Comment les séries télévisées façonnent nos représentations sociales

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Comment les séries télévisées façonnent nos représentations sociales

Dans la série Friends, Phoebe est régulièrement moquée pour son engagement en faveur de l'écologie. Friends
Sophie Raynaud, Neoma Business School

Les séries télévisées ont parfaitement intégré notre quotidien, au même titre que les films, les jeux vidéos ou les livres. Mais nous ne mesurons pas toujours leur influence potentielle sur la création de stéréotypes.


Au-delà de leur aspect de divertissement, les séries se font l’écho d’une certaine vision de la société qui se transmet entre les générations à travers des séries devenues cultes comme Friends. Une étude récente permet de mieux comprendre le rôle particulier des séries dans la perpétuation de certains stéréotypes.

Les personnages de séries, vecteurs de stéréotypes

Des études en psychologie sociale suggèrent que les représentations stéréotypées naissent de la répétition d’une image de plus en plus simplifiée au fur et à mesure des transmissions d’une personne à l’autre.

La série propose un discours culturel et social qui est non seulement diffusé directement auprès d’un large nombre de spectateurs, mais qui est en plus répété à chaque épisode au travers des personnages. Ces personnages auxquels on s’attache, vont en effet pouvoir consolider ou transformer les représentations des spectateurs. Cette répétition est particulièrement marquée dans le cas des séries plus anciennes, dont certaines sont encore largement visionnées sur les plates-formes VOD. Produites d’abord pour des grilles de télévision, dont le public est captif, ces séries à la trame narrative simple jouent sur des personnages un peu caricaturaux, plus enclins à reproduire des stéréotypes. C’est la raison pour laquelle nous nous sommes retrouvés à étudier ces effets sur une série devenue culte qui fête ses 30 ans cet automne, Friends.

À l’inverse des personnages de roman dont on peut lire les pensées grâce au narrateur, les personnages n’existent que par ce qu’ils font et disent. C’est par la répétition d’actions et de répliques qu’un personnage va être associé avec certains traits de personnalité. Ainsi, Phoebe Buffay, dans Friends, peut être qualifiée de militante parce qu’elle va répéter qu’elle est végétarienne, intervenir pour défendre des animaux, ou questionner certains aspects consuméristes des autres personnages. En examinant la façon dont les actions et les dialogues d’un personnage se répètent tout à au long d’une série, il est possible d’identifier différents types de répétitions, avec différents rôles dans la construction d’un personnage et de stéréotypes associés.

Créer un stéréotype avec des répétitions : mode d’emploi

Le premier type de répétition est le plus simple : la reproduction. Il se retrouve notamment dans les dialogues, avec une mention rapide d’un seul trait de caractère, souvent par le biais de blagues ou de remarques désinvoltes. Par exemple, le végétarisme de Phoebe est régulièrement utilisé de façon un peu ridicule ou gênante, afin de susciter le rire chez le spectateur, comme dans cette scène de la saison 1 dans laquelle Phoebe chantonne une de ses créations approximatives, en brodant sur le fait qu’elle se tient éloignée des produits d’origine animale. La répétition de ce trait dans plusieurs scènes installe progressivement l’idée que le fait d’être végétarien est quelque chose d’étrange et de ridicule.

Le second type de répétition est la superposition, qui associe ensemble deux traits de personnalité par le biais d’une blague. Dans le cas de Phoebe, son végétarisme est associé à une forme d’anti-patriotisme – quand elle refuse de manger de la dinde pour Thanksgiving. Quant à son engagement en faveur de l’environnement, on apprend qu’il a été nourri par l’idéal de son père, « chirurgien pour arbre » qui n’est en fait qu’un mensonge inventé par sa grand-mère.

Ces scènes superposent les engagements environnementaux de Phoebe avec des traits de personnalité présentés comme négatifs – naïveté ou antipatriotisme. Ces associations négatives avec un personnage écologiste sont répétées au fil des épisodes, inscrivant ces associations dans les stéréotypes potentiels liés aux écologistes.

Le troisième type de répétition repose sur un mécanisme d’évolution. Ces scènes permettent de répéter un trait de personnalité en le modifiant légèrement à chaque fois. Ainsi, au fil du temps, les personnages évoluent… et les stéréotypes associés également. Phoebe est d’abord une fervente défenseuse du développement durable, mais elle adopte progressivement des comportements de consommation ordinaires, comme faire ses courses dans des magasins grand public ou manger de la viande. Cette évolution fait évoluer les stéréotypes qui lui sont associés, temporisant peu à peu les traits qui la rendent trop « hors normes ».

Faire évoluer les stéréotypes pour faire évoluer les mentalités

L’association progressive de ces trois types de répétitions permet de donner corps à des personnages plus nuancés, plus complexes mais aussi plus réalistes, donnant ainsi vie aux stéréotypes qui se greffent à chaque étape. Ces stéréotypes sont aussi progressivement associés entre eux au fil de la série, formant des groupes plus complexes de représentations qui peuvent évoluer de façon positive, ou négative, selon la tournure que prend le personnage. Ainsi, que ce soit volontaire ou non, le personnage de Phoebe, par exemple, influence la perception qu’ont les téléspectateurs des consommateurs durables comme étant excentriques ou déviants. Cette image peut avoir des répercussions dans le monde réel, car il est plus difficile pour les comportements durables d’être perçus comme normaux ou souhaitables.

D’ailleurs, certains showrunners utilisent déjà consciemment cette dimension politique et sociale de la série télévisée pour faire bouger les lignes sur les questions de représentations des minorités, par exemple. Les productions de la showrunneuse Shonda Rhimes (Grey’s Anatomy, Scandal, How to Get away with Murder, les Chroniques de Bridgerton) en sont un exemple criant.

Très engagée sur les questions de représentations des minorités, le travail de Shonda Rhimes s’ancre sur le long terme. Dans Grey’s Anatomy, les premières saisons se déroulent un milieu où les postes importants sont exclusivement occupés par des hommes, en grande majorité blancs, dont le rapport aux femmes est questionnable ; les dernières saisons voient les femmes de toutes origines prendre peu à peu ces postes d’importances. Avec Scandal et How to Get away with Murder, la showrunneuse a également créé des rôles principaux exigeants pour les actrices noires. Enfin, avec la saison 3 des Chroniques de Bridgerton, elle s’efforce de construire de nouvelles représentations pour plusieurs types de minorités sous-représentées au cinéma, avec des rôles pour des acteurs et actrices noirs ou asiatiques, pour des femmes rondes et petites, et même un personnage végétarien dont les convictions ne sont pas tournées en dérision par le personnage principal.

Les séries sont donc des outils puissants qui servent à former des personnages attachants – via des attitudes et des propos réitérés et parfois évolutifs – mais qui peuvent aussi façonner nos représentations. Ces outils narratifs sont une source d’inspiration pour les marques et les professionnels qui souhaitent promouvoir des messages positifs de transformation de la société. Et en tant que spectateur, la prochaine fois que vous regarderez une série, faites attention aux indices subtils qui façonnent les personnages, de leurs tenues à leur humour. Vous pourriez être surpris par l’image qu’ils composent.

Sophie Raynaud, Doctorante, Neoma Business School

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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