Rentrée 2024 : quel budget pour l’école ?
Claude Lelièvre, Université Paris CitéLa ministre de l’Éducation nationale démissionnaire Nicole Belloubet a plaidé lors de sa conférence de presse du mardi 27 août 2024 pour que « le budget de l’Éducation nationale soit au moins sanctuarisé : le prochain gouvernement devra y être attentif s’il souhaite maintenir une réelle ambition pour cette priorité nationale ».
Si l’on en juge par les données publiées par les services statistiques du ministère, la part de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur dans le budget de l’État est manifestement déjà prioritaire : de 2006 à 2019, cette part se situe autour de 30 %, même si, à partir de 2020, il y a une baisse sensible pour finir à 26 % en 2023 – en euros constants, cependant, les sommes restent stables, autour de 119 milliards d’euros.
Budget de l’éducation nationale : le tournant des années 1990
Cela fait déjà pas mal de temps que l’on a dépassé le pourcentage de 25 % qui est longtemps apparu comme un horizon plus ou moins mythique. Dès la première élection présidentielle au suffrage universel, François Mitterrand, alors candidat de la gauche, s’était engagé le 4 novembre 1965 à affecter 25 % du budget de l’État à l’Éducation nationale : « la priorité des priorités à l’Éducation nationale » avait-il dit.
Lors de la présidentielle de 1988, François Mitterrand, désormais président de la République sortant, avait promis au moins 15 milliards de francs supplémentaires pour faire du budget de l’Éducation « le premier budget de l’État ». In fine, l’augmentation à la fin des années 1980 sera de 90 milliards de francs. C’est à ce moment-là que la dépense intérieure d’éducation passera de 6,5 % du produit intérieur brut à 7,7 % dans les années 1990, pour redescendre ensuite et se stabiliser autour de 6,7 %.
Dans les temps plus ou moins mythifiés de Jules Ferry et de l’institution d’une école républicaine et laïque au début des années 1880, on n’en était pas là, tant s’en faut. En 1876, juste avant que les Républicains s’emparent effectivement de la République, 1,6 % seulement du budget de l’État était dévolu au financement de l’école, soit 40 millions de francs-or. C’est le double en 1883 soit 80 millions et 3,2 % du budget. Et l’on atteint encore le double en 1896 soit quelque 6,6 %, un étiage qui va ensuite durer pas mal d’années.
Dans l’enseignement supérieur, la politique volontariste des années 1960
On a assisté à une augmentation moyenne de 1,5 % par an en prix constants tous niveaux confondus de la dépense moyenne par élève ou étudiant depuis 1980.
Comme on peut le constater, ces évolutions ont eu lieu à des rythmes divers et selon des intensités quelque peu variables. Dans le passé, il y a pu avoir des différenciations beaucoup plus sensibles. On peut citer en particulier à cet égard la politique budgétaire très volontariste du président de la République Charles de Gaulle en faveur de l’enseignement supérieur durant les années 1960, une politique d’augmentation budgétaire prioritaire en la matière qui n’a aucun équivalent historique.
Les éléments budgétaires rassemblés par le professeur d’économie Jean-Claude Eicher lors du colloque de l’Institut Charles de Gaulle, en 1990, ne permettent pas le doute :
« L’analyse révèle que si l’on s’est contenté, pendant la période gaullienne, de satisfaire plus ou moins bien une demande en forte augmentation dans l’enseignement secondaire, et si l’on n’a pas fait d’effort financier particulier pour l’enseignement primaire, on a clairement mené une politique d’expansion et d’amélioration de la qualité de l’enseignement supérieur ; il apparaît également que cette politique a été nettement remise en cause à partir du moment où le général de Gaulle a quitté le pouvoir. »
De 1959 à 1969, les effectifs d’étudiants sont multipliés par 2,5. Le budget fait plus que suivre, puisqu’il est multiplié par quatre en francs constants. Les taux d’encadrement sont nettement améliorés : le nombre d’enseignants pour cent étudiants passe de 2,5 en 1957 à 4,6 en 1967. En francs constants, si on prend pour repère l’indice 100 en 1957, la dépense par étudiant croit jusqu’à l’indice 234 en 1967, pour retomber ensuite à 189 en 1972 puis 158 en 1977. Un vrai « grand bond » en avant !
Le traité de Rome, signé en 1957, vient d’instituer l’Europe communautaire. La mise en orbite par l’Union soviétique, en 1957 également, du premier satellite terrestre – le Spoutnik – interpelle l’ensemble des pays de l’Ouest : qu’en est-il de la suprématie scientifico-technologique des uns et des autres, de la « bataille des cerveaux » ? C’est dans ces circonstances que Charles de Gaulle, en bon nationaliste moderne, met en œuvre sa politique prioritaire en matière d’enseignement : le développement volontariste des enseignements supérieurs.
L’éducation, un investissement pour l’avenir
Il semble que les temps ne soient pas actuellement propices aux grandes envolées budgétaires volontaristes que l’on a connues sous la présidence du général de Gaulle dans les années 1960 ou sous le second septennat du président de la République François Mitterrand à la fin des années 1980 et au début des années 1990. La France est fortement endettée. Elle se trouve sous la surveillance des agences de notation dans le monde financier et reçoit des rappels à l’ordre de certaines instances européennes.
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Compte tenu de son importance dans le budget de l’État, le budget dévolu à l’éducation nationale et à l’enseignement supérieur ne peut échapper à l’examen et peut-être à la mise en cause. Encore faut-il sans doute ne pas oublier que, s’il peut apparaître au premier plan comme des dépenses de fonctionnement, il a aussi une dimension d’investissement – directement ou indirectement – que l’on ne devrait pas perdre de vue et qui fait partie de la justification de son caractère « prioritaire » dans la mesure où il est en principe vecteur d’avenir.
Mais on peut aussi songer peut-être à des rééquilibrages entre les différentes filières car, même si les différences d’équipements et de types d’encadrement peuvent justifier certaines disparités, cela ne va pas toujours de soi et leur importance peut parfois interroger.
Claude Lelièvre, Enseignant-chercheur en histoire de l'éducation, professeur honoraire à Paris-Descartes, Université Paris Cité
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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