La tolérance aux antibiotiques, un problème mais aussi une piste pour comprendre et combattre la résistance aux antibiotiques

Santé
The Conversation

Les bactéries tolérantes aux antibiotiques entrent dans un état de dormance puis se réveillent quand l’antibiotique n’est plus présent. Jim Surkamp, Flickr, CC BY-NC

La tolérance aux antibiotiques, un problème mais aussi une piste pour comprendre et combattre la résistance aux antibiotiques

Les bactéries tolérantes aux antibiotiques entrent dans un état de dormance puis se réveillent quand l’antibiotique n’est plus présent. Jim Surkamp, Flickr, CC BY-NC
Megan Keller, Cornell University

Avez-vous déjà eu une vilaine infection qui ne semble pas vouloir disparaître ? Ou d’un nez qui coule et qui revient sans cesse ? Il se peut que vous ayez eu affaire à une bactérie qui tolère les antibiotiques, mais qui n’y est pas encore résistante.

La résistance aux antibiotiques est un problème majeur : elle a contribué à près de 1,27 million de décès dans le monde en 2019. La tolérance aux antibiotiques, quant à elle, est un sujet de recherche plus récent.

La tolérance aux antibiotiques se produit lorsqu’une bactérie survit longtemps après son exposition à des antibiotiques. Alors que les bactéries résistantes aux antibiotiques prospèrent même en présence d’un antibiotique, les bactéries tolérantes vivent plutôt dans un état de dormance – elles ne se développent pas, ni ne meurent, mais supportent l’antibiotique jusqu’à ce qu’elles puissent se « réveiller », une fois le stress disparu. La tolérance a été liée à la propagation de la résistance aux antibiotiques.

Je suis une microbiologiste. J’étudie la tolérance aux antibiotiques et je cherche à découvrir ce qui pousse les bactéries tolérantes à entrer dans cet état de dormance.

En comprenant pourquoi les bactéries ont la capacité de devenir tolérantes, les chercheurs espèrent développer des moyens d’éviter la propagation de cette capacité. Le mécanisme exact qui différencie la tolérance de la résistance n’est pas encore clair, mais une des pistes réside dans la façon dont les bactéries créent leur énergie – un processus négligé pendant des décennies.

Le choléra et la tolérance aux antibiotiques

De nombreux antibiotiques sont conçus pour percer les défenses extérieures de la bactérie comme un boulet de canon dans une forteresse de pierre. Les bactéries résistantes sont immunisées contre les boulets de canon, parce qu’elles peuvent soit le détruire avant qu’il n’endommage leur mur extérieur, soit modifier leurs propres murs pour pouvoir résister à l’impact.

De leur côté, les bactéries tolérantes peuvent supprimer entièrement leur mur et éviter tout dommage : pas de mur, pas de cible pour le boulet de canon. Si la menace disparaît rapidement, la bactérie peut reconstruire son mur pour se protéger d’autres dangers environnementaux et reprendre ses fonctions normales. Cependant, on ne sait toujours pas comment les bactéries savent que la menace antibiotique a disparu ni ce qui déclenche exactement leur réveil.

Avec mes collègues du laboratoire Dörr de l’université Cornell, nous essayons de comprendre les processus d’activation et de réveil de la bactérie tolérante responsable du choléra, Vibrio cholerae.

En effet, les médecins sont inquiets car la bactérie Vibrio cholerae est en train de développer rapidement une résistance à divers types d’antibiotiques. Ainsi, en 2010, Vibrio cholerae était déjà résistante à 36 antibiotiques différents, et on s’attend à ce que ce nombre augmente encore.

Pour étudier comment Vibrio cholerae développe une résistance, nous avons choisi une souche tolérante à une classe d’antibiotiques appelés bêta-lactames ou bêta-lactamines. Les bêta-lactamines sont le boulet de canon envoyé pour détruire la forteresse de la bactérie, et Vibrio cholerae s’adapte en activant deux gènes qui suppriment temporairement sa paroi cellulaire – un phénomène que j’ai pu observer au microscope. Après avoir supprimé sa paroi cellulaire, la bactérie active d’autres gènes, qui la transforment en « globules », fragiles mais capables de survivre aux effets de l’antibiotique. Une fois l’antibiotique éliminé ou dégradé, Vibrio cholerae reprend sa forme normale de bâtonnet et continue à se développer.

Les Vibrio cholerae normalement en forme de bâtonnet enlèvent leurs parois cellulaires et se transforment en globules en présence de pénicilline, ce qui leur permet de survivre plus longtemps.
Vibrio cholerae reprend sa structure en bâtonnets une fois la menace antibiotique écartée.

Chez l’homme, ce processus de tolérance est observé lorsqu’un médecin prescrit un antibiotique, généralement la doxycycline, à un patient infecté par le choléra. L’antibiotique semble temporairement arrêter l’infection. Mais les symptômes réapparaissent ensuite, car les antibiotiques n’ont jamais complètement éliminé les bactéries.

La capacité de revenir à la normale et de se développer après la disparition de l’antibiotique est la clé de la survie des bactéries tolérantes.

Exposer Vibrio cholerae à un antibiotique pendant une période suffisamment longue finirait par le tuer. Mais un traitement antibiotique standard n’est souvent pas assez long pour se débarrasser de toutes les bactéries, même dans un état fragile. De plus, la prise d’un médicament pendant une période prolongée peut nuire aux bactéries et aux cellules saines, ce qui peut provoquer une aggravation de l’inconfort et de la maladie. En outre, le mauvais usage et l’exposition prolongée aux antibiotiques peuvent augmenter les risques de résistance des autres bactéries présentes dans l’organisme.

D’autres bactéries développent une tolérance

La bactérie Vibrio cholerae n’est pas la seule espèce à faire preuve de tolérance à des antibiotiques, et les chercheurs ont récemment identifié de nombreuses bactéries infectieuses qui ont développé une tolérance. Une famille de bactéries appelée entérobactéries, qui comprend les principaux agents pathogènes des maladies d’origine alimentaire Salmonella, Shigella et E. coli, n’est qu’une partie des nombreux types de bactéries capables de tolérer les antibiotiques.

Comme chaque bactérie est unique, la façon dont elle développe la tolérance semble l’être également. Certaines bactéries, comme Vibrio cholerae, effacent leurs parois cellulaires. D’autres peuvent modifier leurs sources d’énergie, augmenter leur capacité à se déplacer ou simplement évacuer l’antibiotique.

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J’ai récemment découvert que le métabolisme d’une bactérie, c’est-à-dire la façon dont elle décompose sa « nourriture » pour produire de l’énergie, peut jouer un rôle important dans sa capacité à devenir tolérante aux antibiotiques. En effet, les différentes structures d’une bactérie, y compris sa paroi extérieure, sont constituées d’éléments spécifiques tels que des protéines. En empêchant la bactérie de fabriquer ces éléments, on affaiblit sa paroi, ce qui la rend plus susceptible d’être endommagée par l’environnement extérieur avant qu’elle ne puisse l’abattre.

La tolérance et la résistance sont liées

Bien que de nombreuses recherches aient été menées sur la manière dont les bactéries développent des tolérances aux antibiotiques, il reste une pièce essentielle du puzzle à explorer : la manière dont la tolérance conduit à la résistance.

En 2016, des chercheurs ont découvert comment rendre les bactéries tolérantes en laboratoire. Après une exposition répétée à différents antibiotiques, des cellules d’E. coli ont pu s’adapter et survivre. L’ADN, le matériel génétique contenant les instructions pour le fonctionnement des cellules, est une molécule fragile. Lorsque l’ADN est rapidement endommagé par un stress – par exemple l’exposition à un antibiotique, les mécanismes de réparation de la cellule ont tendance à se dérégler et à provoquer des mutations susceptibles de créer une résistance et une tolérance.

Comme E. coli est similaire à de nombreux types de bactéries, les résultats de ces chercheurs montrent ironiquement que presque toutes les bactéries peuvent développer une tolérance… si elles sont poussées à leurs limites par les antibiotiques censés les tuer.

Les bactéries vivent en communautés dans les biofilms. Source : BIOASTER, Institut d’Innovation Technologique en Microbiologie.

Une autre découverte récente très importante est que plus les bactéries restent longtemps tolérantes aux antibiotiques, plus elles sont susceptibles de développer des mutations menant à la résistance. En effet, la tolérance permet aux bactéries de développer une mutation de résistance qui réduit leurs chances d’être tuées lors d’un traitement antibiotique.

Ce phénomène est particulièrement important pour les communautés bactériennes qui sont souvent observées dans les biofilms qui ont tendance à recouvrir les surfaces souvent touchées dans les hôpitaux. Ces biofilms sont des couches gluantes de bactéries qui suintent une gelée protectrice qui rend difficile le traitement antibiotique et facilite le partage de l’ADN entre les microbes. Ainsi, ils peuvent faciliter le développement d’une résistance aux antibiotiques. On pense que ces conditions sont en fait similaires à ce qui pourrait se produire lors d’infections traitées aux antibiotiques, dans lesquelles de nombreuses bactéries vivent les unes à côté des autres et partagent leur ADN.

Les chercheurs appellent à une intensification des recherches sur la tolérance aux antibiotiques dans l’espoir qu’elles débouchent sur des traitements plus robustes, tant pour les maladies infectieuses que pour les cancers. Et il y a des raisons d’espérer. Une étude sur des souris a montré que la diminution de la tolérance aux antibiotiques réduit également la résistance.

Entre-temps, chacun peut prendre des mesures pour contribuer à la lutte contre la tolérance et la résistance aux antibiotiques : en prenant un antibiotique exactement comme il a été prescrit par le médecin, et en terminant tout le flacon. Une exposition brève et irrégulière à un médicament incite les bactéries à devenir tolérantes et finalement résistantes. Une utilisation plus rigoureuse des antibiotiques par l’ensemble de la population contribuerait à stopper l’évolution des bactéries tolérantes aux antibiotiques.

Megan Keller, Ph.D. Candidate in Microbiology, Cornell University

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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