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Pourquoi retombons-nous en enfance lorsque nous rendons visite à notre famille ?
Gery Karantzas, Deakin UniversityPrenez un adulte bien sous tous rapports, posé, raisonnable, et replongez-le pendant un certain temps dans son environnement familial, au contact de ses parents et de ses frères et sœurs. La probabilité de le voir réagir comme l’enfant ou l’adolescent qu’il a été devient brusquement non négligeable… Selon les psychologues, l’explication de ces comportements qui compliquent parfois les réunions familiales est à chercher du côté de la « théorie de l’attachement ».
Tout au long de l’année, vous êtes un adulte indépendant, et vous vous considérez comme plutôt responsable. Pourtant, lorsque vous rentrez dans votre famille, que ce soit à l’occasion des vacances ou de rassemblements traditionnels tels que la fête de Noël, votre enfant intérieur refait brusquement surface.
Vous vous surprenez alors à vous disputer avec votre frère ou votre sœur autour d’un jeu de société, ou à bouder face à vos parents.
Pourquoi avons-nous tendance à régresser lorsque nous nous retrouvons à nouveau plongés dans nos environnements familiaux respectifs ? S’agit-il d’une tendance générale ?
La psychologie offre des pistes pour comprendre les mécanismes qui sous-tendent ces dynamiques familiales, ainsi que les façons de les désamorcer, pour repartir sur de bonnes bases.
Comprendre les dynamiques familiales
Développée au début du XXe siècle, la théorie de l’attachement ambitionne de décrire les relations qui se mettent en place entre êtres humains. Elle suggère notamment que nos premières expériences – en particulier la façon dont nous nous sommes « attachés » à nos parents et aux principales personnes qui ont pris soin de nous durant notre enfance – influencent nos interactions avec notre famille et nos autres proches.
Selon la théorie de l’attachement, ces expériences précoces laissent des traces : sous leur influence nous développons peu à peu un système de pensées, de croyances, d’attentes, d’émotions… Ces éléments, qui peuvent être positifs ou négatifs, orientent notre comportement envers nos parents (et, plus tard, envers nos partenaires). Cet ensemble forme notre « modèle d’attachement ».
On considère qu’environ 60 % des gens ont un modèle d’attachement sécurisant : généralement, leurs souvenirs de leur relation précoce avec leurs parents sont assez positifs. Ils peuvent communiquer ouvertement et honnêtement avec les personnes qui ont pris soin d’eux, et faire appel à elles afin d’obtenir conseils ou réconfort.
Les 40 % restants ont un en revanche un modèle d’attachement non sécurisant. Leurs expériences précoces avec leurs parents ont résulté en la formation d’attitudes négatives. En conséquence, certaines de ces personnes ont plutôt tendance à adopter une attitude distante et réservée vis-à-vis de leurs proches (on parle de personnalités « évitantes »), tandis que d’autres auront besoin de leur validation permanente et cultiveront la proximité avec eux, tout en craignant d’être rejetées (personnalités « anxieuses »).
Ces modèles d’attachement influencent nos sentiments et nos comportements, même à l’âge adulte, en particulier lorsque nous sommes en présence de nos parents ou des gens qui ont pris soin de nous.
Traitons-nous nos parents comme ils nous ont traités ?
L’une des questions qui taraudent les personnes qui travaillent sur l’attachement est celle de la « transmission intergénérationnelle », autrement dit de la transmission par les parents de leur modèle d’attachement à leurs enfants.
Si un parent se montre distant ou réservé envers son enfant au début de sa vie, arrivé à l’âge adulte, celui-ci pourrait traiter son parent de manière similaire, ce qui indiquerait que le modèle d’attachement « évitant » lui a été transmis. Une telle transmission expliquerait pourquoi nous retombons dans de « vieux schémas » en présence de nos parents ou d’autres membres de notre famille proche. Imaginons que le soir de Noël, votre mère, vexée par la réception que les convives ont réservée au dessert qu’elle avait préparé. L’anxiété risque de vous amener à vous sentir obligé de la rassurer, en lui répétant que son plat était en réalité délicieux.
Une telle transmission intergénérationnelle n’existe cependant pas au sein de toutes les familles ; elle peut être beaucoup moins présente dans certaines relations parents-enfants.
L’impact du stress
La façon dont nos parents se sont occupés de nous durant notre enfance joue un rôle important dans le développement de notre modèle d’attachement, mais cela ne l’explique pas entièrement.
Les événements stressants vécus durant l’existence – surtout au cours de la jeunesse – nous façonnent également. Cela peut influer aussi sur la façon dont nos parents ou nos proches prennent soin de nous : au fil du temps, si des événements extrêmement stressants et durables surviennent, le lien parent-enfant peut être affecté, et devenir moins sécurisant. À l’inverse, si la vie s’améliore, la relation entre parent et enfant peut changer pour devenir plus sécurisante (ou tout simplement moins insécurisante).
Le stress temporaire que peuvent générer les rassemblements familiaux comme ceux qui se produisent au moment de Noël et des fêtes de fin d’année peut parfois exacerber les insécurités, et les rendre plus visibles, ce qui influence notre comportement.
Le tempérament joue un rôle
Le tempérament joue également un rôle dans le développement du modèle d’attachement.
Les enfants qui sont plus sensibles, réactifs ou irritables sont plus susceptibles d’être affectés par la manière dont un parent va répondre à leurs besoins et préoccupations.
À l’inverse, les enfants qui sont moins sensibles et plus adaptables peuvent être moins influencés par un comportement parental similaire. Ils peuvent développer un modèle d’attachement plus sécurisant (ou moins insécurisant), là où un enfant plus sensible ne le pourra pas.
Cela peut en partie expliquer pourquoi des frères et sœurs adultes peuvent vivre différemment des contextes familiaux similaires.
Que faire pour éviter de retomber dans ces travers ?
Il arrive que nous ayons l’impression que les dynamiques familiales à l’œuvre durant les rassemblements entre proches sont plus fortes que nous. Il est cependant possible d’éviter de se sentir dépassé, grâce à quelques gestes simples :
1. Parler à quelqu’un
Avant les réunions de famille, confiez vos préoccupations à un ami proche, ou à un parent avec lequel vous vous sentez à l’aise. Ces personnes peuvent vous aider à comprendre pourquoi vous avez éprouvé par le passé un ressenti négatif, et à trouver des moyens d’éviter d’y être à nouveau confronté, ce qui peut mener à des interactions plus positives avec les membres de votre famille.
2. Se parler à soi-même
Si, lors des réunions familiales, les souvenirs d’enfance négatifs ont tendance à refaire surface, on peut se laisser submerger par l’émotivité, perdre confiance en soi ou faire preuve d’une réactivité excessive. Dans ces moments, l’introspection peut permettre de se reconnecter avec la partie la plus forte et la plus sage de notre personnalité.
3. Faire une pause
Parfois, la solution peut être de s’éloigner temporairement, afin de trouver un endroit pour faire une courte pause afin de se calmer et apaiser ses émotions. Ce laps de temps peut être mis à profit pour appliquer certaines techniques visant à réduire le stress et contenir les émotions négatives.
Il est par exemple possible d’employer certaines techniques de respiration pour apaiser son esprit.
Une autre stratégie consiste à identifier ses pensées négatives, ou encore à « remercier sarcastiquement son esprit » pour lesdites pensées négatives. Cela vous permet de mieux les identifier et de limiter l’attention qui leur est accordée.
Parfois – surtout pendant les fêtes – nous pensons devoir tolérer les interactions négatives que nous pouvons avoir avec notre famille, et passer outre. Mais une telle attitude peut dans certains cas aggraver les problèmes. Se sentir vulnérable et émotif est normal. Cela peut aussi mener à se rapprocher de certaines personnes (une sœur ou un frère compréhensifs, par exemple) qui pourront devenir des alliés pouvant ces émotions et à discuter de vos sentiments. Vous pourrez ensuite rejoindre les festivités après vous être ressourcé.
Gery Karantzas, Professor in Social Psychology / Relationship Science, Deakin University
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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