Les 1 000 premiers jours de la vie d’un enfant sont cruciaux – mais les 1 000 jours suivants seraient tout aussi importants
Catherine Draper, University of the WitwatersrandOn sait désormais que les 1 000 premiers jours d’un enfant, depuis la grossesse jusqu’à ses deux ans, sont cruciaux pour son développement. Des données récentes du Lancet notamment, une revue médicale de référence, qui se concentrent sur les pays à revenu faible et intermédiaire, suggèrent que les 1 000 jours suivants, entre 2 et 5 ans, seraient tout aussi importants.
Les 1 000 premiers jours de la vie d’un enfant – qui correspondant à la grossesse et aux mois qui précèdent son deuxième anniversaire – sont une période critique. Les futures mères ont besoin de soins prénataux de qualité. Plus leur santé physique et mentale est bonne, plus elles ont de chances de donner naissance à un bébé en bonne santé et de pouvoir l’élever pendant les deux premières années de sa vie.
Un grand nombre de données montrent que ce qui se passe pendant cette période a, tout au long de la vie, des effets sur la santé, la croissance et le bien-être d’une personne.
Moins d’attention a été accordée aux « 1 000 jours suivants », quand les enfants ont entre 2 et 5 ans. Mais les experts en santé publique et en développement de l’enfant savent qu’il s’agit là aussi d’une période cruciale. Au cours de cette période, il est possible de tirer parti des investissements réalisés au cours des 1 000 premiers jours et de remettre sur les rails les enfants qui n’ont pas reçu l’aide dont ils avaient besoin plus tôt dans leur vie, afin de les préparer à l’école, ainsi qu’à une enfance et une adolescence en bonne santé.
The Lancet, l’une des principales revues médicales au monde, vient de lancer une série d’articles sur les « 1 000 prochains jours », dans le prolongement des séries précédentes de 2007, 2011 et 2016 sur le développement de la petite enfance. En tant que spécialiste de santé publique et du développement de la petite enfance, j’ai dirigé cette série, en collaboration avec des experts du monde entier, afin de mettre en lumière les dernières données scientifiques sur cette période cruciale de la vie des enfants. Nous nous sommes particulièrement concentrés sur les pays à revenus faibles et intermédiaires.
Nous avons voulu mettre en lumière les dernières données disponibles sur les 1 000 jours suivants : pourquoi ils sont importants, ce qui influence le développement des enfants de ce groupe d’âge, quels programmes sont mis en œuvre et lesquels fonctionnent, à quel moment les enfants prennent du retard et quel est le coût de l’absence d’investissement.
Au cours des 1 000 jours suivants, le développement des jeunes enfants est façonné par toute une série de paramètres. Cela inclut notamment la santé physique, des retards de développement et des handicaps, la nutrition, l’éducation, l’exposition à la violence, la santé mentale des personnes qui s’occupent des enfants, l’implication des pères, l’environnement lié aux soins et à l’éducation durant la petite enfance, et l’exposition à la pollution et au changement climatique. La pandémie de Covid-19 a amplifié bon nombre des risques associés à ces facteurs, ce qui rend la réduction de ces risques plus urgente que jamais.
Pourquoi les 1 000 jours suivants sont-ils importants ?
Entre 2 et 5 ans, les enfants progressent rapidement dans toute une série de domaines : le développement cognitif et l’autorégulation, aussi bien que dans les compétences sociales, émotionnelles, motrices, linguistiques et numériques. Bien entendu, les enfants développent ces compétences à des rythmes différents et selon des modalités qui leur sont propres. Promouvoir le développement dans ces domaines place les jeunes enfants sur la voie de la santé, du développement et de l’éducation.
Ces parcours sont façonnés par la qualité des soins dans cinq domaines : la santé, la nutrition, les soins dits adaptés ou réactifs, la sécurité et l’apprentissage précoce. Pour l’essentiel, ces soins nourriciers (appelés aussi soins primaires, NDLR) sont ce dont les enfants ont besoin pour s’épanouir. Le graphique ci-dessous montre comment ces dimensions sont reliées au bon développement pour ce groupe d’âge, ainsi qu’aux politiques et programmes qui se révèlent importants pour guider leur croissance.
Pays à revenu faible et intermédiaire : zoom sur leur situation
Une précédente série du Lancet sur le développement durant la petite enfance a rapporté qu’environ 250 millions d’enfants de moins de 5 ans dans les pays à revenu faible et intermédiaire risquaient de ne pas atteindre leur potentiel de développement.
Des données plus récentes de la nouvelle série indiquent que, dans ces pays, seuls 62 millions d’enfants âgés de 3 et 4 ans (25 %) reçoivent actuellement les soins dont ils ont besoin pour s’épanouir. Près de 182 millions d’enfants sont donc exposés à des risques qui compromettent leur développement.
L’accès à des soins adéquats varie systématiquement d’une région à l’autre. En Afrique subsaharienne, ce chiffre n’est que de 7,9 %. Pour les enfants des pays à revenu faible ou intermédiaire d’Europe et d’Asie centrale, il était de 68 %.
Nous avons également constaté que moins d’un enfant sur trois dans les pays à revenu faible ou intermédiaire est stimulé dans son développement ou est protégé contre les châtiments corporels. Seuls 39 % d’entre eux ont accès à des programmes de soins et d’éducation dédiés à la petite enfance. Les enfants qui ont bénéficié d’un soutien à l’apprentissage précoce et de soins adaptés ont environ deux ans d’avance dans leur développement par rapport à leurs pairs qui n’en ont pas bénéficié.
Dans l’ensemble, il est clair que les jeunes enfants des pays à revenu faible et intermédiaire ne sont pas suffisamment pris en charge par les programmes qui favorisent le développement entre 2 et 5 ans. L’une des raisons pour expliquer cette situation est le fait que les programmes de développement durant la petite enfance conçus pour cette tranche d’âge – tels qu’ils ont été détaillés dans les publications de revues universitaires entre 1990 et 2020 – sont principalement mis en œuvre dans les pays occidentaux à revenu élevé ; 44 % des programmes sont mis en œuvre aux États-Unis.
Seuls 5 % des programmes publiés ont été mis en œuvre dans des pays à faibles revenus ou à revenus intermédiaires de la tranche inférieure. Ces résultats mettent en évidence le décalage entre les régions du monde où ces programmes sont les plus nécessaires et les zones où ils sont mis en place.
Ce biais de publication en faveur des pays occidentaux à revenu élevé a été critiqué ailleurs et, bien qu’on observe des signes d’évolution dans la bonne direction, il reste beaucoup à faire pour remédier au fait que la majeure partie de la population infantile mondiale est sous-représentée dans la recherche.
Les différents secteurs doivent travailler ensemble
Dans le cadre de la série du Lancet, nous avons identifié des recommandations qui concernent différents secteurs tels que la santé, l’éducation préscolaire, la protection de l’enfance et l’aide sociale.
Tout d’abord, ces secteurs doivent travailler ensemble plutôt qu’en vase clos.
Deuxièmement, les programmes (idéalement dans le cadre de partenariats intersectoriels) qui visent à aider ces enfants à s’épanouir ne devraient pas se limiter à la réduction des risques, comme la prévention de la violence. Les facteurs dits « protecteurs » qui protègent les enfants contre ces risques, comme le bien-être mental des parents, sont également essentiels.
Troisièmement, les programmes doivent être de grande qualité et adaptés au contexte.
Enfin, il est crucial de prendre en compte l’équité et l’inclusion. Les enfants les plus vulnérables doivent pouvoir bénéficier de programmes d’égale.
Un investissement pertinent
De plus en plus de données montrent que les programmes destinés aux enfants au cours des « 1 000 jours suivants » présentent des avantages à la fois à court et à long terme. Il s’agit notamment de programmes de soins et d’éducation de qualité durant la petite enfance, de programmes d’éducation parentale, de transferts d’argent et d’interventions en matière de nutrition. Ces programmes peuvent être combinés pour produire des bénéfices plus importants.
Le coût des services d’éducation et d’accueil des jeunes enfants varie considérablement d’un pays à l’autre. Toutefois, par rapport aux revenus nationaux, ces coûts sont généralement faibles. Dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, le coût estimé d’une année de soins et d’éducation de la petite enfance, dispensée à tous les enfants au cours des 1 000 jours suivants, serait inférieur à 1 % du PIB. Les bénéfices potentiels sont en moyenne 8 à 19 fois plus importants que le coût de la mise en œuvre effective de ces programmes dans ces pays.
Catherine Draper, Associate Professor at MRC/Wits Developmental Pathways for Health Research Unit, University of the Witwatersrand
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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