Photo de DIEGO SANCHEZ sur UnsplashSanté cardiovasculaire et minorités sexuelles : vers une meilleure prise en compte en France ?
Jean-Philippe Empana, Inserm et Omar Deraz, InsermAu cours des dernières décennies, cliniciens, chercheurs en santé publique et autorités publiques ont pris conscience du fait que les minorités sexuelles et de genre (LGBTQI+) ont des besoins spécifiques en matière de prévention et de soins de santé, en partie liés à des disparités socio-économiques et des expériences de discrimination.
Si, dès les années 1980, l’épidémie de VIH a mis un coup de projecteur sur le sujet, les recherches menées plus récemment ont permis de souligner l’existence d’inégalités en matière de santé et d’accès aux soins dans d’autres domaines que celui des maladies infectieuses.
Des études antérieures conduites principalement aux États-Unis et aux Pays-Bas avaient documenté des disparités concernant les facteurs de risque de maladies cardio-vasculaires des minorités sexuelles, par rapport aux personnes hétérosexuelles – par exemple, des différences concernant les facteurs de santé cardio-vasculaires liés au style de vie comme le tabagisme, l’alimentation déséquilibrée et la sédentarité. Les données sur les facteurs de santé biologiques tels que la glycémie, la pression artérielle et les lipides sanguins sont en revanche insuffisamment décrits dans cette population.
Alors que les maladies cardio-vasculaires représentent la première cause de mortalité dans le monde, il semblait essentiel d’obtenir également une photographie de la santé cardio-vasculaire des minorités sexuelles en France. Les maladies cardio-vasculaires représentent la deuxième cause de mortalité après les tumeurs en France (135 000 décès sur les 667 000 enregistrés en 2020, soit 20 % de la mortalité toute cause, contre 25 % pour les tumeurs). En outre, en 2018, 4,1 millions de Français du régime d’Assurance général étaient traités pour une maladie cardio-neuro-vasculaire.
C’est pour répondre à cet enjeu, ainsi qu’aux disparités observées chez les personnes LGBTQI+, que nous avons mené la première étude nationale française s’intéressant aux inégalités en matière de santé cardio-vasculaire, en fonction de l’identité sexuelle.
Zoom sur la situation en France
Notre travail a consisté à étudier le niveau de santé cardio-vasculaire en fonction de l’identité sexuelle déclarée des participants de la cohorte Constances. Notre étude a porté sur 169 434 adultes non atteints de maladies cardio-vasculaires. Parmi les 90 879 femmes, 555 étaient lesbiennes, 3 149 bisexuelles, 84 363 hétérosexuelles et 2 812 ont refusé de répondre sur leur identité sexuelle. Parmi les 78 555 hommes, 2 421 étaient homosexuels, 2 748 bisexuels, 70 994 hétérosexuels et 2 392 ont refusé de répondre.
La santé cardio-vasculaire des participants était mesurée par un score composite à 8 items (le Life’s Essential 8 ou LE8) développé par l’Association américaine de cardiologie. Chaque item (exposition à la nicotine, alimentation, activité physique, indice de masse corporelle, sommeil, glycémie, pression artérielle et niveau de cholestérol total dans le sang) est pondéré et permet d’obtenir un score total variant de 0 à 100. Un score élevé traduit une meilleure santé cardio-vasculaire, avec un score proche de 100 traduisant une santé cardio-vasculaire dite « idéale ».
Plusieurs résultats ressortent de nos analyses. D’abord, si les femmes présentent globalement une meilleure santé cardio-vasculaire que les hommes, nous observons chez les femmes lesbiennes et bisexuelles des scores qui indiquent de moins bons résultats, si l’on compare aux femmes hétérosexuelles. En revanche, les hommes gays ont une meilleure santé cardio-vasculaire que les hommes hétérosexuels.
Pour prendre quelques exemples concrets : les femmes lesbiennes avaient des scores plus faibles d’alimentation et de tension artérielle, tandis que les femmes bisexuelles avaient des scores d’alimentation plus élevés par rapport aux femmes hétérosexuelles. Par rapport aux hommes hétérosexuels, les hommes gays et bisexuels avaient des scores plus élevés pour chaque item du LE-8, à l’exception du niveau d’activité physique qui était plus faible chez les hommes gay. Les femmes et les hommes bisexuels étaient aussi plus exposés à la nicotine que leurs homologues hétérosexuels.
Des analyses complémentaires indiquent que ces résultats doivent cependant être nuancés.
Chez les femmes qui avaient eu une grossesse au cours de leur vie, on ne retrouvait plus de différence entre les minorités sexuelles et les femmes hétérosexuelles, alors que les différences persistaient chez les femmes n’ayant pas eu de grossesse.
La meilleure santé cardio-vasculaire observée de manière générale chez les hommes gays par rapport aux hommes hétérosexuels ne se maintenait pas en milieu rural. Au total, ces éléments soulignent l’importance de l’accès aux soins et du contact régulier avec les professionnels de santé.
Des hypothèses pour expliquer cette situation
Plusieurs hypothèses peuvent expliquer les différences observées entre les hommes et les femmes LGBTQI+ et les hommes et les femmes hétérosexuelles.
Le niveau d’exposition à différents types de stress tels que la discrimination peut varier entre les hommes gay/bisexuels et les femmes lesbiennes et bisexuelles comparé aux individus hétérosexuels.
Il peut également exister des différences dans les ressources d’adaptation et de résilience pour faire face à ces facteurs de stress. Une autre étude récemment publiée et reposant sur les données de Constances suggèrent des différences entre les hommes et les femmes homosexuels concernant les taux de dépression, de tentatives de suicide, d’addiction à l’alcool et au cannabis, qui ont un impact sur la santé (mentale) en général, et la santé cardio-vasculaire en particulier.
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La santé cardio-vasculaire pourrait être également influencée par des facteurs systémiques, liés notamment à un accès au système de santé diminué des minorités sexuelles par rapport aux hétérosexuels. Par exemple, des travaux ont montré en Angleterre que les personnes LGBTQl+, et surtout les femmes lesbiennes, rencontrent plus de difficultés à y accéder. Elles rapportent des discriminations (inconscientes) de la part des personnels soignants et une incompréhension de leurs problématiques de santé.
Du côté des hommes gay et bisexuels, une meilleure « littératie-santé » (c’est-à-dire la capacité à accéder, comprendre et utiliser les informations concernant leur santé) ainsi que la sensibilisation aux dépistages réguliers des maladies et infections sexuellement transmissibles (IST) peuvent contribuer à une augmentation des contacts avec les professionnels de la santé et des services de prévention et donc une meilleure santé cardio-vasculaire par rapport aux hommes hétérosexuels.
Enfin, on peut aussi souligner que des expériences différentes en matière de discrimination, et des différences dans la capacité de résilience pour affronter les facteurs de stress sociétaux et financiers peuvent également expliquer partiellement les différences entre les hommes et les femmes de minorités sexuelles et leurs homologues hétérosexuels.
En conclusion, il existe au sein de la population adulte française des inégalités en matière de santé cardio-vasculaire qui touchent les minorités sexuelles, particulièrement les femmes lesbiennes et bisexuelles. Leur proposer une offre de soins et de services de prévention optimale suppose que les acteurs du système de santé soient sensibles à leurs problématiques de discrimination et d’accès aux soins, aux biais qui peuvent survenir dans leur pratique, afin d’établir une relation de confiance entre les acteurs du système de santé et les minorités sexuelles.
Précision : Constances est une cohorte épidémiologique française, constituée d’un échantillon représentatif de 220 000 adultes âgés de 18 à 75 ans. Les participants sont invités à passer un examen de santé tous les quatre ans et à remplir un questionnaire tous les ans. Les données recueillies (santé, caractéristiques socioprofessionnelles, paramètres biologiques, physiologiques, physiques et cognitifs) sont appariées chaque année aux bases de données de l’Assurance maladie. Ce projet est soutenu par la Caisse nationale de l’assurance maladie et financé par le Programme d’investissement d’avenir.
Jean-Philippe Empana, Directeur de recherche, Centre de recherche cardiovasculaire de Paris, équipe Épidémiologie intégrative des maladies cardiovasculaires, INSERM U970, Université Paris Cité, Inserm et Omar Deraz, Chirurgien-dentiste, doctorant au Centre de Recherche Cardiovasculaire de Paris, Équipe épidémiologie Intégrative des Maladies Cardiovasculaires, INSERM U970, Université Paris Cité, Inserm
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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