Contraception et sexualité : responsabiliser davantage les garçons

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Contraception et sexualité : responsabiliser davantage les garçons

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Contraception et sexualité : responsabiliser davantage les garçons

Aziza CHIHI, Université de Poitiers

En France, la légalisation de la contraception en 1967 est considérée comme un acquis majeur pour les femmes. Elle permet une maternité choisie (avoir un enfant ou non et décider du moment d’enfanter) et de dissocier sexualité et maternité (pouvoir vivre une sexualité sans avoir le poids d’une grossesse non désirée).

En cas d’« échec » de la contraception, les femmes tenues pour responsables

Cependant, le recours à la contraception n’empêche pas la survenue d’une grossesse non désirée et/ou non prévue. Les femmes, et les plus jeunes parmi elles, sont souvent tenues pour les seules responsables de « l’échec » de la contraception. En effet, dans les représentations communes, ce que des spécialistes en sciences sociales décrivent comme un véritable travail contraceptif et de la sexualité relève des compétences des femmes.

Cet état de fait soulève la question de la responsabilité contraceptive et sexuelle entre les partenaires sexuels ou au sein du couple, et plus précisément celle des garçons. Cette responsabilité est le produit d’un processus d’apprentissage qui commence dès le jeune âge et interroge sur la place occupée par les garçons. La responsabilité contraceptive et sexuelle se construit différemment chez les filles et les garçons dans différents espaces privés et publics. Par conséquent, les filles et les garçons s’approprient différemment ces questions.

Un apprentissage contraceptif et sexuel porté par les pouvoirs publics et la famille

Deux formes de socialisations informent sur l’apprentissage contraceptif et sexuel des jeunes. L’une est portée par l’action publique. L’autre est « privée » et se déroule au sein de la famille.

À noter que la socialisation est un processus qui commence dès la naissance. Elle se poursuit tout au long de la vie pendant laquelle les personnes intériorisent un ensemble de manières d’être au monde, de penser, d’agir, etc. On parle, ainsi, de socialisations familiale, scolaire, professionnelle, socialisation par le conjoint ou la conjointe, socialisation militante, associative, etc.

Dans les campagnes nationales, des injonctions qui visent les filles

Au niveau institutionnel, le travail contraceptif et la sexualité des jeunes constituent une « préoccupation » pour les pouvoirs publics. L’action publique multiplie, en effet, les outils pour informer, prévenir et éduquer les jeunes, notamment des campagnes nationales (affiches, spots télévisuels, sites Internet comme filsantejeunes.com, onsexprime.fr, etc.).

Dédié à l’éducation à sexualité, le site Internet Onsexprime.fr propose des contenus validés par des experts ainsi qu’un chat pour parler à des psychologues et éducateurs spécialisés dans l’adolescence. Il a été conçu sous l’égide de Santé publique France, établissement public sous tutelle du ministère chargé de la santé.

L’objectif des campagnes vise l’éducation à la sexualité et la prévention des grossesses non désirées chez les mineurs filles et garçons. Néanmoins, le message préventif ne parvient pas aux garçons.

C’est le constat qui ressort de ma thèse de doctorat, « Grossesses non désirées chez les mineur.es. : prévention et socialisation masculine juvénile » (Université de Poitiers, 2022). Dans ce cadre, j’ai réalisé une enquête par entretiens auprès de jeunes garçons âgés de 15 à 18 ans, scolarisés dans des établissements scolaires de la Vienne, et auprès de sages-femmes impliquées dans l’éducation à la sexualité à l’école. J’ai également observé une soixantaine d’heures de séances.

Une analyse attentive de ces campagnes montre qu’elles s’adressent quasi exclusivement aux jeunes filles. Dans la plupart des cas, le message préventif à l’adresse des femmes, et des plus jeunes parmi elles, prend la forme d’injonctions qui se traduisent au final par l’obligation pour les filles de prendre une contraception.

On citera pour exemples le slogan de l’affiche de la campagne de l’année 2002 « Dans la vie, c’est vous qui vivez la suite » ou celui de 2012 « Que faire en cas d’oubli ? »

À l’école, des séances qui évitent d’impliquer les garçons

L’autre volet de la prévention étatique, et la plus emblématique des actions des pouvoirs publics, reste les séances d’éducation à la sexualité et la vie affective (EVAS). La loi n° 2001-588 du 4 juillet 2001 relative à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception rend en effet obligatoire une information et une éducation sexuelles dans les écoles, les collèges et les lycées, à raison d’au moins trois séances annuelles.

Cependant, tous les établissements scolaires ne se plient pas à cette obligation, ce qui a poussé plusieurs associations, en mars 2023 (SOS Homophobie, Sidaction et le Planning familial) à attaquer l’État devant la justice.

Le personnel qui intervient lors de ces séances est hétéroclite (infirmières scolaires, médecins, sages-femmes, militantes du planning familial, conseillères conjugales et bien d’autres…) et peut manquer des formations nécessaires. Pour remédier aux difficultés que rencontre le personnel intervenant amené à parler de contraception et de sexualité devant un public jeune, l’éducation nationale propose d’ailleurs, sur la base du volontariat, une formation de huit journées.

Mais là encore, ma thèse comme de nombreux travaux en sociologie, ainsi que des rapports d’organismes gouvernementaux, à l’image de celui du Haut conseil pour l’égalité entre les femmes et les hommes ont souligné le fait que ces séances d’éducation dirigent le message préventif quasi systématiquement vers les filles, évitant de facto une implication des garçons.

L’argument selon lequel les femmes auraient le pouvoir sur leur corps

Très rares sont donc les séances pendant lesquelles les intervenants et les intervenantes tentent de s’adresser directement aux garçons. En effet, les tentatives pour attirer l’attention des jeunes hommes sur leur responsabilité contraceptive et sexuelle restent timides.

Les intervenantes et les intervenants expliquent ces réticences par différents arguments, notamment l’importance de la contraception comme un acquis dans l’histoire des luttes des femmes qui a mis entre les mains de ces dernières un certain pouvoir sur leur corps. Par conséquent, selon leurs explications, comme ce sont les femmes qui portent les enfants, c’est à elles que revient en dernier lieu la prise en charge du travail contraceptif.

Par ailleurs, comme le précise le rapport (2016) du Haut Conseil pour l’égalité entre les femmes et les hommes, l’éducation à la sexualité au sein de l’école ne doit pas se limiter aux séances d’éducation, mais doit être intégrée dans toutes les matières (français, mathématiques, histoire-géographie, etc.).

En famille, un apprentissage qui débute avec les menstruations pour les filles

Le deuxième lieu d’apprentissage de la contraception et de la sexualité se déroule au sein de la famille. Cette dernière est considérée comme le socle premier dans lequel les individus, en interactions avec les différents membres de la famille, construisent leur rapport au monde extérieur. Le rapport à la contraception et à la sexualité fait partie de cet apprentissage familial.

Pendant que l’apprentissage contraceptif et sexuel des jeunes filles commence avec l’apparition des premières menstruations par des visites chez le gynécologue et la prise de la pilule contraceptive, celui des jeunes garçons prend d’autres modalités et d’autres temporalités. Il est, en effet, tributaire de l’entrée du jeune homme dans une relation sexuelle avec une partenaire.

À la maison, une sensibilisation en douceur pour les garçons

Cet apprentissage limité dans le temps se distingue par sa tonalité qui peut être qualifiée de « douce » et dont la mise en pratique semble être laissée à l’appréciation du garçon. Selon les expressions des jeunes garçons que j’ai interviewés dans le cadre de ma thèse de doctorat, la plupart des parents abordent la contraception et la sexualité avec leur garçon sous forme d’« anecdote » ou de « rigolade » en donnant des consignes telles que : « protège-toi » ou « est-ce que tu te protèges ? »

Certains parents procèdent autrement que par la parole en laissant « trainer » des préservatifs dans la chambre de leur garçon, ou en se contentant de lui donner des préservatifs.

Sur la même tonalité souple et « plaisante », quelques échanges entre parents et garçon autour de la sexualité peuvent avoir lieu. Par exemple : « on sait que tu n’as pas dormi ici » ou « comment ça s’est passé ? » ou bien « vous en êtes où avec ta copine ? » Ce qui signifie aussi que seuls les garçons qui entrent dans une activité sexuelle avec partenaire peuvent accéder à un apprentissage familial contraceptif et sexuel. Néanmoins, cet apprentissage reste très limité dans le temps et dans les interactions.

Le rôle des pouvoirs publics et de la famille dans la non responsabilisation des garçons

Tout porte à croire que l’apprentissage contraceptif et sexuel, par l’action publique ou au sein de la sphère familiale, participe de la mise à l’écart des garçons concernant leur responsabilité dans ces deux domaines.

Par conséquent, de nombreux garçons ne se sentent pas concernés par la contraception.

Cela consolide chez eux le caractère facultatif de leur responsabilité dans la survenue d’une grossesse non désirée et/ou non prévue. Cela fait ainsi peser le poids de la contraception sur les filles, accentuant de fait le regard social culpabilisant lors de l’échec de la contraception et le recours à l’interruption de la grossesse.

Aziza CHIHI, Docteure en sociologie, Université de Poitiers

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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