Inoxtag : l’ascension d’un entrepreneur qui repousse les limites de Youtube

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Inoxtag : l’ascension d’un entrepreneur qui repousse les limites de Youtube

Succès inédit pour un youtubeur passé sur grand écran, le film d'Inoxtag est un véritable phénomène. www.youtube.com/@inoxtag
Oihab Allal-Chérif, Neoma Business School

Inoxtag, célèbre youtubeur de 22 ans, aurait pu continuer à faire des vidéos de gaming, de divertissement et d’humour. Mais il a choisi de réaliser un projet autrement plus ambitieux. Dans le film Kaizen, il documente le défi qu’il s’est lancé : entreprendre l’ascension de l’Everest, après un an de préparation.


On l’a vu partout. En quelques jours, il a été interviewé par Yann Barthès dans Quotidien sur TMC, par Mouloud Achour dans Clique sur Canal+, par Xavier de Moulins dans le 19 45 sur M6, par Léa Salamé dans le 7/10 sur France Inter. Il s’est confié à ses amis GMK sur sa chaîne YouTube et Domingo dans son émission Popcorn sur Twitch. Inoxtag est omniprésent dans les médias dans le cadre de la sortie de son film : Kaizen : 1 an pour gravir l’Everest !

Kaizen : 1 an pour gravir l’Everest !

Dès ses 11 ans, Inoxtag diffuse ses parties de Minecraft et de Fortnite sur YouTube. Il devient une star de la plate-forme à 17 ans après avoir rejoint – en même temps que son acolyte Michou – le label Talent Web de Webedia, dont il est toujours un top créateur. Il rassemble une communauté de plus de 8,5 millions d’abonnés sur sa chaîne, 6,2 millions sur TikTok et 5,9 millions sur Instagram. Ses aventures en solo et avec les autres membres de la Team Crouton ont cumulé des milliards de vues.

Inoxtag aurait pu continuer pendant des années à faire des vidéos de gaming, de divertissement et d’humour comme le font la plupart des autres créateurs de contenu. Pourtant, à 22 ans, il vient de réaliser son plus gros projet. Le film Kaizen, dont le budget est estimé à environ un million d’euros, raconte un an de préparation pour escalader l’Everest, le plus haut sommet du monde, sans aucune connaissance préalable de l’alpinisme. Il n’est pas question ici de commenter la performance sportive – Inoxtag explique lui-même qu’elle n’a rien d’extraordinaire – mais de s’intéresser à la démarche entrepreneuriale, aux pratiques managériales, et à l’évolution du modèle économique de la création sur YouTube.

Un défi qui questionne la chronologie des médias

Il est plus qu’audacieux de prétendre sortir un film dans 350 salles de cinéma en France et plusieurs dizaines d’autres à l’étranger – Tunisie, Algérie, Maroc, Côte d’Ivoire, Canada, Belgique, Suisse, et Luxembourg – quand ce même film doit être mis en ligne dès le lendemain sur YouTube. Qui acceptera d’aller au cinéma et de payer entre 8 et 15 euros pour voir un documentaire qui sera disponible gratuitement moins de 24 heures plus tard dans son smartphone ? Pourquoi risquer d’organiser une avant-première au Grand Rex – la plus grande salle de cinéma d’Europe – devant 2 700 personnes, dont de nombreuses personnalités ?

24h avec Inoxtag pour la sortie de son documentaire Kaizen !

D’autres youtubeurs ont ouvert la voie. Le documentaire de Seb (AKA Seb la Frite) Seb au Kirghizistan avait été projeté dans une seule salle. On va où 6, le sixième volet des aventures de Djilsi qui « va quelque part dans le monde au hasard » avec sa bande a été diffusé dans cinq cinémas en partenariat avec CGR. La Traversée : le film, sur la traversée de la Méditerranée de Mcfly et Carlito (suite au défi lancé par Michou et… Inoxtag) a bénéficié de 35 avant-premières elles aussi en partenariat avec CGR. Mais il s’agît plus de rencontres avec les protagonistes sans chercher à remplir des centaines de salles.

Pourtant, dès l’ouverture de la billetterie, les plates-formes de Pathé, UGC, mk2 et même Allociné ont toutes crashé les unes après les autres. Certains cinémas qui avaient prévu une seule salle sont passés à deux, puis trois… et même jusqu’à sept salles. Les petits cinémas, mentionnés comme une priorité par Inoxtag pour atteindre son public, ont eux aussi été submergés par les demandes et ont dû créer ou ajouter des séances. Il y aurait eu près d’un millier de séances en France entre la soirée du vendredi 13 septembre et la matinée du samedi 14 septembre. « Une vraie dinguerie » comme dirait Inoxtag.

Il faut bien dire que les résultats exceptionnels impressionnent. Avec 310 000 spectateurs au cinéma en moins de 24 heures, Kaizen bat largement le précédent record pour une sortie événementielle détenu par Les Étoiles Vagabondes du rappeur Nekfeu avec 92 000 entrées. Il est même deuxième du box-office de la semaine derrière Bettlejuice Bettlejuice de Tim Burton. Cela ne tient pas compte des 40 000 entrées à l’étranger.

Avec 11,7 millions de vues en 24 heures sur YouTube, le documentaire Kaizen qui dure deux heures trente dépasse largement le précédent record français détenu par le clip de rap Au DD de PNL qui dure moins de cinq minutes et avait cumulé 7,5 millions de vues en 24 heures. En 8 jours, le film a dépassé 30 millions de vues, atteint les 2 millions de likes et recueilli 135 000 commentaires. C’est un des meilleurs lancements de l’histoire de YouTube selon ses porte-parole.

Inoxtag débriefe le phénomène Kaizen 10 jours après la sortie.

TF1 a acquis les droits pour une diffusion le 8 octobre, juste après Koh-Lanta, et une mise en ligne sur TF1+ à partir du 28 septembre, une première inespérée pour une vidéo YouTube. La chaîne belge Tipik diffusera Kaizen le 26 septembre en prime time. Inoxtag aurait même refusé des offres généreuses de plates-formes de streaming payantes pour garantir que son film reste accessible gratuitement au plus large public.

Si certains professionnels du secteur, comme le CNC, dénoncent un non-respect de la chronologie des médias et un dépassement flagrant du quota de 500 salles normalement attribué à ce genre de projets, d’autres se félicitent de ce succès et soulignent que Kaizen a amené au cinéma beaucoup de spectateurs qui n’y venaient pas ou plus, et que ceux-ci ont pu assister à des bandes annonces qui leur donneront peut-être envie d’y retourner. Le Directeur Général de mk2, distributeur partenaire du film dans le cadre du YouTube Ciné Club par mk2, semble très satisfait d’avoir contribué à un phénomène qu’il dit être sans précédent.

De créateur à entrepreneur et leader

Comme d’autres avant lui – Squeezie et son GP Explorer, Amine et son Eleven All-Star – Inoxtag a su créer l’événement en devenant un véritable entrepreneur et un chef de projet. Il a concrétisé sa vision, donné du sens à sa démarche, fixé des objectifs ambitieux, mobilisé une équipe unie autour de lui et trouvé des partenaires financeurs.

Inoxtag a démontré sa capacité à fédérer des talents, même réfractaires, autour de son projet et à les faire dépasser leurs limites pour réaliser l’impossible. Afin de s’entourer « de personnes qui apportent des perspectives et des énergies complémentaires », il a dû convaincre les bons acteurs, à commencer par le guide, coach et photographe de montagne Mathis Dumas qui dit lui-même qu’il était très perplexe au départ et ne voulait pas risquer d’entacher sa réputation pour un caprice de star. Sa rencontre avec Inoxtag l’a convaincu de la sincérité de son intérêt pour l’alpinisme.

Mathis Dumas, guide de haute montagne, raconte les coulisses de l’Everest d’Inoxtag.

Ce fut aussi très difficile de convaincre le réalisateur du film, Basile Monnot, le producteur Samy Bouyssié, le monteur en chef Quentin Eiden, et le compositeur Mim (Emilien Bernaux) de s’engager dans un projet aussi risqué et avec autant de pression financière, technique et temporelle. L’équipe a installé une station de post-production au camp de base de l’Everest, à 5364 mètres d’altitude, pour sauvegarder et traiter les rushs en temps réel, ce qui a rendu possible la création d’un documentaire de deux heures trente en trois mois pendant lesquels la postproduction a du travailler 16 heures par jours pour tenir les délais.

Au-delà de sa personnalité et de son charisme, Inoxtag a donc prouvé qu’il avait les qualités d’un entrepreneur en étant capable : de ne pas considérer un « non » comme un refus ; de faire changer d’avis ses interlocuteurs et surtout ceux qui ont des préjugés sur lui ; d’être résilient et de s’adapter rapidement aux aléas ; de faire des sacrifices, d’être patient et de relativiser ; d’avoir une approche à court, moyen et long terme ; et de déléguer les tâches à des experts dévoués et capables de travailler ensemble. Il n’est pas donné à tout le monde de diriger une équipe de 150 personnes, surtout dans des conditions aussi extrêmes. Inoxtag l’a fait malgré sa jeunesse et son tempérament qui peut paraître nonchalant.

Conversation entre Inoxtag, Basile Monnot (réalisateur), Samy Bouyssié (producteur), Quentin Eiden (monteur), et Ludoc (producteur exécutif)

Inoxtag raconte que quand il a annoncé le projet, il a engagé personnellement un million d’euros sans les avoir en tant que producteur : « on prend le risque et on verra ». Il a fallu ensuite trouver les financements en s’associant avec des marques, impliquées très en amont du projet avec une volonté de les intégrer de la manière la plus naturelle possible. Inoxtag est le premier créateur de contenu au monde à devenir ambassadeur de la marque Nike. Il a désormais son propre modèle de la chaussure emblématique Tn. Il est aussi ambassadeur AirUp, principal sponsor de ses vidéos depuis deux ans, avec son propre modèle de gourde qu’il a cocréée.

La collaboration entre Inoxtag et AirUp

Parmi les autres partenaires commerciaux du film, on compte Deezer, Les Produits Laitiers, Erborian, Fitness Park, Thermic, et Orange. Leurs produits apparaissent dans le film, ainsi que dans des posts et des spots publicitaires. Inoxtag ne manque pas une occasion de les citer et de les remercier pour leur soutien. The North Face, marque très présente dans le film, surtout dans les moments les plus intenses, ne fait cependant pas officiellement partie des entreprises qui ont soutenu le projet, bien qu’elle ait fourni du matériel aux sherpas. Inoxtag espère convaincre ce sponsor pour un prochain projet.

Privilégier la qualité et donner du sens

Pour la plupart des youtubeurs, poster des vidéos de manière à la fois fréquente et régulière est fondamental. Même MrBeast, le plus grand youtubeur du monde avec près de 320 millions d’abonnés, tourne en permanence, ne s’accordant que quelques jours de repos par mois pour maintenir une présence constante sur la plate-forme. Alors qu’il publiait une vidéo par semaine sur sa chaîne principale, Inoxtag a divisé sa production par deux pendant l’année de sa préparation pour gravir l’Everest. Puis il a passé presque six mois sans publier de vidéo et sans apparaître sur les réseaux sociaux. Après la sortie de son film, il a annoncé à sa communauté qu’il ne fera plus qu’une seule vidéo en 2024, et cinq ou six seulement en 2025.

Inoxtag décide donc de sortir de la course au contenu et de se focaliser sur des vidéos où le fond et la forme sont plus travaillées. Comme le dit Seb au sujet de ses voyages en Papouasie et au Kirguizistan, l’envie à la fois de se sentir utile et d’être plus ambitieux conduit certains créateurs à adopter une nouvelle trajectoire. Michèle Benzeno, Directrice Générale de Webedia, explique que nous assistons à une « premiumisation » de l’offre sur YouTube.

Avec Kaizen, Inoxtag met en œuvre des moyens extraordinaires pour parvenir à mélanger le documentaire, le vlog, la simulation 3D, le clip musical et la publicité. Le film s’appuie par exemple sur l’utilisation d’un drone DJI Mavic 3 Pro en conditions extrêmes de froid et de vent à plus de 8000 mètres d’altitude, qui s’est crashé dans la zone de la mort et qu’il a fallu récupérer pour ne pas perdre les rushs. Des caméras Sony FX3, Panasonic S1H, et de multiples GoPro ont été nécessaires pour filmer l’ensemble de l’aventure et produire des images splendides qui ont été retouchées une par une ensuite.

Inoxtag encourage à la déconnexion numérique et à un usage modéré des écrans en partenariat avec Orange.

Bien entendu, le storytelling est très travaillé dans Kaizen. Inoxtag l’a développé dans ses dernières vidéos de défis et c’est le rôle des créatifs de mettre en scène sa personnalité forte pour en faire ressortir les aspects qui trouveront un écho auprès du public. Mais Inoxtag n’a pas seulement préparé son ascension de l’Everest. Il a aussi mûri son message pendant deux ans. Il explique aujourd’hui que sa plus grande fierté c’est de voir qu’il réunit les générations devant son film et qu’il donne envie aux autres de se lancer dans leurs projets. Pour sa prochaine grande vidéo, Inoxtag envisage de nouveau une sortie événementielle au cinéma.

Oihab Allal-Chérif, Business Professor, Neoma Business School

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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