« La Fièvre » nous rend-elle meilleurs ? Éducation politique et réflexivité en séries

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« La Fièvre » nous rend-elle meilleurs ? Éducation politique et réflexivité en séries

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Sandra Laugier, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

C’est quand surgit soudain la proposition extrême d’autoriser le port d’armes en France que l’on comprend peut-être le mieux l’ambition de la série d’Éric Benzekri et Ziad Doueiri, La Fièvre. Nous sommes à l’épisode 3 et l’héroïne, Samuelle (dite Sam), qui travaille dans une agence de communication, a l’intuition soudaine que cette proposition lancée par la polémiste d’extrême droite Marie Kinsky est une tentative d’élargir la « fenêtre d’Overton » – ce concept des années 90 qui est supposé définir la gamme des idées politiquement acceptables. Sam se précipite alors sur un tableau (numérique) et trace un schéma très clair de cette fenêtre à l’intention de ses collègues leur faisant comprendre – et nous révélant ainsi – la stratégie de Marie de « recadrage » de cette fenêtre, pour l’ouvrir à de nouveaux champs impensés.

La scène est devenue quasi rituelle dans les séries télévisées qui impactent notre société : un personnage va se mettre au tableau et produire, à l’aide de schémas, une éducation à son audience et donc aux spectateurs. Dans la belle série D’argent et de sang (Canal+, 2023), le héros Simon Weynachter (Vincent Lindon), chef du Service national de douane judiciaire, proposait ainsi, au tableau encore, des moments pédagogiques d’explication de l’arnaque à la TVA sur les quotas de CO2, là aussi permettant de comprendre l’incroyable. On se souvient que dans le Bureau des légendes, le spectateur était initié dès le deuxième épisode de la première saison aux mystères de la DGSE ; et jusqu’à la fin, cinq ans plus tard, il bénéficie d’explications par un génial expert informatique (Sylvain Ellenstein-Jules Sagot), notamment sur la cybersécurité à partir de la saison 4 ; et on pense aux tableaux explicatifs et glaçants présentés par Vladimir Legassov au dernier épisode de Chernobyl (HBO, 2019).

Cette véritable « esthétique » de la pédagogie est la marque d’un « genre » de séries : celles qui visent à informer et former le spectateur et pas seulement à élargir son expérience en lui faisant connaître des milieux peu familiers. Ainsi Baron noir (Canal+, 2016-2020), la série précédente d’Éric Benzekri, est devenu un paradigme de série politique, mais aussi une source infinie d’éducation politique, d’introduction à la « forme de vie » démocratique visant la formation d’une société devenue cynique, ouvrant une possibilité de réenchantement de la démocratie que l’on retrouve enfin dans les derniers épisodes de La Fièvre. On se souvient par exemple que dans la saison 2 de Baron noir, la présidente Amélie Dorendeu fraîchement élue se recueille sur la tombe de la militante féministe Hubertine Auclert : là encore, occasion d’éduquer le public de la série, en évoquant cette héroïne féministe, alors peu connue et tout récemment honorée.

Un talent de Baron noir était déjà d’utiliser toutes les potentialités du médium série pour, simplement, parler politique, car pour Benzekri c’était le meilleur moyen de parler de la France.

Éducation à la démocratie

Cette capacité est mobilisée et décuplée dans La Fièvre, qui continue à nous éduquer, mais à des réalités encore plus terrifiantes que celles de Baron noir, qui était pourtant, déjà, une tragédie ; la troisième saison, prémonitoire, mettait en scène l’ascension d’un candidat d’extrême droite aux discours très efficaces et parvenant à une « normalisation » à l’époque peu imaginable et désormais réalisée.

Ayant fait l’expérience de la capacité terriblement prédictive de Baron noir, on ne peut que s’angoisser à la vision de La Fièvre, qui décrit une véritable descente aux enfers de la société française à partir d’un épisode de crise qui pourrait être sans lendemain : l’acte délirant d’un footballeur star, Fodé Thiam (Alassane Diong), star du club fictionnel le Racing, qui assène un coup de tête à son entraîneur et le traite de « sale toubab » (« Blanc ») lors de la cérémonie des trophées UNFP – dont le résultat le déçoit. La fièvre, c’est celle qui s’empare de l’opinion publique et des réseaux sociaux et monte progressivement autour de l’incident ; c’est celle qui s’empare d’emblée de l’agence de communication qui prend en charge l’incident pour le club, et de Sam Berger, sa figure centrale.

C’est aussi la fièvre qui saisit le spectateur, pris dans la spirale de la série et très impatient de connaître la suite. D’autant que la série, contrairement à Baron noir, ne peut se « binger » – à moins (pratique fréquente aujourd’hui) d’attendre la conclusion de sa diffusion pour la commencer. Elle revient, comme beaucoup de séries actuelles (celles de HBO pour la plupart, et même désormais sur Netflix), au mode de diffusion d’un épisode par semaine, permettant au spectateur de digérer, précisément, ce qui s’est passé et ce qu’il a appris et compris ; de prendre en compte la temporalité « réelle » de l’action qui se déroule sur une durée de plusieurs mois ; et de laisser les personnages – tous magnifiques à leur façon – s’inscrire en lui ou elle.

En se positionnant d’emblée en outil d’éducation, la série affiche ainsi son respect du spectateur et une forme d’exigence culturelle et politique qui est à rebours des contenus des réseaux sociaux tels que La Fièvre les décrit brillamment ; mais aussi de discours actuels sur les séries télévisées qui alièneraient le public en dévorant son temps, en lui vidant la tête ou en lui proposant des idées stéréotypées. Il suffit de voir La Fièvre, D’argent et de sang ou encore tout simplement le hit de Netflix, Le problème à trois corps, pour comprendre que ceux qui parlent d’abrutissement par les séries font peu de cas des séries et de leurs concitoyens.

Les moments d’éducation dans La Fièvre, dont font partie évidemment les tirades complexes et parfois limite comiques de Sam, signalent l’ambition de la série, qui prend son public au sérieux et en appelle à chaque seconde à son esprit critique, y compris par rapport à ce qu’il ou elle est en train de voir. Le pari de La Fièvre, comme de Baron noir, est bien de tenir le spectateur pour un sujet politique capable de s’orienter au milieu de discours rivaux et séduisants et de construire ses valeurs à partir de ce que la série lui apprend.

Un enjeu proprement démocratique de cette éducation apparaît lorsque la série ébauche une solution politique à la crise politique avec le projet de coopérative au Racing, là aussi pédagogiquement présenté lors d’une poétique conversation entre Sam et le patron du Racing, François Marens (Benjamin Biolay), et qui pose une définition de la démocratie à la John Dewey : les décisions vont être prises par les « concernés ». En affirmant dans le projet de coopérative et la modalité participative la « compétence des citoyens », la série pose aussi son projet et fait acte de réflexivité : chacun et chacune est capable de se faire son jugement politique. Il y a bien là une thèse morale, celle du « perfectionnisme » moral propre au cinéma classique de Hollywood et que l’on retrouve aujourd’hui dans les meilleures séries. Dans son ouvrage Le cinéma nous rend-il meilleurs ?, le philosophe américain Stanley Cavell rappelle que la démocratisation de la culture est la voie de la démocratisation de la démocratie elle-même, et la seule forme d’éducation citoyenne basée sur la confiance en soi. Il a proposé de redéfinir la culture populaire non plus comme un pur « divertissement » (même si cela fait partie de sa mission, et La Fièvre, ne l’oublions pas, est une série très profondément divertissante), mais aussi comme un travail collectif d’éducation morale, comme production de valeurs et, finalement, de la réalité.

Le 11 Septembre du foot

Cette revendication pédagogique concernant la tâche de la culture rappelle l’engagement de Dewey dans la science de l’éducation. Pour Cavell et Dewey, la valeur éducative de la culture populaire est plus qu’anecdotique ; elle définit la manière dont il faut comprendre à la fois « populaire » et « culture » (au sens de Bildung et de construction de valeurs).

La vocation de la culture populaire est bien l’éducation politique d’un public. Elle ne fait pas référence à une version primitive ou inférieure de la culture, mais à une culture démocratique partagée qui crée des « valeurs » communes et sert de ressource pour une forme d’éducation de soi – un perfectionnement subjectif et collectif qui se produit par le partage et le commentaire de matériel ordinaire et public intégré à la vie de chacun. Ce que Stanley Cavell revendiquait pour les films populaires hollywoodiens – leur capacité à créer une culture démocratique partagée, que l’on trouve chez un Frank Capra – a été transféré sur d’autres corpus et pratiques, donc les séries télévisées, mais aussi les spectacles sportifs, qui ont pris en charge, voire assumé, la tâche d’éduquer le public. Ces formes de culture populaire sont capables de transformer nos existences en valorisant et en cultivant l’expérience ordinaire. D’où le rôle de la confiance en soi, de la confiance en sa propre expérience, qui est la source du perfectionnisme moral et la base de l’éducation collective.

Les moments de crise, qui sont des moments de scepticisme radical et de perte de confiance en soi, que connaît l’héroïne de La Fièvre, Sam, symbolisent le risque subjectif de la perte de confiance politique en soi, qui est peut-être le risque politique majeur face à la masse des données et informations et désinformations. La relation individuelle est aussi une source pour la démocratie et les conversations à deux, amicales (Sam allant voir le match à la télévision en compagnie de Terret) familiales, amoureuses (sa relation émergente avec Marens) ou politiques sont bien le ciment de la société espérée. Comme le dit Cavell en conclusion de Le cinéma nous rend-il meilleurs ? à propos des comédies du remariage :

Si ce couple trouve une meilleure manière de découvrir une communauté spirituelle et charnelle que véhicule une conversation où ils échangent mots d’esprit, compréhension, pardon et passion ; et s’il existe des gens qui continuent à réaliser des œuvres telles que ces films pour un public d’amis et d’inconnus, des œuvres qui nous aident à imaginer cette possibilité d’échange entre êtres humains, qui sait ce que nous pouvons encore espérer ?

Or la culture populaire inclut films et séries télévisées, mais aussi, nous rappelle la série, le sport. L’intégration du sport dans la culture populaire comme source potentielle de valeurs partagées est un des points forts et militants de La Fièvre – les discours de l’entraîneur Pascal Terret (Pascal Vannson) sont des moments cinématographiques qu’on peut analyser comme fortement perfectionnistes ; mais aussi, malgré le caractère volontairement et systématiquement irritant du personnage, on y reviendra, ceux de l’activiste Kenza Chelbi (Lou-Adriana Bouziouane), qui intègre la culture du sport dans son discours et ses vêtements et fait référence dans une conversation avec Fodé à l’histoire du poing levé de Tommie Smith et John Carlos aux JO de 1968.

Séries et sport, même combat. Un combat moral et politique. Car c’est dans la culture populaire qu’on parviendra à ancrer des valeurs assez fortes pour résister au fascisme et au conformisme et pour consolider la confiance des individus et des collectifs en eux-mêmes. L’itinéraire de Sam n’est pas si singulier : elle trouve un ancrage dans le club de foot.

La démocratie commence par la culture populaire, dont tant d’éléments se retrouvent dans la série : vidéos, musiques, séries, memes, sport. Et le football continue à être au cœur des valeurs partagées, d’où l’idée de l’influenceuse réactionnaire Marie Kinsky d’exploiter immédiatement l’incident de « sale toubab » : « Ce soir, c’était le 11 Septembre de leur vivre-ensemble. »

Trois femmes en colère

Le devant de la scène de la série, malgré ses séduisants et très caring personnages masculins (Marens, Terret, le gentil patron Tristan Javier), est tout de même tenu par les deux femmes, Sam et Marie, anciennes amies et désormais rivales dans la constitution de l’opinion publique. De la presse à la télé, en passant par les réseaux sociaux, elles vont se livrer un combat sans merci, sans jamais se rencontrer face à face, sauf dans une scène particulièrement traumatisante.

La série est pédagogique sur l’influence politique des communicants en temps de crise et sur la grande vulnérabilité de ceux, comme Marens, qui, même grands patrons et grandes gueules, deviennent tout petits et doivent se reposer sur eux (« je veux Sam »). La Fièvre montre comment la politique est désormais verrouillée par les communicants, la façon dont le réel est déformé, voire réinventé, ou aboli par les réseaux sociaux. La reconstitution des campagnes d’intox et de débunking sur les réseaux, des memes et vidéos, de multiples tentatives de déminage et de réécriture de l’histoire par chacune des adversaires est l’un des aspects les plus inédits et techniquement virtuoses de la série : les reproductions d’écrans en particulier sont assez sidérantes, bien au-delà des fausses unes de Libé dont on se régalait dans Baron noir.

Bien sûr, le personnage de Sam Berger (on a apprécié Nina Meurisse dans Cœurs noirs également de Ziad Doueiri, où elle jouait une tireuse d’élite d’un autre genre, tout aussi surdouée et sensible) est au cœur de La Fièvre. L’exigence par rapport au spectateur que nous évoquions se concentre dans ce personnage, qui analyse en boucle la société avec les outils des sciences sociales. Le fait qu’on se préoccupe de sa vie privée (son enfant névrosé, son appartement ou son histoire sentimentale) approfondit le personnage. Marie Kinsky se vante d’avoir « créé son perso », Sam n’en a pas besoin, la série le fait pour elle. Faire d’elle une surdouée ou un « HPI » pourrait paraître une faiblesse du scénario ou une façon de céder à un poncif actuel ; mais c’est aussi le signal d’un appel à l’intelligence (dans la lignée de toutes ces séries qui présentent des femmes remarquables et pas seulement jolies, de Borgen au Jeu de la dame), et même d’une forme de démocratisation de l’intelligence, représentée et mise ainsi à l’écran, comme les pièces d’échecs du Jeu de la dame. La série en profite pour démythifier le HPI (voir l’incident pathétique du fils qui rêve d’en être un) et veut de fait mettre cette intelligence politique à portée de toutes et tous, apportant constamment des éléments de compréhension. La démocratisation du génie est bien la base du perfectionnisme.

Dans La Fièvre, c’est peu de dire que les femmes sont au premier plan ; une différence sans doute avec Baron noir, mais le personnage si puissant et tragique d’Amélie Dorendeu annonçait cette domination féminine dans La Fièvre. La série se situe ainsi dans la lignée de ces duos de femmes puissantes que le format des séries permet enfin de développer, comme les policières de Unbelievable (Netflix, 2019) ou récemment de la magnifique quatrième saison de True Detective (HBO, 2024). Mais dans La Fièvre, elles sont rivales et jamais alliées (sauf dans un passé lointain). Leur guerre (et le talent exceptionnel des actrices) absorbe peu à peu l’énergie de la série pour créer un noyau explosif.

Certains ont d’ailleurs pu s’interroger sur le réel féminisme de la série ; en mettant en avant des personnages féminins forts, aux manettes de l’opinion, La Fièvre prend aussi le risque de charger les femmes – que ce soit Marie Kinsky, parfaite incarnation du fascisme, ou Kenza Chelbi, activiste manipulatrice qui contribue à cliver la société. Le féminisme peut même jouer un rôle manipulatoire : dans sa proposition d’armer les citoyens, Marie Kinsky utilise le militantisme féministe et la dénonciation des violences à l’égard des femmes pour diffuser l’idée que les femmes doivent avoir les moyens de se défendre contre les agressions dont elles sont constamment les victimes et donc qu’il faudrait les armer. L’idée de s’appuyer sur les femmes, d’habitude élément de pacification politique, dans une campagne d’extrême droite, et de tirer le féminisme vers le fascisme est astucieuse (notamment lors de la scène sidérante de la convergence avec les lobbies américains de vente d’armes) ; mais ne risque-t-elle pas d’être soit irréaliste, soit tendancieuse, puisqu’elle suggère quelque chose comme un danger né de l’émancipation des femmes ?

Toutefois, sur ce point comme d’autres, la série se contente de poser la question et de nous « armer » nous aussi, pour décider de ce qui se passe vraiment. Mais elle risque aussi d’ouvrir sa propre fenêtre d’Overton.

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Ainsi, pour revenir aux personnages de femmes, on pourrait s’interroger sur le balancement entre le duo (Sam et Marie) et le trio (Sam, Marie, Kenza) dans la structuration politique de la série : l’une opposant deux femmes, l’une sensible, névrosée et démocrate, l’autre narcissique, opportuniste et facho (« J’ai trouvé mon personnage, la rousse réac qui sent un peu le cul ») ; l’autre opposant face à l’héroïne, complexe et centrale, deux caricatures, extrême droite et extrême gauche. C’est une autre interrogation politique que suscite la série : ne verse-t-elle pas dans le discours médiocre et réactionnaire du rejet des « deux extrêmes », qui permet aujourd’hui la banalisation du fascisme en accusant les « woke » de tous les maux ? En partant entièrement d’un incident où l’on énonce spontanément « sale blanc », n’ouvre-telle pas vers la légitimation du concept caricatural et socialement aberrant d’un « racisme anti-blanc » dans une société qu’elle montre dominée par les blancs ?

La série-coopérative

Mais à ces questions, la série y répond. D’abord par son ambition sociologique : elle ne fait que décrire des discours qui existent. Lire cette série, c’est assimiler en même temps la masse d’informations que dispensent ses créateurs et l’analyse qu’ils font de la situation qu’ils dépeignent. Ensuite, par la voix et l’itinéraire de ses personnages : Kenza qui à la fin refuse de se prêter à la manipulation des fausses féministes radicales et préfère rester dans l’ombre pour obtenir plus de droits pour les victimes du racisme ; Fodé qui s’engage dans l’expérience démocratique avec la communauté des supporters du Racing. Tous ces itinéraires de perfectionnisme montrent que, finalement, chaque personnage contribue à égalité à la coopérative que devient la série elle-même, et que personne n’est limité à la caricature. Cette démocratie esthétique que Dewey ne renierait pas, où chacun et chacune a sa voix, permet au public de se faire son opinion – à condition de le vouloir, et en fréquentant ces personnages, devenus des proches au fil des semaines. Même Marie, hélas, n’est pas une caricature, elle suscite en nous une angoisse politique bien réelle.

La Fièvre (comme Baron noir) appartient à une ancienne génération de séries qui croit en l’élévation morale du spectateur – y compris quand la série elle-même se risque dans des directions qu’on peut considérer comme ambivalentes. La série a pour ambition de nous armer (pas au sens de Marie Kinsky)– de nous armer conceptuellement et démocratiquement, ce qui est la seule façon aujourd’hui de nous défendre. Elle permet de voir toute la difficulté de la politique aujourd’hui, et, en ce sens, est bien plus pessimiste encore que Baron noir. Mais tout en ironisant désormais (le ministre de l’Intérieur opportuniste ! la grotesque « autre assemblée » !) sur la politique « politicienne » qui avait encore son charme dans Baron noir, elle donne à plusieurs reprises des pistes pour redonner une place aux citoyens et réinventer la fraternité dans les valeurs partagées du populaire et de la coopération des citoyens. La Fièvre affirme et démontre à chaque instant la puissance de ce médium populaire majeur qu’est la série télévisée et le rôle qu’il a désormais à jouer dans le combat pour défendre la société.

Attention spoiler : dans les dernières secondes du dernier épisode, Sam rencontre enfin le président de la République, qui s’accorde sur son diagnostic (« la guerre civile »). Mais oui, c’est lui, Philippe Rickwaert (Kad Merad) et si c’est profondément réjouissant de le retrouver et de boucler la boucle avec Baron noir, on notera que c’est à ce moment précis que se révèle à nous la « réalité » du risque de la guerre, et du fascisme. C’est paradoxalement la présence à l’écran d’un personnage de fiction (Philippe Rickwaert) qui est un « effet de réel », tant la puissance d’une série inscrit ses personnages dans la réalité de nos vies.


Ce texte a été initialement publié par la fondation Jean Jaurès, dans le rapport collectif Sur la fièvre.

Sandra Laugier est l’autrice notamment de _Nos vies en séries (Flammarion, coll. « Climats », 2019) et directrice de l’ouvrage Les Séries. Laboratoires d’éveil politique (CNRS Éditions, 2023)._

Sandra Laugier, Professeur de philosophie du langage, chercheur à l'Institut des Sciences Juridique et Philosophique de la Sorbonne, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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