Photo de Michael Held sur UnsplashPourquoi les fumées sont le véritable danger des incendies
Laurent Grélot, Aix-Marseille Université (AMU)Les incendies occupent depuis des mois le devant de la scène médiatique, qu’il s’agisse des mégafeux de forêts au Canada, du brasier qui a détruit en août la ville de Lahaina, sur l’île de Maui à Hawaï ou, plus proche de nous, des incendies d’habitation qui se sont déclarés à Wintzenheim, Grasse, ou l’Ile-Saint-Denis.
Si les flammes peuvent souvent tuer lors d’un incendie, elles ne sont pas la cause principale du décès des victimes. Les fumées dégagées par le feu sont souvent les premières tueuses. Létales à court et moyen termes, elles peuvent aussi l’être à plus longue échéance. Voici pourquoi.
À quels dangers les incendies nous exposent-ils ?
Les décès survenant au cours d’un incendie ont trois origines principales : thermique, traumatique (chute, défenestration volontaire, effondrement des structures brûlées, explosion des réseaux de gaz…) et chimique.
Dans l’imaginaire collectif, la peur du feu repose surtout sur les effets visibles et terrifiants du facteur thermique. La chaleur peut en effet tuer en quelques minutes, en détruisant les poumons. Elle engendre par ailleurs chez les survivants de terribles brûlures sur la surface corporelle, synonymes d’une vie de douleurs, et de séquelles fonctionnelles et esthétiques.
Pourtant, de façon assez contre-intuitive, lorsqu’un feu se propage, la cause de la grande majorité des décès est chimique. Ainsi, dans les feux d’habitation, seul un tiers des victimes décède des effets thermiques du feu, la majorité d’entre elles (approximativement 60 à 66 %) mourant plutôt de l’intoxication aux fumées. D’ailleurs, souvent, le corps de bon nombre des défunts ne présente aucune trace de brûlure.
Cette dangerosité des fumées s’explique non seulement par le risque d’asphyxie qu’elles font courir, mais aussi par la toxicité des composées qu’elles contiennent. Ladite toxicité peut s’exprimer immédiatement (en quelques minutes ou quelques heures) ou de façon retardée (en quelques jours, mois, voire années). Afin de comprendre les raisons de cette situation, il faut commencer par brièvement rappeler ce qu’est un feu.
Le feu, une réaction chimique
Un feu n’est rien d’autre qu’un ensemble de réactions chimiques, et plus précisément de réactions d’oxydation de divers combustibles. Ces réactions sont exothermiques, autrement dit elles dégagent de la chaleur.
Pour qu’un feu se développe, trois éléments doivent se conjuguer (on parle de « triangle du feu ») : un combustible (ce qui va brûler), un comburant (un corps qui, en se combinant au combustible, va entraîner sa combustion) et un élément qui constitue la source d’inflammation, en apportant l’énergie d’activation déclenchant la combustion.
Les combustibles qui alimentent un incendie sont très variés (bois, herbe, laine, polyacrylamide, polyuréthane…). Le comburant est en général le dioxygène (O2). L’énergie d’activation peut être apportée par un mégot incandescent, un court-circuit électrique, la foudre…
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Un feu débute lorsque la source d’inflammation provoque une augmentation importante de la température du combustible. Sous l’effet de la chaleur, une pyrolyse se produit : la surface du combustible subit une décomposition chimique qui émet des gaz inflammables, mais ne génère pas de flamme. Ce sont ces gaz qui s’enflamment sous l’effet de la montée en température, et non le combustible lui-même, comme on pourrait le penser.
Enflammés, ces gaz fournissent l’énergie d’activation (chaleur) au combustible intact, initiant alors un cercle vicieux.
Le feu ne s’arrête que lorsqu’au moins un des éléments du triangle est suffisamment réduit. Cela peut se produire « naturellement », quand il ne reste plus aucun combustible disponible (lorsque l’allumette est consumée entièrement, par exemple), soit suite à une intervention, qu’il s’agisse d’un inertage (abaissement du niveau d’O2 dans l’air par ajout d’azote) ou d’un apport d’eau (ce qui entraîne un refroidissement et donc une baisse de l’énergie d’activation).
La menace de l’asphyxie
Les décès par asphyxie sont majoritaires lors d’un incendie. En effet, non seulement le feu peut induire une baisse brutale de la concentration en O2 de l’air (hypoxie ambiante), mais de plus, des gaz asphyxiants (CO2, CO, HCN) sont libérés rapidement en grandes quantités.
Si l’hypoxie ambiante créée par les feux en espaces clos n’est pas létale en soi, l’abaissement de 21 à 17 % de la concentration d’O2 dans l’air perturbe la coordination motrice. En dessous de 10 %, les individus perdent rapidement conscience, et la fuite est impossible.
Le risque d’asphyxie dépend surtout de la nocivité des fumées qui émanent de l’incendie. Divers gaz asphyxiants peuvent être produits, selon la composition des combustibles consumés. Et c’est bien là le problème, car chaque incendie est unique et il est impossible de déterminer a priori la toxicité des gaz émis.
Le carbone est par exemple un élément très présent dans la grande majorité des combustibles (il représente 50 à 90 % en masse). Sa combustion produira de grandes quantités d’oxydes de carbone (le très toxique monoxyde de carbone CO, et le dioxyde de carbone CO2). Toutes les fumées en contiennent, mais dans un feu couvant (mal ventilé) le rendement en C0 peut être 50 fois supérieur à celui d’un feu vif flamboyant.
L’azote, en revanche, est très inégalement réparti dans les matériaux : selon leur nature, ils peuvent en contenir de 0,1 % en masse pour le bois à 26 % pour le polyacrylonitrile, un polymère utilisé pour fabriquer des fibres textiles acryliques. Or, la combustion de ce composé synthétique peut émettre en quantité de l’acide cyanhydrique (HCN), un gaz particulièrement toxique et très inflammable.
CO et HCN, les jumeaux toxiques
Lors d’un incendie, de grandes quantités de CO2 sont émises. Si ce gaz est faiblement toxique lorsque ses concentrations dans l’air sont inférieures à 10 %, une l’inhalation de CO2 à une concentration supérieure à 10 % provoque une hyperventilation qui peut multiplier par 8 à 10 la ventilation minute (la ventilation minute est le volume d’air inspiré à chaque cycle respiratoire multiplié par la fréquence des cycles par minute).
Cette hyperventilation facilite grandement l’intoxication, lors de la phase initiale d’exposition aux fumées, par des gaz plus asphyxiants tels que le monoxyde de carbone CO et l’acide cyanhydrique HCN. Ces deux gaz sont les premiers responsables de la toxicité immédiate des fumées.
Fortement concentré dans les fumées des feux peu ventilés, le CO a une affinité pour l’hémoglobine (Hb) de 200 à 250 fois supérieure à celle du dioxygène. C’est le principal facteur de la toxicité du CO : la carboxyhémoglobine (HbCO) qui se forme lors de son inhalation remplace l’oxyhémoglobine (HbO2), mais elle est inutilisable pour la respiration cellulaire. En d’autres termes, plus le CO est inhalé, moins le dioxygène est capté dans les poumons, transporté par le sang et libéré dans les tissus.
Un taux d’HbCO de 30 % est incapacitant pour un individu actif. Or, la moyenne des taux de HbCO des personnes décédées (non-brûlés) dans des incendies d’habitation est de l’ordre de 61-63 %, et l’on considère qu’un taux de HbCO post-mortem supérieur à 70 % signe de fait un décès induit directement par ce gaz.
Le traitement de l’intoxication au CO est simple : le retrait immédiat de l’environnement vicié, puis l’oxygénothérapie (apport d’oxygène, sous pression normale ou en caisson hyperbare). Malheureusement, même traitées, peu de personnes comateuses survivent à une HbCO dépassant les 45 %.
Pour sa part, le HCN se retrouve dans l’air lors de la phase précoce de feux consumant les matériaux synthétiques azotés comme le nylon, les mousses en polyuréthane du mobilier, le polyisocyanurate des isolants de façade, les plastiques de notre électroménager, etc. Sa concentration est généralement moindre que celle du CO, mais sa toxicité est 35 fois plus importante. Elle s’exprime via la formation de l’ion cyanure (CN-) dans le sang, qui bloque la respiration cellulaire.
En outre, l’intoxication au HCN est rapide. Par voie respiratoire elle est presque instantanée, tout comme ses effets délétères. Une concentration dans l’air de 270 ppm (295 mg/m³) est létale en moins de trois minutes. Le traitement impose le retrait immédiat de la zone viciée, une oxygénothérapie, et l’administration précoce de 5 g (dose adulte) d’hydroxocobalamine.
De plus, la toxicité du HCN et celle du CO se potentialisent. En effet, l’intoxication au HCN s’accompagne d’une hyperventilation (paroxystique en 3 à 5 min) qui favorise l’absorption du CO. La profondeur du manque de dioxygène (anoxie, surtout cérébrale), et donc la rapidité du décès, dépend donc principalement de la concentration dans l’air de ces « jumeaux toxiques » et du niveau d’hypoxie ambiant.
Mais ce n’est pas tout : de nombreux autres gaz produits pendant les incendies sont particulièrement irritants pour les yeux, le nez, la gorge, et les régions pulmonaires profondes.
Un cocktail concentré de substances irritantes
Ammoniac, chlore, phosgène, dioxyde de soufre, oxydes d’azote, pentoxyde de phosphore, chlorure d’hydrogène, bromure d’hydrogène, fluorure d’hydrogène, acroléine, formaldéhyde, acroléine, formaldéhyde… La combustion de la biomasse et des matériaux synthétiques engendre des gaz irritants par centaines.
Au début d’un incendie, le relargage de ces gaz ne met généralement pas directement en péril la vie humaine, car les concentrations sont trop basses. Mais ces composés sont rapidement incapacitants. Ainsi, l’acroléine (C3H4O) serait le plus puissant des irritants pour les humains. Il est quasi impossible d’en tolérer une concentration atmosphérique supérieure à 2 ppm (soit 5 mg/m³) pendant plus de 2 min (la concentration létale serait de 8-9 ppm (soit 20 mg/m3)).
En limitant la possibilité de fuir, les gaz irritants exposent d’autant plus aux brûlures et à l’asphyxie. Par ailleurs, certains d’entre eux expriment une toxicité retardée en provoquant un œdème pulmonaire fatal plusieurs heures (voire plusieurs dizaines d’heures) après l’exposition.
Soulignons que la combustion de matériaux contenant des retardateurs de flammes (des composés ajoutés aux mousses et aux plastiques des mobiliers ou des ordinateurs pour abaisser leur inflammabilité – avec une efficacité discutable selon l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) produit des gaz irritants nocifs, qui contiennent des halogénés (chlore, brome, fluor). Lors de leur combustion, de l’acide chlorhydrique gazeux peut notamment être produit, et se solubiliser dans les fluides des muqueuses des voies respiratoires, y provoquant des brûlures chimiques qui altèrent la ventilation.
Molécules complexes et particules fines : des dangers à plus long terme
Les incendies produisent aussi nombre de molécules toxiques parmi lesquelles des composés organiques volatils dont certains sont cancérigènes (benzène, styrène, phénol, hydrocarbures aromatiques polycycliques – HAP, etc.).
Les suies issues de la combustion incomplète de la biomasse sont aussi particulièrement problématiques. Du point de vue physique, elles provoquent un véritable « empoussiérage » des voies pulmonaires, en tapissant l’arbre respiratoire, ce qui rend la respiration difficile. Étant chaudes, elles provoquent des brûlures locales de la muqueuse bronchique, et sont donc source d’inflammation.
Par ailleurs, ces suies contiennent des particules fines de différentes tailles (PM10, PM2.5, PM1) et des nanoparticules de carbone sur lesquelles se fixent les substances hautement nocives produites par l’incendie (HAP, quinones, métaux lourds ou de transition…). Ce cocktail aussi varié que toxique est transporté jusqu’aux alvéoles pulmonaires, où il passe ensuite dans le sang.
La toxicité des suies réside également dans les effets retardés des produits de combustion qu’elles contiennent. Ceux-ci entraînent une inflammation chronique qui peut se traduire par des atteintes à moyen et long termes des fonctions respiratoires, cardiovasculaire, immunitaire ou neurologique. Certains sont par ailleurs cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques.
L’inhalation, l’ingestion et/ou la contamination cutanée par ces composés expliquent pourquoi la prévalence de certains cancers est plus bien plus élevée chez les pompiers que dans les populations qu’ils servent (plus du double pour le cancer du testicule, notamment).
Des mesures de prévention à connaître
En France, 22 211 incendies se sont produits en 2022. Ils ont ôté la vie à 277 personnes. La majorité d’entre eux sont survenus dans des habitations, les plus mortels étant les incendies nocturnes, car les fumées intoxiquent les dormeurs dans leur sommeil.
Pour limiter le risque d’incendie, il existe une myriade de mesures préventives…
Et si malgré tout un incendie survient, certaines actions peuvent accroître les chances d’y survivre. La première d’entre elles consiste à ne pas chercher à fuir en s’aventurant dans des zones fortement enfumées…
Laurent Grélot, Professeur de Physiologie du travail et de l'exercice /// Ex- CR2C "Spécialiste physiologie du sport " au Commissariat des Armées - HIA Laveran, Aix-Marseille Université (AMU)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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