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Oublier, c’est normal ! Mais quand faut-il s’inquiéter ?
Alexander Easton, Durham UniversityAu quotidien, oublier certaines choses est assez agaçant – voire, en fonction de l’âge, inquiétant. Mais l’oubli est un phénomène tout à fait naturel : la mémoire a besoin d’oublier. De plus, les souvenirs peuvent ne pas être aussi fiables qu’on le croit, mais au contraire être déformés par rapport à ce qui s’est réellement passé.
Mais quel niveau d’oubli est « normal » ? Est-il acceptable par exemple de mélanger les noms de pays, comme l’a fait récemment le président américain Joe Biden ?
Une question d’attention
Pour se souvenir de quelque chose, le cerveau doit l’apprendre (encodage), le conserver en lieu sûr (stockage) et être capable de le retrouver en cas de besoin (récupération). Si une de ces étapes est perturbée, le souvenir peut être perdu, ou oublié.
Le cerveau ne peut pas traiter toutes les informations sensorielles qui lui arrivent : il filtre les informations afin de traiter ce qui est important. Ainsi, il encode sous forme de souvenirs principalement les choses auxquelles on prête vraiment attention.
Qui n’a jamais oublié les prénoms des invités lors d’une soirée entre amis, parce que son attention est tournée vers autre chose ? Il s’agit là d’une défaillance de la mémoire – un oubli – tout à fait normale, et très courante.
Les habitudes et les conventions peuvent aider à contourner ce problème. Par exemple, si l’on range toujours ses clefs au même endroit, nul besoin d’encoder à chaque fois une nouvelle information pour les retrouver.
La répétition est également importante pour ancrer les souvenirs, qui ont tendance à disparaître s’ils ne sont pas remobilisés. Plus nous répétons, rabâchons ou racontons des souvenirs, plus nous nous en souvenons longtemps – si ce n’est que nous avons tendance à modifier ces souvenirs lorsque nous les racontons, et qu’il est probable que nous nous souvenions mieux de la dernière version que de l’évènement initial.
Dans les années 1880, le psychologue allemand Hermann Ebbinghaus a mené une expérience pendant laquelle les participants devaient mémoriser des séries de syllabes inconnues qui ne voulaient rien dire. Il a noté ce dont les participants se souvenaient au fil du temps, et montré que la plupart de nos souvenirs s’estompent en l’espace d’un jour ou deux s’ils ne sont pas remobilisés. En revanche, si les séries étaient répétées à intervalles réguliers, les participants pouvaient retenir un bien plus grand nombre de syllabes pendant plus d’une journée.
Ces répétitions volontaires, qui permettent de mieux se souvenir d’une chose, provoquent parfois l’oubli d’une autre. Nous pouvons ainsi encoder l’endroit où la voiture est garée en allant faire des courses puis l’oublier, tant nous sommes occupés à répéter d’autres choses – la liste de courses à ne pas oublier, par exemple.
Cet exemple permet d’illustrer une autre caractéristique de l’oubli : la capacité à oublier une information particulière tout en se souvenant, globalement, de l’essentiel. S’il est parfois impossible de se rappeler précisément où est garée la voiture en sortant du magasin, on sait souvent si elle était à gauche ou à droite de la porte, sur le bord du parking ou vers le centre, ce qui permet de la chercher dans une zone relativement définie.
L’impact du vieillissement
En vieillissant, les gens s’inquiètent davantage de leur mémoire. Il est vrai que l’oubli devient plus prononcé, mais cela ne signifie pas forcément qu’il y a un problème.
Plus le temps passe, plus il y a de choses dont nous devons nous souvenir. Nos expériences passées partagent de nombreux points communs, et il peut être difficile de distinguer différents souvenirs.
Par exemple, si vous n’êtes allé qu’une seule fois en vacances à la plage en Espagne, il est probable que vous vous en souveniez avec une grande clarté. En revanche, si vous avez passé de nombreuses vacances en Espagne, dans différentes villes et à différentes périodes, il vous sera plus difficile de vous rappeler si un évènement s’est produit lors de vos premières vacances à Barcelone ou lors d’un voyage ultérieur.
Le chevauchement des souvenirs, ou interférence, limite la récupération des informations. Imaginez que vous classiez des documents sur un ordinateur : au début, le système de classement est clair, chaque document trouve aisément une place où il sera facile à retrouver. Mais plus les documents arrivent, plus il devient difficile de décider dans quel dossier les ranger. De nombreux documents se retrouvent dans un seul dossier parce qu’ils sont tous liés à un élément. Ainsi, au fil du temps, il devient de plus en plus difficile de retrouver le bon document lorsqu’on le cherche, soit parce qu’on ne sait pas où on l’a mis, soit parce qu’on sait où il devrait être, mais qu’il y a beaucoup d’autres choses dans le même dossier.
Enfin, ne pas oublier peut poser problème. C’est le cas de certains stress post-traumatiques, où le souvenir est persistant, ne s’efface pas et interrompt régulièrement la vie quotidienne.
Le deuil ou la dépression peuvent aussi rendre plus difficile l’oubli d’informations négatives, alors que dans ces cas, les oublier serait extrêmement utile.
Oublier n’empêche pas forcément de prendre des décisions
Oublier est fréquent, et le devient de plus en plus avec l’âge. De plus, oublier des noms ou des dates, comme l’a fait Joe Biden, ne nuit pas forcément à la prise de décision. Les personnes âgées peuvent avoir des connaissances approfondies et une bonne intuition, qui peuvent aider à compenser de tels trous de mémoire.
Mais bien entendu, ces trous de mémoire peuvent être le signe d’un problème plus grave et suggérer qu’il faut consulter un médecin.
Le fait de poser la même question à plusieurs reprises par exemple peut dévoiler que l’oubli est plus qu’un problème de distraction ponctuelle au moment d’encoder la réponse.
De même, oublier son chemin dans des endroits très familiers peut révéler une difficulté à utiliser les indices de l’environnement pour se souvenir et se repérer. Et si oublier le nom d’une personne au cours d’un dîner est normal, oublier comment utiliser sa fourchette et son couteau ne l’est pas.
En fin de compte, les trous de mémoire ne sont pas forcément à craindre – il faut s’inquiéter s’ils deviennent extrêmes.
Alexander Easton, Professor of Psychology, Durham University
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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