Sommeil : il est possible de dialoguer avec les rêveurs

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Il n’est pas facile pour les scientifiques d’explorer le monde des rêves, mais les connaissances progressent. Johannes Plenio/Unsplash

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Sommeil : il est possible de dialoguer avec les rêveurs

Il n’est pas facile pour les scientifiques d’explorer le monde des rêves, mais les connaissances progressent. Johannes Plenio/Unsplash
Ba?ak Türker, Institut du Cerveau et de la Moelle épinière (ICM) et Delphine Oudiette, Inserm

Dans le film Inception de Christopher Nolan, le personnage principal est capable d’infiltrer les rêves d’autres personnes, et même d’influencer leur contenu. Et si cette fiction n’était pas si éloignée de la réalité ?

Nos travaux suggèrent en effet qu’il est possible d’interagir avec des volontaires pendant leur sommeil, voire de dialoguer avec eux, à certains moments propices. Explications.

La science des rêves : une discipline difficile

Si l’on se réveille parfois avec des souvenirs vifs de nos aventures nocturnes, à l’inverse il arrive que l’impression d’une nuit sans rêves prédomine lorsqu’arrive le matin, comme si le temps s’était évanoui.

En effet, si nous nous souvenons en moyenne d’un à trois rêves par semaine, nous ne sommes pas tous égaux face au souvenir de nos rêves. Ainsi, les gens qui disent ne jamais rêver constituent environ 2,7 à 6,5 % de la population. Souvent, cependant, ces gens ont déjà rêvé dans le passé, quand ils étaient enfants par exemple. La proportion de gens qui dit n’avoir jamais rêvé de toute sa vie est très faible : 0,38 %.

Le fait de se rappeler des rêves dépend de nombreux facteurs tels que le sexe (les femmes se rappellent plus fréquemment de leurs rêves) ou l’intérêt pour les rêves, ainsi que de la façon dont on collecte les rêves (en tenant un « carnet de rêve », ou en les enregistrant au dictaphone, par exemple).

De par leur nature privée et évanescente, les rêves sont difficiles à capturer par les scientifiques. Certes, aujourd’hui, grâce aux connaissances acquises dans le domaine des neurosciences, il est possible, en analysant l’activité cérébrale d’un individu, son tonus musculaire et ses mouvements oculaires, de classifier son état de vigilance. Les scientifiques peuvent ainsi déterminer si une personne dort, et dans quel stade de sommeil elle se trouve : phase d’endormissement, sommeil lent léger, sommeil lent profond ou sommeil paradoxal.

Mais ces mesures physiologiques ne permettent pas de savoir si un dormeur rêve (les rêves pouvant se produire dans tous les stades de sommeil), et encore moins à quoi il rêve… Les chercheurs n’ont typiquement pas accès à l’expérience de rêve au moment même où elle est vécue. Ils sont donc contraints de se fier au récit de rêve collecté après la bataille – au moment du réveil – sans garantie que ce récit soit fidèle à ce qu’il s’est passé dans la tête du dormeur.

Photo d’une femme qui dort dans une caravane, de dos.
Déterminer à quoi rêvent les gens durant leur sommeil reste encore hors de la portée des scientifiques…. ?????? ???????/Unsplash

En outre, pour comprendre ce qui se passe dans le cerveau lors des rêves – et à quoi ils servent – il faudrait pouvoir comparer l’activité cérébrale lors des moments où les rêves se produisent avec ceux où ils sont absents. Par conséquent, il est impératif de déterminer avec précision quand les rêves surviennent pour progresser dans la science des rêves.

Pour y parvenir, l’idéal serait de pouvoir communiquer avec les dormeurs. Impossible ? Pas pour tout le monde : c’est ici qu’entrent en scène les rêveurs lucides.

Les rêves lucides : une clé pour ouvrir la porte des songes

La plupart d’entre nous réalisent avoir rêvé seulement au réveil. Les rêveurs « lucides », eux, ont la capacité unique d’être conscients de rêver, alors même qu’ils sont endormis en sommeil paradoxal, une période du sommeil durant laquelle l’activité cérébrale est plus proche de celle de la phase d’éveil.

Encore plus étonnant : les rêveurs lucides peuvent parfois même exercer un contrôle partiel sur le déroulement de l’histoire de leurs rêves ! Ils sont alors capables de s’envoler, de faire apparaître ou disparaître des personnes, de changer la météo, de se transformer en animaux… Bref, les possibilités sont infinies.

De tels rêves lucides peuvent survenir spontanément ou être provoqués par un entraînement spécifique. L’existence des rêves lucides est connue depuis l’Antiquité, mais elle a longtemps été considérée comme ésotérique, et indigne d’une exploration scientifique.

Cette vision des choses a changé grâce à une expérience astucieuse mise en place par le psychologue Keith Hearne et le psychophysiologiste Stephen Laberge, dans les années 1980. Ces deux chercheurs se sont mis en tête de prouver scientifiquement que les rêveurs lucides sont bien endormis quand ils prennent conscience de rêver. Partant du constat que le sommeil paradoxal est caractérisé par des mouvements oculaires rapides, yeux fermés (d’où son nom de « Rapid Eye Movement sleep » en anglais), ils se sont posé la question suivante : serait-il possible d’utiliser cette propriété pour demander au dormeur d’envoyer un « télégramme » au monde alentour, depuis son rêve ?

Hearne et Laberge ont recruté des rêveurs lucides pour tenter d’obtenir une réponse. Ils se sont mis d’accord avec eux avant qu’ils ne s’endorment sur le télégramme à envoyer : les participants devraient faire des mouvements oculaires spécifiques, comme déplacer leur regard de gauche à droite trois fois, lorsqu’ils prendraient conscience qu’ils rêvaient. Et, alors qu’ils étaient objectivement en sommeil paradoxal, les rêveurs lucides l’ont fait !

Grâce à ce code de communication, les chercheurs pouvaient désormais détecter en temps réel des moments de rêve. Ces travaux ont ouvert la voie à de nombreuses recherches où les rêveurs lucides agissent comme des agents infiltrés du monde onirique, réalisant des missions (comme retenir sa respiration en rêve) et les signalant aux expérimentateurs grâce au code oculaire.

À l’heure actuelle, il est possible de combiner de telles expériences avec des techniques d’imagerie cérébrale, afin d’étudier les régions cérébrales sollicitées lors des rêves lucides. Ceci constitue un énorme progrès dans la quête pour mieux comprendre les rêves et leur mécanisme de formation.

En 2021, près de 40 ans après les travaux pionniers de Hearne et Laberge, une étude réalisée par notre équipe, en collaboration avec des chercheurs du monde entier a permis d’aller encore plus loin.

De la fiction à la réalité : dialoguer avec le rêveur

Nous savions déjà que les rêveurs lucides étaient capables d’envoyer des informations depuis leur rêve. Mais peuvent-ils en recevoir également ? Autrement dit, serait-il possible de dialoguer avec un rêveur lucide ? Pour en avoir le cœur net, nous avons exposé un rêveur lucide à des stimuli tactiles durant son sommeil. Nous lui avons aussi posé des questions fermées, telles que « Aimez-vous le chocolat ? »

Ce dernier a été en mesure de répondre en souriant pour signifier un « oui » et en fronçant les sourcils pour un « non ». En outre, dans le cadre de ces travaux, des rêveurs lucides se sont vu présenter verbalement des équations mathématiques simples. Ils ont réussi à fournir des réponses appropriées tout en restant endormis.

Évidemment, les rêveurs lucides ne répondaient pas toujours, loin de là. Mais le fait qu’ils puissent le faire parfois (18 % des cas dans notre étude) ouvrait la porte à une communication entre expérimentateurs et rêveurs.

Cependant, le rêve lucide reste un phénomène rare et même les rêveurs lucides ne sont pas lucides tout le temps ni durant tout le sommeil paradoxal. Le portail de communication que nous avions ouvert était-il limité au seul sommeil paradoxal « lucide » ? Pour le déterminer, nous avons entrepris de nouveaux travaux.

Élargir le portail de communication

Pour savoir si nous pouvions communiquer de la même façon avec n’importe quel dormeur, quel que soit le stade de sommeil, nous avons mené des expériences avec des volontaires non rêveurs lucides sans troubles du sommeil, ainsi qu’avec des personnes atteintes de narcolepsie. Cette maladie, qui se caractérise par de nombreux endormissements (le plus souvent en sommeil paradoxal), est associée avec une propension accrue aux rêves lucides.

Lors de cette nouvelle expérimentation, nous avons présenté verbalement aux participants des mots existants (par exemple « pizza ») et des mots inventés (par exemple « ditza ») dans tous les stades de sommeil. Nous leur avons demandé de sourire ou de froncer les sourcils en fonction du type de mot (inventé ou non). Sans grande surprise, les personnes narcoleptiques ont pu répondre quand elles étaient lucides en sommeil paradoxal, confirmant nos résultats de 2021.

Plus surprenant, en revanche, est le fait que les deux groupes de participants se sont aussi avérés capables de réagir à nos stimuli verbaux dans la plupart des stades du sommeil, même en l’absence de rêve lucide ! Les volontaires ont été capables de répondre de manière intermittente, comme si des fenêtres de connexion avec le monde extérieur s’ouvraient temporairement à ces moments précis.

Nous avons même pu déterminer la composition du cocktail d’activité cérébrale propice à ces moments d’ouverture vers le monde extérieur : en analysant l’activité cérébrale des dormeurs avant la présentation des stimuli, nous avons été en mesure de prédire s’ils allaient nous répondre ou non.

Pourquoi de telles fenêtres de connexion avec le monde extérieur existent-elles ? On peut émettre l’hypothèse que le cerveau s’est développé dans un contexte où un minimum de traitement cognitif était nécessaire durant le sommeil : on peut par exemple imaginer que nos ancêtres devaient rester attentifs aux stimuli extérieurs lorsqu’ils dormaient, en cas d’approche d’un prédateur. Dans le même ordre d’idée, on sait que le cerveau d’une mère réagit préférentiellement aux pleurs de son bébé pendant le sommeil…

Nos résultats suggèrent qu’il est désormais envisageable de « dialoguer » avec n’importe quel dormeur, quel que soit le stade de sommeil dans lequel il se trouve. En affinant les marqueurs cérébraux qui prédisent les moments de connexion avec le monde extérieur, il devrait être possible d’optimiser davantage les protocoles de communication à l’avenir.

Cette avancée ouvre la voie à un dialogue en temps réel avec les dormeurs, offrant ainsi aux chercheurs la possibilité d’explorer les mystères des rêves au moment même où ils surviennent. Mais si la frontière entre la science-fiction et la réalité s’amincit, rassurez-vous : les neuroscientifiques sont encore loin de savoir décoder le contenu de vos rêves. Vous pouvez donc continuer à rêver sur vos deux oreilles !

Ba?ak Türker, Chercheuse postdoctorale, Institut du Cerveau et de la Moelle épinière (ICM) et Delphine Oudiette, Chercheure en neurosciences cognitives, Inserm

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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