparation (chauffage de la kétamine) ou encore la synthèse d’un métabolite toxique de la kétamine par les usagers asiatiques qui présente souvent des polymorphismes génétiques.

C’est en 2007 que paraîtront les deux premiers articles scientifiques sur les complications urinaires chez des usagers réguliers de kétamine, à Hong Kong et au Canada, battant en brèche l’hypothèse du métabolite toxique liée à la population asiatique.

De façon intéressante, cette publication canadienne donnera lieu à d’autres publications par des équipes utilisant la kétamine à but médical, de façon répétée, pour traiter des douleurs complexes et relatant dans ce cadre-là également des complications urinaires.

Des études expérimentales chez l’animal amèneront un éclairage utile pour établir ce lien avec notamment la mise au point d’un modèle animal de cystites induites par l’administration répétée de fortes doses de kétamine ou encore la mise en évidence d’anomalies urinaires symptomatiques chez le rat après l’administration de la méthoxétamine, une puissante drogue de synthèse et un antagoniste des récepteurs de la NMDA comme… la kétamine.

Difficultés à uriner, mictions fréquentes…

Ces cystites se manifestent par des difficultés à uriner (dysurie), la présence de sang dans les urines (hématurie) et des mictions très fréquentes en lien avec une capacité réduite de la vessie. Elles peuvent entraîner un retentissement sur le haut appareil urinaire donc au niveau des reins, conduisant à ce que l’on appelle des hydronéphroses.

Des tableaux cliniques sévères et invalidants peuvent nécessiter des interventions chirurgicales. Ces complications sont observées en cas de poursuite de la consommation de kétamine. Dès les premiers symptômes urinaires, l’arrêt constitue pourtant le meilleur traitement.

En France, toutes ces complications cliniques en lien avec les substances psychoactives à risque d’abus (médicamenteuses ou non) sont suivies de près par les pharmacologues du Réseau français d’addictovigilance, piloté par l’Agence National de Sécurité du Médicament et des produits de santé (ANSM).

Des saisies importantes, signe de la circulation du produit

La kétamine est un produit qui circule davantage. En 2022, près de 3 000 saisies ont été réalisées en Europe, pour un total de près de 2,79 tonnes de kétamine. Elles s’inscrivent dans une dynamique croissante.

Cet usage est facilité par une diffusion accentuée de la kétamine (comme en témoignent les niveaux de saisies en augmentation au niveau européen et mondial) et une accessibilité facilitée (deal, dématérialisation par le recours aux outils numériques…).

Cette situation explique les chiffres d’exposition en population générale, ou plus spécifiquement chez les collégiens et lycéens scolarisés, et également l’augmentation des complications sanitaires liées à la kétamine en France ou ailleurs.

Joëlle Micallef, PU-PH en Pharmacologie Service de pharmacologie clinique et pharmacosurveillance, AP-HM Centre d'Évaluation et d'Information sur la Pharmacodépendance – Addictovigilance PACA-Corse Institut de Neurosciences des Systèmes (U1106), Aix-Marseille Université (AMU) et Thomas Soeiro, Service de pharmacologie clinique et pharmacosurveillance, AP-HM Centre d'Évaluation et d'Information sur la Pharmacodépendance – Addictovigilance PACA-Corse Institut de Neurosciences des Systèmes (U1106), Aix-Marseille Université (AMU)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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