Attachés à leur régime autofinancé et excédentaire, les auxiliaires de justice ont manifesté à Paris contre le projet du gouvernement qui alourdirait leurs cotisations.
Alors que les avocats avaient pris l’habitude de battre le pavé contre la réforme de la justice, désormais promulguée, la manifestation contre la réforme des retraites, lundi 16 septembre, à Paris, était de nature différente. D’abord par le nombre, mais également par le profil des manifestants.
Le projet de réforme, tel que présenté dans le rapport Delevoye, prévoit d’intégrer le régime des avocats dans le régime général. Selon le Conseil national des barreaux (CNB), cela va doubler les cotisations retraite d’un avocat sur deux, qui passeraient de 14 % à 28 % sans bénéfice sur les pensions, voire une baisse pour les avocats les plus modestes.
Les autres professions qui se sont jointes à la manifestation dans le cadre d’un collectif SOS retraites (médecins et infirmiers libéraux, pilotes de lignes, hôtesses et stewards, kinésithérapeutes), créé à l’initiative du CNB, ont eu du mal à se faire remarquer derrière la nuée des robes noires venues de toute la France.
Parti de la place de l’Opéra, le cortège a défilé sans incident derrière des banderoles « Retraite plus chère = justice précaire » ou « Avocats surtaxés, retraites sacrifiées, avenir en danger ». Les organisateurs ont annoncé 20 000 participants, la Préfecture de police de Paris en a compté 10 500. Ils avaient revendiqué 6 000 et 8 000 manifestants le 11 avril 2018 et le 15 janvier 2019 contre la réforme de la justice, contre respectivement 4 000 et 3 500 selon la police.
« Nous représentons 700 000 professionnels qui refusent la nationalisation de leur retraite »
Le succès de la mobilisation des avocats ne devrait pas rester sans lendemain. « Nous ne lâcherons rien », prévient Marie-Aimée Peyron, bâtonnière du barreau de Paris. « Nous ne demandons rien à personne et nous sommes solidaires puisque nous versons déjà près de 100 millions d’euros au régime général », a-t-elle martelé au micro devant la foule. De fait, le régime des avocats est excédentaire. « Nous représentons 700 000 professionnels qui refusent la nationalisation de leur retraite », a lancé Christiane Féral-Schuhl, présidente du CNB, en espérant un ralliement plus massif des autres professions pour les éventuelles prochaines actions.
« Macron fait une erreur de débutant »
Dans le cortège, Dominique Lefort, avocat d’affaires à Paris, n’avait pas manifesté contre la réforme de la justice, mais là, il n’a pas hésité. « Notre régime de retraite est autofinancé et nous permet de partir à la retraite à un âge normal, entre 65 et 70 ans, alors que ceux de la RATP, d’EDF ou de la SNCF sont financés par les contribuables et permettent de partir à des âges qui n’ont aucun sens », s’offusque-t-il. Agé de 69 ans, il compte prendre sa retraite dans un an. « L’âge de départ est un sujet dont on devrait pouvoir débattre en France plutôt que de noyer le poisson en parlant de régime universel. »
« Le gouvernement a réussi à susciter une belle manif de droite contre une réforme de droite ! »
Selon lui, « Emmanuel Macron fait une erreur de débutant en tirant contre ses troupes ». Un autre manifestant s’esclaffe : « Le gouvernement a réussi à susciter une belle manif de droite contre une réforme de droite ! » Venue de Carpentras avec une vingtaine d’avocats de son barreau, Emilie Michelier s’alarme d’une réforme qui « risque de faire disparaître les petits cabinets d’avocats et les moyens ».
Spécialisée en droit civil (famille, immobilier, etc.), elle est associée avec deux autres avocats dans un cabinet « qui tourne bien ». Avocate depuis dix ans, elle avait manifesté contre la réforme de la justice, mais devant son tribunal « car cela concernait la carte judiciaire, cette fois, l’enjeu est national ».
Appel à la grève des plaidoiries
L’appel à manifester s’est doublé d’un appel à la grève dans la plupart des 170 barreaux du pays. Une grève des plaidoiries au civil comme au pénal avec des renvois d’audience à des dates ultérieures qui ne fait pas l’affaire d’une justice déjà encombrée. Dans plusieurs juridictions, les commissions d’office n’étaient plus assurées non plus.
« La hausse des cotisations va faire mal »
Avocate fiscaliste dans un grand cabinet parisien, Estelle (qui souhaite rester anonyme) n’a pas fait grève aujourd’hui mais est venue au rassemblement sur son temps de déjeuner. C’est sa première manifestation, et elle ne porte pas la robe d’avocat car elle ne plaide pas. Mais, à 27 ans, elle s’inquiète déjà de sa retraite. « La hausse des cotisations va faire mal, surtout aux autres avocats, car nous sommes les mieux lotis, mais je suis solidaire. »
Exerçant à Guéret, dans la Creuse, Muriel Nouguès, 63 ans, est venue à cette manifestation comme sept des dix-huit avocats de son barreau. « La plupart d’entre eux vivent avec l’aide juridictionnelle [l’indemnisation pour la défense des personnes aux faibles revenus], donc avec des tarifs bas, ils ne pourront pas payer les cotisations. » Elle se dit frappée de voir « pour la première fois des jeunes avocats résignés, renoncer à se battre ».
Alors que ses propres parents, avocats tous les deux, ont travaillé jusqu’à 85 ans – « ils n’ont pas coûté cher au système de retraite », dit-elle – Mme Nouguès compte prendre sa retraite à 67 ans, quand elle aura droit au taux plein pour sa pension. Elle affirme qu’une fois ses impôts, ses charges sociales et ses frais de fonctionnement (secrétaires, loyer, etc.) payés, il ne lui reste que 200 euros quand un client lui verse 1 000 euros d’honoraires. « Cette réforme des retraites, c’est la mort des professions libérales », dit-elle.
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