Viande in vitro : encore pire pour la planète que la vraie ?

Environnement

Alors que l'élevage est un gros contributeur de gaz à effet de serre, cultiver la viande à partir de cellules souches semble sur le papier une alternative plus durable. Pourtant, à très long terme, le bénéfice en matière de réchauffement climatique pourrait s'inverser, estime une nouvelle étude. Cela n'empêche pas de nombreuses startups de se lancer sur le marché, malgré des prix de production pour le moment prohibitifs et une demande très incertaine des consommateurs, plutôt réticents aux produits très transformés.

En 2013, le premier steak fabriqué in vitro a pu être dégusté à Londres. Cette « viande » fabriquée à partir de cellules souches élevées dans des boîtes de Petri et arrosée de divers additifs pour améliorer sa texture, est censée être plus éthique, puisqu'elle ne nécessite pas de tuer d'animaux, et plus vertueuse au niveau environnemental, puisqu'aucune vache n'est élevée. Or, l'élevage génère 18 % des gaz à effet de serre au niveau mondial, principalement du méthane (CH4) issu de la rumination et des déjections ainsi que du protoxyde d'azote (N2O). Une étude de l’université d’Oxford a calculé, en 2011, que la production de viande artificielle permet de diminuer les émissions de gaz à effet de serre de 96 % par rapport à la viande conventionnelle, nécessite 45 % d'énergie en moins et économise jusqu'à 96 % d'eau.

Viande artificielle : le nouvel eldorado des startups

Ces enjeux ont poussé de nombreuses startups à se lancer dans la fabrication de viande artificielle ces dernières années : Memphis Meats, financée notamment par les milliardaires Richard Branson et Bill Gates, Just, ou encore Mosa Meat font partie des plus avancées. Plusieurs startups israéliennes sont également sur les rangs comme Future Meat Technologies ou Aleph Farms. La startup japonaise Integriculture a même promis un foie gras artificiel pour 2021. Preuve de l'avancée rapide des techniques, l'administration américaine a établi en novembre 2018 un cadre réglementaire ouvrant la voie à la future commercialisation de ces aliments issus de cellules souches.

Méthane contre CO2, le match en trompe-l’œil

Mais patatras ! Selon une nouvelle étude de l'université d'Oxford publiée dans la revue Frontiers in Sustainable Food Systems, le steak de culture ne serait pas du tout aussi vertueux que pensé. L'erreur est de considérer tous les gaz à effet de serre comme équivalents, expliquent les chercheurs. La plupart des études se contentent en effet de convertir les émissions de méthane en équivalent carbone. Or, « Par tonne, le méthane est effectivement un gaz à effet de serre bien plus puissant que le CO2, note ainsi Raymond Pierrehumbert, dans une interview à la BBC. Mais il ne reste dans l'atmosphère que 12 ans, alors que le CO2 s'y accumule pendant des milliers d'années. »

Le steak in vitro plus polluant… à horizon 1.000 ans

Les chercheurs ont ainsi repris les données des précédentes études mais converti les différentes émissions en terme d'équivalent CO2 sur 100 ans. Ils ont ensuite procédé à différentes hypothèses de consommation, où la viande traditionnelle serait peu à peu remplacée par celle produite en laboratoire jusqu'à un horizon de 1.000 ans. Résultat, plus on avance dans le temps, plus l'avantage de la viande in vitro s'amenuise. Au bout de 450 ans, même l'élevage le plus polluant devient plus compétitif en terme de réchauffement que la viande de culture, malgré une empreinte carbone de départ presque deux fois supérieure.

Émissions de gaz à effet de serre (kg par kg de viande obtenue) et en pouvoir réchauffant équivalent CO2 sur 100 ans pour les différentes méthodes de production. Sur le très long terme (1.000 ans), le bénéfice environnemental de la viande de culture s’annule. © D’après J.Lynch et R.Pierrehumbert, Front. Sustain. Food, 2019

Émissions de gaz à effet de serre (kg par kg de viande obtenue) et en pouvoir réchauffant équivalent CO2 sur 100 ans pour les différentes méthodes de production. Sur le très long terme (1.000 ans), le bénéfice environnemental de la viande de culture s’annule. © D’après J.Lynch et R.Pierrehumbert, Front. Sustain. Food, 2019


Ce n'est pas la première fois que l'intérêt écologique de la viande in vitro est mis en cause. En 2015, une étude publiée dans la revue Environnement Science & Technology avait déjà conclu que la viande in vitro nécessitait plus d'énergie que l'élevage de bœuf, de porc ou de poulet.

Énergie, gaz à effet de serre, antibiotiques et nitrates… d’innombrables facteurs à prendre en compte

En réalité, tout cela reste purement hypothétique. Outre le fait que faire des prévisions de consommation à horizon 1.000 ans est quelque peu aventureux, il est difficile d'estimer l'impact potentiel de chaque mode de production : tout dépend du type d'énergie utilisée pour cultiver les cellules de viande, des méthodes de fabrication, encore balbutiantes, et de l'appétit du public pour ce type de viande. De même, les émissions liées à l'élevage varient énormément selon l'alimentation de la vache, l'endroit où elle pâture, etc. De nombreux autres facteurs ne sont par ailleurs pas pris en compte. « La culture de cellules musculaires nécessite des hormones, des facteurs de croissance, du sérum de veau fœtal, des antibiotiques et des fongicides qui vont se retrouver dans les eaux usées des usines », critique ainsi Jean-François Hocquette, chercheur à l'Inra qui a coordonné en 2015 une étude sur le sujet. La viande in vitro pourrait néanmoins apporter quelques bénéfices, comme la diminution des maladies véhiculées par les animaux, une réduction des nitrates dans les effluents ou du transport.

Qui veut de ma viande artificielle ?

Pour le moment, il n'est de toute façon pas question de déguster cette fausse viande avant un bout de temps. En premier lieu pour une question de prix. Le premier steak sorti des laboratoires en 2013 avait ainsi coûté 285.000 euros pour 142 grammes ! Même si les différentes startups promettent des prix finaux compétitifs par rapport à la viande traditionnelle, « ce n'est certainement pas pour la prochaine décennie », balaye Jean-François Hocquette. « Le temps d'acceptation sociale est largement sous-estimé, notamment dans la presse occidentale, attirée par le caractère révolutionnaire de cette innovation », juge le chercheur, pour qui il existe bien d'autres solutions plus accessibles pour nourrir l'humanité tout en respectant l'environnement et les animaux.

De très nombreuses startups ont ainsi préféré fabriquer leur fausse viande à partir d'un mélange de protéines végétales, comme Impossible Foods, Beyond Meat ou Moving Mountains. Des imitations, semble-t-il, très convaincantes sur le plan de goût et de la texture, mais bourrées d'additifs de toutes sortes. Des aliments industriels ultratransformés, bien loin de la tendance actuelle du retour au naturel.

Ce qu'il faut retenir
  • Alors que l’élevage est un gros contributeur de gaz à effet de serre, cultiver la viande à partir de cellules souches semble sur le papier une alternative plus durable.
  • À très long terme, pourtant, le bénéfice environnemental est moindre car le CO2 nécessaire à sa fabrication a une durée de vie beaucoup plus longue que le méthane dans l’atmosphère.
  • De nombreuses startups se sont pourtant lancées sur le marché, malgré une demande très incertaine des consommateurs, plutôt réticents aux produits très transformés.

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