Des hallucinogènes autorisés pour soigner des troubles psychiatriques : que nous dit la science ?
Florian Naudet, Université de Rennes 1 - Université de RennesLe MDMA, la psilocybine issue de champignons hallucinogènes, un dérivé de kétamine ou d’autres « psychédéliques » sont désormais autorisés dans certains pays contre la dépression ou le syndrome de stress post-traumatique, en association avec des psychothérapies. Une analyse des données montre que ces nouveaux traitements sont mis sur le marché malgré des niveaux de preuve insuffisants.
Abandonnées dans les années 70, les substances psychédéliques (hallucinogènes de type eskétamine (une molécule de la famille de la kétamine), psilocybine (le principe actif de champignons hallucinogènes) ou MDMA…) sont présentées comme une nouvelle manière de soigner les troubles psychiatriques en milieu médical.
Des antidépresseurs à base d’hallucinogènes déjà autorisés
Ainsi, en France comme aux États-Unis, des antidépresseurs à base d’eskétamine (et de dextromethorphane aux USA) ont été approuvés par les autorités de santé. En Australie, le MDMA et la psilocybine ont obtenu leurs autorisations de mise sur le marché pour traiter certaines pathologies.
Mais une analyse des connaissances existantes, coordonnée à l’université de Rennes, suggère que le niveau de preuve scientifique de leur efficacité reste insuffisant, alors même que ces molécules présentent des risques importants pour les patients (notamment des risques de mésusage ou encore reliés à des situations de vulnérabilité).
Un grand retour plutôt qu’une nouveauté
Les hallucinogènes sont présentés aujourd’hui comme une avancée dans le traitement des troubles psychiatriques sévères, tels que la dépression ou le syndrome de stress post-traumatique, parfois en association avec des psychothérapies.
En réalité, l’idée de les utiliser pour soigner n’a rien de nouveau : ces molécules, très présentes dans la culture populaire des années 60-70, avaient déjà été testées à l’époque pour des usages thérapeutiques avant d’être rapidement abandonnées pour cause de restrictions règlementaires.
Alors en 2024, peut-on dire si ces substances sont véritablement efficaces pour traiter les troubles psychiatriques ? Un groupe d’experts internationaux (deux psychiatres, un addictologue et trois psychologues) ont entrepris une critique des essais cliniques menés à ce jour pour répondre à cette question, avec la collaboration de trois co-auteurs étudiants de l’Université de Rennes. Ce qui suit résume leurs conclusions.
Des substances difficiles à évaluer en « double aveugle »
Aux États-Unis, en Europe et en Australie, certaines molécules hallucinogènes ont donc déjà obtenu leurs autorisations de mise sur le marché. Est-on allé trop vite ? Évaluer ces médicaments est difficile, en particulier parce que cela requiert d’ajuster les protocoles scientifiques permettant de prouver leur efficacité.
Classiquement en effet, on teste un médicament à l’aide de deux groupes de patients ; le groupe A reçoit le médicament, le groupe B un placebo sans effet connu sur la pathologie à traiter ou bien un traitement de référence. Ni les professionnels en charge des tests, ni les patients ne doivent savoir qui reçoit quoi, pour garantir l’impartialité des résultats.
Mais ce protocole du « double aveugle », très robuste, ne fonctionne pas avec les hallucinogènes, dont les effets très reconnaissables comme des hallucinations, des modifications des perceptions, des dissociations, etc. révèlent rapidement qui en a pris. Impossible donc de ne pas distinguer d’emblée entre un patient du groupe A et un autre du groupe B.
À procédures accélérées, niveau de preuve dégradé
Qui plus est, les autorités de santé n’étaient pas habituées jusqu’à présent à évaluer les psychothérapies et tentent de mettre en place de nouvelles procédures lorsque les hallucinogènes sont utilisés en combinaison avec une psychothérapie.
Mais comme les hallucinogènes sont présentés en tant que derniers recours, pour pallier la « résistance » aux traitements usuels, ils font souvent l’objet de procédures accélérées de mise sur le marché. Or, on sait que ces procédures rapides exigent un niveau de preuve scientifique très inférieur à ce qui est requis habituellement… et c’est bien ce qui est constaté avec les hallucinogènes.
Des erreurs et insuffisances dans certains articles scientifiques
Outre ce niveau de preuve dégradé, les auteurs de l’étude ont relevé plusieurs points problématiques dans la critique des articles scientifiques qu’ils ont menés :
Dans plusieurs de ces textes, ils ont relevé des erreurs, parfois dans le titre lui-même.
Les bienfaits des hallucinogènes sont souvent exagérés.
Les essais ne regroupent en général qu’un petit nombre de patients, et sur un temps trop court pour être vraiment pertinents, même dans leur dernière phase.
Les limites du « double aveugle » avec les hallucinogènes sont insuffisamment explorées et prises en compte.
Des risques potentiellement graves, mal évalués
Or d’après les auteurs de l’article, ces manques ont de graves conséquences : ils empêchent une évaluation complète, non seulement de l’action de ces molécules à long terme, mais aussi des risques de sécurité, en particulier ceux liés aux effets secondaires graves qui peuvent survenir chez les patients au cours du traitement.
En effet, les hallucinogènes, en raison de leurs mécanismes d’action variés et encore mal compris, présentent de forts risques potentiels qu’il faut évaluer de manière très attentive. Les employer en psychothérapie engendre des risques supplémentaires d’abus et d’emprise, la prise d’hallucinogènes pouvant accentuer la vulnérabilité des patients.
Ont été relevés en particulier des effets indésirables préoccupants d’ordre psychiatriques (dissociations, idées suicidaires…) chez des personnes ayant été traitées avec de l’eskétamine pour des dépressions résistantes aux traitements. La prise de kétamine et de ses dérivés de manière chronique peut également entraîner des troubles urinaires. Ces molécules peuvent également avoir des conséquences sur le plan cardiovasculaire car elles augmentent le risque d’hypertension, un facteur de risque cardiovasculaire.
Il est également à craindre des effets potentiellement graves sur le plan cardiovasculaire avec les hallucinogènes de la famille dite des agonistes du récepteur de la sérotonine, par exemple la psilocybine et le MDMA (en particulier, certains de ses métabolites).
Améliorer la qualité des études cliniques sur ces substances
Les auteurs insistent donc sur la nécessité d’améliorer la qualité des études cliniques sur les hallucinogènes.
Ils recommandent aux autorités de santé d’utiliser des voies de régulation plus strictes, au lieu des procédures accélérées, pour s’assurer que les bienfaits de ces substances l’emportent sur les risques encourus.
Florian Naudet, Professeur en thérapeutique, Université de Rennes 1 - Université de Rennes
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
Articles en Relation
« Back to Black » : le film sur Amy Winehouse, du point de vue d’une experte en ...
@Capture Youtube
« Back to Black » : le film sur Amy Winehouse, du point de vue d’une experte en alcoolisme
Sadie Boniface, King's C...
Les acides gras oméga-3 sont liés à une meilleure santé pulmonaire
Image de jcomp sur Freepik
Les acides gras oméga-3 sont liés à une meilleure santé pulmonaire
John Kim, University of Virginia
Les ...
Ce que vos cheveux peuvent vous apprendre sur votre santé
Image de azerbaijan_stockers sur Freepik
Ce que vos cheveux peuvent vous apprendre sur votre santé
La génétique, l...
Une alimentation à base de protéines végétales est-elle bonne pour la santé ?
Image de freepik
Une alimentation à base de protéines végétales est-elle bonne pour la santé ?
Nori, kom...
Ombres et lumières : le maquillage ne s’achète pas et ne s’applique pas à la lég...
Image de Freepik
Ombres et lumières : le maquillage ne s’achète pas et ne s’applique pas à la légère
Les produits ...
Un meilleur équilibre oméga-6/oméga-3 dans l’assiette aide à lutter contre l’obé...
Image de jcomp sur Freepik
Un meilleur équilibre oméga-6/oméga-3 dans l’assiette aide à lutter contre l’obésité et ses complications
...