Ciné : « Diamant brut », un « female gaze » sur l’hypersexualisation des candidates de téléréalité

Actualités

#Capture Youtube

Ciné : « Diamant brut », un « female gaze » sur l’hypersexualisation des candidates de téléréalité

The Conversation

Ciné : « Diamant brut », un « female gaze » sur l’hypersexualisation des candidates de téléréalité

Aziliz Kondracki, École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS)

Sélectionné à Cannes et sorti en salle le 20 novembre 2024, le film Diamant brut dresse le portrait de Liane qui, vivant à Fréjus, souhaite intégrer le casting d’une émission de téléréalité pour s’extraire de sa condition sociale. Un film féministe qui donne à voir un autre regard (« gaze ») sur les femmes qui rêvent d’amour, d’argent et de gloire. La réalisatrice Agathe Riedinger filme, sans mépris de classe ni sexisme, sa protagoniste. Elle tourne une caméra critique vers une industrie qui s’appuie sur l’hypersexualisation du corps féminin.


Avant Diamant brut, le cinéma français ne s’est que très peu intéressé à la téléréalité, et encore moins aux candidates qui y participent. Depuis son apparition dans les années 2000, ce genre qualifié de « télé-poubelle » (trash TV en anglais) n’a eu de cesse d’être placé au plus bas de la hiérarchie des objets culturels. Les participants à ces émissions, et particulièrement les femmes, ont ainsi généré un nombre important de critiques voire une forme de mépris ou de détestation, provoquée par une célébrité soudainement acquise et considérée par beaucoup comme imméritée, à l’image de Loana Petrucciani ou de Nabilla Vergara.

Avant la téléréalité, les feuilletons et soap operas comme Hélène et les garçons, Dallas ou les Feux de l’amour ont fait eux aussi l’objet d’une forme de dépréciation sociale. Rappelons que le soap opera et la téléréalité sont des contenus d’abord destinés à un public de femmes (ou à une catégorie construite comme telle) : « la femme responsable des achats de moins de 50 ans », qui constitue la cible privilégiée des publicités lardant ces émissions. La chercheuse Delphine Chedaleux, spécialiste des cultures féminines, explique que le me?pris dont souffrent ces objets culturels participe en réalité d’une plus vaste entreprise de dévaluation de « la culture féminine », c’est-à-dire des genres et des formats culturels populaires associés au féminin.

Si le catalogue des émissions de téléréalité s’est bien épaissi depuis vingt ans, on constate que le public qui consomme ces objets est très varié et qu’il dépasse les milieux populaires auxquels le genre est associé. Liane, la protagoniste de Diamant brut, est issue d’un milieu modeste et, depuis son smartphone, porte une attention fascinée aux candidates de téléréalité (dont certaines deviennent influenceuses sur les réseaux) et à leurs milliers de followers – rappelant par exemple à ses amies le profit que peut générer un placement produit sur Instagram. Dès les premières scènes du film, on apprend que Liane souhaite rejoindre le casting de la prochaine saison de Miracle Island.

Si de cette émission on ne découvrira pas l’envers du décor dans le film, notons que son titre évoque les émissions de téléréalité que les producteurs appellent les « bikinis shows » parce qu’elles ont lieu dans des cadres idylliques et reposent sur des castings de jeunes adultes aux plastiques standardisées.

Ces émissions placent au cœur de leurs dispositifs la sexualité et instillent par leurs décors et la narration un climat se voulant propice aux rapprochements. En France, on peut citer par exemple l’Île de la tentation (2002), les Marseillais (2012) ou encore la Villa des cœurs brisés (2015), des émissions qui s’appuient sur la mise en scène de clashs, de mélodrames intimes et sur l’hypersexualisation du corps féminin.

Capitaliser sur la beauté : le travail du corps

De Loana Petrucciani à Nabilla Vergara, les femmes sont au cœur des dispositifs de téléréalité et sont contraintes d’effectuer un travail important sur elles-mêmes pour être visibilisées. Il s’agit à la fois d’un travail émotionnel (comme exprimer ses émotions devant la caméra) et d’un travail du corps pour se conformer à des codes esthétiques standardisés. En effet, dans les bikinis shows, les femmes sont particulièrement encouragées à performer une féminité outrancière, hypersexualisée, qui de prime abord se réduit à leur capacité de séduction.

Chirurgie esthétique, contouring, extensions capillaires, capsules ongulaires et nail art, dans Diamant brut, Liana soumet ainsi son corps à un travail d’optimisation esthétique qui n’est pas sans souffrance. Comme l’affirme la réalisatrice du film, Agathe Riedinger, sa protagoniste obéit à ce refrain qui martèle sans cesse qu’il faut souffrir pour être belle, et belle pour valoir quelque chose.

Toutefois, le traitement du personnage révèle que l’enjeu pour Liane n’est pas tant « d’être la plus belle » ou de se conformer aux canons esthétiques du male gaze (le regard masculin) pour seulement plaire ou séduire, mais aussi, et surtout pour capitaliser – malgré des moyens financiers limités – sur un corps féminin qu’elle souhaite rendre conforme aux attentes de la téléréalité. Comme l’explique la réalisatrice :

« C’est un film qui questionne la notion de beauté en passant par l’artificiel, le superficiel et ce que certains jugent comme du mauvais goût. »

L’ambiguïté du rapport que Liana entretient avec son corps contrevient alors aux liens communément établis entre hypersexualisation du corps féminin et respectabilité sociale (l’archétype de la « fille facile » qui serait « facile » parce que d’apparence hypersexualisée, à l’inverse par exemple des « mères respectables » dont elle représente l’envers). Son personnage pose la question des liens entre normes de féminité et émancipation.

La question de l’hyperféminité

Pour la philosophe Simone de Beauvoir, le souci de l’apparence constitue d’abord l’une des manifestations de la subordination féminine, et la préoccupation esthétique relève de la soumission aux injonctions patriarcales. Cette critique est encore aujourd’hui abondamment formulée par de nombreuses féministes, dans une société contemporaine marquée par une saturation d’images archétypales et hypersexualisées du corps féminin.

Dans son livre Beauté fatale, la journaliste Mona Chollet met par exemple en évidence la manière dont la culture de masse pousse les femmes à ne pas savoir exister autrement que par la séduction, les enfermant dans un état de subordination permanente.

À l’inverse, dans Diamant brut l’hyperféminité du corps de Liane pourrait être considérée comme un travail incarné pour s’affranchir de sa condition sociale, l’artificialité revendiquée de cette performance devenant, dans ces conditions, synonyme de choix et d’empowerment. À quel regard se soumet finalement ce personnage féminin ? L’obsession de Liane pour la beauté peut être interprétée au prisme de l’aliénation, comme elle peut nous permettre de réfléchir à la manière dont s’incarne l’expérience subjective de certaines femmes, qui ne peuvent être seulement réduites à des corps hypersexualisés, objectif, même si elles s’exposent dans la téléréalité.

Dans le film Diamant brut, la téléréalité devient pour Agathe Riedinger un motif pour réinvestir le corps féminin. Plus largement, la philosophe Camille Froidevaux-Metterie constate « le retour du corps féminin » dans les luttes féministes, c’est-à-dire un retour des considérations liées au corps, qui soulève notamment la question de la réappropriation du corps des femmes par les femmes.

Portées par le même vent qu’Agathe Riedinger, des autrices, artistes, journalistes se réapproprient la téléréalité et proposent aussi d’aborder cet objet du point de vue des candidates. En 2024, la journaliste Constance Vilanova publie par exemple le livre Vivre pour les caméras consacré aux candidates de téléréalité, l’autrice et chercheuse Maureen Desmailles signe un roman intitulé la Candidate, tandis que Stéphanie Vovor consacre en 2023 dans son recueil Frénésies un poème à Jessica Thivenin (émission les Marseillais).

S’il ne s’empare pas seulement de la téléréalité, on peut citer aussi le livre Bimbo dans lequel l’artiste Edie Blanchard propose de repenser l’hyperféminité. Dans une société contemporaine où la visibilité constitue désormais un capital et où les moyens de production des imaginaires restent surtout détenus par des hommes, le sujet n’est pas près d’être clos.

Aziliz Kondracki, Doctorante en anthropologie, École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Les prix mentionnés dans cet article le sont à titre indicatif et sont susceptibles d’évoluer. Certains liens de cet article sont des liens d'affiliation, susceptibles d'utiliser des cookies afin de permettre à Iziva.com de percevoir une commission en cas d'achat sur le site partenaire.

Facebook Pin It

Articles en Relation

Comment faire l’analyse politique d’un film ? Comment faire l’analyse politique d’un film ? Le Joker, icône contestataire ? C’est l’avis du public, mais ...
Dans les films d’horreur, les poupées tueuses continuent à sévir Image de freepik Image de freepik Dans les films d’horreur, les poupées tueuses continuent à sévir Sandra Mills, University of Hul...
Quel prix êtes-vous prêts à payer pour aller au cinéma ? Quel prix êtes-vous prêts à payer pour aller au cinéma ? La façade du Grand Rex, à Paris. A Hell...
Les féministes ont-elles une sexualité plus épanouie ? Une étude canadienne assu... Image de wayhomestudio sur Freepik Les féministes ont-elles une sexualité plus épanouie ? Une étude canadienne assure que oui ...
« Langue de pute », « coup de pute » : d’où viennent ces expressions ? « Langue de pute », « coup de pute » : d’où viennent ces expressions ? Samson et Dalila, Artemisa Gentilesc...
Pourquoi les cheveux bouclent-ils (plus ou moins) en fonction de la météo ? Image de senivpetro sur Freepik Image de wavebreakmedia_micro sur Freepik Pourquoi les cheveux bouclent-ils (plus ou moins) en fonction de ...

ACTUALITÉS SHOPPING IZIVA