Les élèves français sont-ils créatifs ?
Nadir Altinok, Université de Lorraine et Claude Diebolt, Université de StrasbourgDans un monde qui évolue à la vitesse grand V, où les métiers de demain qu’exerceront les élèves d’aujourd’hui n’existent peut-être pas encore, la créativité fait partie des compétences identifiées comme essentielles. Au niveau des pays, elle constitue un maillon indispensable pour générer plus d’innovations. Mais comment l’évaluer ? Et quelles sont les capacités créatives des nouvelles générations ?
L’enquête PISA de 2022 s’est, pour la première fois, penchée sur le sujet. D’après ses résultats, diffusés en juin 2024 par une note de la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance, les élèves français seraient dans la moyenne internationale des 64 pays participant au programme.
Notons également qu’avec les pays asiatiques comme Singapour ou la Corée du Sud, le Canada, l’Estonie ou encore la Finlande font partie des pays où la pensée créative est la plus élevée au sens de PISA.
L’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) la définit comme « la capacité à générer, évaluer et améliorer des idées pour produire des solutions originales et efficaces, faire progresser les connaissances et créer des expressions percutantes de l’imagination ». Mais, en quoi la pensée créative est-elle complémentaire des trois autres domaines de compétences mesurés, à savoir la lecture, les mathématiques et les sciences ?
Comment la pensée créative a-t-elle été évaluée par PISA ?
Le test PISA 2022 comprend 32 tâches, informatisées et évaluées par des humains, conçues pour mesurer trois processus d’idéation : la génération d’idées diverses, la génération d’idées créatives, l’évaluation et l’amélioration des idées. Le test suppose que les processus sont indépendants (puisqu’ils sont explicitement distingués) sans pour autant être opposés (puisqu’ils sont mesurés par le biais d’un seul score final).
Le test vise également à mesurer différentes applications de la pensée créative, puisque générer des idées dépend aussi des connaissances acquises et de la pratique dans des domaines spécifiques.
Quant aux tâches à réaliser, elles concernent quatre domaines sélectionnés par l’OCDE : l’expression écrite, l’expression visuelle, la résolution de problèmes sociaux et la résolution de problèmes scientifiques. Il est intéressant de noter que les domaines choisis se retrouvent également dans les évaluations propres à la lecture (via l’expression écrite) et les mathématiques (via la résolution de problèmes scientifiques).
De manière très concrète, les élèves de 15 ans ont eu une heure pour passer l’épreuve de pensée créative. Comme pour les autres enquêtes internationales, la totalité des questions (qu’on appelle des « items ») n’est pas posée à l’ensemble des élèves.
Que nous dit cette pensée créative du niveau des élèves ?
Depuis l’avènement des tests PISA et la production de données en éducation, on observe une forte corrélation entre les résultats obtenus par les élèves aux différents domaines de compétences testés. De manière assez systématique, quand un élève est bon en mathématiques, il réussit également aux tests en sciences et en lecture. On peut donc, à juste titre, se demander si cette corrélation se retrouve également en matière de pensée créative.
Le graphique ci-dessous met en lumière une forte concordance entre la performance des élèves en pensée créative et en lecture. Ce degré de similitude est généralement mesuré avec un indicateur appelé le coefficient de corrélation. Il est ici égal à 0,9 au niveau des pays (avec 1 comme valeur maximale possible). On peut donc raisonnablement se demander si la performance en pensée créative couvre celles évaluées dans les autres domaines. Pour tester cela, les statisticiens utilisent régulièrement l’analyse en composantes principales.
L’objectif de cette méthode est de déterminer le pouvoir explicatif de chaque indicateur, tout en évitant d’adjoindre des dimensions inutiles. Si nous étudions les scores pour chaque domaine de compétence proposé par PISA, nous arrivons à la conclusion que plus de 80 % de la variance est expliquée par un seul facteur. En d’autres termes, se contenter d’un seul domaine de compétence (comme la pensée créative) pourrait se révéler suffisant pour analyser la performance d’un élève ou d’un pays.
En revanche, ce fort pouvoir explicatif ne signifie pas l’absence de situations atypiques. Des pays ayant le même niveau de performance en lecture, comme la Grèce et l’Islande, affichent en effet des écarts assez importants en termes de pensée créative.
Quelle prise en compte dans les programmes scolaires ?
Presque tous les programmes scolaires citent la pensée créative comme un objectif éducatif, généralement comme un thème transversal ou une compétence générique (70 % des pays participant à l’enquête PISA 2022 le font), ou alors comme partie intégrante de compétences plus générales telles que la pensée critique ou les compétences sociales (45 % des pays participants).
Cependant, seule la moitié des systèmes éducatifs (53 %) citent la pensée créative dans des contextes disciplinaires au sein des programmes scolaires. En règle générale, celle-ci est surtout centrée autour des domaines artistiques.
En France, contrairement à d’autres pays tels que la Norvège, l’Irlande ou encore l’Australie, la pensée créative n’est pas explicitement définie dans les programmes scolaires. Elle est néanmoins évoquée, notamment dans les programmes d’enseignement des classes de 5e, 4e et 3e.
En Norvège, a contrario, l’objectif a été de réduire la densité du programme scolaire afin de faciliter les expériences d’apprentissage, de développer les aspects pratiques et esthétiques du curriculum (en incluant les arts, la musique, l’éducation à la santé ou à l’alimentation), tout en développant des guides pratiques pour aider les enseignants à transmettre les connaissances différemment.
Des résultats marqués par des inégalités sociales
Qui sont les élèves qui parviennent à atteindre un niveau élevé en pensée créative, c’est-à-dire ceux qui dépassent le niveau 5 (soit le seuil de 41 points) ?
Les résultats obtenus par PISA montrent un certain déterminisme, similaire à celui observé dans le domaine de la lecture. Il ressort que les filles sont fortement représentées (57 % contre 43 % pour les garçons) et que les élèves issus des familles les mieux dotées en capital socio-économique forment près de 43 % des élèves les plus créatifs. À l’inverse, les élèves issus des familles les moins bien dotées ne sont que 9 % parmi les plus créatifs, alors qu’ils représentent un quart de la population testée.
Près de 20 % des élèves français testés dans PISA 2022 sont inscrits dans un lycée professionnel. Ces derniers ne représentent pourtant que 4 % des élèves les plus créatifs, contre 95 % pour ceux inscrits dans un lycée général. De façon attendue sans doute, les élèves atteignant le niveau d’excellence en lecture ou en mathématiques ont trois fois plus de chances de faire partie du groupe des créatifs.
Quant aux plus créatifs, il s’agit majoritairement de filles, issues des familles les mieux dotées en capital socio-économique et scolarisées dans des lycées généraux. Elles ont, par ailleurs, des scores élevés en mathématiques et en lecture. En revanche, les garçons scolarisés dans un lycée professionnel, issus des familles les moins bien dotées et n’ayant pas atteint le seuil d’excellence en lecture, ne sont que 2 % à atteindre le rang des plus créatifs.
Enfin, fort de cette première expérimentation, signalons que l’OCDE n’a pas, à court terme du moins, en projet de renouveler l’enquête sur la pensée créative.
Nadir Altinok, Maître de conférences en économie de l'éducation, UMR BETA, Université de Lorraine et Claude Diebolt, Directeur de Recherche au CNRS, UMR BETA, Université de Strasbourg
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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