En se concentrant sur les scandales qui ont affecté la famille royale, la saison 4 tient du soap opera. Allociné
« The Crown », saison 4 : un soap opera cruel envers l’institution monarchique
Catherine Marshall, CY Cergy Paris UniversitéLa très attendue saison 4 de la série The Crown est enfin accessible sur Netflix mais son contenu interroge les choix faits par son auteur, Peter Morgan. Cette fois, la série revient sur les années 1980, où deux relations dominent, celle entre la reine Élisabeth II et son Premier ministre Margaret Thatcher et celle entre le Prince Charles et sa jeune épouse Diana.
Les deux premières saisons retraçaient avec une certaine fidélité les premières années du règne de la reine et son rôle de monarque constitutionnel. Cependant, à partir de la saison 3, Morgan a fait des choix très différents en se focalisant sur la famille royale bien plus que sur l’institution de la Couronne – au point qu’on peut se demander si c’est la monarchie elle-même qui n’est pas à bout de souffle depuis la fin des années 1960.
Le portrait d’une reine droite et dévouée
Dans les deux premières saisons, Morgan était revenu sur l’éducation constitutionnelle de la jeune Élisabeth II. L’accent avait été mis sur son rôle en tant que monarque bagehotien par excellence. Rappelons que le journaliste constitutionnel Walter Bagehot (1826-1877) est celui qui, dans un chapitre sur la monarchie dans The English Constitution (1867), a défini le pouvoir du souverain constitutionnel britannique selon la formule consacrée :
« Le souverain, dans une monarchie constitutionnelle telle que la nôtre, jouit du triple droit d’être consulté, du droit d’encourager, et, enfin, de celui de mettre en garde. »
Au fil des épisodes des deux premières saisons, c’est bien ce qu’on observe à travers la relation entre la reine et ses Premiers ministres et dans la maturation d’Élisabeth II dans son rôle face aux divers éléments de sa vie publique et de sa vie privée.
Certes, Morgan laisse entendre que le mariage entre Élisabeth et son époux – qui viennent de célébrer 73 ans de vie commune – n’avait pas été sans soubresauts, mais une forme de délicatesse était présente dans le traitement de leurs difficultés conjugales (dont on ne sait si elles sont vraies par ailleurs), l’accent étant mis sur le fait que la reine ne pouvait divorcer et que leur union dépassait leur union personnelle.
Dans le cas de la relation amoureuse malheureuse entre la princesse Margaret et Peter Townshend, la série montre toute la difficulté pour la reine de ne pas juger cette possible union en tant que femme et sœur, mais bien en tant que souveraine agissant selon les conseils de son gouvernement.
Enfin, certains évènements – comme la visite au Ghana pour rencontrer Kwame Nkrumah et le convaincre de maintenir ses liens avec le Royaume-Uni (saison 2, épisode 8) – illustrait la seconde partie souvent oubliée de la citation de Bagehot sur les trois pouvoirs du monarque, à savoir qu’« un roi doué d’une grande intelligence et d’une grande sagesse n’en désirerait pas d’autres. Il comprendrait que ne pas en avoir d’autres lui permettrait d’user de ceux-là pour de remarquables résultats ».
Ainsi, avec les deux premières saisons, chacun pouvait, selon son degré d’attachement à la monarchie, saisir le dévouement de cette femme au service de son pays, depuis son plus jeune âge, pétrie du désir d’incarner le monarque parlementaire que Bagehot avait théorisé. Ce dernier se devait d’être au-dessus des partis, devait devenir le symbole de l’unité de la nation, être le Défenseur de la Foi et un modèle de moralité. Dans les deux premières saisons, la reine Élisabeth II sortait auréolée d’une aura de droiture difficilement égalée.
Soap opera royal
La saison 3 (de 1964 jusqu’à la 25e année du couronnement, en 1977) avait déjà bien endommagé ce mythe, la reine étant cette fois présentée comme une femme rigide et incapable de montrer ses émotions. Se profilait déjà ce qui allait dominer dans cette nouvelle saison, à savoir l’accent sur la vie des membres de la famille royale.
Morgan choisit, cette fois, de se concentrer sur ce qu’il voit comme la relation désastreuse entre deux personnes abîmées par leur enfance et par le manque de présence de leurs mères, le Prince Charles et son épouse Diana. On ne peut que regretter la délicatesse de la première saison. Le mariage de conte de fées de juillet 1981 n’était qu’un mirage et, comme dans une vilaine histoire de famille, il aurait mieux valu en laisser une partie cachée plutôt que de venir donner vie à des dialogues, y compris intérieurs, dont on doute fort qu’ils aient eu lieu mais qui, cette fois, prennent une tout autre dimension.
Ce qui avait débuté comme une série assez fidèle à l’histoire – et célébrée comme telle – est en passe de devenir un soap opera royal qui invite à s’interroger sur les choix artistiques de Morgan. N’y avait-il pas d’autres thèmes auxquels se consacrer que ceux de la relation entre le Prince Charles, la Princesse Diana et Camilla Parker Bowles – « la troisième personne dans ce mariage » – selon la célèbre formule de la Princesse Diana dans son interview pour BBC1 Panorama en novembre 1995 ? Fallait-il de nouveau rappeler en détail, et en dialogues ici inventés, une période particulièrement sombre de cette famille, déjà très largement traitée dans les médias ? N’y aurait-il pas eu un intérêt à montrer les difficultés surmontées, les capacités de la monarchie à s’adapter ? Ou bien ces choix sont-ils le signe que l’institution elle-même a été doucement dépossédée de son importance constitutionnelle et qu’elle est devenue désuète au point de n’être utile que pour les personnages de série B qu’elle crée ?
L’interrogatoire imaginaire auquel Morgan soumet la monarchie des années 1980 en devient presque dangereux pour l’institution de la monarchie elle-même. Bagehot l’avait bien compris, lui qui écrivait : « Un souverain anglais, pour exister en tant que tel, ne doit pas être sujet à interrogatoire dans un procès ordinaire, ne doit pas être autorisé par le protocole à entrer en controverse avec un de ses sujets, ne doit pas être directement ou impoliment critiqué en public […]. Il doit être un personnage, et non un simple quidam passible de critiques, même pour ses vices, à moins bien entendu qu’il ne les impose […] à l’attention du public ». Finalement, c’est la famille royale qui a donné le bâton pour se faire battre en livrant ses « vices » aux médias, à ceux qui achètent leurs histoires et leurs photos.
Pourtant la reine et la monarchie ont toujours su s’adapter, voire compléter le rôle que Bagehot avait décrit. En 1992, à l’occasion des quarante ans de règne, Sir Anthony Jay décrivit un nouveau rôle de « chef de la nation », venant compléter celui de chef de l’État et Défenseur de la Foi. Jay sépara le rôle du monarque, avec d’un côté, les fonctions officielles formelles décrites par Bagehot, et de l’autre, une liste de quatorze fonctions informelles (allant de la continuité au fait d’unir la nation et l’État).
Il ajouta également 10 qualités principales que le public attend du monarque, de l’impartialité politique à la rectitude morale, en passant par l’acceptation de son devoir. En les combinant toutes, Jay donna une nouvelle dimension au rôle du monarque qui eut une incidence réelle sur la monarchie et dans sa façon de se présenter depuis presque trente ans (en particulier sur son site Internet). Avec Jay, l’accent fut mis sur la dimension personnelle du lien entre le monarque et son peuple.
Les années noires de la monarchie britannique
Et c’est bien en cela que la saison 4 de The Crown pose problème, en décidant de négliger cet autre versant de l’histoire : la série vient ouvrir la boite de pandore des années noires de la monarchie britannique. Le Prince Charles a fini par épouser Camille Parker Bowles et, depuis leur mariage en 2005, tout a été fait pour légitimer cette union aux yeux de la nation et pour préparer à son futur règne. Le travail qu’il a mené et qu’il mène avec son organisation caritative The Prince’s Trust depuis 1976 est de très grande importance.
Cette fondation a déjà aidé plus d’un million de jeunes de 11 à 30 ans à financer leurs projets éducatifs, d’apprentissage ou de recherche d’emploi. Ce travail est complètement ignoré dans la série. En mettant l’accent sur la Princesse Diana en tant que victime d’un système, c’est un point de vue qui est mis en avant dans ce qui reste une fiction. Pourtant, le vrai moment de crise qui a vu un déferlement de chagrin improbable outre-Manche au moment de son enterrement en septembre 1997 peut se reproduire après la mort d’Élisabeth II. Son fils sera alors bien en peine d’incarner avec Camilla, le lien si personnel et fragile d’un monarque et son peuple, si bien incarné par Élisabeth II.
Enfin, cette saison tombe mal pour la monarchie car les deux dernières années viennent d’être marquées par l’interview désastreuse du Prince Andrew en novembre 2019 cherchant à se disculper d’une relation avec une personne mineure liée à l’affaire Epstein, le départ de la famille royale du Prince Harry, la publication du livre Finding Freedom : Harry and Meghan and the Making of a Modern Royal Family qui n’est pas sans rappeler les épanchements de Diana her True Story (1992) et enfin le retour sur la façon peu éthique dont le journaliste Martin Bashir aurait obtenu son interview scoop pour BBC1 Panorama avec la Princesse Diana en novembre 1995.
Morgan et les producteurs de la série viennent de donner vie en images à des évènements trop proches dans le temps et d’en donner une interprétation qui est difficile à distinguer de la réalité. Morgan était libre de produire une série qui se focaliserait sur ce qui lui semblait essentiel mais la saison 4 vient rappeler tous les déboires de cette monarchie à un nouveau moment de fragilité pour la couronne. Ainsi, si personne ne sort gagnant de la saison 4 – pas même Diana –, l’institution de la monarchie, quant à elle, en sort terriblement perdante.
Comme le disait Bagehot à ce sujet : « Nous ne devons jamais faire la lumière sur ce qui relève de la magie ». Morgan l’a fait en choisissant de diriger le projecteur sur ses points les plus faibles au point que la monarchie se voit réduite à une famille dysfonctionnelle dont on finit par se demander à quoi elle sert si ce n’est à nourrir la fascination malsaine du téléspectateur pour les petits scandales, alors que son rôle est bien plus grand que cela.
Catherine Marshall, Professeur en histoire et civilisation britannique, CY Cergy Paris Université
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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