Apprentissage de la lecture : un programme par SMS pour soutenir les parents d’élèves de CP
Céline Ferrier, Université Grenoble Alpes (UGA)L’école n’a pas le monopole des apprentissages. Les écarts de niveaux des enfants dès l’entrée en maternelle le prouvent. Bien sûr, c’est en classe que les enfants apprennent le plus souvent à lire mais c’est en dehors qu’ils développent leur intérêt pour la lecture et l’écriture, ce qui va leur permettre de donner du sens à cet apprentissage et ainsi pouvoir performer à l’école.
Lire chaque soir des histoires à leurs enfants, les solliciter spontanément pour nommer les lettres sur les emballages d’aliments et les emmener régulièrement à la bibliothèque, voilà des pratiques parentales qui vont, parmi d’autres, avoir un impact positif sur l’entrée des enfants dans la lecture comme le mettent en évidence la recherche en littératie familiale depuis les années 1980 et les évaluations internationales telles que PIRLS et PISA.
Cette forme de pédagogisation du quotidien est pratiquée par de nombreux parents des classes moyennes, elle ne va pas de soi pour toutes les familles. Pour lutter contre les inégalités scolaires et favoriser la réussite de tous, ne faudrait-il pas mieux faire connaître l’impact positif de ces pratiques ?
Dans le cadre d’une thèse menée par l’association Coup de Pouce, l’université Grenoble Alpes et le laboratoire LIDILEM, nous avons considéré le partage, l’explicitation et la valorisation de ces pratiques d’éveil à la lecture comme des leviers d’engagement des parents et des professionnels de l’éducation dans le suivi des enfants fréquentant les clubs péri et extrascolaire Coup de Pouce.
À partir de cette hypothèse et de l’étude de plusieurs programmes de littératie familiale en particulier en Amérique du Nord comme le programme Ready4k, le choix d’un modèle d’intervention par SMS auprès des parents et par e-mail auprès des professionnels a permis l’expérimentation d’une nouvelle action dans les programmes de l’association.
Intitulée « Super idée », cette action offre la possibilité aux parents de recevoir chaque semaine par SMS une idée pour accompagner à la maison la découverte de la lecture de leur enfant. Chaque mère et chaque père peut choisir de recevoir ces SMS dans la langue de son choix parmi les 12 langues proposées.
Le choix d’une communication par SMS
Super idée, en tant qu’action-recherche en littératie familiale a pour vocation d’intervenir à la fois auprès des parents et des accompagnateurs de l’association car leur implication réciproque est un facteur d’engagement pour les enfants.
Quand le père d’Adam, petit garçon de 6 ans élève de CP, reçoit sur son téléphone le samedi après-midi un message du type : « Super idée ! Faire une pause au milieu de l’histoire puis demander à Adam ce qui pourrait arriver ensuite », Emma, animatrice du club Coup de Pouce Lecture-Écriture, reçoit en parallèle une lettre d’information.
Cette lettre lui rappelle l’importance des interactions durant les lectures d’histoires. Elle peut à son tour en parler aux parents des enfants de son club et proposer aux enfants de réagir davantage lorsqu’elle leur lit une histoire à la fin de chaque séance.
Pourquoi choisir d’intervenir par SMS ? Il s’agit d’un outil de communication utilisé par l’immense majorité de la population, quelles que soient les conditions sociales ou économiques. Il peut être consulté à tout moment en fonction des disponibilités de chacun. Il est lu quasiment systématiquement contrairement à l’email dont le taux d’ouverture est très faible.
Le SMS permet d’atteindre les parents qui ne peuvent pas fréquenter régulièrement les professionnels de l’école et représente un lien supplémentaire avec eux. Pour les parents des enfants des clubs Coup de Pouce, le SMS permet de pallier les obstacles préalablement identifiés dans la recherche : leur manque de disponibilité pour rencontrer les animateurs, leur faible sentiment de compétences dans le domaine des apprentissages scolaires et leur maîtrise inégale du français à l’oral ou à l’écrit.
Un travail à poursuivre sur les représentations et les stéréotypes
L’expérimentation de l’action « Super idée » a été menée la première année auprès de 4 500 parents et 3 300 animatrices et animateurs. Les résultats ont mis en évidence une très forte adhésion et fidélité des parents à l’action avec des taux respectifs de 95 % et 97 %.
Les parents ont pu témoigner dans le cadre d’entretiens que l’action leur avait permis d’être confortés et valorisés dans leur place et leur rôle auprès de leur enfant apprenti lecteur. Pour un tiers d’entre eux, les idées reçues par SMS n’étaient pas connues. Pour un autre tiers, elles étaient connues mais rarement ou pas mises en œuvre avec leur enfant et pour un dernier tiers elles étaient connues et déjà utilisées mais l’action a permis de renforcer leur fréquence et a surtout valorisé le rôle des parents dans la découverte de la lecture et de l’écriture.
Du côté des professionnels, l’engagement a été moins important. Les principaux freins identifiés ont été le besoin de preuve de l’engagement des parents. En effet, pour une partie des animateurs l’engagement déclaré des parents dans l’action « Super idée » et plus globalement dans l’accompagnement scolaire de leur enfant n’est pas une preuve suffisante. Leurs représentations des parents, en particulier de milieux populaires, sont faussées. Les parents sont encore trop souvent considérés comme désengagés et peu en capacité de soutenir la découverte de la lecture de leur enfant.
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La thèse réalisée dans le cadre de cette recherche dans la continuité des études sur la relation entre l’école et les familles populaires montre au contraire que les parents de milieux populaires sont investis, demandeurs de conseils concrets et d’occasions pour soutenir les apprentissages de leurs enfants.
Cela nous rappelle que, dans les contextes scolaires et périscolaires, les représentations sociales et culturelles doivent continuer à être déconstruites pour parvenir à créer les conditions de réussite de tous les enfants.
Céline Ferrier, Docteure en Sciences du langage / littératie, Université Grenoble Alpes (UGA)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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