L’hyperculturalisation des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 : un modèle français

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L’hyperculturalisation des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 : un modèle français

La Marseillailse d’Axelle Saint-Cirel sur le toit du Grand Palais pour Paris 2024. France Télévisions / Capture d'écran
Anne Gombault, Kedge Business School

Depuis leur création, les Jeux olympiques se sont dotés d’un mandat culturel fort. « Le sport, la culture et l’éducation » sont définis comme les piliers essentiels de l’Olympisme dans la Charte olympique ; ils sont son esprit même, selon Pierre de Coubertin.

Les travaux de recherche sur le sujet font apparaître quatre phases : de 1912 à 1948, la production et exposition de beaux-arts classiques reliant art et sport, l’introduction du folklore national à partir de 1952, puis des arts contemporains (arts de la scène, design graphique, avant-garde) en 1968 jusqu’au tournant des années 2012 avec un élargissement à la fusion culturelle et à l’innovation sociale (santé, environnement, technologie).

Paris 2024 ouvre peut-être une nouvelle phase réunissant patrimoine et création, reliant l’art et le sport en incluant toutes les formes de culture.

D’autres travaux soulignent les différents positionnements des programmations culturelles des précédents JO, débattant des sensibilités des organisateurs et du Comité International Olympique.

Une observation de l’édition en cours de Paris 2024 permet d’analyser, dans cette nouvelle phase de « patrimoine innovant », une hyperculturalisation, affirmant le positionnement unique d’une culture française sans limites faite d’hybridation, de fusion de contenus culturels hétérogènes, familiers et étrangers, et de co-appropriation.

Une plate-forme majeure de diplomatie culturelle pour la France

Le programme culturel des JO (relais de la flamme, cérémonies, olympiades) est codifié et régulé par le CIO et l’historique des jeux selon un ensemble de protocoles, rituels et symboles. Il laisse cependant une place importante à l’interprétation des pays hôtes qui peuvent assurer une direction artistique et culturelle du méga-événement, affirmant fièrement la marque (« nation branding ») et les valeurs de leur nation dans cette opportunité majeure de dialogue avec le reste du monde. La culture est ainsi mobilisée comme un outil politique global au service de l’image voulue de la nation. Elle permet de raconter une histoire de la nation (« narratives of the nation »), de l’unir en interne, de la divertir et de la promouvoir à l’externe, économiquement aussi (attractivité de la destination).

Quelques exemples : Berlin en 1936 a dramatiquement utilisé l’art et la culture pour la propagande nazie. Mexico 1968, après Los Angeles 1932, s’est affirmée comme une des éditions les plus artistiques grâce à la richesse de sa programmation (arts de la scène, cultures folkloriques, actions pour les enfants). Barcelone 1992 a mis à l’honneur la ville vitrine d’une Espagne démocratique et contemporaine. Sydney 2000, résiliente et multiculturelle, a valorisé le processus de réconciliation avec sa communauté aborigène. Vancouver 2010 a joué la carte des nouvelles technologies et de la participation culturelle des citoyens. Pékin 2008 a fait la démonstration culturelle de la puissance de la Chine. Londres 2012 a misé sur l’attractivité de l’ensemble du territoire de la Grande-Bretagne et sur le changement social en pleine crise financière mondiale.

La France a choisi d’examplifier la place de la culture en France : la force de son État culturel, sa politique culturelle ultra prolifique, son patrimoine matériel et immatériel exceptionnel, ses structures de création multidisciplinaires, l’excellence de ses arts de la scène, ses arts visuels et graphiques, y compris ses formes de culture urbaine, son artisanat d’art et son design, ses industries créatives dont son industrie du luxe leader dans le monde (partenariat premium de LVMH), son industrie du tourisme, mais aussi son industrie des jeux vidéos et du divertissement, avec l’apparition du personnage masqué d’Assassin’s Creed d’Ubisoft ou des Minions lors de la cérémonie d’ouverture.

La valorisation du patrimoine français au cœur d’une offre culturelle foisonnante

La France a mis en place une stratégie patrimoniale, dans une double logique durable et expérientielle pour accueillir ces jeux d’été, sur l’ensemble du territoire du pays.

Le relais de la flamme a été porté successivement par dix mille personnalités du sport, de la culture ou de la société dans plus de quatre cents villes de différentes régions de France, y compris cinq territoires ultra-marins. Il a permis de valoriser l’histoire de France et son patrimoine (par exemple les grottes de Lascaux, le site d’Alésia, le Mémorial de Verdun…), son patrimoine naturel et immatériel.

Des sites patrimoniaux prestigieux ont servi de cadre original aux épreuves olympiques (le Château de Versailles pour les sports équestres et le pentathlon, le beach volley et le skateboard au pied de la Tour Eiffel).

La Seine, patrimoine naturel et culturel, et son paysage urbanistique, a été choisie comme point central de la cérémonie d’ouverture, au lieu du grand stade usuel, et la place de la Concorde accueillera celle des Jeux paralympiques. Le patrimoine immatériel de l’histoire et de la francophonie a été convoqué pendant la cérémonie d’ouverture (Christine de Pizan, Paulette Nardal, Edith Piaf…).

Dans cette théâtralisation patrimoniale des Jeux, cet « hyperespace », deux mille projets de la programmation « Olympiade cuturelle », partout en France, ont mis en avant une offre exceptionnelle. Obligatoire depuis Sotckolm 1912, nommé comme tel depuis Barcelone 1992, ce label estampille expositions, événements ou offres de médiation, accessibles gratuitement, mis en œuvre par le comité d’organisation des Jeux qui assure visibilité et mise en réseau. Il signe la personnalité des villes hôtes (“city branding”.

Plus fortement que lors des éditions précédentes, une part significative de ces « olympiades culturelles » a été faite à l’héritage olympique et au sport : expositions sur l’olympisme (au Musée de l’Histoire de l’immigration, « Olympisme, une histoire du monde ») ; expositions arts et sport (« Des exploits, des chefs d’œuvre » à Marseille) et divers projets de valorisation par des institutions patrimoniales ; grande collecte des archives du sport, inventaires du patrimoine mobilier sportif (Musée National du Sport), des architectures du sport (service d’Ile de France). Parmi les œuvres d’art contemporain, citons l’installation de Laurent Perbos « La Beauté et le Geste », inaugurée dès avril par l’Assemblée Nationale avec un discours féministe et inclusif appuyé de sa Présidente Yaël Braun-Pivet.

Un positionnement créatif et inclusif affirmé

Si le patrimoine est bien au cœur de cette édition de Paris 2024, c’est sa dimension vivante et créative qui a été mise en avant, avec cette idée de le faire dialoguer avec la création. Le choix d’un metteur en scène de théâtre, Thomas Jolly, pour les spectacles des cérémonies figure ce positionnement créatif. Archétypes de ce lien patrimoine-création : l’affiche « néo-art déco » d’Ugo Gattoni, reliant Paris 2024 à Paris 1924 ou la composition du tableau d’Aya Nakamura devant l’Académie Française, dansant avec la Garde Républicaine, devenue virale.

La pop culture était présente dans à la cérémonie d’ouverture, dans la diversité de la musique (classique, variété, rap, métal, électro) et la présence des célébrités : Lady Gaga, Céline Dion, Philippe Katerine devenu une star en Chine, en attendant Tom Cruise pour la clôture.

L’innovation technologique était également à l’honneur avec la torche designée par Matthieu Lehanneur, la cavalcade de Zeus sur la Seine et la vasque réalisées par le studio d’architecture et de design nantais Blam, la flamme électrique de la vasque (EDF Pulse Design), le ballon (Aerophilesas et artéOh), les lasers de la Tour Eiffel (LSE)… La France s’affirme ainsi comme une grande nation créative contemporaine plutôt que comme une vieille grande nation culturelle.

La polémique suscitée par la cérémonie d’ouverture a marqué une ligne de fracture caricaturale, finalement bien française là aussi, entre un monde patrimonial conservateur et un monde de la création disruptif, qui s’ignorent le plus souvent et parfois – heureusement – collaborent pour le meilleur. Mais au-delà des réactions identitaires, il faut relever que l’inclusivité affirmée de Paris 2024 (valorisant la diversité ethnique, sexuelle, de genre, de handicap, etc.) s’inscrit pleinement dans le cahier des charges du CIO.

Plusieurs initiatives publiques (Arrivée symbolique de la flamme à Marseille, sports urbains, cultures urbaines, « Parc des Jeux » à la Courneuve, Fan zones…) ont voulu faire des Jeux « un accélérateur », selon l’expression du Maire de Saint-Ouen-sur-Seine Karim Bouamrane, un levier de développement pour les banlieues, dont sa ville et son département la Seine-Saint-Denis.

Patrimonalisation, créativité, inclusivité : la gouvernance culturelle de la France s’est affirmée pleinement dans ces Jeux : la culture reste toujours politique.

Anne Gombault, Professeure de stratégie et comportement des organisations, directrice de Kedge Arts School, Kedge Business School

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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