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Quelles espèces d’arbres planter en ville ?

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Quelles espèces d’arbres planter en ville ?

Magnolia de Soulange en fleurs fin mars en ville à Metz. Serge Muller, Fourni par l'auteur
Serge Muller, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)

Le 23 mars 2025, les Parisiens pourront aller voter pour s’exprimer sur le projet de végétalisation de 500 nouvelles rues. Planter des arbres en ville pour y développer la forêt urbaine, c’est bien, mais lesquels ? Faut-il privilégier les espèces locales ? Peut-on planter des espèces menacées ? Quelles essences choisir pour mieux rafraîchir nos villes et les adapter aux conditions climatiques de demain ? Tour d’horizon des critères à prendre en compte sur ces questions.


De multiples opérations de plantations d’arbres sont actuellement réalisées dans nos villes afin de les adapter aux conditions climatiques et environnementales de la deuxième moitié du XXIe siècle. Il peut s’agir de nouvelles plantations linéaires dans les rues, parfois de la création de nouveaux parcs urbains dans le cadre de projets immobiliers, de micro-forêts Miyawaki ou de « mini-forêts urbaines », comme à Paris. On ne peut que se réjouir de la multiplication de ces opérations de boisement en milieu urbain.

Il se pose toutefois la question du choix des espèces d’arbres à planter, sachant qu’il en existe potentiellement des milliers dans le monde. De nombreuses réflexions sont actuellement menées et plusieurs outils ont été proposés ces dernières années ou sont en cours de développement pour guider le choix des espèces sur la base de critères pertinents.

Faut-il privilégier les espèces indigènes par rapport aux exotiques ?

Certaines associations environnementalistes et municipalités considèrent que les espèces indigènes du territoire régional doivent être privilégiées dans les plantations urbaines, car elles seraient mieux adaptées aux conditions écologiques (dont climatiques) et constitueraient un support de biodiversité plus approprié dans les villes que les espèces exotiques.

Mais c’est méconnaître les particularités du climat urbain, plus chaud de plusieurs degrés par rapport aux environs, et ne pas prendre en compte ses évolutions prévues pour les prochaines décennies.

Par ailleurs, il n’est pas attesté que les arbres natifs d’une région soient davantage fréquentés par la faune locale que les arbres exotiques.

Les espèces d’arbres indigènes sont par ailleurs peu nombreuses dans nos régions tempérées d’Europe de l’Ouest. On en trouve environ 130 pour toute la France métropolitaine et seulement une vingtaine en Île-de-France (le nombre exact dépend des limites retenues entre arbres et arbustes), alors que plus de 700 espèces d’arbres plantés sont présentes à Paris.

De fait, le cortège bien plus diversifié des espèces exotiques offre davantage de possibilités d’adaptation à des contextes différents et elles sont largement dominantes dans les cortèges végétaux de la plupart des villes. Ainsi à Paris, seulement 15 % des arbres recensés dans la base de données de la ville correspondent à des espèces indigènes en Île-de-France.

Certaines espèces exotiques cependant sont reconnues comme invasives, on parle d’espèces exotiques envahissantes. Elles sont de ce fait généralement exclues des plantations afin d’éviter qu’elles constituent des peuplements monospécifiques dont les autres espèces sont exclues, comme dans certaines forêts suburbaines, par exemple certaines parcelles du bois de Boulogne. Elles peuvent aussi se développer spontanément dans des friches urbaines comme aux abords de la petite ceinture à Paris et y constituer des boisements sauvages.

La petite ceinture, une ancienne ligne de chemin de fer à double voie de 32 kilomètres de longueur encerclant Paris
La petite ceinture, une ancienne ligne de chemin de fer de 32 kilomètres de longueur encerclant Paris, ici dans le XIVe arrondissement, avec au premier plan le robinier faux-acacia.“/> L’ailante, que la réglementation européenne a Serge Muller, Fourni par l'auteur
classé en 2019 parmi les espèces exotiques envahissantes préoccupantes pour l’Union européenne, semble effectivement éliminé des palettes de végétalisation dans les villes, son introduction et sa propagation étant désormais interdites en France métropolitaine.

Par contre, le robinier faux-acacia, reconnu de longue date comme invasif dans les milieux naturels, figure lui toujours parmi les espèces commercialisées et plantées dans certains espaces urbains.

Fleur d’ailante à gauche et fleur de robinier faux acacia à droite
Fleurs d’ailante à gauche et de robinier faux-acacia à droite. Serge Muller, Fourni par l'auteur

Le paulownia suscite également des interrogations mais, plutôt que sa présence en ville, c’est surtout sa culture intensive comme arbre de production de bois en milieu agricole qui crée un risque important d’expansion dans les milieux naturels.

Ainsi les espèces d’arbres et d’arbustes exotiques peuvent conduire à des boisements spontanés intéressants dans les milieux urbains, mais une vigilance s’impose afin d’éviter les risques de colonisation des milieux naturels adjacents.


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Peut-on planter en ville des espèces menacées de disparition ?

Un autre a priori qui mérite d’être dépassé est celui des espèces menacées de disparition dans leurs milieux naturels, qu’il faudrait exclure des plantations urbaines afin de ne pas affecter davantage leurs populations relictuelles.

En fait, un tel risque n’existe pas car les arbres plantés en ville ne proviennent pas de récoltes réalisées dans les milieux naturels, si ce n’est les rares prélèvements effectués à l’origine afin de permettre leur culture ex situ dans les arboretums ou les jardins botaniques, conduisant à des multiplications faites ensuite dans des pépinières à partir de ces premières cultures.

Ainsi le séquoia de Chine (Metasequoia glyptostroboides), une espèce relique, découverte dans les années 1940 et classée en danger d’extinction par l’union internationale pour la conservation de la nature (UICN), a fait l’objet d’une large diffusion dans les jardins botaniques et les parcs urbains des régions tempérées.

À Paris, outre quelques arbres historiques comme celui du Jardin des Plantes, issu des premières graines rapportées de Chine en 1948, il a été planté plus récemment dans d’autres parcs et même comme arbre d’alignement rue Watteau (XIIIe arrondissement), ainsi qu’au cimetière parisien de Thiais, si bien que plus de 170 arbres sont maintenant comptabilisés à Paris. À Grenoble, le stade des Alpes, construit au début des années 2000, a été entouré par une plantation d’une soixantaine de séquoias de Chine. Ces plantations ex situ, également abondantes dans de nombreux autres pays dans des conditions climatiques favorables, contribuent ainsi à la pérennité de l’espèce.

L’exemple plus récent du pin de Wollemi (Wollemia nobilis) est également éloquent. Espèce relique d’une lignée remontant à l’ère secondaire (il y a plus de 200 millions d’années), découverte en 1994 dans un unique canyon en Australie, il est considéré comme étant en danger critique d’extinction par l’UICN. Mais sa diffusion dans le cadre du plan de sauvetage de l’espèce, mis en place par les Australiens afin de le faire mieux connaître et de baisser les pressions sur la seule population naturelle existante, a attesté que la plantation des arbres d’une espèce menacée peut être un moyen pour en permettre une meilleure protection in situ. L’espèce a ainsi été plantée dans un grand nombre de jardins botaniques aux conditions adaptées dans le monde.

Un séquoia de Chine et un pin de Wollemi
Le séquoia de Chine et le pin de Wollemi au Jardin des Plantes à Paris. Serge Muller, Fourni par l'auteur

De multiples autres espèces largement plantées en ville correspondent en fait à des espèces menacées dans leur milieu naturel, comme le ginkgo, le cèdre du Liban, le platane d’Orient et même le marronnier d’Inde.

L’intérêt de la plantation en ville pour la conservation d’espèces menacées a été bien démontré, dès les années 1980, avec le bois de senteur blanc (Ruizia cordata), espèce endémique de l’île de La Réunion, qui était menacée de disparition totale du fait de prélèvements et d’écorçages excessifs sur les individus sauvages par les producteurs de tisanes. Mais sa reproduction réussie au conservatoire botanique de Brest, puis sa réintroduction dans le milieu naturel et comme arbre d’ornement dans les villes réunionnaises ont permis de renforcer les populations résiduelles et de baisser les pressions sur les rares individus sauvages persistants et ainsi d’assurer son sauvetage.

Certaines espèces d’arbres endémiques et menacées en France, comme les alisiers de Legré et de Reims, seulement décrites en 2009 et localisées à la montagne de Lure (Alpes-de-Haute-Provence) pour la première et aux environs de Reims pour la seconde, toutes deux classées en danger d’extinction sur la liste rouge européenne, pourraient ainsi également être plantées en ville, à condition que les pépiniéristes s’intéressent à ces espèces, évidemment sans porter atteinte à leurs populations naturelles, ce qui permettrait de les faire mieux connaître et de les mettre en valeur.

Un statut de protection réglementaire de ces espèces menacées, comme cela est le cas pour Ruizia cordata à La Réunion, ne change pas la possibilité et l’intérêt de plantations urbaines de sauvegarde de ces arbres, car la protection ne concerne que les spécimens sauvages et il est donc tout à fait autorisé de planter en ville des individus originaires de cultures. C’est d’ailleurs le cas d’autres espèces d’arbres protégées en France et plus ou moins largement plantées en ville, comme l’alisier de Fontainebleau, le caroubier, le chêne crénelé, le prunier du Portugal et le pin mugho.

Quels critères privilégier pour le choix des espèces ?

Les critères actuellement privilégiés pour le choix des espèces d’arbres sont les services écosystémiques qu’ils fournissent, en particulier leur contribution à la lutte contre les îlots de chaleur urbains (ICU), à l’amélioration de la qualité de l’air, à l’enrichissement de la biodiversité, ainsi qu’au bien-être des populations citadines.

De nombreux outils ont été développés dans cet objectif, comme le programme Sésame, lancé par le Cerema (Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement) en partenariat avec la Ville et l’Eurométropole de Metz, puis adapté au contexte de nombreuses autres villes françaises.

Le choix des essences va évidemment aussi dépendre des caractéristiques microclimatiques et des sols des sites de plantation, ainsi que de leur environnement. Lorsque les espaces disponibles sont suffisants, la plantation de grands arbres permet d’obtenir des services écosystémiques plus importants. Mais les petits espaces peuvent également être valorisés par des arbres ou arbustes de dimensions plus modestes.

Les plantations linéaires monospécifiques (d’une seule espèce) ont longtemps été prônées pour des raisons esthétiques et de commodité d’entretien, ces peuplements ayant souvent été considérés comme plus décoratifs et plus faciles à gérer que des peuplements mélangés d’espèces variées. On s’est toutefois rendu compte que ces peuplements monospécifiques étaient bien plus sensibles aux aléas climatiques et aux pathogènes, par exemple l’infestation des platanes de nos villes françaises par le chancre coloré (un champignon) ou des villes nord-américaines par l’argile du frêne (un coléoptère).

Les plantations d’arbres étant réalisées pour durer au moins une cinquantaine d’années, elles devront obligatoirement être adaptées aux conditions climatiques urbaines de la deuxième moitié du XXIe siècle. Des études ont ainsi établi qu’une grande partie des essences actuellement présentes en ville ne seront plus adaptées aux conditions de 2050.

Le programme Avec (Adaptation du végétal au climat de demain), conduit, depuis mi-2023, par l’association Plantes & Cité, le Cerema et l’Ademe a justement pour objectif d’évaluer les potentialités pour les plantations en milieu urbain de nouvelles espèces adaptées aux conditions climatiques de demain.

Innover et expérimenter l’acclimatation de nouvelles espèces

De nombreuses espèces d’arbres présentes en Europe au Pliocène, il y a 5,3 à 2,6 millions d’années, y ont été éliminées, ou presque pour certaines, par les glaciations quaternaires mais se sont maintenues, ou parfois des espèces voisines, en Asie ou en Amérique.

Ces espèces exclues de l’Europe pourraient retrouver dans nos villes les mêmes conditions climatiques dont elles bénéficiaient à cette époque dans les milieux naturels, soit des températures plus élevées de quelques degrés, et ainsi contribuer à la diversification des peuplements d’arbres urbains. C’est déjà le cas pour certaines espèces à distribution naturelle actuelle très restreinte et relictuelle en Europe, par exemple le noyer du Caucase (Pterocarya fraxinifolia), la parrotie de Perse (Parrotia persica) ou le copalme d’Orient (Liquidambar orientalis), ainsi que pour d’autres genres totalement disparus d’Europe suite aux glaciations quaternaires comme Ehretia, Eucommia, Liriodendron, Maclura, Magnolia ou Nyssa, dont des espèces asiatiques et/ou américaines ont été introduites avec succès dans les villes européennes.

Pterocarya frax, Parrotia persica et Nyssa Sylvatica
Pterocarya Fraxinifolia, Parrotia persica et Nyssa sylvatica plantées en ville. Serge Muller, Fourni par l'auteur

Mais l’acclimatation dans nos milieux urbains de bien d’autres espèces d’arbres présentes dans les régions tempérées chaudes d’Asie ou d’Amérique mériterait également d’être envisagée après expérimentation en jardin botanique ou en arboretum, ceci afin d’enrichir encore davantage nos forêts urbaines et les adapter aux conditions climatiques de la deuxième moitié du XXIe siècle.

Serge Muller, Professeur émérite, chercheur à l’Institut de systématique, évolution, biodiversité (UMR 7205), Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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