Mondial-2018 : football, politique et propagande, quand les chefs d'État occupent le terrain

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Authentiques passionnés de football ou opportunistes tentant de profiter d'une forte exposition médiatique, les dirigeants des nations qualifiées pour le Mondial se servent du football comme un puissant vecteur de communication. Voire de propagande.

La Coupe du monde de football organisée en Russie est entamée depuis plus d’une semaine, et si le spectacle sur les pelouses n’est pas toujours au rendez-vous, la politique, elle, occupe le terrain. Ou plus précisément les hommes politiques, du président russe Vladimir Poutine, à ses homologues sénégalais et français, Macky Sall et Emmanuel Macron, en passant par la chancelière allemande Angela Merkel. Mais aussi le guide suprême iranien Ali Khamenei et l’homme fort du rival régional saoudien, le prince héritier Mohammed Ben Salmane (MBS), ils se sont, chacun à leur manière et à des degrés divers, pris au jeu du Mondial.

Qu’ils soient d’authentiques passionnés de football ou qu’ils tentent de profiter de la popularité d’un évènement majeur offrant une exposition incomparable, il est visiblement de bon ton pour les chefs d’État de se montrer auprès de leurs sélections nationales ou de leur afficher publiquement leur soutien, voire même de se rendre sur place dans les stades russes. Et ce, même si les bénéfices politiques de telles initiatives, vivement encouragées par les communicants, restent à prouver.

Une tribune mondiale pour Poutine

Avant même le début de la Coupe du monde, le débat autour des risques d’une instrumentalisation de la Coupe du monde par Vladimir Poutine avait fait rage. "Poutine aura du mal à redorer son blason auprès des Occidentaux, et ce n’est pas la Coupe du monde qui va le lui permettre ou qui va impacter les idées reçues sur le président russe, explique à France 24 Pascal Boniface, directeur de l'Institut de relations internationales et stratégiques (Iris) et auteur de "L'Empire foot" (Éd. Armand Colin, 2018). Sur le plan intérieur, le football ne changera rien non plus au niveau de sa popularité, qui est réelle".

Vladimir Poutine, qui a assisté au match d’ouverture qui opposait la Russie à l’Arabie saoudite (5-0), n’était pas présent lors du match suivant de la "Sbornaya", qu’elle a pourtant remporté par 3 buts à 1 face à l’Égypte. Il a toutefois prononcé un discours avant le coup d’envoi de la compétition, contrairement à la tradition, profitant d’une tribune mondiale via les télévisions du monde entier pour vanter les valeurs du sport et de la Russie. Et, alors que l’on craignait une humiliation footballistique de son pays, apathique pendant les matches de préparation, ses résultats ont de quoi ravir le Kremlin, qui fait du sport l’un des axes de promotion de sa politique. Voire même de la promotion de la propre personne du président, qui s’affiche tantôt en tenue de judoka, tantôt en hockeyeur.

"Au-delà des résultats de la sélection russe, le simple fait d’avoir obtenu l’organisation de la Coupe du monde est une victoire pour le Kremlin, poursuit Pascal Boniface. Celle-ci sert le 'soft power' du pays et de son président, et cela n’est pas propre uniquement aux régimes autoritaires : ainsi, lorsque les JO-2024 se dérouleront en France, les responsables du pays s’en féliciteront aussi".

La vitrine offerte par la grand-messe du football, dont avait profité l’ex-président français Jacques Chirac et son Premier ministre Lionel Jospin, en 1998, lorsque les Bleus avaient remporté le Mondial organisé en France, ne sert pas seulement aux dirigeants du pays hôte.

"Les responsables sont très tentés de se servir de la résonnance d’un tel événement, de s’en servir comme d'un instrument de communication ou de propagande, afin de présenter son pays sous le meilleur jour possible, et si en plus cela peut leur permettre de booster leur popularité, l’affaire est gagnée pour eux", explique Bruno Daroux, spécialiste des questions internationales à France 24.

Un certain nombre d’entre eux s'est impliqué directement, en forçant parfois le naturel, comme le Premier ministre japonais, Shinzo Abe, qui a posté sur les réseaux sociaux, avant le match qui opposait le Japon à la Colombie, une vidéo bon enfant, le montrant affublé du maillot bleu de la sélection, et attrapant un ballon dans ses mains.

Un match remporté par la sélection nippone, sous les yeux de la princesse japonaise Takamado, qui effectuait ainsi la première visite d'un membre de la famille impériale en Russie en plus de 100 ans. Une preuve supplémentaire que ce sport sert parfois la diplomatie, puisque les relations entre les deux pays, qui n'ont toujours pas signé de traité de paix après la Seconde Guerre mondiale, sont empoisonnées par un litige territorial lié aux îles Kouriles.

Les présidents mexicains et sénégalais sortent le grand jeu

Les présidence sénégalaise et mexicaine, elles, ont utilisé les grands moyens : avec des clips sur les réseaux sociaux mettant en scène les équipes nationales et leurs supporters, avec en fond sonore des discours présidentiels d’encouragements.

Sans compter les tweets patriotiques de réjouissance d’Enrique Peña Nieto et de Macky Sall, qui ont accompagné les premières victoires de la Tri, contre l’Allemagne, et des Lions de la Téranga, face à la Pologne.

D’autres se sont contentés d’une visite très médiatisée aux joueurs avant leur départ en Russie, comme Filipe VI, le roi d’Espagne et supporter de l'Atlético de Madrid, ou la chancelière allemande Angela Merkel, qui s’était illustrée en 2014, après la victoire de Mannschaft au Brésil.

Emmanuel Macron, grand fan de l’Olympique de Marseille, accompagné de son épouse, s’est rendu, sous l’œil des médias, à Clairefontaine, quartier général français des Bleus, pour leur souhaiter bonne chance avant le début du Mondial. Le président français a indiqué qu’il se rendrait en Russie pour assister aux matches des hommes de Didier Deschamps à partir des demies-finale.

Kadyrov, champion du monde de la récupération

D’autres responsables, comme la Première ministre britannique, Theresa May, se sont contentés de publier des messages d’encouragement avant le match de leur pays, voire après la défaite des leurs, comme l’Iranien Ali Khamenei, guide suprême de la République islamique. Ce dernier a félicité sur Twitter la sélection iranienne pour son niveau de jeu, malgré la défaite face à l’Espagne (0-1).

Mohamed ben Salmane, le prince héritier saoudien, a lui profité de la tribune de la Coupe du monde pour envoyer un message fort et mettre un terme aux rumeurs, alors qu’il n’avait fait aucune apparition publique depuis plusieurs semaines. Quitte à assister à l’humiliation de ses joueurs et de subir l’ironie désolée du président russe à chaque but encaissé par les Saoudiens [au nombre de 5, faut-il le rappeler].

Les images de Poutine et de MBS diffusées sur écran géant à Riyad. © Fayez Nureldine / AFP

Toutefois aucun de ces dirigeants n’a pu rivaliser avec le champion du monde de la récupération : Ramzan Kadyrov. Sans être concerné directement par la Coupe du monde, le dirigeant de la république de Tchétchénie a saisi la balle au bond à des fins de propagande. La sélection égyptienne et sa star Mohamed Salah, eux-même objets de récupération dans leur pays, ont pris leurs quartiers à Grozny. Le président, protégé du Kremlin, a tout fait pour s’afficher avec l’attaquant vedette de Liverpool, au point d’aller lui-même le chercher avec sa berline pour le faire parader à ses côtés, devant un public de quelque 8 000 spectateurs.

Pas sûr que Mohamed Salah, qui n'a pas fait la promotion de cette récupération flagrante sur les réseaux sociaux, ait eu le loisir de refuser l’invitation d’un homme accusé de plusieurs violations des droits de l’Homme et très décrié en Occident.


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