Image de freepikParfum contre poubelles : pourquoi notre cerveau perçoit les odeurs comme bonnes ou mauvaises ?
Hirac Gurden, Université Paris CitéPetit jeu olfactif. Prenons ensemble quelques secondes pour penser à une odeur agréable que nous aimons, puis à une odeur désagréable que nous n’aimons pas. Personnellement, je dirai que j’apprécie l’odeur de citron, mais que celle de l’ail me déplaît. Nous venons de faire un tour du côté de nos préférences olfactives individuelles. En effet, pour chaque odeur, nous lui attribuons une appréciation sensorielle, comme un curseur cérébral, allant de l’agréable au désagréable, en passant par le neutre, et toutes ces positions définissent notre lien aux odeurs. Mais nos préférences olfactives ne se résument pas qu’à ce « j’aime/je n’aime pas » et proviennent de mécanismes cérébraux complexes et fascinants qui sont très étudiés par les neuroscientifiques.
Nous sentons différemment au cours de notre vie
Les préférences olfactives apparaissent très tôt dans notre vie, dès notre naissance. De façon innée, les odeurs contenant du soufre par exemple signent dans la nature la présence de putréfaction ou de plantes toxiques. Elles sont donc répulsives pour le nouveau-né, qui ne les a pourtant jamais senties auparavant. La raison est ici évolutive, puisque les êtres ne pouvant détecter et percevoir ce type d’odeurs n’ont pas survécu. Nous sommes désormais tous équipés d’un circuit cérébral qui lie l’odeur d’œuf pourri à une expression du visage caractéristique de dégoût.
Cependant, les odeurs soufrées ne resteront que partiellement répulsives pour l’adulte : nous sommes très sensibles à l’odeur soufrée du gaz de ville qui nous alerte, mais les odeurs soufrées dégagées par la cuisson de l’ail ne sont plus aversives pour les personnes qui en apprécient la consommation dans un plat. À l’inverse, quelques très rares odeurs comme celle de la vanille ou de la banane peuvent être perçues instantanément et de façon plaisante par le nouveau-né. Mais, nous l’avons vu avec l’exemple de l’ail, ces perceptions et préférences innées restent limitées et vont rapidement et fortement évoluées avec le vécu de chacun. Le contexte social et culturel (familial, scolaire…) va influencer et placer notre odorat à la croisée des chemins individuels et culturels.
Poubelles contre parfums
Les réactions de rejet par rapport à une odeur sont liées à sa concentration dans l’air. Déclarer « ça sent trop fort » s’accompagne généralement d’une réaction de dégoût facial. Ainsi, les poubelles dégagent de grandes quantités d’odeurs, fortement marquées par le soufre et l’azote et des molécules de la famille de l’acide butyrique, des composées qui sentent toujours mauvais pour tout le monde.
Pour des odeurs qui ne sont pas dans ces catégories olfactives, comme les parfums, ce sont les associations entre odeurs et vécus positifs ou négatifs qui marqueront le plaisir ou le déplaisir de ces odeurs en mémoire. Ainsi, une majorité de personnes déclarera que la lavande sent bon et une minorité qu’elle ne sent pas bon, de même pour tel ou tel parfum, tout cela suivant les événements de la vie de chacun.
Le plaisir de la perception des odeurs fondé sur nos gènes et nos expériences
Les sensibilités olfactives liées à la qualité et à la quantité des odeurs varient donc à la fois sur une base génétique et cérébrale. En effet, chaque individu ne possède pas le même nombre de famille de récepteurs aux odeurs, ni la même quantité exacte de ces récepteurs, ce qui peut fortement changer notre perception et nos préférences. Par exemple, il est avéré que certaines personnes détectent bien plus intensément que d’autres l’odeur de coriandre. Cette hyperstimulation a pour effet d’évoquer une odeur de punaise écrasée ou un goût de savon. Ces personnes possèdent en effet un grand nombre de récepteurs spécifiques à cette odeur, ce qui provoque ce dégoût. À cette variabilité génétique, s’ajoutent les expériences de vie.
Un jour d’anniversaire ou des vacances, nos souvenirs sont marqués par des signatures olfactives précises : l’odeur du gâteau au chocolat, ou les odeurs de plage et de la mer sur la côte, qui seront toujours perçues de façon agréable. Mêmes endroits et mêmes odeurs, mais cette fois une autre personne vit malheureusement un accident. Les odeurs de la côte prennent alors une valence négative, car elles ont été associées à une situation dangereuse ou à risque. Le cerveau construit donc constamment des associations entre nos perceptions sensorielles et notre vécu, un mécanisme qui guide grandement nos comportements.
Ainsi, c’est à la fois notre patrimoine génétique et le contexte de la perception de nouvelles odeurs qui nous donnent des capacités de détection et d’appréciation des odeurs qui nous sont propres. Les odeurs sont catégorisées selon leur valence (positive, négative ou neutre), ce qui fait que nous les percevons de façon agréable, ou neutre ou désagréable… Et le tout peut changer, sous l’effet de nouvelles expériences : le cerveau est un organe qui s’adapte en permanence.
La complexité du cerveau olfactif
Le plaisir olfactif est fortement associé à l’activation dans le cerveau du circuit de la récompense, qui implique des neurotransmetteurs, c’est-à-dire des molécules permettant la communication entre les neurones. C’est le cas notamment de la dopamine, qui joue un rôle crucial dans la sensation de plaisir et de récompense. Lorsqu’une odeur est perçue comme étant agréable, le circuit de la récompense est activé, libérant de la dopamine dans des régions comme le noyau accumbens. Cette libération de dopamine renforce l’association entre des expériences agréables (anniversaire + gâteau au chocolat + famille + amis + cadeaux) et motive les comportements de recherche de plaisirs similaires. On attend alors avec impatience notre anniversaire pour revivre cette situation agréable marquée par des odeurs positives.
Plaisir et déplaisir sont également basés sur des émotions comme la joie ou le dégoût qui sont exprimées grâce à l’activation d’une structure dénommée l’amygdale, pas celle qui est au fond de notre gorge, mais bien un groupe de neurones dans notre cerveau. Ainsi, c’est l’activité complexe d’un grand ensemble de régions cérébrales qui fixe nos préférences olfactives.
Pour finir, retour du petit jeu olfactif. Remémorons-nous les deux odeurs auxquelles nous avons pensé en début d’article et essayons de décrire les émotions et les souvenirs qui leur sont liés. Nous ne serons pas étonnés de nous rendre compte que nous les avons choisies à cause du contexte et des événements et des sentiments qu’elles nous évoquent : un bel exemple du cerveau olfactif en action, qui connecte notre histoire personnelle à notre environnement social et culturel, en portant attention à l’univers des odeurs qui nous entoure.
Pour en apprendre plus sur le fonctionnement extraordinaire de l’odorat dans notre quotidien, découvrez le livre Sentir de Hirac Gurden (éditions Les Arènes).
Hirac Gurden, Directeur de Recherches en Neurosciences au CNRS, Université Paris Cité
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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